Forcer l’entrée d’un concert
Forcer l’entrée d’un concert

Le fait de rentrer sur le site d’un concert par un accès non autorisé constitue une faute. Un agent de sécurité qui a pénétré sur le site d’un concert par un accès qui lui était interdit dès lors qu’il n’assurait pas une prestation de travail le soir du concert, commet une faute.

Toutefois, en l’absence de preuve que le salarié ait forcé le passage pour accéder à la salle de spectacle et a mis en danger la sécurité du site, cette faute n’est pas d’une gravité telle qu’elle justifie un licenciement même pour une cause réelle et sérieuse, alors que le salarié n’avait fait l’objet d’aucun rappel à l’ordre ou sanction antérieurement.

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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 09 SEPTEMBRE 2021

N° RG 18/05159 –��N° Portalis DBV2-V-B7C-IBHG

DÉCISION

DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE ROUEN du 15 Novembre 2018

APPELANT :

Monsieur B X

[…]

[…]

représenté par Me Nathalie VALLEE de la SCP VALLEE LANGUIL, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Anaëlle LANGUIL, avocat au barreau de ROUEN

INTIMEE :

S.A.S. MONDIAL PROTECTION GRAND NORD OUEST

[…]

[…]

représentée par Me Luc MASSON, avocat au barreau de ROUEN

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 27 Mai 2021 sans opposition des parties devant Madame ROGER-MINNE, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Monsieur POUPET, Président

Madame ROGER-MINNE, Conseillère

Madame DE SURIREY, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme WERNER, Greffière

DEBATS :

A l’audience publique du 27 Mai 2021, où l’affaire a été mise en délibéré au 09 Septembre 2021

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 09 Septembre 2021, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile, signé par Monsieur POUPET, Président et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSE DES FAITS

M. B X a été embauché en qualité d’agent de surveillance par la société Mondial protection (la société) sous contrat à durée indéterminée à temps partiel à compter du 1er mars 2008.

Par courrier recommandé avec accusé de réception du 5 avril 2017, il a été convoqué à un entretien préalable en vue de son éventuel licenciement. En raison d’un arrêt maladie, il ne s’y est pas présenté.

Son licenciement pour faute grave lui a été notifié le 10 mai 2017.

Par courrier recommandé avec accusé de réception du 29 juin 2017, le salarié a saisi le conseil de prud’hommes de Rouen à fin de faire reconnaître son licenciement comme étant dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Par jugement du 15 novembre 2018, le conseil de prud’hommes a considéré que le licenciement reposait bien sur une cause réelle et sérieuse, mais pas sur une faute grave et a condamné la société au paiement des sommes suivantes :

• 1 716 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis

• 171,60 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de congés payés y afférents

• 1 544,40 euros à titre d’indemnité légale de licenciement

• 700 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.

M. X a interjeté appel de cette décision.

Par conclusions remises le 4 septembre 2019 auxquelles il conviendra de se référer pour plus ample exposé des moyens, il demande à la cour de :

— réformer le jugement en ce qu’il l’a débouté de sa demande relative au licenciement sans cause réelle et sérieuse, le confirmer sur les sommes allouées au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, des congés payés afférents et de l’indemnité de licenciement,

— condamner la société au paiement des sommes suivantes :

• 8 583 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

• 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions remises le 7 juin 2019 auxquelles il conviendra de se référer pour plus ample exposé des moyens, la société demande à la cour de :

— confirmer le jugement en ce qu’il a débouté M. X de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de l’infirmer en ce qu’il a déclaré que le licenciement n’était pas fondé sur une faute grave,

— à titre subsidiaire, débouter le salarié de sa demande d’indemnité pour le licenciement sans cause réelle et sérieuse,

— à titre très subsidiaire, réduire le montant des dommages-intérêts sollicité par M. X,

— en tout état de cause, condamner l’appelant au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens de première instance et d’appel.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 22 avril 2021.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le bien fondé du licenciement :

La lettre de licenciement qui fixe les limites du litige est rédigée comme suit : « en date du 10 février 2017, vous vous êtes présenté sur le site Dock Océane où se tenait un concert à guichet fermé. Vous n’étiez pas planifié à cette date et vous avez forcé le passage pour accéder sur le site, malgré le refus préalable du coordinateur sécurité Monsieur D A.

Accompagné de vos enfants, vous avez pénétré sur le site, y avez garé votre véhicule dans la zone « backstage » et avez utilisé l’entrée réservée au personnel pour accéder à la salle de spectacle.

Des membres de la production du spectacle ainsi que nos clients présents sur le site, ont été témoins de votre intrusion. Ce comportement, en totale inadéquation avec vos missions d’agent de sécurité, véhicule une très mauvaise image de notre société et met en danger la relation de confiance qui nous lie avec nos partenaires.

Vous avez abusé de votre qualité d’agent de sécurité, intervenant de manière régulière sur ce site, pour y pénétrer sans raison de service et sans accord préalable de votre hiérarchie.

Ceci représente un manquement grave aux consignes de sécurité prévues pour ce site. En effet, l’affluence ce soir-là était très importante, et la capacité d’accueil de la salle étant limitée, vous avez mis en danger la sécurité du site en introduisant des personnes non autorisées, pouvant dépasser le taux admissible de personnes.

Votre comportement est inacceptable compte tenu du contexte d’état d’urgence actuel et du plan Vigipirate qui demandent aux professionnels de la sécurité une attention particulière sur les sites sensibles recevant du public.

Compte tenu du fait que vous n’avez pas jugé bon de vous présenter à l’entretien du 14 avril 2017, nous n’avons pas été en mesure de recueillir vos explications. Cette attitude démontre l’absence d’intérêt que vous portez envers votre fonction et à notre société

Aussi, à la demande et en accord avec votre hiérarchie, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute grave, sans préavis ni indemnité. […] »

La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. Elle résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputable au salarié personnellement. Il revient à l’employeur d’en apporter la preuve. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

M. X conteste la version des faits présentée dans la lettre de rupture et en particulier le fait d’avoir forcé l’entrée.

La société pour justifier de la réalité de la faute reprochée verse aux débats trois attestations :

• Mme Y, responsable sécurité atteste que le 10 février 2017, alors qu’elle était responsable d’exploitation au dock océane pour le concert de Kendji Girac, M. X « a emprunté la voie de service pour rentrer sur le site avec ses enfants alors qu’il n’était pas planifié ».

• Mme Z, responsable d’exploitation, atteste avoir établi le listing des agents requis sur ladite prestation en date du 10 février 2017 et qu’en aucun cas M. X n’était requis sur celle-ci dès lors qu’il était en arrêt maladie au sein de sa société principale.

• M. A, coordinateur sécurité au cours de la soirée litigieuse, indique : « M. X B serait rentré dans l’enceinte du bâtiment alors qu’il ne faisait pas partie de l’effectif sécurité prévue à ce jour. Je l’aperçois lorsque mes collègues et moi nous rangions le matériels (barrières) sortir du PC sécurité. Il se dirige vers les agents contrôleurs public pour les saluer, je me dirige vers lui pour lui interdire l’accès du concert, c’est à ce moment que je vois qu’il est accompagné de son enfant. Je lui redis avant de repartir finir le rangement du matériel (barrières) qu’ils ne rentrent pas dans la salle ».

Ces éléments permettent d’établir que Monsieur X a pénétré sur le site par un accès qui lui était interdit dès lors qu’il n’assurait pas une prestation de travail le soir du concert. En revanche, ils ne permettent pas de démontrer que le salarié a forcé le passage pour accéder à la salle de spectacle et a mis en danger la sécurité du site.

Le fait de rentrer sur le site par un accès non autorisé constitue une faute. Cependant celle-ci ne justifiait pas une sanction aussi radicale qu’un licenciement même pour une cause réelle et sérieuse, alors que le salarié n’avait fait l’objet d’aucun rappel à l’ordre ou sanction antérieurement.

Le jugement entrepris doit donc être infirmé en ce qu’il a débouté Monsieur X de sa demande tendant à voir déclarer le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences indemnitaires :

M. X retient un salaire de référence de 858 euros, montant qui n’est pas contesté par la société. Les montants alloués par le conseil de prud’hommes au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, des congés payés afférents et de l’indemnité légale de licenciement ne sont pas contestés, de sorte qu’il y a lieu de confirmer le jugement de ces chefs.

La société, qui comprenait plus de 10 salariés au moment de la rupture, sollicite la réduction du montant des dommages et intérêts réclamés par Monsieur X en se fondant sur les dispositions de l’article L.1235-3 du code du travail dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2017- 1387 du 22 septembre 2017. Il convient toutefois de constater que le licenciement est antérieur à l’entrée en vigueur de la modification de l’article L. 1235-3 et que, dans sa rédaction applicable en la cause, l’indemnité allouée au salariée ne peut être inférieure aux six derniers mois de salaire.

Dans la mesure où M. X ne justifie pas d’un préjudice particulier supplémentaire lié à la perte de son emploi, l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse sera fixée à 5 148 euros, qui est supérieure au montant des six derniers mois.

Il y a lieu d’ordonner le remboursement par l’employeur, aux organismes concernés, sur le fondement de l’article L. 1235-4 du code du travail, des indemnités de chômage payées à Monsieur X à la suite de son licenciement, dans la limite de trois mois d’indemnités.

Sur les demandes accessoires :

Succombant à l’instance la société sera condamnée aux dépens d’appel ainsi qu’au paiement de la somme complémentaire de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et sera déboutée de sa propre demande à ce titre.

PAR CES MOTIFS

INFIRME le jugement en ce qu’il a dit que le licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse et a débouté M. B X de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Statuant à nouveau de ces chefs :

Dit que le licenciement de M. X est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

Condamne la société à lui payer les sommes de :

—  5 148 euros à titre d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,

—  1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Ordonne le remboursement par l’employeur aux organismes concernés des indemnités de chômage payées à M. X à la suite de son licenciement dans la limite de trois mois d’indemnités ;

Confirme le jugement pour le surplus ;

Déboute la société de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile ;

La condamne aux dépens d’appel.

La greffière Le président


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