Force de la clause de forclusion contractuelle

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Force de la clause de forclusion contractuelle

La forclusion éteint l’action et le droit qui y est attaché sans être susceptible d’être suspendue ou interrompue.

La clause qui fixe un terme au droit d’agir du créancier institue un délai de forclusion (Com. 26 janvier 2016 n°14-23.28 et Com. 30 mars 2016 n°14-24.874) de sorte que les dispositions de l’article 2254 du code civil sont inapplicables :

« La durée de la prescription peut être abrégée ou allongée par accord des parties. Elle ne peut toutefois être réduite à moins d’un an ni étendue à plus de dix ans.

Les parties peuvent également, d’un commun accord, ajouter aux causes de suspension ou d’interruption de la prescription prévues par la loi.

Les dispositions des deux alinéas précédents ne sont pas applicables aux actions en paiement ou en répétition des salaires, arrérages de rente, pensions alimentaires, loyers, fermages, charges locatives, intérêts des sommes prêtées et, généralement, aux actions en paiement de tout ce qui est payable par années ou à des termes périodiques plus courts ».

La forclusion éteint l’action et le droit qui y est attaché sans être susceptible d’être suspendue ou interrompue.

En l’espèce, la lettre de mission signée le 13 mai 2016 prévoit en page 14 que :

 » Toute demande de dommages et intérêts ne pourra être produite que pendant une période de cinq ans commençant à courir le premier jour de l’exercice suivant celui au cours duquel est né le sinistre correspondant à la demande. Celle-ci devra être introduite dans les trois mois suivant la date à laquelle le client aura eu connaissance du sinistre. »

Le principe de validité de la dite clause n’est pas contestée par les parties.

Par ailleurs, le délai de trois mois imparti au client pour introduire son action constitue un délai de forclusion et non de prescription.

Le point de départ de ce délai doit être fixé à la date à laquelle le client a eu connaissance des conditions dans lesquelles l’expert-comptable a exercé sa mission et de ses éventuelles négligences (Com., 16 décembre 2020, n° 17-24.292).

De fait, la date à laquelle le client a eu connaissance du sinistre, au sens de la lettre de mission, s’entend du jour où il a pris conscience du fait que la faute de l’expert-comptable a engendré un préjudice, et non du jour où il a eu connaissance de l’étendue de ce préjudice (Com 11 octobre 2023, n°22-10.521).

Résumé de l’affaire :

Contexte de l’affaire

La SARL La Plage, spécialisée dans la restauration, a engagé le cabinet d’expertise comptable Cléon Martin Broichot et Associés en mai 2016 pour la présentation de ses comptes annuels et l’établissement de ses déclarations fiscales.

Vérification fiscale et redressement

Entre mars et juillet 2023, la SARL La Plage a subi une vérification de comptabilité par les services fiscaux, qui ont rejeté sa comptabilité et reconstitué son chiffre d’affaires. Un avis de redressement fiscal a été notifié le 28 juillet 2023, portant sur la TVA et l’impôt sur les sociétés.

Mise en recouvrement

Le 1er décembre 2023, le centre des finances publiques de Côte d’Or a émis un avis de mise en recouvrement à l’encontre de la SARL La Plage pour un montant total de 91.974 euros.

Action en justice

Estimant que les erreurs ayant conduit au redressement fiscal étaient dues à la faute du cabinet d’expertise comptable, la SARL La Plage a assigné ce dernier devant le tribunal judiciaire de Dijon le 31 janvier 2024, demandant réparation pour son préjudice.

Procédure de redressement judiciaire

Le 6 février 2024, le tribunal de commerce de Dijon a ouvert une procédure de redressement judiciaire au profit de la SARL La Plage.

Incidents de procédure

Le 27 mai 2024, le cabinet d’expertise comptable a soulevé un incident de forclusion, demandant la condamnation de la SARL La Plage à lui verser des frais. La SARL La Plage a contesté cette forclusion, soutenant que son action n’était pas tardive.

Examen de la forclusion

L’article 789 du code de procédure civile stipule que le juge de la mise en état est compétent pour statuer sur les incidents de procédure. Le cabinet d’expertise comptable a argué que l’action de La Plage était irrecevable en raison de la tardiveté de l’assignation, tandis que La Plage a fait valoir que le délai de forclusion n’avait pas encore expiré.

Connaissance du sinistre

La SARL La Plage a pris connaissance des négligences de son expert-comptable à la date de la proposition de rectification du 28 juillet 2023, ce qui aurait dû déclencher son action en justice avant le 28 novembre 2023.

Décision du juge

Le juge a déclaré la SARL La Plage irrecevable en raison de la forclusion de son action, a condamné la société aux dépens et à verser 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile au cabinet d’expertise comptable.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

29 octobre 2024
Tribunal judiciaire de Dijon
RG
24/00342
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE DIJON
——— ——–
1ère Chambre

N° RG 24/00342 – N° Portalis DBXJ-W-B7I-IFPY

NATURE AFFAIRE : Demande en réparation des dommages causés par l’activité d’un expert en diagnostic, un commissaire aux comptes, un commissaire aux apports, un commissaire à la fusion ou un expert-comptable

ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
RENDUE LE 29 Octobre 2024

Dans l’affaire opposant :

S.A.R.L. LA PLAGE, immatriculée au RCS de Dijon sous le n° 810 685 107, représentée par son gérant en exercice
dont le siège social est sis [Adresse 1]

représentée par Maître Alexandre MISSET, avocat au barreau de DIJON plaidant

DEMANDERESSE

ET :

Société CLEON MARTIN BROICHOT ET ASSOCIES
dont le siège social est sis [Adresse 2]

représentée par Maître Jean-Hugues CHAUMARD de la SCP CHAUMARD TOURAILLE, avocats au barreau de DIJON postulant,
Maître André-François BOUVIER-FERRENTI, avocat au barreau de PARIS plaidant

DEFENDERESSE

* * * *

Madame Chloé GARNIER, Juge de la mise en état, assistée de Madame Marine BERNARD, greffier,

Après avoir entendu les conseils des parties à notre audience du 01 Octobre 2024 et après avoir mis l’affaire en délibéré, avons rendu ce jour par mise à disposition au greffe, l’ordonnance contradictoire susceptible d’appel dans les conditions de l’article 795 du code de procédure civile, ci-après :

EXPOSE DU LITIGE

La SARL La Plage, qui exerce une activité de bar et petite restauration dans trois points de vente, a conclu avec le cabinet d’expertise comptable Cléon Martin Broichot et Associés une lettre de mission le 13 mai 2016 avec mission de présentation des comptes annuels et l’établissement des déclarations fiscales.

La SARL La Plage a fait l’objet d’une vérification de comptabilité par les services fiscaux du 30 mars au 24 juillet 2023. A l’issue, les services fiscaux, qui ont rejeté la comptabilité et reconstitué le chiffre d’affaires, ont adressé une notification de redressement portant sur la TVA et l’impôt sur les sociétés le 28 juillet 2023.

Le centre des finances publiques de Côte d’Or a adressé à la société un avis de mise en recouvrement le 1er décembre 2023 pour un montant de 91.974 euros.

Considérant que les erreurs commises qui sont à l’origine du redressement fiscal traduisent la faute commise par le cabinet d’expertise comptable, la SARL La Plage a fait assigner le cabinet devant le tribunal judiciaire de Dijon par acte du 31 janvier 2024 aux fins de voir condamner la SARL Cléon Martin Broichot à lui régler la somme de 91.974 euros en réparation de son préjudice et la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles.

Par jugement du 6 février 2024, le tribunal de commerce de Dijon a prononcé l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire au profit de la SARL La Plage.

Par conclusions du 27 mai 2024, la société Cléon Martin Broichot et Associés a saisi le juge de la mise en état d’un incident tendant à déclarer forclose l’action engagée et à voir condamner la société La Plage à lui verser la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Par conclusions d’incident notifiées le 25 juillet 2024, la société d’expertise comptable a maintenu ses demandes.

Par dernières conclusions d’incident du 27 juin 2024, la SARL La Plage souhaite voir dire que l’action engagée n’est pas forclose et voir débouter la défenderesse de ses demandes tout en la condamnant à lui verser la somme de 4.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et les dépens.

Les parties ne s’accordent pas sur le point de départ du délai de forclusion.

L’affaire a été examinée à l’audience d’incident du 1er octobre 2024 et mise en délibéré au 29 octobre 2024.

SUR CE,

Sur la forclusion

L’article 789 du code de procédure civile, dans sa version en vigueur à compter du 1er septembre 2024, tel que modifié par décret n°2024-673 du 3 juillet 2024 et applicable aux instances en cours, dispose :
« Le juge de la mise en état est, à compter de sa désignation et, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour :
1° Statuer sur les exceptions de procédure, les demandes formées en application de l’article 47 et les incidents mettant fin à l’instance ; (…)”.

La société Cléon Martin Broichot soutient que l’action est irrecevable car engagée tardivement compte tenu des dispositions contractuelles et de la proposition de redressement fiscal notifiée le 28 juillet 2023.

La société La Plage rappelle que les dispositions du livre des procédures fiscales confirment que la proposition de rectification ne fait pas naître de créance vis à vis du Trésor Public mais ouvre un débat à l’issue duquel il demeure libre de procéder à la mise en recouvrement de l’imposition. Or l’avis de mise en recouvrement a été émis le 1er décembre 2023 de sorte que l’assignation délivrée le 31 janvier 2024 n’est pas tardive. Elle communique un arrêt de la cour de cassation (Com. 6 décembre 2017 n°16-23.972) qui rappelle que la notification de redressement est le point de départ d’une procédure contradictoire à l’issue de laquelle l’administration fiscale peut ne mettre en recouvrement aucune imposition de sorte qu’à la date de cette notification, le dommage n’était pas réalisé.

La clause qui fixe un terme au droit d’agir du créancier institue un délai de forclusion (Com. 26 janvier 2016 n°14-23.28 et Com. 30 mars 2016 n°14-24.874) de sorte que les dispositions de l’article 2254 du code civil sont inapplicables. La forclusion éteint l’action et le droit qui y est attaché sans être susceptible d’être suspendue ou interrompue.

En l’espèce, la lettre de mission signée le 13 mai 2016 prévoit en page 14 que « Toute demande de dommages et intérêts ne pourra être produite que pendant une période de cinq ans commençant à courir le premier jour de l’exercice suivant celui au cours duquel est né le sinistre correspondant à la demande. Celle-ci devra être introduite dans les trois mois suivant la date à laquelle le client aura eu connaissance du sinistre. »
Le principe de validité de la dite clause n’est pas contestée par les parties.
Par ailleurs, le délai de trois mois imparti au client pour introduire son action constitue un délai de forclusion et non de prescription.
Le point de départ de ce délai doit être fixé à la date à laquelle le client a eu connaissance des conditions dans lesquelles l’expert-comptable a exercé sa mission et de ses éventuelles négligences (Com., 16 décembre 2020, n° 17-24.292).
De fait, la date à laquelle le client a eu connaissance du sinistre, au sens de la lettre de mission, s’entend du jour où il a pris conscience du fait que la faute de l’expert-comptable a engendré un préjudice, et non du jour où il a eu connaissance de l’étendue de ce préjudice (Com 11 octobre 2023, n°22-10.521).

En l’espèce, le courrier de proposition de rectification du 28 juillet 2023 de l’administration fiscale mentionne, après avoir effectué le contrôle au cabinet d’expertise comptable :
– aucun document enregistrant les opérations réalisées n’a été tenu sur les points de vente qui ne disposent pas de caisse enregistreuse, ainsi la globalisation journalière des recettes sans élément supplétif pour en reconstituer le détail justifie à elle seule le rejet de la comptabilité ;
– le compte de résultat récapitule les produits et les charges de l’exercice sans qu’il soit tenu compte de leur date d’encaissement ou de paiement, la société a tenu à tort une comptabilité de trésorerie au lieu d’une comptabilité d’engagement ;
– les trois taux différents de TVA n’apparaissent pas sur les tickets de caisse destinés aux clients, la quasi totalité des ventes a été déclarée au taux de 5,5 % alors que la société a collecté et facturé de la TVA à 10 ou 20 % ;
– des factures d’achat de produits auprès de fournisseurs n’ont pas été comptabilisées, ce qui rend irrégulière la comptabilité ;
– aucun relevé détaillé de stocks n’est présenté ni aucun inventaire.
La comptabilité étant dépourvue de valeur probante, l’administration fiscale a reconstitué le chiffre d’affaires pour les exercices 2020 à 2022 et constaté une minoration des recettes. La société a également été invitée à déclarer le nom des bénéficiaires des revenus distribués dans un délai de 30 jours sous peine d’amende. Les services fiscaux ont considéré que la société a volontairement cherché à éluder une fraction importante de l’impôt sur les sociétés dont elle est redevable et ont retenu une majoration. Ils ont aussi noté que le gérant ne pouvait ignorer avoir déclaré un taux de TVA de 5,5 % pour obtenir des remboursements de crédits de TVA mais avoir vendu aux clients des produits au taux de TVA de 10 et 20 %.
Le courrier du 28 juillet 2023 prévoit que le débiteur dispose d’un délai de trente jours pour adresser ses observations ou son acceptation, étant précisé qu’il pouvait aussi demander un délai de prorogation de trente jours.

De fait, il convient de constater que la SARL la Plage n’a jamais contesté la proposition de rectification ni fait valoir d’observation dans le délai requis de trente jours. Or le courrier du 28 juillet 2023 de l’administration fiscale rappelait bien que : « Sans réponse de votre part dans ce délai [30 jours] éventuellement prorogé, la proposition de rectification sera considérée comme acceptée ». La société n’a pas plus communiqué le nom des bénéficiaires des distributions. En conséquence, et faute de contestation permettant éventuellement à l’administration fiscale de revoir sa proposition de rectification, un avis de mise en recouvrement a été émis le 1er décembre 2023 mentionnant les sommes de :
– 31.615 euros au titre de la TVA (somme qui était mentionnée en bas de page 28/93 de la proposition de rectification),
– 57.353 euros au titre de l’amende fiscale pour non communication du nom des bénéficiaires (correspondant à l’addition de 31.128 et 26.225 euros, somme qui se retrouve en page 23/93 de la proposition de rectification),
– 3.006 euros au titre de l’impôt sur les sociétés (correspondant à l’addition des sommes mentionnées en page 27/93 de la proposition de rectification fiscale).
En conséquence, et compte tenu des explications détaillées de l’administration fiscale données dans la proposition de rectification dès le 28 juillet 2023, la SARL La Plage avait bien connaissance dès cette date des négligences commises par l’expert-comptable dans le suivi de sa comptabilité et dans les préconisations ou conseils qu’il aurait dû effectuer. Elle a donc nécessairement pris conscience à ce moment de ce que la faute de l’expert-comptable engendrait pour elle un préjudice financier lié au redressement fiscal opéré. Elle n’a, par ailleurs, pas présenté de réclamation contentieuse ni engagé une procédure de recours devant le juge de l’impôt de sorte qu’elle ne peut invoquer la jurisprudence traditionnelle qui mentionne que le dommage résultant d’un redressement n’est réalisé qu’à la date à laquelle le recours est rejeté par le juge de l’impôt.
De ce fait, la SARL La Plage aurait dû assigner la société d’expertise comptable avant le 28 novembre 2023 (en tenant compte du délai de trente jours de réclamation accordé par l’administration fiscale). Ayant assigné le 31 janvier 2024, elle doit être déclarée irrecevable en son action pour cause de forclusion.

Sur les dépens et frais de la procédure

La société d’expertise comptable sollicite la condamnation de la SARL La Plage aux dépens et au versement d’une somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Or la SARL la Plage se trouve désormais en redressement judiciaire. Pour relever du traitement préférentiel prévu à l’article L 622-17 du code du commerce, la créance de frais irrépétibles doit être postérieure au jugement d’ouverture et être utile au déroulement de la procédure collective ou être due par le débiteur en contrepartie d’une prestation à lui fournie après le jugement d’ouverture.

En l’espèce, la SARL la Plage a engagé l’action judiciaire à l’encontre du cabinet d’expertise comptable aux fins d’obtenir le paiement de dommages et intérêts en considération d’une faute. Cette procédure était donc utile à la procédure collective puisque destinée à permettre au débiteur en redressement judiciaire de récupérer des fonds lui permettant notamment de régler la dette fiscale qui est à l’origine de la déclaration de cessation des paiements. Dès lors toutefois que la société défenderesse s’est opposée à la demande et a soulevé la forclusion, et que le juge de la mise en état a fait droit à l’incident de procédure, il convient donc, en application de l’article L 622-17 du code du commerce, de condamner la SARL la Plage aux dépens et à verser une somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile à la SARL Cléon Martin Broichot et Associés.

PAR CES MOTIFS

Le juge de la mise en état,

Déclare la SARL la Plage irrecevable en sa demande dirigée à l’encontre de la SARL Cléon Martin Broichot et Associés à raison de la forclusion de son action en responsabilité ;

Condamne la SARL La Plage aux entiers dépens ;

Condamne la SARL La Plage à verser à la SARL Cléon Martin Broichot et Associés la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE JUGE DE LA MISE EN ETAT

Copie délivrée le
à Maître Jean-Hugues CHAUMARD de la SCP CHAUMARD TOURAILLE
Me Alexandre MISSET

La Greffière


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