Un proposition de résolution européenne formulée par des Sénateurs appelle la Commission européenne à initier une révision du règlement (CE) n° 883/2004 en 2010 afin d’encadrer le régime des indemnités chômage des travailleurs transfrontaliers.
Cette révision devra permettre soit de conférer la charge de lindemnisation à l’État membre ayant perçu les cotisations, soit de prévoir que le pays de résidence continue de verser les prestations, mais qu’il récupère la totalité des cotisations versées à l’État d’exercice par le travailleur frontalier.
Dans l’attente d’une telle révision, la proposition de résolution européenne invite également le Gouvernement français à engager des négociations bilatérales dans l’optique de percevoir des rétrocessions correspondant davantage à la durée d’indemnisation des travailleurs frontaliers.
La gestion des travailleurs frontaliers en matière d’assurance chômage représente un défi financier et organisationnel majeur pour la France. L’Unédic a récemment souligné que l’indemnisation chômage de ces travailleurs coûte 800 millions d’euros par an au régime d’assurance chômage français, mettant en lumière une faille dans le système actuel de compensation entre États. Décryptons les raisons de cette situation et les solutions envisagées pour y remédier.
Sommaire
I. Une charge financière disproportionnée pour la France
1. Un mécanisme de compensation déséquilibré
Depuis l’entrée en vigueur du règlement (CE) n° 883/2004 en 2010 (et en 2012 pour la Suisse), les États d’exercice d’activité ne reversent plus l’intégralité des cotisations perçues aux États de résidence des travailleurs frontaliers. Les règles actuelles prévoient :
- 3 mois d’indemnisation remboursés si le travailleur a exercé moins de 12 mois sur les 24 derniers mois.
- 5 mois d’indemnisation remboursés si la durée d’emploi dépasse 12 mois.
Ces remboursements sont bien inférieurs à la durée réelle du chômage des frontaliers, qui dépasse souvent ces limites.
2. Une situation amplifiée par les comportements des frontaliers
Les travailleurs frontaliers, pour la plupart, préfèrent attendre un poste mieux rémunéré dans leur pays d’exercice (notamment en Suisse ou au Luxembourg) plutôt que d’accepter un emploi en France, où les salaires sont moins compétitifs. Par conséquent :
- La durée moyenne de chômage des frontaliers dépasse largement les 5 mois remboursés par les États d’exercice.
- Certains chômeurs vont jusqu’au bout de la durée légale d’indemnisation en France.
Le coût moyen de l’indemnisation d’un frontalier s’élève à 10 000 euros par an, soit nettement plus que pour un chômeur non frontalier.
II. Une problématique européenne aux multiples facettes
1. Une disparité entre cotisations perçues et prestations versées
En 2023, la France a versé 1 milliard d’euros d’indemnités chômage aux travailleurs frontaliers, mais n’a récupéré que 200 millions d’euros de compensation. La différence, soit 800 millions d’euros, pèse directement sur les finances publiques françaises.
Les pays comme la Suisse ou le Luxembourg, principaux employeurs de frontaliers, bénéficient du système en percevant les cotisations sans avoir à supporter la charge d’indemnisation proportionnelle.
2. Une injustice pour les entreprises françaises
Les entreprises françaises contribuent au financement de l’Unédic via des cotisations patronales qui couvrent également les frontaliers, bien qu’une partie de ces travailleurs ne cotise pas en France. Cette situation désavantage les entreprises françaises face à leurs concurrents basés dans des pays voisins, notamment en Suisse et au Luxembourg.
III. Les solutions envisagées pour rééquilibrer le système
1. Révision du règlement européen
Propositions de l’Unédic et du Medef
- Conférer la charge d’indemnisation à l’État percevant les cotisations (si le travailleur a exercé au moins 12 mois dans ce pays).
- Supprimer le mécanisme de remboursement actuel, jugé insuffisant et inadapté.
Cette réforme permettrait à la France d’économiser environ 800 millions d’euros par an, tout en responsabilisant les États d’exercice.
Autre option : le reversement total des cotisations
Une autre piste consiste à exiger que les États d’exercice reversent l’intégralité des cotisations perçues aux États de résidence. Cependant, cette approche pourrait compliquer les mécanismes d’indemnisation en raison des disparités dans les règles applicables dans chaque pays.
2. Renégociations bilatérales
Dans l’attente d’une réforme européenne, la France peut entamer des négociations bilatérales avec les pays frontaliers. Cela permettrait de :
- Revaloriser les rétrocessions perçues pour mieux couvrir la durée réelle d’indemnisation.
- Corriger certaines disparités, comme celles issues de l’accord actuel avec le Luxembourg, qui limite les remboursements à 3 mois, quelle que soit la durée d’emploi du travailleur.
3. Rejet d’une baisse des indemnités chômage des frontaliers
Le Gouvernement a envisagé de réduire les indemnités spécifiques aux travailleurs frontaliers. Cependant :
- Cela pourrait être jugé inégalitaire vis-à-vis des autres assurés.
- Les frontaliers ne sont pas responsables du déséquilibre du système, qui découle principalement du règlement européen et d’un manque de négociations bilatérales.
IV. Une urgence budgétaire et sociale
1. Un poids lourd pour les finances publiques
Avec un déficit public atteignant près de 6 % du PIB et une dette avoisinant les 3 000 milliards d’euros, le coût de l’indemnisation des frontaliers constitue une charge insoutenable. Récupérer les 800 millions d’euros manquants contribuerait à réduire cette pression budgétaire.
2. Préserver l’équité et la compétitivité
Une réforme du système permettrait :
- De renforcer l’équité entre les États membres de l’Union européenne.
- De soutenir la compétitivité des entreprises françaises, en limitant les avantages accordés aux États voisins qui emploient des frontaliers.
Conclusion : Une nécessité de révision du cadre européen
La gestion de l’indemnisation chômage des frontaliers représente un enjeu complexe mêlant finances publiques, compétitivité économique et justice sociale. Une réforme du règlement européen apparaît indispensable pour :
- Conférer la charge d’indemnisation à l’État percevant les cotisations.
- Prévoir un reversement total ou partiel plus équitable des cotisations aux États de résidence.
Dans l’immédiat, des négociations bilatérales pourraient apporter une solution transitoire en réévaluant les rétrocessions financières perçues par la France. Une telle initiative s’inscrit dans une démarche de redressement des finances publiques tout en préservant les droits des travailleurs frontaliers.