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La société Christian Dior Parfums a écopé d’une condamnation de 50 000 euros pour parasitisme au préjudice du Festival de Cannes.
Le parasitisme économique se définit comme l’ensemble des comportements par lesquels un agent économique tire ou tente de tirer profit de la valeur économique acquise par autrui au moyen d’un savoir-faire, d’un travail de création, de recherches ou d’investissements, de façon à en retirer un avantage concurrentiel. Il doit ainsi être apprécié à l’aune du principe de la liberté du commerce, et implique la réunion de trois conditions cumulatives au visa de l’article 1240 du code civil, à savoir l’existence d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité.
A la différence de la concurrence déloyale, qui ne saurait résulter d’un faisceau de présomptions, le parasitisme s’apprécie au regard d’un ensemble d’éléments appréhendés dans leur globalité, indépendamment de tout risque de confusion.
L’incrustation à l’image des signes de la Maison DIOR (vidéos publicitaires) par reproduction d’une affiche du Festival de Cannes laissait croire à l’existence d’un partenariat, quand bien même à aucun moment la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR ne revendiquait expressément le statut de partenaire officiel du Festival de Cannes.
Par ailleurs, l’utilisation de hashtags (#diorcannes, #diormakeup, #diorbackstage, #diorskin, #diorshow), habilement positionnés à certains moments clés des vidéos litigieuses, attestait du caractère promotionnel et commercial de celles-ci, dans la mesure où ils permettaient un renvoi vers le site marchand de la société Dior et participait ainsi, au même titre que l’incrustation des marques DIOR, d’une tentative de s’associer à l’image du Festival de Cannes et de profiter de sa valeur économique.
Enfin, la reproduction non autorisée de la marque Palme d’Or, quand bien même elle n’était visible que pendant un temps très court dans la vidéo incriminée, dès lors qu’elle est aisément identifiable et reconnaissable, constituait une atteinte à celle-ci comme à la marque « Festival de Cannes », au sens de l’article L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle dès lors que leur renommée a été reconnue.
S’il est effectivement possible de faire référence à la tenue du Festival de Cannes et même de représenter le Palais des Festivals, notamment en raison de son actualité au moment même où il se déroule, c’est à la condition de ne pas se placer dans le sillage de son organisateur, en tentant de contourner le caractère exclusif des partenariats promotionnels mis en place par l’AFFIF pour y associer ses propres marques et tenter ainsi de bénéficier de l’image de prestige et de glamour que véhicule cet événement auprès du public et capter une clientèle attirée par celle-ci.
La juridiction a relevé qu’une source majeure de revenus pour l’AFFIF, donc de financement de l’organisation du Festival, est issue de sa politique de partenariats commerciaux, laquelle repose en premier lieu sur l’exclusivité promise aux partenaires officiels, en contrepartie d’importants investissements financiers, d’associer leur image à celle du Festival, exclusivité mise à mal dès lors que des opérateurs tiers entrent de manière illégitime en concurrence avec lesdits partenaires.
A noter que l’existence d’un risque de confusion n’est pas requise en matière de parasitisme et le fait que les vidéos litigieuses n’ont été diffusées que sur les réseaux sociaux de la société ne vient pas amoindrir le profit induit de manière injustifiée par l’association ainsi créée.
Il ressortait en définitive de la campagne promotionnelle en cause appréhendée dans sa globalité, que, quand bien même la société Dior ne se présente à aucun moment comme « Partenaire officiel » du Festival de Cannes, les choix opérés par la société dans la mise en place de sa campagne, alors que rien ne l’obligeait à recourir comme elle l’a fait à l’incrustation de ses marques sur l’affiche ou au contraire à celles, renommées, de l’AFFIF, durant l’interview d’une de ses égéries, traduisaient indéniablement une volonté fautive de profiter, de manière indue puisque sans avoir à supporter les coûts d’un tel partenariat officiel, des retombées en termes de notoriété et d’aura du Festival, lequel constitue bien, en tant qu’événement annuel incontournable du cinéma international et mondialement reconnu, une valeur économique indubitable résultant de près 50 ans d’investissements, qui seule peut expliquer la décision de grandes marques, telle L’OREAL PARIS, de recourir pendant de très nombreuses années à de coûteux contrats de partenariat.
Une marque est considérée comme renommée lorsqu’elle est connue d’une fraction significative du public concerné par les produits visés à l’enregistrement et qu’elle exerce un pouvoir d’attraction propre indépendant des produits ou services qu’elle désigne, ces conditions devant être réunies au moment des atteintes alléguées.
Sont notamment pris en compte l’ancienneté de la marque, son succès commercial, l’étendue géographique de son usage et l’importance du budget publicitaire qui lui est consacré, son référencement dans la presse et sur internet, l’existence de sondages ou enquêtes de notoriété attestant de sa connaissance par le consommateur, des opérations de partenariat ou de mécénat ou encore éventuellement, de précédentes décisions de justice.
L’AFFIF a fait valoir avec succès un usage intensif et continu de la Palme d’Or reproduite à titre d’élément dominant de ses marques, et même de sa marque « Festival de Cannes » a minima depuis 1982 sur l’affiche annuelle du Festival de Cannes, mais également de manière générale sur les supports promotionnels, catalogues, fonds photographiques, retransmissions télévisées, captations de célébrités, drapeau flottant chaque année sur la Croisette pendant toute la durée du Festival.
L’existence de partenariats d’envergure avec de grandes sociétés attestent à tout le moins de la réalité d’une relation commerciale avec la société L’OREAL, partenaire officiel du Festival depuis plus de 20 ans, la marque étant reproduite à ce titre sur les éléments de communication afférents.
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TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS
3e chambre 3e section
No RG 19/08543 – No Portalis 352J-W-B7D-CQK3U
No MINUTE :
Assignation du :
18 Juillet 2019
JUGEMENT
rendu le 11 décembre 2020
DEMANDERESSE
ASSOCIATION FRANÇAISE DU FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Maître Gabrielle ODINOT de la SELARL ODINOT & ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #L0271
DÉFENDERESSE
Société PARFUMS CHRISTIAN DIOR SA
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Maître Christophe CARON de l’AARPI Cabinet Christophe CARON, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #C0500
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame GILLET, Vice-Président
Madame BASTERREIX, Vice-Président
Madame MELLIER, Juge
assisté de Alice ARGENTINI, Greffier
DÉBATS
A l’audience du 15 Octobre 2020
tenue en audience publique
JUGEMENT
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
en premier ressort
L’ASSOCIATION FRANÇAISE DU FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM (ci-après « l’AFFIF »), reconnue d’utilité publique et placée sous le haut patronage du Ministère de la Culture et du Ministère des Affaires Étrangères, organise depuis plus de 70 ans la manifestation cinématographique annuelle du « Festival de Cannes ».
Elle est notamment titulaire des marques suivantes reprenant la « Palme d’Or », récompense décernée chaque année aux participants victorieux du Festival :
– marque française semi-figurative no 02 3 157 459, enregistrée le 4 avril 2002 et régulièrement renouvelée :
— marque française figurative no 10 3 722 922, enregistrée le 19 mars 2010, couvrant notamment des produits cosmétiques et des salons de beauté et de coiffure en classes 3 et 44 :
L’AFFIF expose concevoir et faire réaliser chaque année une affiche symbolisant l’édition considérée du Festival de Cannes et largement utilisée pour promouvoir l’évènement, l’affiche du Festival 2019, élaborée à partir d’une photographie de plateau prise durant le tournage du film « La pointe Courte » d'[S] [A], étant la suivante :
La société PARFUMS CHRISTIAN DIOR, membre du groupe LVMH, a pour activité la commercialisation de parfums et cosmétiques vendus sous la marque « Dior », créée après la seconde guerre mondiale par [K] [J] et le couturier [Q] [K].
L’AFFIF dit avoir découvert, au moment où la 72e édition du Festival de Cannes ayant lieu du 14 au 25 mai 2019 venait de débuter, que la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR avait organisé une opération de communication digitale à travers notamment la mise en ligne sur les réseaux sociaux officiels des marques DIOR MAKEUP et DIOR de six vidéos (publiées notamment sous forme de « stories Instagram ») retraçant la mise en beauté des égéries de la marque DIOR, sur certains plans desquelles est visible l’affiche officielle de l’édition 2019 du Festival figurant sur le fronton du Palais des Festivals, quatre de ces publications étant par ailleurs associées à des liens sortants redirigeant l’internaute vers le site de vente en ligne <[Courriel 1];, et l’une d’elles reproduisant la marque semi-figurative no 02 3 157 459.
Par lettre recommandée avec accusé réception en date du 21 mai 2019, l’AFFIF a mis en demeure la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR de supprimer de ses supports de communication toute référence aux éléments d’identification du Festival de Cannes et de lui faire une offre indemnitaire, ce à quoi cette dernière a répondu le 3 juin 2019 que les actes qui lui étaient reprochés n’étaient selon elle constitutifs ni d’actes de contrefaçon ni de parasitisme.
En l’absence de solution amiable satisfaisante, l’AFFIF a, par acte du 18 juillet 2019, fait assigner la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR devant ce tribunal en contrefaçon de droits d’auteur, parasitisme et usurpation de marques renommées.
***
Aux termes de ses conclusions no 2 signifiées par voie électronique le 8 juin 2020, l’ASSOCIATION FRANÇAISE DU FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM demande au tribunal de :
Vu les dispositions du Livre I, III et VII du code de la propriété intellectuelle et notamment ses articles L. 111-1, L. 121-1, L. 122-4, L. 122-5 9o, L. 122-7, L. 131-3, L. 131-4, L. 331-1-3, L. 335-2, L. 335-3, L. 713-3, L. 714-5 et L. 716-14,
Vu les articles 31, 54, 70, 133 et 134 du code de procédure civile,
Vu les articles 1128, 1240 et suivants du code civil,
Vu les procès-verbaux de constat,
Vu les pièces produites aux débats,
— RECEVOIR l’ASSOCIATION FRANÇAISE DU FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM en ses demandes,
Y faisant droit :
SUR LES DEMANDES DE L’ASSOCIATION FRANÇAISE DU FESTIVAL INTERNATIONAL
DU FILM :
— CONSTATER que la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR a exploité sans autorisation l’affiche officielle du FESTIVAL DE CANNES dont l’ASSOCIATION FRANÇAISE DU FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM est cessionnaire des droits d’exploitation exclusifs ;
— DIRE ET JUGER que la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR s’est en conséquence rendue coupable d’actes de contrefaçon des marques no10 3 157 459 et no 10 3 722 922 désignant les classes de produits et services 3 et 44 au préjudice de l’ASSOCIATION FRANÇAISE DU FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM ;
— CONSTATER par ailleurs l’existence d’agissements distincts de la part de la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR, constitutifs de parasitisme et d’usurpation de ses marques renommées ;
En conséquence :
— CONDAMNER la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR à payer à l’ASSOCIATION FRANÇAISE DU FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM la somme provisionnelle de 75 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre des actes de contrefaçon des marques no 10 3 157 459 et no 10 3 722 922 désignant les classes de produits et services 3 et 44, somme à parfaire dans l’attente des informations qui seront communiquées par la défenderesse en application des dispositions de l’article L. 716-7-1 du code de la propriété intellectuelle, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de l’expiration d’un délai de quinze jours suivant la signification de la décision à intervenir, à savoir :
o les données sur les volumes de connexions (nombres de visiteurs uniques) et taux d’engagement des internautes sur les publications Instagram depuis la date de leur mise en ligne jusqu’à la date de la présente sommation ;
o un état exhaustif des factures émises par la défenderesse correspondant à la vente des produits associés aux publications litigieuses pour la période allant de la date de mise en ligne de ces publications jusqu’à la date à laquelle ces publications auront été retirées, certifiée conforme par un expert-comptable ou un commissaire aux comptes ;
— INTERDIRE à la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR sous astreinte de 5 000 euros par jour pour toute infraction constatée à compter de la signification du jugement à intervenir, de poursuivre ses agissements et d’utiliser l’affiche officielle ou la marque protégée de l’ASSOCIATION FRANÇAISE DU FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM désignant les classes de produits et services 3 et 44, sur tout support digital ;
— DIRE que le tribunal se réservera la liquidation des astreintes ordonnées ;
— CONDAMNER la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR à payer à l’ASSOCIATION FRANÇAISE DU FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM la somme de 150 000 euros en réparation du préjudice subi résultant des actes de parasitisme et d’usurpation de ses marques renommées, somme à parfaire dans l’attente des informations qui seront communiquées par la défenderesse en application des dispositions des articles 133 et 134 du code de procédure civile, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de l’expiration d’un délai de quinze jours suivant la signification de la décision à intervenir, à savoir :
o les données sur les volumes de connexions (nombres de visiteurs uniques) et taux d’engagement des internautes sur les publications Instagram depuis la date de leur mise en ligne jusqu’à la date de la présente sommation ;
o un état exhaustif des factures émises par la défenderesse correspondant à la vente des produits associés aux publications litigieuses pour la période allant de la date de mise en ligne de ces publications jusqu’à la date à laquelle ces publications auront été retirées, certifiée conforme par un expert-comptable ou un commissaire aux comptes ;
— ORDONNER la publication du jugement à intervenir aux frais de la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR et autoriser l’ASSOCIATION FRANÇAISE DU FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM à y procéder dans les journaux ou périodiques de son choix dans la limite d’un budget de 50 000 euros hors taxes, toutes publications confondues ;
SUR LA DEMANDE DE DECHEANCE DE LA SOCIETE PARFUMS CHRISTIAN DIOR :
— DECLARER IRRECEVABLE l’action en déchéance de la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR, faute d’intérêt pour elles à agir dans les classes de produits et services non concernées par le présent litige, à savoir les classes 9, 12, 14, 16, 18, 21, 22, 25, 28, 33, 34, 35, 38, 39, 41, 42, 43 et 45 ;
— DIRE ET JUGER que les marques françaises no10 3 157 459 et no 10 3 722 922, dont l’ASSOCIATION FRANÇAISE DU FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM est titulaire, font l’objet d’une exploitation sérieuse dans les classes de produits et services 3 et 44 ;
En conséquence :
— JUGER la demande en déchéance des marques françaises no10 3 157 459 et no 10 3 722 922 dont l’ASSOCIATION FRANÇAISE DU FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM est titulaire, formulée par la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR, mal fondée et l’en débouter ;
EN TOUT ETAT DE CAUSE,
— DÉBOUTER la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
— CONDAMNER la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR à payer à l’ASSOCIATION FRANÇAISE DU FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM la somme de 30 000 euros au titre des frais irrépétibles prévus par l’article 700 du code de procédure civile ;
— CONDAMNER la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR aux entiers dépens dans les termes des articles 696 et suivants du code de procédure civile, en ce compris les frais d’huissier de justice, dont distraction au profit de la SELARL ODINOT & Associés, Avocats aux offres de droit, qui pourra les recouvrer conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;
— ORDONNER l’exécution provisoire de la décision à intervenir sur l’ensemble des condamnations prononcées, en ce compris les dépens, nonobstant appel et sans constitution de garantie, et ce, en application des articles 514, 515 et 516 du code de procédure civile.
*
Aux termes de ses conclusions en défense no 3 signifiées par voie électronique le 18 juin 2020, la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR demande au tribunal de :
Vu les articles L. 112-1, L. 332-1, alinéa 1er, L. 713-3, L. 714-5, L. 716-2 I. du code de la propriété intellectuelle,
Vu les articles 1240 et 1353 du code civil,
Vu les articles 32-1 et 122 du code de procédure civile,
Vu l’article 10.1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme,
Vu l’article 3.2 de la directive (CE) no 2004/48 du 29 avril 2004,
Vu la loi des 2 et 17 mars 1791(Décret d’Allarde),
Sur le fondement de la contrefaçon de droits d’auteur,
— DIRE ET JUGER à titre principal que l’AFFIF doit démontrer que l’affiche, édition 2019, du Festival de Cannes est une oeuvre de l’esprit originale protégeable par le droit d’auteur et DIRE ET JUGER en conséquence, qu’à défaut de rapporter cette preuve, l’AFFIF n’est pas recevable à agir en contrefaçon,
— DIRE ET JUGER à titre subsidiaire que l’AFFIF ne démontre pas sa qualité de titulaire des droits d’auteur sur l’affiche litigieuse, DIRE ET JUGER qu’au contraire il ressort de l’étude des contrats communiqués par la partie adverse que l’AFFIF n’est pas titulaire des droits sur l’affiche litigieuse, et DIRE ET JUGER en conséquence que l’AFFIF n’est pas recevable à agir en contrefaçon,
— DIRE ET JUGER à titre très subsidiaire que la représentation de l’affiche litigieuse au sein des vidéos incriminées n’est qu’accessoire au regard du sujet traité, de sorte qu’elle ne saurait être jugée contrefaisante,
— DIRE ET JUGER à titre infiniment subsidiaire que la recherche d’un juste équilibre entre les droits en présence implique de faire primer la liberté d’expression et la liberté d’entreprendre de PARFUMS CHRISTIAN DIOR et DÉBOUTER l’AFFIF de ses demandes en contrefaçon,
En conséquence,
– DÉBOUTER l’AFFIF de toutes ses demandes au titre de la contrefaçon de droits d’auteur,
Sur le fondement du parasitisme,
A titre principal,
— DIRE ET JUGER que l’AFFIF ne peut pas cumuler son action fondée sur le parasitisme avec son action en contrefaçon de droits d’auteur et son action au titre de l’atteinte à la marque renommée puisqu’il s’agit des mêmes faits qui sont incriminés et DÉBOUTER en conséquence l’AFFIF de ses demandes au titre du parasitisme,
A titre subsidiaire,
— DIRE ET JUGER que l’AFFIF ne démontre ni l’existence d’une valeur économique, individualisée, qui résulterait d’un savoir-faire, d’un travail intellectuel et d’investissements ; ni la captation et l’utilisation de cette valeur économique qui procurent un avantage concurrentiel ; ni le caractère injustifié de la prétendue captation,
En conséquence,
— DIRE ET JUGER que les conditions du parasitisme ne sont pas réunies en l’espèce et DÉBOUTER l’AFFIF de ses demandes à ce titre,
Sur le fondement de l’usurpation des marques renommées,
A titre principal,
— PRONONCER la déchéance pour défaut d’exploitation de la marque no 10 3 722 922, en l’absence d’usage sérieux de ladite marque par l’AFFIF depuis plus de cinq ans en classes 3, 9, 12, 14, 16, 18, 21, 22, 25, 28, 33, 34, 35, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44 et PRONONCER la déchéance pour défaut d’exploitation de la marque no 10 3 157 459, en l’absence d’usage sérieux de ladite marque par l’AFFIF depuis plus de cinq ans en classes 3, 9, 12, 14, 16, 18, 21, 22, 25, 28, 33, 34, 35, 38, 39, 41, 42, 43, 44 et 45,
— DIRE ET JUGER que la présente décision devenue définitive sera transmise à l’Institut National de la Propriété Industrielle par le Greffier préalablement requis ou par la partie la plus diligente aux fins d’inscription de la déchéance des marques susvisées au Registre National des Marques, .
En conséquence,
— DEBOUTER l’AFFIF de ses demandes fondées sur l’atteinte aux marques renommées,
A titre subsidiaire,
— DIRE ET JUGER que la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR n’a pas fait un usage à titre de marque de la Palme d’or apposée sur l’une de ses vidéos sur le réseau social Instagram et DÉBOUTER la demanderesse de ses réclamations au titre de l’atteinte à ses prétendues marques renommées,
— DIRE ET JUGER que les conditions de l’action fondée sur une marque renommée ne sont pas réunies en l’espèce, DIRE ET JUGER que la partie adverse ne démontre pas la renommée de ses marques, DIRE ET JUGER qu’elle ne démontre pas subir un préjudice du fait de l’exploitation de ses marques et qu’elle ne démontre pas en quoi cette exploitation serait injustifiée,
En conséquence,
— DÉBOUTER l’AFFIF de ses demandes fondées sur l’atteinte aux marques renommées,
EN CONSÉQUENCE DE TOUT CE QUI PRÉCÈDE :
— DÉBOUTER l’AFFIF de l’intégralité de ses demandes et notamment :
– DÉBOUTER l’AFFIF de sa demande de communication forcée, sous astreinte, d’éléments au titre du droit à l’information,
– DÉBOUTER l’AFFIF de l’ensemble de ses demandes indemnitaires,
– DEBOUTER l’AFFIF de sa demande d’interdiction d’exploitation générale de reproduire l’affiche litigieuse, ainsi que ses marques no 023 157 459 et no 103 722 922, ainsi que sa demande de retrait des publications litigieuses,
– DEBOUTER l’AFFIF de ses demandes de publications judiciaires,
– DEBOUTER l’AFFIF de sa demande d’exécution provisoire,
A titre reconventionnel,
— CONDAMNER l’AFFIF au paiement de la somme de 10 000 euros au bénéfice de la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR pour procédure abusive, ainsi que 5 000 euros d’amende civile,
En tout état de cause,
— CONDAMNER la demanderesse au versement de la somme de 30 000 euros au titre des frais irrépétibles que la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR a été contrainte d’engager dans la présente procédure, ainsi que des entiers dépens qui seront recouvrés directement par le Cabinet Christophe CARON, conformément à l’article 699 du code de procédure civile.
*
La clôture a été prononcée le 1er juillet 2020 et l’affaire a été plaidée le 15 octobre 2020.
Pour un exposé complet de l’argumentation des parties, il est, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, renvoyé à leurs dernières conclusions précitées.
***
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la contrefaçon de droits d’auteur
L’AFFIF considère avoir suffisamment démontré sa qualité de cessionnaire des droits patrimoniaux de l’affiche litigieuse par la production d’extraits, tant du contrat conclu avec la société TAMARIS, titulaire des droits portant sur le cliché original, que du contrat conclu avec la graphiste en charge de la réalisation technique de l’affiche, Mme [D] [I].
Elle soutient ensuite que l’affiche du Festival de Cannes 2019, si elle a été réalisée à partir d’une photographie de plateau, est une création originale, véritable hommage à [S] [A] disparue en mars 2019, reflétant une véritable réinterprétation par Mme [I], notamment par le travail de composition de la maquette, la modification de perspective, l’incrustation d’un arrière-plan, un travail de peinture numérique recourant à des couleurs évoquant un coucher de soleil, ou encore l’occultation du technicien debout au pied du support, conférant à l’ensemble une apparence aérienne, et portant indubitablement la trace de la personnalité de l’auteur.
Soutenant que les actes reprochés à la défenderesse sont contrefaisants, elle réfute tout caractère accessoire à l’apparition de l’affiche sur les vidéos litigieuses, qu’elle estime reproduites intégralement et partiellement à de nombreuses reprises et de manière délibérée (plus de 11 % de la durée totale des vidéos). Elle considère que la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR ne peut s’abriter derrière le droit du public à l’information, dès lors qu’elle avait la possibilité d’informer le public de la présence des égéries DIOR au Festival de Cannes sans nécessairement représenter l’affiche protégée, et que les conditions posées à l’article L. 122-5 9o du code de la propriété intellectuelle ne sont pas respectées (nom de l’auteur et de la source), le comportement délibéré de la défenderesse ne relevant en rien d’un exercice loyal de la liberté d’expression et de la liberté d’entreprendre.
La société PARFUMS CHRISTIAN DIOR soulève en premier lieu l’irrecevabilité à agir de l’AFFIF, d’une part en ce qu’elle s’abstient d’identifier les caractéristiques véritablement originales de l’affiche du Festival de Cannes 2019 lui permettant de bénéficier de la protection du droit d’auteur, le travail de Mme [I] n’ayant consisté, de manière passive, qu’à coloriser la photographie initiale et à en supprimer certains éléments ; d’autre part, en ce qu’elle ne justifie pas être titulaire de droits d’exploitation sur cette affiche, les contrats invoqués n’ayant pas date certaine d’entrée en vigueur, et celui conclu avec la société TAMARIS s’apparentant à un simple contrat de licence.
Très subsidiairement, la défenderesse soutient que l’apparition de l’affiche dans les vidéos litigieuses n’est que partielle et très accessoire, de sorte qu’elle ne caractérise pas une communication au public, et subsidiairement qu’elle est parfaitement justifiée au regard de la balance des intérêts en présence.
Sur ce,
Sur la protection de l’affiche litigieuse par le droit d’auteur
L’originalité de l’oeuvre est une condition qui conditionne le succès de l’action au fond mais ne constitue pas une fin de non-recevoir, susceptible de rendre l’action initiée irrecevable.
Aux termes de l’article L. 332-1, alinéa 1er du code de la propriété intellectuelle, « Tout auteur d’une oeuvre protégée par le livre Ier de la présente partie, ses ayants droit ou ses ayants cause peuvent agir en contrefaçon ».
La société PARFUMS CHRISTIAN DIOR, tout en affirmant ne pas contester l’originalité de l’affiche litigieuse, considère qu’il n’est pas démontré par l’AFFIF qu’il s’agisse d’une « oeuvre protégée » au sens de l’article L. 332-1 précité.
L’article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle définit l’oeuvre protégée comme une oeuvre de l’esprit sur laquelle l’auteur jouit, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif comportant des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial, le qualificatif d’oeuvre étant toutefois réservé à leur caractère original. Cette originalité de l’oeuvre, qu’il appartient à celui invoquant la protection de caractériser, suppose qu’elle soit issue d’un travail libre et créatif et résulte de choix arbitraires révélant la personnalité de son auteur. Lorsque la protection est contestée en défense, l’originalité doit être explicitée et démontrée par celui revendiquant à son bénéfice la protection du droit d’auteur, qui doit permettre l’identification des éléments au moyen desquels cette preuve est rapportée.
En l’espèce, l’affiche litigieuse est certes dérivée d’une oeuvre première, constituée par le cliché photographique représentant la réalisatrice [S] [A] sur le tournage du film « La pointe Courte ». La défenderesse ne peut toutefois soutenir que l’AFFIF ne rapporte pas la preuve de l’originalité de l’affiche litigieuse, alors même (i) que cette dernière revendique l’expression par Mme [I] de ses choix tant sur la composition de la maquette ayant modifié la réalité de la photographie de plateau que sur le travail de peinture numérique réalisé sur les couleurs, les brillances et les contrastes de l’affiche, et (ii) que sont parfaitement explicités, en particulier, la modification de perspective, l’angle de vue et le recul pris, l’incrustation d’un arrière-plan, la création d’un coucher de soleil dégradé rouge et orange et l’occultation du technicien debout au pied du support mais également de la plage, remplacée dans le fond par une mer scintillante colorée en violet ou encore le montage calligraphique, toutes interventions qui, quand bien même elles constituent un « travail de modification par un tiers », traduisent dans ce travail un effort créatif et des choix propres à leur auteur, Mme [D] [I]. Le recours à des outils matériels et logiciels, conçus comme des prolongements de la main et des outils traditionnels du créateur manuel, n’ôte en rien au résultat obtenu par ce biais son caractère créatif et les choix arbitraires dont il est la résultante :
Il apparaît ainsi que le travail créatif réalisé à partir de ce cliché pour aboutir à l’oeuvre seconde révèle un parti-pris esthétique rendant celle-ci éligible à la protection du droit d’auteur.
Sur la présomption de titularité
En application de l’article L. 113-1 du code de la propriété intellectuelle, la qualité d’auteur appartient sauf preuve contraire à celui ou à ceux sous le nom de qui l’oeuvre est divulguée, et en l’absence de revendication d’une personne physique qui s’en prétendrait l’auteur, l’exploitation non équivoque de l’oeuvre par une personne morale sous son nom fait présumer à l’égard des tiers recherchés pour contrefaçon que celle-ci est titulaire des droits patrimoniaux invoqués.
En l’espèce, l’AFFIF verse aux débats le contrat conclu avec la société TAMARIS, titulaire des droits d’exploitation du cliché photographique ayant servi d’oeuvre première à la création de l’affiche litigieuse (pièces no 25 et 25 bis AFFIF). La société PARFUMS CHRISTIAN DIOR soutient que ces droits d’exploitation n’auraient pas été véritablement cédés mais uniquement concédés en licence, dans la mesure où, aux termes de l’article 2 du contrat, la société TAMARIS se réserve l’exploitation ou le droit de concéder l’exploitation de ce même photogramme sur d’autres types de supports. Mais, outre que les droits patrimoniaux d’auteur sont parfaitement démembrables, de sorte que différentes cessions portant sur des supports différents pour un même mode d’exploitation sont possibles, il apparaît que l’objet de ce contrat porte explicitement sur une autorisation d’exploiter le photogramme à titre exclusif sur certains supports tels une affiche, de sorte que l’AFFIF jouit du droit de créer et exploiter une affiche sur la base de ce photogramme.
Or, aux termes de l’article L. 113-2 alinéa 2 du code de la propriété intellectuelle, « Est dite composite l’oeuvre nouvelle à laquelle est incorporée une oeuvre préexistante sans la collaboration de l’auteur de cette dernière », l’article L. 113-4 ajoutant que « L’oeuvre composite est la propriété de l’auteur qui l’a réalisée, sous réserve des droits de l’auteur de l’oeuvre préexistante ».
L’affiche litigieuse, dont il a été jugée supra qu’elle était originale, constitue une oeuvre nouvelle, à laquelle a été incorporé le photogramme préexistant, avec l’autorisation mais sans la collaboration de l’auteur ou du titulaire des droits portant sur ce dernier, de sorte que l’auteur de l’oeuvre composite a qualité pour agir en contrefaçon, sans que l’autorisation de l’auteur de l’oeuvre première soit requise.
Or, d’une part l’AFFIF produit le contrat, certes non daté, par laquelle la graphiste auteure de l’oeuvre dérivée, Mme [I], lui a cédé l’intégralité de ses droits patrimoniaux d’exploitation (pièce no 26 bis AFFIF), d’autre part et surtout, Mme [I] ne revendique aucun droit, de sorte qu’en tant que personne morale sous le nom de qui l’oeuvre est divulguée, et le contrat avec la société TAMARIS ne constituant pas une source d’équivocité mais au contraire une légitimation de la création de l’oeuvre seconde, l’AFFIF bénéficie de la présomption de titularité de droits sur l’affiche litigieuse et a en conséquence qualité à agir en contrefaçon.
La fin de non-recevoir soulevée par la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR sera donc rejetée.
Sur l’absence de cause exonératoire
La société PARFUMS CHRISTIAN DIOR soutient, à titre très subsidiaire, que dans les cinq vidéos litigieuses, l’affiche n’apparaît que de façon partielle et fugitive, et uniquement parce qu’elle était apposée de manière monumentale sur le fronton du Palais des Festivals, au-dessus des emblématiques marches, de sorte qu’en filmant le Palais des Festivals ou la montée des marches pour indiquer sa présence à Cannes, il n’était pas possible de ne pas faire apparaître cette affiche au moins partiellement et, comme cela a été le cas, de manière très furtive. Elle considère ainsi qu’au vu du caractère très accessoire de la représentation litigieuse par rapport au sujet traité par les vidéos (à savoir le maquillage et les égéries Dior à Cannes), il n’y a pas communication de l’oeuvre au public et l’atteinte au monopole du droit d’auteur n’est pas constituée.
Et si elle ne revendique pas expressément le droit à l’information du public, elle reprend cependant à son compte la référence, faite par la demanderesse, à l’article L. 122-5 9o du code de la propriété intellectuelle pour affirmer que l’apparition de l’affiche au sein de ses vidéos avait pour but « d’informer le public de la présence de Dior au Festival ».
Toutefois, quand bien même l’affiche du Festival n’était en elle-même pas le cœur du sujet des vidéos litigieuses, il ne peut être raisonnablement soutenu que la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR n’avait pas d’autre possibilité, pour afficher sa présence ou celle de ses égéries à Cannes durant le Festival, que de filmer le Palais des Festivals et son fronton, sur lequel l’affiche litigieuse est parfaitement visible et reconnaissable en arrière-plan des vidéos, de sorte qu’elle ne peut se prévaloir ni du caractère accessoire des vues de l’affiche ni d’un but d’information du public, d’autant plus que les vidéos litigieuses avaient un objectif promotionnel clairement affiché et ne peuvent s’apparenter à des reportages à but informatif, et qu’il n’est pas fait mention, au crédit des vidéos, de la source et du nom de l’auteure de ladite affiche.
A titre infiniment subsidiaire, la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR soutient qu’il convient à tout le moins de faire application de la balance des intérêts en recherchant un juste équilibre entre le respect dû au droit d’auteur et la préservation de la liberté d’expression protégée par l’article 10.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. Toutefois, là encore, la défenderesse ne justifie pas de la nécessité qu’elle avait à faire usage de l’affiche litigieuse comme elle l’a fait, de sorte que le respect des droits d’auteur opposé prévaut ici, après mise en balance des intérêts en présence, sur la liberté d’expression artistique revendiquée par la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR sans qu’elle ne démontre une impossibilité de s’exprimer autrement qu’en s’affranchissant de l’autorisation préalable du titulaire des droits.
En conséquence, et la matérialité de la représentation de l’affiche litigieuse sur les vidéogrammes de la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR n’étant pas contestée, la contrefaçon de droits d’auteur est constituée. Il est cependant constaté que la demanderesse ne reprend dans son dispositif aucune demande indemnitaire au titre des droits patrimoniaux d’auteur, dont le tribunal n’est donc pas saisi.
Sur la déchéance des marques no 02 3 157 459 et no 10 3 722 922
La société PARFUMS CHRISTIAN DIOR soulève reconventionnellement, à titre principal, la déchéance des marques opposées, estimant avoir intérêt à agir dans la mesure où seule une demande en déchéance pour l’ensemble des produits et services visés au dépôt permet de faire définitivement échec à une action fondée sur l’atteinte à la marque renommée (protégée hors du principe de spécialité), et considérant que cette demande présente un lien suffisant avec les prétentions originaires de l’AFFIF au sens de l’article 70 du code de procédure civile, puisque cette dernière sollicitait une interdiction générale pour tous produits et services dans son acte introductif d’instance. Or, selon elle, l’AFFIF ne rapporte la preuve d’aucun usage sérieux des marques invoquées pour chacun des produits et services visés aux dépôts, la Palme n’étant utilisée que pour désigner le Festival de Cannes.
L’AFFIF considère justifier d’une exploitation sérieuse et régulière dans les classes 3 et 44, peu important notamment que les marques soient exploitées sans l’élément figuratif ovale qui encercle la palme, et considère la défenderesse irrecevable en sa demande visant les autres classes dans lesquelles les marques sont enregistrées, faute d’intérêt à agir et en l’absence de lien suffisant avec les prétentions originaires de la demanderesse.
Sur l’intérêt à agir de la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR
En application des dispositions de l’article 70 du code de procédure civile, une demande reconventionnelle n’est recevable que si elle se rattache aux prétentions originaires par un lien suffisant. L’intérêt à agir en déchéance, dont la demande est formée à titre reconventionnel, est apprécié restrictivement et limité aux produits et services opposés au soutien de la demande principale et à charge pour celui qui l’invoque d’établir que le signe litigieux, dont il n’est pas fait usage par le titulaire, constitue une entrave à son propre développement économique.
En l’espèce, il apparaît que, quand bien même l’assignation sollicitait initialement une interdiction d’utilisation générale de ses marques sans viser de produits et services en particulier, l’AFFIF, demanderesse à titre principal en contrefaçon de ses marques no 02 3 157 459 et no 10 3 722 922 et en concurrence déloyale, ne revendique dans la présente instance les droits conférés par l’enregistrement de ces deux marques qu’en ce qu’ils couvrent des produits de beauté, à savoir des produits des classes 3 (produits de soin et cosmétiques) et 44 (salons de beauté et de coiffure), à l’exclusion de ceux désignés aux enregistrements précités en classes 9, 12, 14, 16, 18, 21, 22, 25, 28, 33, 34, 35, 38, 39, 40, 41, 42, 43 et 45 ; tandis que la demande reconventionnelle en déchéance tend à voir prononcer celle-ci pour l’intégralité des produits visés aux dépôts, y compris ceux qui ne sont pas invoqués au soutien de l’action en contrefaçon et qui sont par voie de conséquence étrangers au litige.
Au regard d’une action en déchéance, la renommée d’une marque ne saurait priver le principe de spécialité de toute portée, de sorte que, de la même manière que si une marque de renommée est exploitée exclusivement pour certains produits ou services désignés au dépôt, la déchéance devra être prononcée pour les autres produits ou services non exploités sans que la renommée alléguée de la marque puisse y faire obstacle, l’intérêt à agir doit être apprécié restrictivement en application de l’article 70 du code de procédure civile, donc sans qu’il y ait à examiner si l’usage ultérieur du signe litigieux est susceptible de se heurter, du fait de la déspécialisation propre aux marques de renommée, à la subsistance de produits et services pour lesquels la déchéance ne serait pas prononcée.
En conséquence, la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR n’est recevable à agir que pour les seuls produits qui lui sont opposés, couverts par les marques attaquées en classes 3 et 44.
Sur l’absence d’usage réel et sérieux
En application des dispositions de l’article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle, « Encourt la déchéance de ses droits le titulaire de la marque qui, sans justes motifs, n’en a pas fait un usage sérieux, pour les produits ou services pour lesquels la marque est enregistrée, pendant une période ininterrompue de cinq ans.
Est assimilé à un usage au sens du premier alinéa :
a/ L’usage fait avec le consentement du titulaire de la marque ou pour des marques collectives, dans les conditions du règlement,
b/ L’usage de la marque sous une forme modifiée n’en altérant pas le caractère distinctif,
c/ .
L’usage sérieux de la marque commencé ou repris postérieurement à la période de cinq ans visée au premier alinéa du présent article n’y fait pas obstacle s’il a été entrepris dans les trois mois précédant la demande de déchéance et après que le propriétaire a eu connaissance de l’éventualité de cette demande.
La preuve de l’exploitation incombe au propriétaire de la marque dont la déchéance est demandée. Elle peut être apportée par tous moyens.
La déchéance prend effet à la date d’expiration du délai de cinq ans prévu au premier alinéa du présent article. Elle a un effet absolu. »
La CJCE a dit pour droit (11 mars 2003- C 40/01 Ansul c/ Ajax) que « la marque fait l’objet d’un « usage sérieux » lorsqu’elle est utilisée, conformément à sa fonction essentielle qui est de garantir l’identité d’origine des produits ou des services pour lesquels elle a été enregistrée, aux fins de créer ou de conserver un débouché pour ces produits et services, à l’exclusion d’usages de caractère symbolique ayant pour seul objet le maintien des droits conférés par la marque. L’appréciation du caractère sérieux de l’usage de la marque doit reposer sur l’ensemble des faits et des circonstances propres à établir la réalité de l’exploitation commerciale de celle-ci, en particulier les usages considérés comme justifiés dans le secteur économique concerné pour maintenir ou créer des parts de marché au profit des produits ou des services protégés par la marque, la nature de ces produits ou de ces services, les caractéristiques du marché, l’étendue et la fréquence de l’usage de la marque ».
Il appartient dès lors à l’AFFIF d’établir, pour chacune de ses deux marques no 02 3 157 459 et no 10 3 722 922, une exploitation sur le territoire français pour les produits et services visés à l’enregistrement en classes 3 et 44, au cours des cinq ans précédant la demande en déchéance, soit personnellement, soit par l’intermédiaire de tiers autorisés, le caractère sérieux de l’usage étant apprécié au regard des usages du secteur concerné.
En l’espèce, l’AFFIF soutient exploiter intensément ses marques au travers de nombreux partenariats et contrats de licence, en ce qui concerne plus particulièrement les produits cosmétiques via un partenariat exclusif et ancien avec la société L’OREAL PARIS, qui distribue des soins capillaires et du maquillage haut-de-gamme. Elle verse en ce sens, non le contrat de partenariat portant sur l’usage autorisé de ses marques, mais les pièces suivantes :
– trois articles et un communiqué de presse, datés de 2016, 2017 et mai 2019, relatifs à une ligne de maquillage « Festival de Cannes », au sein de laquelle la société L’OREAL PARIS propose « deux versions spéciales de son rouge à lèvres emblématique « Color Riche » et de son mythique mascara « Volume Millions de Cils » . Les deux éditions limitées se révèlent dans un écrin rouge laque gravé d’une palme d’or », le raisin du rouge à lèvres décliné en deux teintes étant également gravé d’une palme d’or, et une version rouge velours étant spécialement commercialisée à l’occasion des 20 ans du partenariat de la société L’OREAL avec le Festival de Cannes (pièces no 36, 37.3, 37.4 et 38),
– un bon à tirer non daté pour l’emballage d’un rouge à lèvres Color Riche Red Carpet L’Oréal Paris, une photographie non datée d’un présentoir de produits et une autre de produits L’Oréal Paris datée de mai 2019 (pièces no 37.1 et 37.2),
– le catalogue officiel du Festival de Cannes 2014 (pièce no 37.5).
Il sera toutefois observé que les marques invoquées ne sont pas visibles sur les photographies de la boutique (pièce no 37.4) et que le catalogue du Festival 2014 (pièce no 37.5) ou le communiqué de presse « Vous aussi, foulez le Tapis Rouge avec les égéries L’Oréal Paris ! » (pièce no 38), s’ils comportent des références promotionnelles à des produits de maquillage de la société L’OREAL PARIS, ne reproduisent la marque no 02 3 157 459 qu’en référence au partenariat existant avec cette société, comme en atteste du reste l’ajout de la mention « Maquilleur officiel » ou « Partenaire officiel » immédiatement accolée, sans être pour autant utilisée à titre de marque pour ces mêmes produits de maquillage.
Surtout, outre que le signe reproduit sur le tube de rouge à lèvres dont la photographie est versée ne reprend que la palme d’or, sans l’ovale l’entourant dans les deux marques litigieuses ni l’élément verbal « Festival de Cannes » de la marque no 02 3 157 459, les éléments produits, portant uniquement sur un rouge à lèvres et un mascara, sont insuffisants à caractériser sur la période de référence, un usage sérieux exerçant la fonction essentielle d’une marque, qui est de garantir l’identité d’origine des produits ou des services pour lesquels elle a été enregistrée, pour les produits de beauté et cosmétiques visés en classe 3 et a fortiori pour les produits et services visés en classe 44 (salons de beauté et de coiffure).
L’AFFIF se verra donc déchue de ses droits sur les marques semi-figuratives no 02 3 157 459 et no 10 3 722 922 pour l’ensemble des produits et services couverts par ces enregistrements en classes 3 et 44.
Sur le parasitisme et l’atteinte aux marques renommées
L’AFFIF soutient que les reproductions litigieuses de l’affiche sont constitutives d’actes parasitaires distincts, en raison notamment, outre le recours à des hashtags évocateurs, de l’incrustation des marques « DIOR » ou « DIOR MAKEUP » en surimpression pour faire croire, selon elle, à l’existence d’un partenariat avec le Festival de Cannes, et rendre ainsi plus attractive l’offre commerciale de la défenderesse et la distinguer de ses concurrents, ce qui traduit la volonté fautive de capter la valeur économique de l’actif économique que représente la marque du Festival de Cannes, indissociable de l’événement que l’AFFIF fait rayonner chaque année dans le monde.
Elle considère par ailleurs que l’apposition de la marque distinctive du Festival de Cannes sur une image insérée dans une « story » permanente d’Instagram retraçant la journée d’une ambassadrice DIOR (“Kiko @Cannes” publiée le 18 mai 2019) pour faire la promotion commerciale indirecte de ses produits cosmétiques constitue une usurpation illégitime et frauduleuse des efforts entrepris pour assurer la notoriété et la renommée planétaire du Festival de Cannes, visant à attirer sur la marque « DIOR » l’attention portée à l’événement, diluer l’efficacité des activités du partenaire officiel de l’AFFIF dans le secteur de la cosmétique (la société L’OREAL PARIS) et modifier favorablement les réactions du consommateur à l’égard de la défenderesse ; partant, de ses marques renommées no 02 3 157 459 et no 10 3 722 922.
La société PARFUMS CHRISTIAN DIOR répond qu’il n’est démontré aucune atteinte aux marques invoquées, d’une part la renommée n’étant pas établie, d’autre part puisque si tant est que le signe litigieux soit même reconnaissable sur la vidéo concernée, il n’en est pas fait un usage à titre de marque, et cet usage extrêmement limité de la Palme d’Or est parfaitement justifié en tant qu’information quant à la présence au Festival d’une ambassadrice DIOR, et il n’est pas démontré en quoi le comportement du consommateur aurait changé consécutivement à l’usage des marques litigieuses, alors qu’il n’est pas possible d’acheter de produits sur Instagram.
Au-delà, elle considère qu’aucun fait distinct de ceux reprochés au titre de la contrefaçon et de l’atteinte aux marques renommées n’est invoqué, et subsidiairement qu’elle ne s’est jamais présentée comme un « partenaire officiel » du Festival de Cannes et qu’aucune faute ne peut lui être imputée, considérant en outre que l’AFFIF ne justifie ni de ses investissements, le Festival en son entier ne pouvant constituer une valeur économique individualisée, ni du préjudice allégué.
Sur ce,
Il est relevé à titre liminaire que si la demanderesse conclut dans le dispositif de ses conclusions à la contrefaçon de ses marques no 02 3 157 459 et no 10 3 722 922, elle ne développe dans le corps de ses écritures aucune argumentation sur ce point, mais présente la reproduction sans autorisation de ses marques semi-figuratives qu’en tant que comportement parasitaire, « pour profiter de la renommée du Festival de Cannes pour promouvoir ses produits ». Il ne sera donc pas statué sur la contrefaçon de marques en tant que telle, conformément aux dispositions de l’article 768 du code de procédure civile (ancien article 753).
Il sera par ailleurs en premier lieu statué sur le caractère de renommée des marques opposées, dès lors que la renommée est contestée en défense et que l’atteinte à ses marques est présentée par l’AFFIF comme aggravant les actes de parasitisme invoqués.
Sur les marques renommées
L’article L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction en vigueur depuis le 11 décembre 2019, dispose que « Est interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, l’usage dans la vie des affaires, pour des produits ou des services, d’un signe identique ou similaire à la marque jouissant d’une renommée et utilisé pour des produits ou des services identiques, similaires ou non similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, si cet usage du signe, sans juste motif, tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque, ou leur porte préjudice ».
Une marque est considérée comme renommée lorsqu’elle est connue d’une fraction significative du public concerné par les produits visés à l’enregistrement et qu’elle exerce un pouvoir d’attraction propre indépendant des produits ou services qu’elle désigne, ces conditions devant être réunies au moment des atteintes alléguées. Sont notamment pris en compte l’ancienneté de la marque, son succès commercial, l’étendue géographique de son usage et l’importance du budget publicitaire qui lui est consacré, son référencement dans la presse et sur internet, l’existence de sondages ou enquêtes de notoriété attestant de sa connaissance par le consommateur, des opérations de partenariat ou de mécénat ou encore éventuellement, de précédentes décisions de justice.
En l’espèce, l’AFFIF fait valoir, au soutien de ses allégations, un usage intensif et continu de la Palme reproduite à titre d’élément dominant de ses marques, et même de sa marque no 02 3 157 459 elle-même (ce qui inclut la marque strictement identique, l’élément verbal « Festival de Cannes » en moins) a minima depuis 1982 sur l’affiche annuelle du Festival de Cannes (pièce no 61), mais également de manière générale sur les supports promotionnels, catalogues, fonds photographiques, retransmissions télévisées, captations de célébrités, drapeau flottant chaque année sur la Croisette pendant toute la durée du Festival (pièces no 62 à 64). Elle soutient encore l’existence de partenariats d’envergure avec de grandes sociétés, dont les autres pièces produites dans la présente procédure (notamment pièces no 36 à 38) attestent à tout le moins de la réalité d’une relation commerciale avec la société L’OREAL, partenaire officiel du Festival depuis plus de 20 ans, la marque no 02 3 157 459 étant reproduite à ce titre sur les éléments de communication afférents. Enfin, elle verse un sondage daté de janvier 2020 (pièce no 34) dont il ressort que le signe figuratif représentant la palme dans un ovale, i.e. la marque no 10 3 722 922 et partie de la marque no 02 3 157 459, est spontanément associé au Festival de Cannes par une importante proportion des sondés (40%) et, quoi qu’en dise la défenderesse, cette association avec le Festival démontre un usage à titre de marque à tout le moins pour le produit « Festival », événement d’envergure internationale, usage au demeurant ni incompatible ni exclusif avec la référence à la récompense remise à l’issue de ce festival.
Au vu de ces éléments, la renommée des marques no 02 3 157 459 et no 10 3 722 922 de la demanderesse est suffisamment établie, étant au surplus observé que la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR ne peut sans se contredire contester cette renommée au motif que l’AFFIF n’en rapporterait pas la preuve, alors même qu’elle en a justement fait état pour solliciter la déchéance desdites marques.
Sur le parasitisme
Le parasitisme économique se définit comme l’ensemble des comportements par lesquels un agent économique tire ou tente de tirer profit de la valeur économique acquise par autrui au moyen d’un savoir-faire, d’un travail de création, de recherches ou d’investissements, de façon à en retirer un avantage concurrentiel. Il doit ainsi être apprécié à l’aune du principe de la liberté du commerce, et implique la réunion de trois conditions cumulatives au visa de l’article 1240 du code civil, à savoir l’existence d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité. A la différence de la concurrence déloyale, qui ne saurait résulter d’un faisceau de présomptions, le parasitisme s’apprécie au regard d’un ensemble d’éléments appréhendés dans leur globalité, indépendamment de tout risque de confusion.
En l’espèce, les différents griefs faits à la défenderesse par l’AFFIF sont distincts des actes reprochés au titre de la contrefaçon de droits d’auteur portant sur la seule représentation de l’affiche, soit qu’ils consistent en l’apposition des signes « DIOR » ou « DIOR MAKE UP » sur l’affiche ainsi représentée, soit qu’ils consistent en « l’enchaînement de séquences à vocation commerciale » ou de hashtags, soit encore qu’ils soient constitués par un usage injustifié des marques de renommée de la demanderesse ; et il ne peut être sérieusement soutenu par la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR que la sanction de la contrefaçon de droit d’auteur aurait pour conséquence la réparation du fait d’avoir voulu faire croire à l’existence d’un partenariat alors que la contrefaçon de droit d’auteur porte sur la reproduction et représentation d’une création sans autorisation de l’auteur.
Ainsi, l’incrustation à l’image des signes de la Maison DIOR, reproduits sur le visuel de l’affiche tend à laisser croire à l’existence d’un partenariat, quand bien même à aucun moment la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR ne revendique expressément le statut de partenaire officiel du Festival de Cannes.
L’utilisation de hashtags (#diorcannes, #diormakeup, #diorbackstage, #diorskin, #diorshow), habilement positionnés à certains moments clés des vidéos litigieuses, atteste ensuite du caractère promotionnel et commercial de celles-ci, dans la mesure où ils permettent un renvoi vers le site marchand de la défenderesse, et participe ainsi, au même titre que l’incrustation des marques DIOR, d’une tentative de s’associer à l’image du Festival de Cannes et de profiter de sa valeur économique.
Enfin, la reproduction non autorisée de la marque semi-figurative no 02 3 157 459 de l’AFFIF, quand bien même elle n’est visible que pendant un temps très court dans la vidéo incriminée, dès lors qu’elle est aisément identifiable et reconnaissable, constitue une atteinte à celle-ci comme à la marque no 10 3 722 922 qui y est identique à l’exclusion de l’élément verbal « Festival de Cannes », au sens de l’article L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle dès lors que leur renommée a été reconnue. Etant entendu qu’il ne peut être soutenu que cette reproduction ne constituerait pas un usage à titre de marque mais une simple information du public, ce que contredit la reproduction intégrale de la marque no 02 3 157 459 elle-même, et non de la simple palme, sans l’ovale ni la mention « Festival de Cannes » qui la composent.
Or, s’il est effectivement possible de faire référence à la tenue du Festival de Cannes et même de représenter le Palais des Festivals, notamment en raison de son actualité au moment même où il se déroule, c’est à la condition de ne pas se placer dans le sillage de son organisateur, en tentant de contourner le caractère exclusif des partenariats promotionnels mis en place par l’AFFIF pour y associer ses propres marques et tenter ainsi de bénéficier de l’image de prestige et de glamour que véhicule cet événement auprès du public et capter une clientèle attirée par celle-ci. Etant relevé qu’une source majeure de revenus pour l’AFFIF, donc de financement de l’organisation du Festival, est issue de sa politique de partenariats commerciaux, laquelle repose en premier lieu sur l’exclusivité promise aux partenaires officiels, en contrepartie d’importants investissements financiers, d’associer leur image à celle du Festival, exclusivité mise à mal dès lors que des opérateurs tiers entrent de manière illégitime en concurrence avec lesdits partenaires. Et étant encore entendu que l’existence d’un risque de confusion n’est pas requise en matière de parasitisme et que le fait que les vidéos litigieuses n’ont été diffusées que sur les réseaux sociaux de la défenderesse ne vient pas amoindrir le profit induit de manière injustifiée par l’association ainsi créée.
Il ressort en définitive de la campagne promotionnelle litigieuse appréhendée dans sa globalité, que, quand bien même la défenderesse ne se présente à aucun moment comme « Partenaire officiel » du Festival de Cannes, les choix opérés par la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR dans la mise en place de sa campagne, alors que rien ne l’obligeait à recourir comme elle l’a fait à l’incrustation de ses marques sur l’affiche ou au contraire à celles, renommées, de l’AFFIF, durant l’interview d’une de ses égéries, traduisent indéniablement une volonté fautive de profiter, de manière indue puisque sans avoir à supporter les coûts d’un tel partenariat officiel, des retombées en termes de notoriété et d’aura du Festival, lequel constitue bien, en tant qu’événement annuel incontournable du cinéma international et mondialement reconnu (« majeur » selon les termes mêmes de la défenderesse), une valeur économique indubitable résultant de près 50 ans d’investissements, qui seule peut expliquer la décision de grandes marques, telle L’OREAL PARIS, de recourir pendant de très nombreuses années à de coûteux contrats de partenariat (montant moyen en 2017 de 463 757 euros pièce no 9).
Le parasitisme reproché à la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR est donc constitué.
Sur les mesures réparatrices et indemnitaires
Outre des mesures d’interdiction sous astreinte, de publication judiciaire et l’exécution provisoire, l’AFFIF sollicite, au titre de la contrefaçon de ses marques no 02 3 157 459 et no 10 3 722 922, un droit d’information (volume de connexions, taux d’engagement des internautes, factures) afin de mieux déterminer son préjudice patrimonial de contrefaçon, qu’elle évalue à 75 000 euros à titre provisionnel. Elle sollicite en outre la somme de 75 000 euros en réparation de l’atteinte à son droit moral.
Au titre du préjudice subi du fait des actes parasitaires, aggravés par l’usurpation de ses marques renommées, elle sollicite là encore la communication d’éléments chiffrés par la défenderesse, et la somme de 150 000 euros à parfaire.
La société PARFUMS CHRISTIAN DIOR considère en premier lieu que les demandes de l’AFFIF sont par trop imprécises et qu’il ne peut être prononcé une mesure d’interdiction générale et pour l’avenir, sans identification des faits litigieux à faire cesser.
Concernant le droit d’information, elle relève que l’AFFIF ne s’appuie par sur le bon texte applicable et qu’en tout état de cause elle ne justifie pas des informations réclamées, aucun réseau de contrefaçon n’étant à déterminer, et ces informations ne sont pas pertinentes et sont de surcroît de nature confidentielle.
Elle considère par ailleurs qu’il n’est établi aucun préjudice, en particulier aucune perte de chance, et que, selon elle, l’AFFIF aurait abandonné dans ses dernières écritures sa demande de dommages et intérêts au titre de la contrefaçon de droits d’auteur pour ne plus évoquer que la contrefaçon de marques. Aucune atteinte au droit moral n’est non plus démontrée, et les sommes réclamées sont en tout état de cause disproportionnées et abusives.
Les mêmes griefs sont faits au sujet de l’indemnisation sollicitée en réparation du parasitisme et de l’atteinte aux marques renommées, au titre duquel la demande porte sur un préjudice indifférencié, injustifié et totalement disproportionné, la somme réclamée étant très supérieure à « ce qu’elle ne pourrait jamais obtenir dans le cadre d’un partenariat qui n’aurait jamais pu être conclu ».
Les mesures de publication sollicitées lui apparaissent également gravement disproportionnées, de même que l’exécution judiciaire lui serait préjudiciable.
Sur ce,
Aucune demande indemnitaire n’a été formée au titre de la contrefaçon de droit d’auteur.
Par ailleurs, s’il est formé, aux termes du dispositif des écritures de l’AFFIF, une demande en réparation individualisée au titre de la contrefaçon des marques no 02 3 157 459 et no 10 3 722 922, pour autant celle-ci ne développe aucune argumentation quant à la contrefaçon de marque par reproduction ou imitation et n’aborde la contrefaçon de ses marques que sous l’angle de l’usurpation de ses marques de renommée et en tant qu’élément participant du parasitisme reproché à la défenderesse. Or, aux termes de l’article 768 alinéa 2 du code de procédure civile (ancien article 753), « Le tribunal ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions, que s’ils sont invoqués dans la discussion ». Il ne sera donc statué sur les mesures réparatrices et indemnitaires sollicitées qu’au regard du parasitisme.
Le préjudice résultant des actes de parasitisme dans lesquels la demanderesse a fait le choix d’inclure l’atteinte à ses marques renommées, en principe soumise, conformément à l’article L. 716-4 du code de la propriété intellectuelle, aux dispositions de l’article L. 716-4-10 du même code est indemnisé selon les règles de la responsabilité délictuelle.
En l’espèce, l’AFFIF justifie notamment, au titre des investissements réalisés par elle, du coût de création de son affiche à hauteur de 48 000 euros outre le coût des réseaux d’affichage (pièces no 40 à 42), peu important que ces frais aient été pris en charge par un de ses partenaires officiels dès lors que leur financement peut justement constituer une des modalités des partenariats qu’elle négocie. Si aucune indemnisation n’est sollicitée au titre de la contrefaçon de droits d’auteur, la représentation parasitaire de l’affiche par la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR induit nécessairement une banalisation de celle-ci en même temps qu’elle participe à un amoindrissement du pouvoir de négociation d’un droit de reproduction et de représentation, étant relevé que les vidéos litigieuses sont en ligne depuis plus de dix-huit mois, même si elles souffrent d’une certaine obsolescence induite par le principe même des publications Instagram, sans cesse éclipsées par des mises en ligne plus récentes.
L’AFFIF expose encore que la contribution de ses partenaires officiels, opérée par le biais d’apports en nature et/ou le versement d’importantes redevances, participe largement au financement du Festival annuel de Cannes, dont le budget est en partie seulement assuré par des fonds publics. Selon la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR, l’AFFIF ne pourrait soutenir avoir subi un préjudice du fait qu’elle n’a pu négocier avec elle les droits d’un partenariat qu’elle n’aurait pas été en mesure de lui accorder, la société L’OREAL PARIS étant depuis plus de vingt ans le partenaire exclusif du Festival de Cannes dans le domaine des cosmétiques. Mais il va de soi que l’attractivité de tels partenariats, qui repose en premier lieu sur leur caractère exclusif, se trouve amoindrie dès lors que des opérateurs économiques cherchent à bénéficier des gains d’image associés au Festival sans en payer le prix, quand bien même ils ne se présentent pas comme partenaires officiels, de surcroît lorsqu’ils opèrent dans un même secteur d’activité que certains des partenaires exclusifs, voire en sont directement concurrents, et les actes fautifs de la défenderesse ont nécessairement entraîné une dépréciation de la valeur économique de l’actif constitué par la manifestation elle-même, outre l’économie d’investissements réalisée par la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR, qui s’est épargnée le versement de redevances de partenariat. L’AFFIF justifie donc en l’espèce d’un préjudice propre, distinct de celui que peuvent avoir par ailleurs subi ses partenaires exclusifs, en l’espèce la société L’OREAL PARIS.
La communication des éléments chiffrés sollicités n’apparaît toutefois pas nécessaire, le chiffre d’affaires réalisé sur la période de la campagne promotionnelle litigieuse ne pouvant en particulier raisonnablement servir d’assiette de calcul en l’espèce, et le tribunal étant en mesure, au regard de la durée et des modalités de la campagne promotionnelle litigieuse, de fixer l’indemnisation due au titre du préjudice de parasitisme à la somme globale de 50 000 euros.
La défenderesse ne contestant pas que les vidéos litigieuses sont toujours accessibles en ligne actuellement notamment sur Youtube, il sera par ailleurs fait droit à la demande d’interdiction selon les modalités fixées au dispositif de la présente décision.
La publication judiciaire n’apparaît en revanche pas justifiée, le préjudice de l’AFFIF se trouvant déjà suffisamment réparé par l’indemnisation financière allouée.
Sur la demande reconventionnelle en procédure abusive
La société PARFUMS CHRISTIAN DIOR soutient que l’AFFIF a agi avec malice et une légèreté blâmable, ayant assigné malgré de graves lacunes probatoires, l’abus de droit étant ainsi caractérisé, justifiant la condamnation de la demanderesse à une amende civile de 5 000 euros et à des dommages et intérêts à hauteur de 10 000 euros.
Sur ce,
En application de l’article 1240 du code civil, la responsabilité du demandeur peut être engagée en raison d’une faute faisant dégénérer en abus le droit d’agir en justice. Tel n’est cependant pas le cas en l’espèce, la demanderesse ayant été reçue en son action en contrefaçon de droits d’auteur et en parasitisme.
La défenderesse sera par conséquent déboutée de sa demande reconventionnelle en procédure abusive.
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La défenderesse, qui succombe au principal, supportera la charge des dépens et ses propres frais.
Elle sera en outre condamnée à verser à l’AFFIF, qui a dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir ses droits, une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile, qu’il est équitable de fixer à la somme de 10 000 (dix mille) euros, les fais de constats d’huissier, non autorisés judiciairement au préalable, restant à la charge de l’AFFIF.
L’exécution provisoire étant justifiée au cas d’espèce et compatible avec la nature du litige, elle sera ordonnée.
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PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL,
Statuant publiquement par jugement contradictoire en premier ressort,
— DIT l’ASSOCIATION FRANÇAISE DU FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM recevable en son action en contrefaçon de droits d’auteur ;
— DIT qu’en reproduisant et représentant sans autorisation l’affiche de l’édition 2019 du Festival de Cannes dans sa campagne promotionnelle réalisée à l’occasion dudit Festival, la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR a commis des actes de contrefaçon de droit d’auteur, au préjudice de l’ASSOCIATION FRANÇAISE DU FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM, titulaire des droits patrimoniaux portant sur cette affiche ;
— CONSTATE qu’il n’est formulé aucune demande indemnitaire au titre de la contrefaçon de droits d’auteur ;
— DIT la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR irrecevable à agir en déchéance des marques no 02 3 157 459 et no 10 3 722 922 de l’ASSOCIATION FRANÇAISE DU FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM pour les classes autres que no 3 et 44 ;
— PRONONCE la déchéance des marques no 02 3 157 459 et no 10 3 722 922 de l’ASSOCIATION FRANÇAISE DU FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM pour les produits et services visés par ces marques en classes no 3 et 44 ;
— DIT que la présente décision, une fois devenue définitive, sera transmise par la partie la plus diligente à l’Institut [Établissement 1] pour être retranscrite au registre national des marques ;
— DIT que la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR a commis des actes de parasitisme distincts notamment en reproduisant les marques de renommée no 02 3 157 459 et no 10 3 722 922, dont l’ASSOCIATION FRANÇAISE DU FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM est titulaire ;
en conséquence,
– CONDAMNE la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR à payer à la société l’ASSOCIATION FRANÇAISE DU FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM la somme de 50 000 (cinquante mille) euros au titre du parasitisme ;
— FAIT INTERDICTION à la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR de poursuivre la publication des vidéos représentant l’affiche de l’édition 2019 du Festival de Cannes de même que toute reproduction des marques no 02 3 157 459 et no 10 3 722 922 dont l’ASSOCIATION FRANÇAISE DU FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM est titulaire ;
— DIT n’y avoir lieu à mesures de communication d’informations et de publication judiciaire ;
— DEBOUTE la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR de sa demande reconventionnelle en procédure abusive ;
— CONDAMNE la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR à payer à l’ASSOCIATION FRANÇAISE DU FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM la somme de 10 000 (dix mille) euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, dont distraction au profit de la SELARL ODINOT & Associés, Avocats aux offres de droit, qui pourra les recouvrer conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;
— CONDAMNE la société PARFUMS CHRISTIAN DIOR aux dépens ;
— ORDONNE l’exécution provisoire.
Fait et jugé à Paris, le 11 Décembre 2020.
Le Greffier Le Président