Fermeture temporaire d’une boite de nuit : annulation d’un arrêté du Maire de Nice
Fermeture temporaire d’une boite de nuit : annulation d’un arrêté du Maire de Nice
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Le contexte général très animé et bruyant d’un quartier associé aux efforts mis en place par l’exploitant d’une boite de nuit pour assurer la tranquillité du voisinage sont pris en compte par les juridictions pour apprécier l’opportunité d’une fermeture administrative.

Annulation d’un arrêté du maire de Nice

L’arrêté du maire de Nice, pris au nom de l’Etat, portant fermeture de l’établissement Opéra Club a été annulé par les juridictions.  

Troubles à l’ordre public

Cette décision était motivée par les troubles à l’ordre public relevés ainsi que par plusieurs plaintes de riverains enregistrées et un rapport de police.

Aux termes du 2° de l’article L. 3332-15 du code de la santé publique : « 2. En cas d’atteinte à l’ordre public, à la santé, à la tranquillité ou à la moralité publiques, la fermeture peut être ordonnée par le représentant de l’Etat dans le département pour une durée n’excédant pas deux mois. Le représentant de l’Etat dans le département peut réduire la durée de cette fermeture lorsque l’exploitant s’engage à suivre la formation donnant lieu à la délivrance d’un permis d’exploitation visé à l’article L. 3332-1-1. ».

Efforts appréciables  

L’exploitant de la boite de nuit avait organisé la file d’attente pour l’accès à son établissement, en rappelant régulièrement, par ses employés, dont quatre vigiles présents à l’extérieur de l’établissement, et des affiches, la nécessité de respecter la tranquillité du voisinage.

Par ailleurs, aucune nuisance sonore musicale liée à l’établissement, qui a une isolation phonique satisfaisante et installé un limiteur de puissance sonore de ses installations n’est relevée à son encontre, les débordements musicaux provenant des véhicules ou d’autres bars-discothèques. L’ensemble de ces éléments ne sont pas réellement contestés par l’administration qui a expressément constaté, en mars en se bornant à un avertissement à l’encontre de la société, et dans le cas du présent arrêté en limitant à 8 jours la durée de la fermeture, le contexte particulièrement difficile dans lequel doivent intervenir les exploitants de l’établissement pour préserver la tranquillité du voisinage et également relevé que, postérieurement à un contrôle de police, l’établissement Opéra avait renforcé ses mesures de contrôle, ce qui a d’ailleurs justifié la limitation à 8 jours de la fermeture de l’établissement.

Circonstances très particulières de l’espèce

Dans les circonstances très particulières de l’espèce, compte tenu de la nature des faits reprochés à la société Kriss, de leur caractère espacé, des efforts réalisés par les exploitants, et, surtout, du contexte général très animé et bruyant du quartier environnant, le maire de Nice en prononçant une fermeture excédant trois jours a entaché sa décision d’une disproportion manifeste et porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’entreprendre. Par suite, la juridiction a suspendu les effets de l’arrêté du maire de Nice portant fermeture administrative de l’établissement Opéra exploité par la société Kriss en ce que sa durée excède trois jours.

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Tribunal administratif de Nice, 8 août 2022, n° 2203885

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 5 aout 2022, et un mémoire complémentaire enregistré le 7 aout 2022, la SAS Kriss, représentée par Me Paloux, demande au juge des référés, saisi sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l’exécution de l’arrêté du maire de Nice, pris au nom de l’Etat, portant fermeture de l’établissement Opéra Club qu’elle exploite, pour une durée de 8 jours à compter de la notification de l’arrêté attaqué, soit le 5 aout 2022.

2°) de mettre à la charge de la commune de Nice la somme de 5000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

— La fermeture de l’établissement, en pleine période touristique, porte une atteinte grave à la liberté du commerce et de l’industrie, compte tenu de l’importante fréquentation constatée en 2022 ; elle va nuire à la réputation de l’établissement et mettre au chômage technique 27 employés ;

— L’arrêté est entaché d’erreur d’appréciation et repose sur des faits inexacts ; contrairement à ce qu’indique le maire, l’établissement n’est pas impliqué dans les troubles à l’ordre public relevés, qui sont le fait de noctambules et d’autres établissements et il n’a pas les moyens d’intervenir pour y mettre fin ; elle a pris toutes les mesures nécessaires pour limiter les nuisances sonores liées à son activité ; les différents constats et plaintes de riverains ne ciblent pas particulièrement et exclusivement l’établissement ;

— L’arrêté est entaché de détournement de pouvoir ;

— La sanction est disproportionnée compte tenu de la période à laquelle elle intervient et du fait de son caractère immédiat ; elle n’a eu jusqu’à présent qu’un avertissement simple en date du 8 avril 2022, qui relève la bonne gestion du public par le personnel de l’établissement ;

Par un mémoire, enregistré le 8 aout 2022, la commune de Nice, représenté par Me Daboussy, conclut au rejet de la requête et à ce qu’une somme de 3000 euros soit mise à la charge de la société requérante.

La commune fait valoir que :

— L’urgence n’est pas contestée ;

— Les éléments du dossier permettent sans la moindre équivoque d’imputer aux clients de l’établissement les troubles à l’ordre public constatés ;

— Le comportement des responsables de l’établissement est sans incidence ;

— La mesure est adaptée et proportionnée.

La requête a été communiquée au préfet des Alpes-Maritimes qui n’a pas présenté d’observations.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

— le code de la santé publique ;

— le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Au cours de l’audience publique, tenue le 8 aout 2022 à 10 heures 30 en présence de Mme Godeau, greffière, Mme A a lu son rapport et entendu :

—  les observations de Me Paloux, représentant la société Kriss qui reprend ses écritures et indique que la mesure en litige porte à brève échéance une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’entreprendre dès lors notamment que la fermeture intervient à une période où la société réalise un important chiffre d’affaires ; qu’en outre elle repose sur des faits inexacts dont le constat n’émane pas de personnes identifiables ; les gérants de l’établissement sont à l’origine de nombreuses mains courantes ; le détournement de pouvoir est avéré ; la sanction est entachée de disproportion manifeste et notamment en tant qu’elle excède les trois jours déjà subis.

—  les observations de Me de Prémare pour la commune de Nice qui reprend ses écritures et indique que l’exploitation de l’établissement porte atteinte à la tranquillité publique par elle-même, indépendamment des conditions d’exploitation des autres établissements du quartier et qu’il existe un relâchement dans la vigilance des exploitants ; la sanction, qui limite à 8 jours la fermeture, n’est pas disproportionnée et fait suite à un premier avertissement ;

Deux courtes vidéos, réalisées dans la nuit du 6 au 7 aout 2022 sont visionnées par la présidente, en présence des parties.

Considérant ce qui suit :

1. La SAS Kriss exploite sous l’enseigne « L’Opéra » un établissement, situé à 2 rue de la préfecture à Nice, ayant une activité de débit de boissons, discothèque. Le maire de Nice, agissant au nom de l’Etat, a décidé, par un arrêté du 5 aout 2022, notifié le même jour pris sur le fondement du 2° de l’article L. 3332-15 du code de la santé publique, la fermeture administrative pour une durée de huit jours de l’établissement de la société Kriss. Cette décision est motivée par les troubles à l’ordre public relevés entre le 9 avril 2022 et le 9 juillet 2022 ainsi que par plusieurs plaintes de riverains enregistrées entre le 20 mars 2022 et le 15 juin 2022 et un rapport de police du 4 juillet 2022. Elle est intervenue au terme d’une procédure contradictoire, notifiée le 20 juillet 2022 qui a donné lieu à un entretien entre les représentants de l’entreprise et la direction de la police municipale le 3 aout 2022. La société Kriss demande au juge des référés, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l’exécution de cet arrêté, a minima en tant qu’il excède les trois jours de fermeture déjà réalisés.

Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :

2. Aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ».

3. Il résulte des termes mêmes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative que l’usage par le juge des référés des pouvoirs qu’il tient de cet article est subordonné au caractère grave et manifeste de l’illégalité à l’origine d’une atteinte à une liberté fondamentale. En outre, si la liberté d’entreprendre, dont la liberté du commerce et de l’industrie est l’une des composantes, est une liberté fondamentale, cette liberté s’entend de celles de jouir de son bien et d’exercer une activité économique dans le respect de la législation et de la réglementation en vigueur. Il appartient au juge des référés, pour apprécier si une atteinte est portée à cette liberté fondamentale, de tenir compte de l’ensemble des prescriptions qui peuvent en encadrer légalement l’exercice.

4. Le bar discothèque Opéra, exploité par la société requérante, depuis le 26 juillet 2021 est ouvert du mardi au samedi de 23 h 30 à 5h30. Il emploie 27 personnes et génère, notamment en période estivale, un chiffre d’affaire hebdomadaire d’environ 75 000 euros. Par suite, compte tenu de la fermeture de l’établissement, durant 8 jours, du 5 au 12 aout 2022 inclus, et l’administration ne le contestant pas, elle doit être regardée comme justifiant d’une situation d’urgence particulière au sens des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative.

5. Aux termes du 2° de l’article L. 3332-15 du code de la santé publique : « 2. En cas d’atteinte à l’ordre public, à la santé, à la tranquillité ou à la moralité publiques, la fermeture peut être ordonnée par le représentant de l’Etat dans le département pour une durée n’excédant pas deux mois. Le représentant de l’Etat dans le département peut réduire la durée de cette fermeture lorsque l’exploitant s’engage à suivre la formation donnant lieu à la délivrance d’un permis d’exploitation visé à l’article L. 3332-1-1. ».

6. Il résulte de l’instruction, et notamment des constats de commissaires de justice établis à la demande de la société requérante mais aussi des notes adressées à la mairie par des habitants du quartier, que l’établissement Opera est situé à l’angle des rues de la préfecture et de la rue Crotti, à l’entrée du secteur piétonnier de la vieille ville de Nice où se trouvent plusieurs établissements de nuit, bars et restaurants, et à proximité immédiate de la place Masséna et de la promenade du Paillon. L’accès à l’ensemble de ces établissements se fait en passant devant l’établissement Opéra, et, en particulier, les véhicules avec chauffeurs et taxis prennent et déposent leurs clients dans ce secteur, ce qui génère une circulation bruyante et souvent embouteillée. Par ailleurs, des vendeurs à la sauvette, dont certains sont installés dans des véhicules, stationnent irrégulièrement à proximité de l’établissement, générant ainsi des nuisances particulières. Enfin, plusieurs établissements de nuit se trouvent au carrefour précité et les clients potentiels passent de l’un à l’autre.

7. Au regard de ces contraintes, il est constant que la société requérante a organisé la file d’attente pour l’accès à son établissement, en rappelant régulièrement, par ses employés, dont quatre vigiles présents à l’extérieur de l’établissement, et des affiches, la nécessité de respecter la tranquillité du voisinage. Par ailleurs, aucune nuisance sonore musicale liée à l’établissement, qui a une isolation phonique satisfaisante et installé un limiteur de puissance sonore de ses installations n’est relevée à son encontre, les débordements musicaux provenant des véhicules ou d’autres bars-discothèques. L’ensemble de ces éléments ne sont pas réellement contestés par l’administration qui a expressément constaté, en mars en se bornant à un avertissement à l’encontre de la société, et dans le cas du présent arrêté en limitant à 8 jours la durée de la fermeture, le contexte particulièrement difficile dans lequel doivent intervenir les exploitants de l’établissement pour préserver la tranquillité du voisinage et également relevé que, postérieurement au contrôle de police de la nuit du 2 au 3 juillet 2022, l’établissement Opéra avait renforcé ses mesures de contrôle, ce qui a d’ailleurs justifié la limitation à 8 jours de la fermeture de l’établissement.

8. Dans les circonstances très particulières de l’espèce, compte tenu de la nature des faits reprochés à la société Kriss, de leur caractère espacé, des efforts réalisés par les exploitants, et, surtout, du contexte général très animé et bruyant du quartier environnant, le maire de Nice en prononçant une fermeture excédant trois jours a entaché sa décision d’une disproportion manifeste et porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’entreprendre. Par suite, il y a lieu de suspendre les effets de l’arrêté du maire de Nice portant fermeture administrative de l’établissement Opéra exploité par la société Kriss en ce que sa durée excède trois jours.

Sur les frais liés au litige :

9. Les dispositions de l’article L 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge de la société requérante au titre des frais de l’insstance.

10. Dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de faire droit aux conclusions, au demeurant mal dirigées, présentées par la société Kriss au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

Article 1er : L’exécution de l’arrêté du maire de Nice PM-CIM-2022-106 du 5 aout 2022 est suspendue à compter du 8 août 2022.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 3 : Les conclusions de la ville de Nice relatives à l’article L 761-1 sont rejetées.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Kriss et au ministre de l’intérieur et des outre-mer.

Copie sera adressée au préfet des Alpes-Maritimes et au maire de Nice.

Fait à Nice, le 8 août 202La présidente du tribunal,

juge des référés,

Signé

P. A

La République mande et ordonne au ministre de l’intérieur, en ce qui le concerne, où à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour le greffier en chef,

Ou par délégation, le greffier

N°2203885


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