Sommaire Accident du travail de Monsieur [T] [X]Monsieur [T] [X] a subi un accident du travail le 28 mai 2008 sur un chantier, où il était salarié non déclaré de la SARL [8], qui a été radiée du registre du commerce en 2010. Le certificat médical initial indique qu’il a été hospitalisé en réanimation dans un état grave, avec des blessures graves, notamment un traumatisme crânien, des lésions faciales, une fracture complexe du bassin et un choc hémorragique. Déclaration de l’accident et prise en chargeL’accident a été déclaré à la CPCAM des Bouches-du-Rhône le 19 juillet 2013, et a été pris en charge au titre de la législation sur les risques professionnels suite à un arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence en mars 2021. L’état de santé de Monsieur [T] [X] a été consolidé le 26 août 2008, avec un taux d’incapacité permanente partielle de 30 % et l’attribution d’une rente à partir du 27 août 2008. Action en reconnaissance de la faute inexcusableLe 30 juillet 2021, Monsieur [T] [X] a saisi le tribunal judiciaire de Marseille pour faire reconnaître la faute inexcusable de son ancien employeur, la société [8], en lien avec l’accident. L’affaire a été mise en délibéré pour une audience au fond prévue le 10 octobre 2024. Demandes formulées par Monsieur [T] [X]Lors de l’audience, Monsieur [T] [X] a demandé au tribunal de reconnaître la recevabilité et le bien-fondé de son action, de juger que l’accident était dû à une faute inexcusable de l’employeur, de majorer sa rente, de désigner un expert médical pour évaluer les conséquences de l’accident, et de condamner la société [8] à lui verser une provision de 25.000 euros ainsi qu’une somme au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Situation de la société [8]La société [8] n’ayant plus d’existence juridique, la SCP [C] [F] a été désignée comme liquidateur judiciaire, mais n’était pas présente à l’audience. La CPCAM des Bouches-du-Rhône a également transmis des conclusions, demandant la reconnaissance de la faute inexcusable et une réévaluation des sommes demandées. Obligations de l’employeur et faute inexcusableL’employeur a une obligation légale de sécurité envers ses salariés. La faute inexcusable est reconnue lorsque l’employeur avait conscience du danger et n’a pas pris les mesures nécessaires pour protéger le salarié. Dans ce cas, la société [8] n’a pas contesté les allégations de Monsieur [T] [X] concernant l’absence d’équipements de protection et de formation. Conséquences de la faute inexcusableEn cas de faute inexcusable, la victime a droit à une indemnisation complémentaire. La CPCAM a reconnu un taux d’incapacité permanente partielle de 30 % pour Monsieur [T] [X], et la majoration de sa rente a été ordonnée au taux maximum, avec un suivi en cas d’aggravation. Demande d’expertiseMonsieur [T] [X] a le droit de demander une expertise pour évaluer les préjudices subis, y compris les souffrances physiques et morales, le préjudice esthétique et d’agrément, ainsi que la perte de chances professionnelles. L’expertise sera ordonnée pour déterminer l’étendue des préjudices. Demande de provisionMonsieur [T] [X] a demandé une provision de 25.000 euros, mais le tribunal a décidé d’allouer une provision de 5.000 euros, à verser par la CPCAM des Bouches-du-Rhône, en raison des éléments médicaux présentés. Action récursoire de la CPCAMLa CPCAM des Bouches-du-Rhône ne peut pas exercer d’action récursoire contre la société [8] en raison de sa radiation. Les dépens de l’instance resteront à la charge de l’État, et Monsieur [T] [X] a été débouté de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile. Décision du tribunalLe tribunal a reconnu la faute inexcusable de la société [8], ordonné la majoration de la rente, et a décidé d’une expertise judiciaire pour évaluer les préjudices. La provision de 5.000 euros a été fixée, et l’exécution provisoire de la décision a été ordonnée. Les parties ont été informées des délais d’appel. |
Questions / Réponses juridiques :
Quelles sont les obligations de l’employeur en matière de sécurité au travail ?L’employeur a une obligation légale de sécurité et de protection de la santé de ses salariés, notamment en ce qui concerne les accidents du travail et les maladies professionnelles. Cette obligation est précisée dans l’article L. 4121-1 du Code du travail, qui stipule que « l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». Il doit notamment évaluer les risques, adapter le travail à l’homme, et mettre en place des mesures de prévention appropriées. En cas de manquement à cette obligation, cela peut constituer une faute inexcusable, comme le précise l’article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale. Cette faute est caractérisée lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. Qu’est-ce que la faute inexcusable de l’employeur ?La faute inexcusable de l’employeur est définie par l’article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale. Elle est caractérisée lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. Il incombe au salarié de prouver que l’employeur avait conscience du danger et qu’il n’a pas agi en conséquence. La jurisprudence précise que cette conscience du danger s’apprécie in abstracto, c’est-à-dire qu’il suffit de démontrer que l’employeur « ne pouvait ignorer » le danger. Dans le cas de Monsieur [T] [X], il est établi que la société [8] ne pouvait ignorer les risques liés à l’activité bâtimentaire, ce qui constitue une faute inexcusable. Quels sont les droits de la victime en cas de faute inexcusable de l’employeur ?En cas de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, la victime a droit à une indemnisation complémentaire, conformément à l’article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale. Cette indemnisation peut inclure la majoration de la rente versée par l’organisme social, comme le stipule l’article L. 452-2. La victime peut également demander réparation pour les préjudices non couverts par le livre IV du Code de la sécurité sociale, tels que les souffrances physiques et morales, le préjudice esthétique, et la perte de chance de promotion professionnelle. La décision du Conseil constitutionnel du 18 juin 2010 renforce ce droit en permettant à la victime de demander réparation de l’ensemble des dommages non couverts par les prestations légales. Comment se déroule la procédure d’expertise médicale dans ce type de litige ?La procédure d’expertise médicale est régie par l’article 263 du Code de procédure civile. Dans le cadre d’un litige relatif à un accident du travail, le tribunal peut ordonner une expertise pour évaluer les préjudices subis par la victime. L’expert est chargé de recueillir les observations des parties, d’examiner la victime, et de fournir un rapport détaillé sur les conséquences médicales de l’accident. L’expert doit également évaluer les souffrances physiques et morales, le préjudice esthétique, et les impacts sur la vie professionnelle et personnelle de la victime. Le rapport d’expertise est essentiel pour déterminer le montant de l’indemnisation à allouer à la victime. Quelles sont les conséquences de la disparition de l’employeur sur l’indemnisation ?La disparition de l’employeur, comme dans le cas de la société [8], a des conséquences sur l’indemnisation. En effet, la CPCAM des Bouches-du-Rhône ne peut plus exercer d’action récursoire contre l’employeur disparu, ce qui limite les possibilités de récupération des sommes versées à la victime. L’article L. 452-3 du Code de la sécurité sociale précise que la victime a droit à une réparation intégrale de son préjudice, mais la disparition de l’employeur complique cette réparation. Dans ce cas, la CPCAM doit assumer ses obligations d’indemnisation sans possibilité de recours contre l’employeur, ce qui peut entraîner des difficultés financières pour l’organisme. Quelle est la procédure pour demander une provision en cas d’accident du travail ?La demande de provision en cas d’accident du travail peut être formulée par la victime pour obtenir une avance sur l’indemnisation. Dans le cas de Monsieur [T] [X], il a demandé une provision de 25.000 euros, mais le tribunal a accordé une provision de 5.000 euros. Cette décision est fondée sur l’article L. 452-3 du Code de la sécurité sociale, qui permet à la victime de demander une avance sur l’indemnisation. Le tribunal évalue les éléments présentés par la victime, tels que les certificats médicaux et les preuves de préjudice, pour déterminer le montant de la provision à allouer. La provision est généralement versée par l’organisme de sécurité sociale concerné, ici la CPCAM des Bouches-du-Rhône. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE
POLE SOCIAL
Caserne du Muy
[Adresse 7]
[Localité 2]
JUGEMENT N°24/04784 du 10 Décembre 2024
Numéro de recours: N° RG 21/02083 – N° Portalis DBW3-W-B7F-ZCUA
AFFAIRE :
DEMANDEUR
Monsieur [T] [X]
né le 01 Janvier 1965 à [Localité 6] (TURQUIE)
[Adresse 4]
[Localité 1]
représenté par Me Samuel KATZ, avocat au barreau de MARSEILLE
c/ DEFENDERESSE
S.C.P. [C] [F] [C], liquidateur de la société S.F.M. [8]
[Adresse 3]
[Localité 5]
non comparante, ni représentée
Appelée en la cause:
Organisme CPCAM DES BOUCHES-DU-RHONE
[Localité 2]
dispensée de comparaître
DÉBATS : À l’audience publique du 10 Octobre 2024
COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats et du délibéré :
Président : PASCAL Florent, Vice-Président
Assesseurs : MAUPAS René
MITIC Sonia
L’agent du greffe lors des débats : MULLERI Cindy
À l’issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 10 Décembre 2024
NATURE DU JUGEMENT
réputé contradictoire et en premier ressort
Monsieur [T] [X] a été victime d’un accident du travail survenu le 28 mai 2008 alors qu’il travaillait sur un chantier en tant que salarié non déclaré de la SARL [8] (ci-après la [8]), radiée du registre du commerce et des sociétés le 7 juillet 2010.
Le certificat médical initial établi par un médecin anesthésiste-réanimateur attaché à l’hôpital Nord de [Localité 1] indique que Monsieur [T] [X] » a été hospitalisé en service réanimation le 28 mai 2008 dans un état grave « , le bilan lésionnel montrant » un traumatisme crânien grave, un traumatisme facial avec lésions dentaires multiples, un traumatisme du bassin avec fracture complexe et choc hémorragique « .
Cet accident a été déclaré à la CPCAM des Bouches-du-Rhône le 19 juillet 2013 et pris en charge au titre de la législation relative aux risques professionnels suite à un arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence en date du 5 mars 2021.
L’état de santé de Monsieur [T] [X] a été déclaré consolidé le 26 août 2008 et un taux d’incapacité permanente partielle de 30 % a été retenu, avec attribution d’une rente à compter du 27 août 2008.
Par courrier recommandé expédié le 30 juillet 2021, Monsieur [T] [X] a saisi, par l’intermédiaire de son conseil, le pôle social du tribunal judiciaire de Marseille d’une action en reconnaissance de la faute inexcusable de son ancien employeur, la société [8], comme étant à l’origine de l’accident du travail dont il a été victime le 28 mai 2008.
Après mise en état, l’affaire a été retenue à l’audience au fond du 10 octobre 2024.
Aux termes des conclusions déposées par son conseil lors de l’audience, Monsieur [T] [X] demande au tribunal de :
Dire et juger qu’il est recevable et bien fondé en son action ;Dire et juger que l’accident du travail dont il a été victime le 28 mai 2008 est entaché d’une faute inexcusable de son employeur ;En conséquence, prononcer la majoration de la rente qui lui est versée ;Désigner tel expert médical qu’il plaira à la juridiction avec mission de déterminer les conséquences médico-légales du préjudice corporel dont il demeure atteint consécutivement à l’accident dont il a été victime le 28 mai 2008 ;Dire que l’expert pourra s’adjoindre tout sapiteur de son choix s’il le juge nécessaire ; Condamner la société [8] à lui payer la somme de 25.000 euros à titre de provision à valoir sur l’indemnisation de son préjudice corporel ;Condamner la société [8] à lui verser la somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
La société [8] n’ayant plus d’existence juridique, la SCP [C] [F] a été régulièrement attraite à la cause en qualité de liquidateur judiciaire. Elle n’est ni présente, ni représentée à l’audience.
La CPCAM des Bouches-du-Rhône, dispensée de comparution à l’audience, a transmis des conclusions aux termes desquelles elle demande au tribunal de :
Recevoir ses conclusions ;Donner acte qu’elle s’en rapporte à droit quant à la reconnaissance d’une faute inexcusable de l’employeur, la société [8] ;Ramener à de plus justes proportions la somme sollicitée au titre de la provision ;Dans l’affirmative, reconnaître et fixer les indemnisations conformément aux articles L. 452-1 et suivants du code de la sécurité sociale et à la décision 2010-8 QPC du Conseil constitutionnel du 18 juin 2010, et prendre acte que compte-tenu de la disparition de l’employeur, la société [8], elle ne pourra plus exercer son action récursoire ;Dire que les éventuelles sommes allouées au titre de l’article 700 du code de procédure civile ne seront pas mises à sa charge, puisqu’elle est seulement mise en cause.
En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions déposées par les parties lors de l’audience pour un exposé plus ample de leurs prétentions et moyens.
L’affaire a été mise en délibéré au 10 décembre 2024.
Sur la faute inexcusable de l’employeur
En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers celui-ci d’une obligation légale de sécurité et de protection de la santé, concernant notamment les accidents du travail et les maladies professionnelles.
Le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.
Il incombe au demandeur de rapporter la preuve, d’une part, que l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé son salarié et, d’autre part, qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.
La conscience du danger exigée de l’employeur est analysée in abstracto et ne vise pas une connaissance effective de celui-ci. En d’autres termes, il suffit de constater que l’auteur » ne pouvait ignorer » celui-ci ou » ne pouvait pas ne pas [en] avoir conscience » ou encore qu’il aurait dû en avoir conscience. La conscience du danger s’apprécie au moment ou pendant la période de l’exposition au risque.
S’agissant des mesures prises l’employeur, il y a lieu de rappeler que celui-ci a, en particulier, l’obligation de veiller à l’adaptation de ces mesures de sécurité pour tenir compte des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes. Il doit éviter les risques et évaluer ceux qui ne peuvent pas l’être, combattre les risques à la source, adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail, planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions du travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants. Les articles R.4 121-1 et R. 4121-2 du code du travail lui font obligation de transcrire et de mettre à jour au moins chaque année, dans un document unique les résultats de l’évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs.
En l’espèce, il ressort du compte-rendu de sortie de secours établi par les sapeurs-pompiers le jour de l’accident et des déclarations devant les services de police judiciaire le 30 mai 2008 du conducteur des travaux sur le chantier où a eu lieu l’accident que Monsieur [T] [X], salarié non déclaré, a été blessé le 28 mai 2008 par la chute d’une dalle de béton que les ouvriers présents sur le chantier ont étayée au moyen de deux chandelles jusqu’à l’arrivée des secours.
La société [8], qui ne pouvait ignorer les risques inhérents à l’activité bâtimentaire de son salarié, ne comparaît pas et n’apporte donc aucun élément contredisant les allégations de son salarié s’agissant de l’absence d’équipements de protection et de formation adaptée.
Il y a donc lieu de retenir que la société [8] a manqué à son obligation de sécurité de résultat, de sorte que l’existence d’une faute inexcusable sera reconnue à son encontre.
Sur les conséquences de la faute inexcusable de l’employeur
Conformément à l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l’accident est dû à la faute inexcusable de l’employeur, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire.
Sur la majoration de la rente versée par la caisse primaire d’assurance maladie
Selon l’article L. 452-2 du code de la sécurité sociale, la reconnaissance de la faute inexcusable ouvre droit à la majoration de la rente ou au doublement du capital versé par l’organisme social à l’assuré victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle.
En l’espèce, la CPCAM des Bouches-du-Rhône a reconnu à Monsieur [T] [X] un taux d’incapacité permanente partielle de 30 %, avec attribution d’une rente à compter du 27 août 2008.
En vertu des dispositions susmentionnées, il y a lieu d’ordonner sur le principe la majoration de la rente perçue par Monsieur [T] [X] à son taux maximum, et de dire qu’elle suivra l’évolution du taux d’incapacité permanente en cas d’aggravation.
Sur la demande d’expertise
En vertu de l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, indépendamment de la majoration de rente qu’elle reçoit en vertu de l’article précédent, la victime a le droit de demander à l’employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétique et d’agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle.
En application de la décision du Conseil constitutionnel en date du 18 juin 2010, en cas de faute inexcusable de l’employeur, la victime peut demander à celui-ci réparation de l’ensemble des dommages non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale.
En outre, par quatre arrêts rendus le 4 avril 2012, la Cour de cassation a précisé l’étendue de la réparation des préjudices due à la victime d’un accident du travail en cas de faute inexcusable de son employeur.
Il en résulte que la victime ne peut pas prétendre à la réparation des chefs de préjudices suivants déjà couverts :
Les pertes de gains professionnels actuelles et futures (couvertes par les articles L. 431 1 et suivants, et L. 434-2 et suivants) ;L’incidence professionnelle indemnisée de façon forfaitaire par l’allocation d’un capital ou d’une rente d’accident du travail (L. 431-1 et L. 434-1) et par sa majoration (L. 452-2) ;L’assistance d’une tierce personne après consolidation (couverte par l’article L. 434 2 alinéa 3) ;Les frais médicaux et assimilés, normalement pris en charge au titre des prestations légales.
En revanche, la victime peut notamment prétendre à l’indemnisation, outre celle des chefs de préjudice expressément visés à l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale :
Du déficit fonctionnel temporaire, non couvert par les indemnités journalières qui se rapportent exclusivement à la perte de salaire ;Des dépenses liées à la réduction de l’autonomie, y compris les frais de logement ou de véhicule adapté, et le coût de l’assistance d’une tierce personne avant consolidation ;Du préjudice sexuel, indépendamment du préjudice d’agrément.
Jusqu’en 2023, la Cour de cassation jugeait de manière constante que la rente prévue par le code de la sécurité sociale versée aux victimes de maladie professionnelle ou d’accident du travail en cas de faute inexcusable de l’employeur, indemnisait tout à la fois la perte de gain professionnel, l’incapacité professionnelle et le déficit fonctionnel permanent (le handicap dont vont souffrir les victimes dans le déroulement de leur vie quotidienne). Pour obtenir de façon distincte une réparation de leurs souffrances physiques et morales, ces victimes devaient rapporter la preuve que leur préjudice n’était pas déjà indemnisé au titre de ce déficit fonctionnel permanent.
Par deux arrêts du 20 janvier 2023, la Cour de cassation, réunie en assemblée plénière, a opéré un revirement de jurisprudence en décidant non seulement que les souffrances physiques et morales endurées après consolidation pourront dorénavant faire l’objet d’une réparation complémentaire, mais également que la rente versée par la caisse de sécurité sociale aux victimes d’accident du travail ou de maladie professionnelle n’indemnise pas leur déficit fonctionnel permanent.
Dès lors que le déficit fonctionnel permanent n’est plus susceptible d’être couvert en tout ou partie par la rente et donc par le livre IV du code de sécurité sociale, il peut faire l’objet d’une indemnisation, compte-tenu de la réserve d’interprétation posée par le Conseil constitutionnel et rappelée ci-dessus, selon les conditions de droit commun.
Par conséquent, le taux d’incapacité permanente partielle fixé par la caisse sert pour la majoration de la rente en application de l’article L. 452-2 du code de la sécurité sociale et le déficit fonctionnel permanent ainsi que le taux retenu pour l’évaluer relèvent désormais de l’application du droit commun, étant rappelé que ce poste de préjudice répare les incidences du dommage qui touchent exclusivement la sphère personnelle de la victime.
L’évaluation des préjudices nécessitant dans le cas d’espèce une expertise judiciaire, elle sera ordonnée en application de l’article 263 du code de procédure civile, selon les modalités précisées dans le dispositif du présent jugement.
Il convient de rappeler, s’agissant du préjudice d’agrément, que l’expert pourra caractériser l’impossibilité de pratiquer de manière régulière une activité sportive ou de loisir du fait de la maladie, et il appartiendra le cas échéant à Monsieur [T] [X] de rapporter la preuve de la pratique régulière de cette activité avant la survenance de son accident.
Il convient enfin de préciser que le préjudice lié à la perte de chance de promotion professionnelle ne relève pas exclusivement d’une appréciation médicale. Il appartient dès lors à celui qui prétend obtenir réparation au titre de la perte de chance de démontrer la réalité et le sérieux de la chance perdue en établissant que la survenance de l’événement dont il a été privé était certaine avant la survenance du fait dommageable.
Sur la demande de provision
Monsieur [T] [X] formule une demande provisionnelle à hauteur de 25.000 euros. Il verse aux débats plusieurs pièces médicales dont :
Des certificats médicaux relatifs à la période d’hospitalisation du 28 mai au 16 juin 2008 ;Des certificats médicaux relatifs à la période d’hospitalisation en service de neurochirurgie du 21 au 30 juillet 2008 ;Des certificats médicaux post-consolidation faisant état, notamment, de céphalées, de problèmes génito-sphinctériens, d’acouphènes, de troubles psychiques chroniques invalidants l’empêchant en particulier de faires de démarches administratives et nécessitant un accompagnement constant sur le plan social.
L’état de santé de Monsieur [T] [X] a été consolidé à la date du 26 août 2008, soit trois mois après l’accident.
Ces éléments justifient d’allouer à Monsieur [T] [X] une provision d’un montant de 5.000 euros, dont la CPCAM des Bouches-du-Rhône assurera le paiement en application de l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale.
Sur l’action récursoire de la CPCAM des Bouches-du-Rhône
La société [8] a fait l’objet d’une radiation du registre des commerces et des sociétés le 7 juillet 2010.
Elle n’a donc plus d’existence juridique de sorte que la CPCAM des Bouches-du-Rhône ne dispose pas d’action récursoire à son encontre.
Sur les demandes accessoires
La société [8] n’ayant plus d’existence légale, les dépens de l’instance resteront à la charge de l’État et Monsieur [T] [X] sera débouté de sa demande fondée sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Compte-tenu de l’ancienneté de l’accident, le tribunal ordonne l’exécution provisoire du présent jugement.
Le pôle social du tribunal judiciaire de Marseille, statuant après débats publics, par jugement réputé contradictoire et en premier ressort :
DIT que l’accident de travail dont Monsieur [T] [X] a été victime le 28 mai 2008 est dû à la faute inexcusable de son ancien employeur, la SARL [8] ;
ORDONNE la majoration de la rente perçue par Monsieur [T] [X] à son taux maximum et dit qu’elle suivra l’évolution du taux d’incapacité permanente en cas d’aggravation ;
Avant-dire droit sur la liquidation des préjudices subis par Monsieur [T] [X] :
ORDONNE une expertise judiciaire aux frais avancés de la CPCAM des Bouches du Rhône et commet pour y procéder Docteur [L] [O], Expert judiciaire inscrit sur la liste établie près la cour d’appel d’Aix-en-Provence, qui pourra s’adjoindre tout sapiteur de son choix, avec mission de :
Convoquer les parties et recueillir leurs observations ;
Se faire communiquer par les parties tous documents médicaux relatifs aux lésions subies, en particulier le certificat médical initial ;
Fournir le maximum de renseignements sur l’identité de la victime et sa situation familiale, son niveau d’études ou de formation, sa situation professionnelle antérieure et postérieure à l’accident ;Procéder dans le respect du contradictoire à un examen clinique détaillé de Monsieur [T] [X] en fonction des lésions initiales et des doléances exprimées par la victime en décrivant un éventuel état antérieur en interrogeant la victime et en citant les seuls antécédents qui peuvent avoir une incidence sur les lésions ou leurs séquelles ;
Déterminer la durée du déficit fonctionnel temporaire, période pendant laquelle, pour des raisons médicales en relation certaine et directe avec les lésions occasionnées par l’accident, la victime a dû interrompre totalement ses activités professionnelles ou habituelles ; si l’incapacité fonctionnelle n’a été que partielle, en préciser le taux ;
Décrire les souffrances physiques, psychiques ou morales endurées pendant la maladie traumatique (avant consolidation), du fait des lésions, de leur traitement, de leur évolution et des séquelles ; les évaluer selon l’échelle de sept degrés ;
Donner un avis sur l’existence, la nature et l’importance du préjudice esthétique temporaire (avant consolidation), le décrire précisément et l’évaluer selon l’échelle habituelle de sept degrés ;
Décrire, en cas de difficultés particulières éprouvées par la victime, les conditions de reprise de l’autonomie et, lorsque la nécessité d’une aide temporaire avant consolidation est alléguée, indiquer si l’assistance constante ou occasionnelle d’une tierce personne (étrangère ou non à la famille) a été nécessaire en décrivant avec précision les besoins (nature de l’aide apportée, niveau de compétence technique, durée d’intervention quotidienne ou hebdomadaire) ;
Indiquer si, après la consolidation, la victime subit un déficit fonctionnel permanent :dans l’affirmative chiffrer, par référence au » Barème indicatif des déficits fonctionnels séquellaires en droit commun » le taux éventuel de déficit fonctionnel permanent (état antérieur inclus) imputable à l’accident ou la maladie, résultant de l’atteinte permanente d’une ou plusieurs fonctions persistant au moment de la consolidation, le taux de déficit fonctionnel devant prendre en compte, non seulement les atteintes aux fonctions physiologiques de la victime mais aussi les douleurs physiques et morales permanentes qu’elle ressent, la perte de qualité de vie et les troubles dans les conditions d’existence qu’elle rencontre au quotidien après consolidation ;dans l’hypothèse d’un état antérieur, préciser en quoi l’accident a eu une incidence sur celui-ci et décrire les conséquences de cette situation ;dire si des douleurs permanentes existent et comment elles ont été prises en compte dans le taux retenu ;décrire les conséquences de ces altérations permanentes et de ces douleurs sur la qualité de vie de la victime ;lorsque la nécessité de dépenses liées à la réduction de l’autonomie (frais d’aménagement du logement, frais de véhicule adaptés, aide technique, par exemple) sont alléguées, indiquer dans quelle mesure elles sont susceptibles d’accroître l’autonomie de la victime;
Donner un avis sur l’existence, la nature et l’importance du préjudice esthétique permanent ; le décrire précisément et l’évaluer selon l’échelle habituelle de sept degrés, indépendamment de l’éventuelle atteinte fonctionnelle prise en compte au titre du déficit ;
Lorsque la victime allègue un préjudice d’agrément, à savoir l’impossibilité de se livrer à des activités spécifiques sportives ou de loisir, ou une limitation de la pratique de ces activités, donner un avis médical sur cette impossibilité ou cette limitation et son caractère définitif, sans prendre position sur l’existence ou non d’un préjudice afférent à cette allégation ;
Dire s’il existe un préjudice sexuel ; le décrire en précisant s’il recouvre l’un ou plusieurs des trois aspects pouvant être altérés séparément ou cumulativement, partiellement ou totalement : la morphologie, l’acte sexuel proprement dit (difficultés, perte de libido, impuissance ou frigidité) et la fertilité (fonction de reproduction) ;
Lorsque la victime allègue une répercussion dans l’exercice de ses activités professionnelles, recueillir les doléances et les analyser, étant rappelé que pour obtenir l’indemnisation du préjudice résultant de la perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle, la victime devra rapporter la preuve que de telles possibilités préexistaient;
Lorsque la victime allègue une impossibilité de réaliser un projet de vie familiale » normale » en raison de la gravité du handicap permanent dont elle reste atteinte après sa consolidation, donner un avis médical sur cette impossibilité et son caractère définitif, sans prendre position sur l’existence ou non d’un préjudice afférent à cette allégation ;
Établir un état récapitulatif de l’ensemble des postes énumérés dans la mission ;
RAPPELLE que la consolidation de l’état de santé de Monsieur [T] [X] résultant de l’accident du travail du 28 mai 2008 a été fixée par la CPCAM des Bouches-du-Rhône à la date du 26 août 2008 et qu’il n’appartient pas à l’expert de se prononcer sur ce point ;
RAPPELLE que la CPCAM des Bouches-du-Rhône devra faire l’avance des frais d’expertise ;
DIT que l’expert fera connaître sans délai son acceptation, qu’en cas de refus ou d’empêchement légitime, il sera pourvu aussitôt à son remplacement ;
DIT que l’expert pourra s’entourer de tous renseignements utiles auprès notamment de tout établissement hospitalier où la victime a été traitée sans que le secret médical ne puisse lui être opposé ;
DIT que l’expert rédigera, au terme de ses opérations, un pré-rapport qu’il communiquera aux parties en les invitant à présenter leurs observations dans un délai maximum d’un mois ;
DIT qu’après avoir répondu de façon appropriée aux éventuelles observations formulées dans le délai imparti ci-dessus, l’expert devra déposer au greffe du pôle social du tribunal judiciaire un rapport définitif en double exemplaire dans le délai de huit mois à compter de sa saisine ;
DIT que l’expert en adressera directement copie aux parties ou à leurs conseils;
FIXE à la somme de 5.000 euros la provision qui sera versée à Monsieur [T] [X] par la CPCAM des Bouches du Rhône ;
DIT que la CPCAM des Bouches-du-Rhône devra verser cette somme à Monsieur [T] [X] ;
DIT que l’action récursoire de la CPCAM des Bouches-du-Rhône ne pourra être exercée à l’encontre de la SARL [8], compte-tenu de sa disparition ;
DIT que les dépens de l’instance resteront à la charge de l’État ;
DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
ORDONNE l’exécution provisoire de la présente décision ;
DIT que tout appel de la présente décision doit, à peine de forclusion, être formé dans le délai d’un mois à compter de la réception de sa notification.
Ainsi jugé et prononcé par mise à disposition au greffe le 10 décembre 2024.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT