Your cart is currently empty!
Si la rumeur peut apparaître comme « le plus vieux média du monde », le numérique donne une dimension nouvelle, et problématique, à ce phénomène. Dans l’univers numérique, toutes les informations apparaissent sur un pied d’égalité. Le travail du faussaire est facilité à tel point que c’est désormais le phénomène des « deepfakes », une technique consistant à remplacer, grâce à l’intelligence artificielle, un visage par un autre dans une vidéo, qui inquiète, notamment si elle venait à être associée aux nouvelles capacités à synthétiser les voix humaines.
C’est un fait : les injures, diffamations et « infox » semblent prospérer en toute quiétude juridique sur les réseaux sociaux, en s’appuyant sur l’impunité au moins partielle que leur offre l’anonymat. Le Parlement, conscient des difficultés de maîtriser le flot de fausses informations, a voté la loi n° 2018-1202 relative à la lutte contre la manipulation de l’information. Ce texte, qui vient compléter le Code électoral et la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, renforce l’arsenal législatif existant en créant un nouveau référé civil pour permettre au juge de se prononcer en urgence sur des mesures visant à faire cesser la publication de fausses nouvelles en période électorale.
Les plateformes hébergeant les contenus litigieux sont responsabilisées par la création de nouvelles obligations, telles la création de dispositifs de signalement et la désignation d’un représentant dédié. Par ailleurs, ces dernières doivent désormais rendre publiques les informations à leur disposition relatives à l’identité des annonceurs et au financement de publicité électorales. Un décret du 11 avril 2019 a fixé des seuils concernant les plateformes en ligne, en l’espèce 5 millions de visiteurs uniques par mois (nombre calculé sur la base de la dernière année civile) ou touchant 100 euros hors taxe par compagne publicitaire, pour chaque publication contenant une information liée « à un débat d’intérêt général ».
Par ailleurs, s’agissant de la lutte contre les contenus de haine en ligne, une proposition de loi déposée par Madame la députée Laetitia AVIA a pour ambition notamment de renforcer la responsabilité des plateformes numériques, dont les réseaux sociaux et les moteurs de recherche. Ce texte, déjà adopté en première lecture par l’Assemblée nationale, prévoit plusieurs mesures fortes afin d’améliorer le retrait de ces contenus dans un délai de 24h lorsqu’ils sont manifestement illicites. De nouvelles prérogatives pourraient également être confiées au Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) afin de consacrer une véritable régulation pour ces plateformes numériques, avec des possibilités de sanctions administratives en cas de graves manquements de ces plateformes à leurs obligations. Enfin, la spécialisation d’un parquet afin de mieux poursuivre les auteurs d’infractions de haine en ligne serait consacré.
Toutes les fausses informations ne tombent pas sous le coup de la loi : seules celles qui sont fabriquées dans le but de nuire, de troubler l’ordre public, de manipuler l’opinion ou de déstabiliser les institutions démocratiques sont punissables. Les fausses informations diffusées par erreur, celles qui ont un objet purement humoristique ou satirique ainsi que ce qui relève de l’expression d’une opinion ne relèvent pas de la loi.
Le cadre juridique actuel suffit théoriquement à réprimer la diffusion de fausses informations. En effet, tant la loi du 28 juillet 1881 sur la liberté de la presse – laquelle a été rendue applicable par la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique aux fausses nouvelles diffusées sur internet – que le code électoral prévoient des sanctions pénales particulières à la diffusion volontaire de fausses nouvelles réalisée dans un but précis, qu’il s’agisse de troubler la paix publique ou de porter atteinte à la sincérité d’un scrutin.
En particulier, l’article 27 de la loi de 1881 prévoit que la « publication, la diffusion ou la reproduction, par quelque moyen que ce soit, de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers lorsque, faite de mauvaise foi, elle aura troublé la paix publique, ou aura été susceptible de la troubler, sera punie d’une amende de 45 000 euros ». Par ailleurs, l’article 97 du code électoral punit ceux « qui, à l’aide de fausses nouvelles, bruits calomnieux ou autres manœuvres frauduleuses, auront surpris ou détourné des suffrages, déterminé un ou plusieurs électeurs à s’abstenir de voter, seront punis d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 15 000 euros ».
Ces sanctions sont rarement mises en œuvre dans les faits et présentent des inconvénients majeurs eu égard au mode de diffusion actuel des fausses informations. En effet, ces infractions ne frappent, par définition, que l’émetteur originel d’une fausse information, les personnes participant ensuite à la diffusion d’une information ayant perdu son caractère nouveau échappant à la répression. En outre, elles ne permettent pas d’embrasser le comportement de ceux qui, de bonne foi, diffusent des informations fausses et participent à les rendre virales.
Plusieurs solutions alternatives au « tout répressif » ont émergé. A titre d’exemple, France Télévisions s’est doté d’un outil numérique particulier, une chaîne de messagerie instantanée utilisant l’application WhatsApp, pour permettre à l’ensemble de ses rédactions – journaux télévisés de France 2 et France 3, Franceinfo TV et franceinfo.fr – de partager au plus vite les informations vérifiées par l’agence mise en place par Radio France et ainsi être en mesure de démentir rapidement des informations erronées. Par exemple, l’information inexacte selon laquelle l’auteur de l’attentat de Trèbes aurait été naturalisé après avoir été inscrit au fichier des personnes recherchées a pu être démentie en une dizaine de minutes sans jamais être diffusée sur les antennes du groupe.
France Info a créé, en 2016, une agence de vérification de l’information délivrée par les antennes de Radio France, la chaîne Franceinfo et les sites internet associés. Ainsi, toutes les informations, y compris lorsqu’elles sont issues d’agences de presse, sont systématiquement vérifiées lorsque les sources ne sont pas clairement identifiées. Cela permet aux antennes de ne pas employer le conditionnel ou de ne pas faire usage de mentions vagues telles que « personnes proches du dossier ». Une fois l’information vérifiée – l’Agence fonctionne sept jours sur sept et presque 24 heures sur 24 –, l’Agence publie une dépêche « jaune » adressée aux rédactions de Radio France, qui bénéficient toutes de ce travail autant qu’elles l’alimentent, notamment par le biais du réseau local de France Bleu.
Le service public s’est également associé à la presse écrite, pendant l’élection présidentielle française, autour du projet de journalisme collaboratif CrossCheck mis en œuvre sous l’égide du Google News Lab et de l’association First Draft. Plus d’une centaine de journalistes de 33 rédactions ont suivi les allégations et les rumeurs, ainsi que les images et les vidéos trafiquées qui circulaient sur les réseaux sociaux. Lorsque des informations trompeuses ou manipulées étaient largement partagées, CrossCheck publiait un rectificatif sur son site.
Par ailleurs, plusieurs émissions, diffusées à la radio, à la télévision ou sur internet, ont également été créées pour répondre à ce besoin nouveau : les vidéos de WTFake, disponibles uniquement sur Slash et touchant en particulier les jeunes adultes, l’intervention du journaliste Samuel Laurent des Décodeurs du Monde sur le plateau du magazine C à vous, L’œil du 20 h du journal télévisé de France 2, les épisodes Info ou Intox ou l’émission des Observateurs de France 24, L’Épreuve des faits de Radio France internationale ou encore la rubrique « Désintox » du journal 28 minutes d’Arte visent précisément à apporter au public des réponses fiables aux diverses informations notamment véhiculées via les réseaux sociaux. Il apparaît que le service public, associé aux entreprises de presse, est responsable de la majeure partie de ces initiatives. Seule la radio Europe 1 propose une émission de ce type, le Vrai-Faux de l’info.
L’idée d’une labellisation des sources d’information fiables est également avancée pour répondre au problème soulevé par la diffusion massive de fausses informations, notamment sur les réseaux sociaux. Reporters sans frontières a ainsi proposé, en partenariat avec l’Association française de normalisation (AFNOR) l’établissement d’un référentiel portant sur la transparence de la propriété des médias, l’indépendance éditoriale, les méthodes journalistiques et le respect des règles de déontologie, susceptible de donner lieu à l’établissement d’une certification par un organisme indépendant. Plus globalement, l’Initiative pour la fiabilité de l’information (JTI pour Journalism trust initiative) dans laquelle s’inscrit cette certification vise à favoriser le respect des processus de production journalistique et à donner des avantages concrets à ceux qui les mettent en œuvre, par exemple en matière d’indexation des contenus par les plateformes ou d’octroi d’aides à la presse.
Les syndicats représentant les éditeurs de presse proposent, quant à eux, de s’appuyer sur la définition des services de presse en ligne issue de la loi n° 86-897 du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse pour permettre l’identification, par les plateformes, des contenus répondant à un traitement journalistique réel. Ainsi, tout « service de communication au public en ligne édité à titre professionnel par une personne physique ou morale qui a la maîtrise éditoriale de son contenu, consistant en la production et la mise à disposition du public d’un contenu original, d’intérêt général, renouvelé régulièrement, composé d’informations présentant un lien avec l’actualité et ayant fait l’objet d’un traitement à caractère journalistique, qui ne constitue pas un outil de promotion ou un accessoire d’une activité industrielle ou commerciale » bénéficierait du label « Presse de métier » que les plateformes seraient contraintes de faire apparaître clairement.
Enfin, l’éducation aux médias et à l’information apparaît indispensable à l’épanouissement d’une véritable citoyenneté numérique et, partant, à la prévention des effets délétères que peut avoir une exposition répétée à de fausses informations. Seuls des citoyens formés à l’analyse de l’information disponible et conscients de leurs responsabilités dans l’univers numérique, auront suffisamment de distance et d’esprit critique pour appréhender une fausse information.
Par la suite, la loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République a complété le code de l’éducation afin de donner pour mission à l’école primaire de contribuer « à la compréhension et à un usage autonome et responsable des médias, notamment numériques ».