Faire reconnaître un Picasso : quelle responsabilité pour l’indivision ?
Faire reconnaître un Picasso : quelle responsabilité pour l’indivision ?
Ce point juridique est utile ?

L’administrateur d’une succession (Picasso) n’a pas l’obligation de reconnaître l’authenticité d’une œuvre et n’engage pas sa responsabilité en refusant d’authentifier une œuvre.

Doute sur l’authenticité d’un Picasso

Un chirurgien américain ayant fait l’acquisition, moyennant un prix de 300 000 dollars, d’une gouache sur papier intitulée ‘Portrait de femme au chapeau’, signée Picasso, portant au dos une dédicace en espagnol « Para mi amigo xxx de su amigo Picasso, Royan el 4.2. 1940 » et accompagnée d’une lettre manuscrite du peintre, n’a pu obtenir de la succession Picasso, la reconnaissance de l’authenticité de l’œuvre.

Refus d’authentification non fautif

L’acheteur a fait assigner sans succès, devant le tribunal judiciaire l’administrateur de la succession Picasso et à titre personnel, afin que soit constatée sa responsabilité pour avoir refusé d’autoriser la gouache intitulée ‘Portrait de femme au chapeau’ et la lettre qui l’accompagne à apparaître sur le marché comme étant une oeuvre de la main de Picasso.

Il revenait, le cas échéant, à l’acheteur, s’il estimait, contre l’avis émis par l’administration Picasso, que l’oeuvre est authentique et que les preuves qu’il détient, notamment les expertises, permettent de considérer qu’elle peut être attribuée à Picasso, de faire partager son opinion par les professionnels du marché de l’art.

Pas de monopole de la succession sur l’authentification

Si l’administrateur de la succession, en raison de ses liens, peut être considéré comme une voix particulièrement autorisée pour dire si, selon lui, une oeuvre est ou non de la main de l’artiste, et dès lors si elle est ou non authentique, il ne détient pas pour autant un monopole sur l’authentification des oeuvres de l’artiste, le tribunal retenant à cet égard à juste raison que les ayants droits d’un artiste ne disposent pas d’une exclusivité sur l’authentification de ses oeuvres, toute personne pouvant émettre un avis à condition d’en avoir les compétences et que ces compétences soient reconnues sur le marché de l’art.

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 1
ARRET DU 23 NOVEMBRE 2022
 
Numéro d’inscription au répertoire général : 21/01194 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CC6LR
 
Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Janvier 2021 – Tribunal Judiciaire de PARIS – 5ème chambre – 1ère section – RG n° 17/09832
 
APPELANT
 
Monsieur [S] [X] [I]
 
Né le 03 Août 1970 à [Localité 5] (USA)
 
[Adresse 6]
 
[Localité 2]
 
Représenté par Me Olivier BERNABE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0753
 
Assisté de Me Charles-Etienne GUDIN, avocat au barreau de BORDEAUX
 
INTIMÉ
 
Monsieur [Y] [VT]-[N]
 
Pris tant en son nom personnel qu’en sa qualité d’administrateur de l’indivision [N]
 
Né le 15 Mai 1947 à [Localité 4] (92)
 
c/o [N] ADMINISTRATION
 
[Adresse 3]
 
[Localité 1]
 
Représenté par Me Frédérique ETEVENARD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0065
 
Assistée de Me Jean-Jacques NEUER de la SELEURL Cabinet NEUER, avocat au barreau de PARIS, toque : C0362
 
COMPOSITION DE LA COUR :
 
En application des dispositions de l’article 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 11 octobre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Déborah BOHÉE, conseillère, et Mme Isabelle DOUILLET, présidente chargée d’instruire l’affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport.
 
Ces magistrates ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
 
Mme Isabelle DOUILLET, présidente de chambre
 
Mme Françoise BARUTEL, conseillère
 
Mme Déborah BOHÉE, conseillère.
 
Greffier, lors des débats : Mme Karine ABELKALON
 
ARRÊT :
 
Contradictoire
 
par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
 
signé par Isabelle DOUILLET, Présidente de chambre et par Karine ABELKALON, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
 
***
 
EXPOSE DU LITIGE
 
M. [S] [I] se présente comme un chirurgien américain ayant fait l’acquisition, en décembre 2019, avec son ex-épouse, auprès de la galerie RIMA FINE ART à Scottsdale en Arizona et moyennant un prix de 300 000 dollars, d’une gouache sur papier intitulée ‘Portrait de femme au chapeau’, signée Picasso, portant au dos une dédicace en espagnol’ Para mi amigo [P] [W], de su amigo Picasso, Royan el 4.2. 1940″ et accompagnée d’une lettre manuscrite du peintre.
 
M. [Y] [VT]-[N], fils de [L] [N] et de [O] [K], a été désigné comme administrateur de l’indivision [N] pour les droits de propriété intellectuelle attachés à l’oeuvre de [L] [N].
 
Par acte du 7 juillet 2017, M. [I] a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Paris, M. [Y] [VT]-[N], ès-qualités d’administrateur de la succession [N] et à titre personnel, afin que soit constatée sa responsabilité pour avoir refusé d’autoriser la gouache intitulée ‘Portrait de femme au chapeau’ et la lettre qui l’accompagne à apparaître sur le marché comme étant une oeuvre de la main de [L] [N].
 
M. [I] avait au préalable saisi le juge des référés du même tribunal, le 3 novembre 2016, aux fins d’obtenir l’organisation d’une mesure d’expertise graphologique pour attester de l’authenticité des mentions manuscrites figurant sur l’oeuvre ainsi que sur le courrier l’accompagnant, demande rejetée par une ordonnance du 11 janvier 2017.
 
Dans le cadre de l’instance au fond, M. [I] a ensuite saisi le juge de la mise en état d’une demande portant sur l’organisation de quatre mesures d’expertise, en graphologie, en stylistique, en datation des oeuvres artistiques et en matière de matériaux artistiques, portant sur des expertises qu’il avait déjà lui-même fait réaliser, et à titre subsidiaire, sur l’oeuvre ainsi que sur le courrier l’accompagnant, demandes refusées par ordonnance du 16 octobre 2018.
 
Dans son jugement rendu le 5 janvier 2021, le tribunal, devenu tribunal judiciaire de Paris, a :
 
— déclaré l’action de M. [I] recevable,
 
— mis hors de cause M. [Y] [VT]-[N] ès qualités d’administrateur de la succession [N],
 
— débouté M. [I] de l’ensemble de ses demandes,
 
— débouté M. [VT]-[N] de sa demande de condamnation de M. [I] à une amende civile,
 
— condamné M. [I] à payer à M. [VT]-[N], à titre personnel, la somme de 8 000€ à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
 
— condamné M. [I] à payer à M. [VT]-[N], ès qualités d’administrateur de la succession [N], la somme de 2 000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
 
— condamné M. [I] à payer, au titre de l’article 700 du code de procédure civile :
 
— à M. [VT]-[N], à titre personnel, une indemnité de 16 000 €,
 
— à M. [VT]-[N], ès qualités d’administrateur de la succession [N], une indemnité de 4 000 €,
 
— condamné M. [I] aux dépens,
 
— ordonné l’exécution provisoire.
 
Le 15 janvier 2021, M. [I] a interjeté appel de ce jugement.
 
Dans le cadre de la procédure d’appel, M. [VT]-[N] a sollicité de la conseillère chargée de la mise en état qu’elle déclare irrecevable M. [I] en ses demandes dirigées contre lui ès-qualités d’administrateur de la succession [N] ou qu’elle le mette hors de cause en cette qualité, et M. [I] a lui-même saisi la magistrate d’une demande d’expertise graphologique afin d’authentifier le courrier accompagnant, selon lui, l’oeuvre en cause par comparaison avec une lettre authentique de [L] [N]. Par ordonnance du 28 juin 2022, la conseillère de la mise en état a débouté les parties de leurs demandes, condamné M. [I] aux dépens de l’incident ainsi que sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
 
Dans ses dernières conclusions numérotées 4 transmises le 2 septembre 2022, M. [I] demande à la cour :
 
— de déclarer M. [I] tant recevable que bien fondé en son appel du jugement,
 
— en conséquence, de confirmer le jugement en ce qu’il a débouté M. [VT] [N] de sa demande de condamnation de M. [I] à une amende civile
 
— d’infirmer le jugement au surplus en toutes ses autres dispositions, notamment en ce qu’il a débouté M. [I] de l’ensemble de ses demandes,
 
— et statuant à nouveau :
 
— de réformer le jugement entrepris,
 
— de remettre en cause M. [VT]-[N] en qualité d’administrateur de la succession [N],
 
— d’authentifier l’oeuvre litigieuse et la lettre manuscrite l’accompagnant dans la mesure où la connaissance de ces faits est utile à la solution du litige et pour ce faire :
 
— d’ordonner qu’un expert judiciaire soit nommé avec pour mission de dire à la cour si l’oeuvre litigieuse peut être attribuée à [L] [N],
 
— d’ordonner qu’un expert judiciaire soit nommé avec pour mission de dire à la cour si la lettre manuscrite accompagnant l’oeuvre litigieuse peut être considérée comme étant de la main de [L] [N],
 
— de condamner M. [VT]-[N], tant en son nom personnel qu’en sa qualité d’administrateur de la succession [N], au paiement à titre de dommages-intérêts d’une somme de 9.000.000 d’euros ou à toute autre somme que la cour estimera équitable, en réparation du préjudice qu’il a causé à M. [I],
 
— de condamner en outre M. [VT]-[N], tant en son nom personnel qu’en sa qualité d’administrateur de la succession de [L] [N], au paiement d’une somme de 163 757,14 euros en vertu de l’article 700 du code de procédure civile,
 
— de condamner M. [VT]-[N] tant en son nom personnel qu’en sa qualité d’administrateur de la succession de [L] [N] en tous les dépens de première instance et d’appel dont Me BERNABE, avocat au barreau de Paris, sera autorisé à poursuivre directement le recouvrement dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile,
 
— de ‘CONDAMNER en outre, Monsieur [Y] [VT]-[N] tant en son nom personnel qu’en sa qualité d’administrateur de la succession de [L] [N] au paiement d’une somme de cent soixante-trois mille sept cent cinquante-sept euros, quatorze centimes. (163 757,14€) en vertu de l’article 700 du Code de procédure civile compte tenu de l’ensemble des honoraires versés par M. [I] à son avocat plaidant, Maître Charles-Etienne [G], (Pièces n° 64, 65,
 
66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 81, 83, 83) et des notes de frais qu’il lui a présenté et qui ont été réglés en sa faveur (Pièces n° 84, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 92, 93, 94, 95, 95 ), ainsi que des honoraires et des frais de l’avocat postulant devant le tribunal judicaire de Paris ( Pièces n° 97, 98, 99, 100)
 
CONDAMNER enfin Monsieur [Y] [VT]-[N] tant en son nom personnel qu’en sa qualité d’administrateur de la succession de [L] [N] en tous les dépens de première instance et d’appel dont Maître Olivier BERNABÉ, Avocat au Barreau de PARIS, sera autorisé à poursuivre directement le recouvrement dans les conditions de l’article 699 du Code de procédure civile’.
 
Dans ses dernières conclusions numérotées 3 et transmises le 5 septembre 2022, M. [VT]- [N], à titre personnel et en sa qualité d’administrateur de l’indivision [N], intimé et appelant à titre incident, demande à la cour :
 
— à titre principal :
 
— de confirmer le jugement en ce qu’il a :
 
— mis hors de cause M. [VT]-[N] ès qualités d’administrateur de la succession [N],
 
— débouté M. [I] de l’ensemble de ses demandes,
 
— condamné M. [I] à payer à M. [VT]-[N], à titre personnel, la somme de 8.000€ à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
 
— condamné M. [I] à payer à M. [VT]-[N], ès qualités d’administrateur de la succession [N], la somme de 2.000€ à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
 
— condamné M. [I] aux dépens,
 
— ordonné l’exécution provisoire du présent jugement,
 
— d’infirmer le jugement en ce qu’il a :
 
— condamné M. [I] à payer à M. [VT]-[N], à titre personnel, une indemnité de 16.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
 
— condamné M. [I] à payer à M. [VT]-[N], ès qualité d’administrateur de la succession [N], une indemnité de 4.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
 
— statuant à nouveau :
 
— de condamner M. [I] à payer à M. [VT]-[N], à titre personnel, la somme de 80.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile en première instance, et 50.000 € en cause d’appel,
 
— de condamner M. [I] à payer à M. [VT]-[N], ès qualités d’administrateur de la succession [N], une somme de 25.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile en première instance et une somme 20.000 € en cause d’appel,
 
— en tout état de cause :
 
— de débouter M. [I] de l’ensemble de ses demandes à l’encontre de M. [VT]-[N] à titre personnel et ès qualités d’administrateur de l’indivision [N],
 
— de condamner M. [I] à verser une somme de 60.000 euros à M. [VT]-[N], soit 30.000 euros à titre personnel et 30.000 euros ès-qualités d’administrateur, à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, en cause d’appel,
 
— de condamner M. [I] aux entiers dépens.
 
L’ordonnance de clôture a été rendue le 27 septembre 2022.
 
MOTIFS DE LA DECISION
 
En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu’elles ont transmises, telles que susvisées.
 
Sur les chefs du jugement non contestés
 
Le jugement n’est pas critiqué en ce qu’il a déclaré l’action de M. [I] recevable et débouté M. [VT]-[N] de sa demande de condamnation de M. [I] à une amende civile. Le jugement est donc devenu irrévocable de ces chefs.
 
Sur la mise hors de cause de M. [VT]-[N], ès qualités d’administrateur de la succession [N]
 
M. [I] soutient que c’est bien en sa qualité d’administrateur de la succession de [L] [N] que M. [VT]-[N] a entendu se prononcer sur les demandes d’authentification émanant du marché de l’art, ainsi qu’il ressort d’une interview donnée par Mme [B] [N] rapportée par Le Journal des Arts du 4 janvier 2013 dans laquelle elle explique que l’intimé, en avril 2012, a soumis pour signature aux héritiers de l’artiste une lettre-circulaire à destination des opérateurs du marché de l’art pour se voir donner l’autorité, en sa qualité d’administrateur de la succession, de rendre seul des avis au nom de cette succession et qu’en septembre 2012, n’ayant pas obtenu sa signature, il a diffusé une autre lettre-circulaire indiquant que ses avis seront rendus au nom des seuls quatre signataires. Il fait valoir en outre que M. [VT]-[N] ne peut, sans méconnaître le principe de l’estoppel, dire qu’il répond à titre personnel à des demandes d’authentification et par ailleurs que c’est pour défendre l’oeuvre de l’artiste qu’il a été chargé par ses héritiers d’un mandat relatif à la défense des oeuvres de son père.
 
M. [VT]-[N] demande la confirmation du jugement sur ce point, faisant valoir notamment qu’il donne des avis sur l’authenticité des pièces qui lui sont soumises à titre personnel et aucunement au titre de ses attributions ès qualités d’administrateur de l’indivision lesquelles n’incluent pas cette fonction ; qu’il a d’ailleurs été mandaté en septembre 2012 par trois héritiers, via une structure informelle dénommée ‘[N] Authentification’, pour délivrer des avis sur l’authenticité en leurs lieu et place, ce que l’interview de Mme [B] [N] ne contredit pas.
 
C’est à juste raison que le tribunal a fait droit à la demande de mise hors de cause de M. [VT]-[N] en sa qualité d’administrateur de la succession [N] en retenant que si M. [VT]-[N] est administrateur de l’indivision [N] pour tous les droits de propriété intellectuelle attachés à l’oeuvre de l’artiste, notamment la défense de son droit moral, et chargé à ce titre de la défense de l’oeuvre de l’artiste, il ne délivre des avis sur l’authenticité des oeuvres qu’à titre strictement personnel.
 
Il sera ajouté que cette analyse est confortée par la production par l’intimé de la lettre-circulaire en date du 12 septembre 2012, mentionnée dans l’interview de [B] [N], par laquelle M. [H] [VT]-[N], Mme [V] [VT]-[N], Mme [D] [N] et M. [Y] [VT]-[N], tous ayants droits de [L] [N] et membres de sa succession, informent les opérateurs du marché de l’art de leur décision de désigner M. [VT]-[N] , ‘par ailleurs Administrateur de l’indivision existant sur le monopole de propriété artistique attaché aux oeuvres de [L] [N] et désigné à ces fonctions par ordonnance du juge en date du 24 mars 1989″, afin de ‘statuer sur les demandes d’authentifications émanant du marché de l’Art’, ce qui confirme que les fonctions d’administrateur de l’indivision [N] ne recouvrent pas le rôle d’authentification des oeuvres pouvant être soumises à l’avis de M. [VT]-[N]. Les avis rendus par M. [VT]-[N] quant à l’authenticité de l’oeuvre en cause ont donc été rendus, avant septembre 2012, par M. [VT]-[N] à titre strictement personnel et, postérieurement à la lettre-circulaire précitée, par M. [VT]-[N] en son nom et en celui des trois autres ayants droits qui l’ont mandaté à cet effet, et non en qualité d’administrateur de l’indivision [N].
 
Le jugement sera donc confirmé sur ce point.
 
Sur la demande d’expertise aux fins d’authentification de l’oeuvre litigieuse et de la lettre manuscrite l’accompagnant
 
Se fondant à la fois sur son droit d”être entendu’ et sur l’article 143 du code de procédure civile (‘Les faits dont dépend la solution du litige peuvent, à la demande des parties ou d’office, être l’objet de toute mesure d’instruction légalement admissible’), M. [I] soutient que sa demande d’expertise judiciaire est justifiée dès lors qu’elle porte sur des faits dont dépend la solution du litige, à savoir l’authenticité de l’oeuvre litigieuse et de la lettre manuscrite qui l’accompagne, et que l’expertise sollicitée, avec la force que lui conférera le principe du contradictoire, est seule à même, eu égard à l’avis négatif émis par M. [VT]-[N] dans le cadre d’une démarche d’attribution et non d’authentification, de constituer une preuve ‘dotée d’une force suffisante pour pouvoir être prise en considération par les juges’. Il précise que le but de sa demande n’est pas, comme le tribunal l’a retenu, de tenter de contraindre M. [VT]-[N] à rendre un avis contraire à son opinion, mais ‘de faire reconnaître les preuves qu’il a de la possibilité i) de ne pas considérer a priori que c’est l’oeuvre d’un faussaire ii) de considérer que cette oeuvre peut être attribuée à [L] [N]’. Il indique également qu’il a mandaté, en 2019, un expert privé, M. [J] [U], qui a conclu, notamment, que les résultats de ses analyses et examens sont compatibles avec une oeuvre de 1939 réalisée par [L] [N].
 
M. [VT]-[N] argue que la demande d’expertise sollicitée par M. [I], qui vise à faire dire à l’expert si la pièce peut être ‘attribuée à’, et par conséquent à émettre une hypothèse, est inutile et a déjà été rejetée à plusieurs reprises ; qu’en outre, M. [I] considère d’ores et déjà que la pièce et la lettre sont de la main de [L] [N] et justifie sa demande par la prétendue nécessité d’obtenir un avis contraire à celui de M. [VT]-[N].
 
C’est par de justes motifs, que la cour adopte, que les premiers juges ont rejeté la demande d’expertise judiciaire de M. [I] en considérant qu’il n’entrait pas dans leur compétence de se prononcer, à titre principal, sur l’authenticité d’une oeuvre et qu’il revenait, le cas échéant, à M. [I], s’il estimait, contre l’avis émis par M. [VT]-[N], que l’oeuvre est authentique et que les preuves qu’il détient, notamment les expertises de M. [U] et de Mme [Z], permettent de considérer qu’elle peut être attribuée à [L] [N], de faire partager son opinion par les professionnels du marché de l’art.
 
Il sera ajouté que si M. [VT]-[N], en raison de ses liens avec [L] [N], peut être considéré comme une voix particulièrement autorisée pour dire si, selon lui, une oeuvre est ou non de la main de ce dernier, et dès lors si elle est ou non authentique, il ne détient pas pour autant un monopole sur l’authentification des oeuvres de l’artiste, le tribunal retenant à cet égard à juste raison que les ayants droits d’un artiste ne disposent pas d’une exclusivité sur l’authentification de ses oeuvres, toute personne pouvant émettre un avis à condition d’en avoir les compétences et que ces compétences soient reconnues sur le marché de l’art.
 
Il sera également souligné que des demandes d’expertise aux fins d’authentification du dessin et/ou des écrits l’accompagnant ont été rejetées par l’ordonnance du juge des référés du 11 janvier 2017, dont il n’a pas été interjeté appel, puis par l’ordonnance du juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Paris du 16 octobre 2018 et enfin par l’ordonnance de la conseillère de la mise en état du 28 juin 2022.
 
Le jugement sera dès lors confirmé en ce qu’il a rejeté la demande d’expertise de M. [I].
 
Sur la demande indemnitaire de M. [I]
 
M. [I] forme une demande de condamnation à l’encontre de M. [VT]-[N] d’un montant de 9 millions d’euros, qui n’est plus présentée en appel à titre seulement subsidiaire mais à titre principal, parallèlement à la demande d’expertise. Pour autant, dans ses écritures qui comptent 60 pages, M. [I] ne présente pas de développement spécifique pour soutenir cette demande si ce n’est une unique page, avec le sous-titre ‘La preuve de la faute’ (page 50), curieusement insérée au sein d’une partie ‘G. Sur la nécessité de l’authentification de la lettre manuscrite par la Cour au vu du rapport d’un expert judiciaire’, de laquelle il ressort qu’il reproche à M. [VT]-[N], au vu des éléments de preuve existant déjà, selon lui, quant à l’authenticité de l’oeuvre, notamment la lettre manuscrite accompagnant la peinture, de n’avoir pas respecté le droit moral de divulgation exercé par son père quand celui-ci a offert l’oeuvre à [P] [W], destinataire de la dédicace apposée au dos du dessin. Il est encore indiqué dans les conclusions de l’appelant que le but de la présente procédure est de faire reconnaître la responsabilité de M. [VT]-[N] à raison des fautes qu’il a commises lorsqu’il a volontairement répondu à des demandes d’authentification à propos de l’oeuvre litigieuse (page 35), de permettre à M. [I] de contester en justice les avis de M. [VT]-[N] considérant ‘de manière péremptoire et systématique’ que l’oeuvre est fausse et que la lettre manuscrite l’est tout autant (page 37), l’appelant indiquant également que ‘sa demande indemnitaire n’est pas l’essentiel de ce procès (même si son montant peut paraître exorbitant, il correspond simplement au prix que pourrait atteindre une oeuvre de ce type si elle était reconnue par l’ayant droit comme une oeuvre de [N])’ (page 37).
 
M. [VT]-[N] conteste toute faute, intentionnelle ou non, en lien avec un préjudice qu’aurait subi M. [I], faisant valoir que le principe de la liberté d’expression, qui recouvre celui de la liberté d’opinion, s’oppose, sauf abus inexistant en l’espèce, à ce qu’une faute puisse résulter de l’émission d’une opinion négative sur l’authenticité d’une oeuvre ; qu’il ne détient aucun monopole sur l’authentification des oeuvres de son père ; que les éléments sur lesquels M. [I] s’appuie (examens graphologiques de Mme [F] et de M. [C], authentification du Pr [M], examen de M. [E]…) sont peu probants ou n’attribuent pas expressément la paternité du dessin à [L] [N] (expertise de M. [U]) et ont en outre été communiqués en cours d’instance ; que l’opinion qu’il a émise repose sur un examen sérieux et rigoureux et est confortée par d’autres (Mme [T], professionnelle du marché de l’art, et Mme [R], ancienne directrice du musée [N] Paris, M. [A], directeur du musée [N] de Barcelone). Il ajoute que M. [I], partenaire financier de la galerie RIMA FINE ART de Scottsdale depuis décembre 2009, ne pouvait pas ne pas connaître son opinion concernant la gouache, sur laquelle il s’est prononcé dès 2008.
 
Ceci étant exposé, aux termes de l’article 1240 du code civil, ‘Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer’, l’article 1241 prévoyant par ailleurs que ‘Chacun est responsable du dommage qu ‘il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence’.
 
M. [I], qui entend engager la responsabilité de M. [VT]-[N] sur le fondement de ces textes, doit donc apporter la preuve d’une faute commise par ce dernier, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre cette faute et le préjudice allégué.
 
Il importe de préciser qu’il n’est pas contesté que l’avis émis par M. [VT]-[N] quant à l’authenticité du dessin – en 7 occasions, entre novembre 2008 et février 2015 – ne l’a pas été à la demande de M. [I] mais de personnes différentes, de nationalités diverses, le nom de M. [I] étant apparu pour la première fois dans l’assignation qu’il a fait délivrer à M. [VT]-[N] en juillet 2017.
 
Par ailleurs, comme le tribunal l’a relevé, M. [VT]-[N] n’a fait qu’exprimer un avis et n’a pas refusé de délivrer un certificat d’authenticité. Il sera ajouté que les termes dans lesquels cet avis a été exprimé, au vu des pièces au dossier, sont toujours mesurés, l’intéressé indiquant que cet avis est émis en l’état de ses connaissances et en considération des informations qui lui ont été transmises et des recherches qu’il a pu conduire. Comme le tribunal l’a relevé, M. [VT]-[N] n’a pas qualifié l’oeuvre de ‘faux grossier’, ce commentaire s’appliquant à une autre oeuvre.
 
Il n’est pas inutile d’ajouter que les avis contestés ont été émis gracieusement par M. [VT]-[N] .
 
La cour constate encore que le manquement reproché en appel, qui consisterait pour M. [VT]-[N] à avoir méconnu le droit moral de divulgation exercé par son père lors de la remise de l’oeuvre à M. [P] [W], selon la dédicace apposée au dos du dessin, se différencie du grief tel que formulé en première instance, selon lequel M. [VT]-[N] se serait gravement trompé en considérant comme un faux l’oeuvre litigieuse, la dédicace et la lettre, et ce, sans la moindre réserve et contre toutes les expertises unanimes. Quoiqu’il en soit, M. [VT]-[N] a été d’avis que la dédicace au dos du dessin n’était pas plus de la main de [L] [N] que le dessin lui-même, de sorte qu’il ne peut lui être reproché d’avoir méconnu une dédicace dont il n’a pas reconnu l’authenticité.
 
Enfin, M. [VT]-[N] justifie que d’autres personnes particulièrement autorisées, s’agissant en particulier de M. [A], directeur du musée [N] de Barcelone, et de Mme [R], ancienne directrice du musée [N] de Paris, ont exprimé un avis négatif ou du moins un doute sérieux quant à la possibilité d’attribuer le dessin à [L] [N], ce qui contredit la légèreté imputée à l’intimé par M. [I] (page 31 de ses conclusions).
 
Dans ces conditions, la cour partage l’analyse des premiers juges qui, par des motifs pertinents qui sont adoptés, ont estimé qu’aucune faute ne pouvait être retenue à l’encontre de M. [VT]-[N], procédant d’une volonté de nuire – dont, au demeurant, on recherche vainement les raisons, M. [VT]-[N] ne connaissant pas M. [I] avec lequel il n’a eu aucun contact avant l’assignation – ou même seulement d’une légèreté blâmable.
 
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a rejeté la demande de dommages et intérêts de M. [I].
 
Sur les demandes de M. [VT]-[N] pour procédure abusive.
 
Pour demander à la fois l’infirmation du jugement en ce qu’il l’a condamné pour procédure abusive et le rejet des prétentions formées en appel par l’intimé de ce chef, M. [I] soutient qu’un avis positif de M. [VT]-[N] revient à une véritable autorisation de mise sur le marché d’une oeuvre comme étant une oeuvre de [L] [N] ; que ce qui lui importe est de pouvoir contester en justice l’avis négatif émis par M. [VT]-[N] mais que sa demande indemnitaire n’est pas l’essentiel du procès ; que M. [VT]-[N] ne peut, sans se contredire au détriment d’autrui, à la fois dire qu’en qualité d’ayant droit il ne dispose d’aucune exclusivité en matière d’authentification et soutenir que son avis ne peut être contesté car résultant d’une simple manifestation de sa liberté d’opinion.
 
M. [VT]-[N] estime que la demande de M. [I] est abusive car non fondée sur des éléments sérieux en droit ou en fait, reposant sur des attaques ad nominem contre lui qui se voit qualifier d’incompétent et dont le passé douloureux d’enfant naturel est rappelé sans nécessité, sur des mensonges délibérés et la dissimulation de documents dans une volonté de tromper la justice. Il ajoute qu’en interjetant appel, M. [I] a persisté dans ses errements, ce qui justifie une nouvelle condamnation à hauteur de 60 000 € (2 x 30 000 €).
 
L’accès au juge étant un droit fondamental et un principe général garantissant le respect du droit, ce n’est que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles que le fait d’agir en justice ou d’exercer une voie de recours légalement ouverte est susceptible de constituer un abus.
 
Les premiers juges ont retenu à juste raison que les circonstances caractérisant un abus du droit d’agir en justice étaient en l’espèce réunies. En effet, malgré une première ordonnance de référé du 11 janvier 2017, dont il n’a pas interjeté appel, ayant rejeté sa demande d’expertise graphologique censée établir l’authenticité des mentions manuscrites figurant au dos de l’oeuvre et sur la lettre l’accompagnant, puis une ordonnance du juge de la mise en état du tribunal du 16 octobre 2018 l’ayant débouté de sa demande portant sur pas moins de quatre mesures d’expertise (en graphologie, stylistique, datation, matériaux artistiques), M. [I], par ailleurs détenteur d’expertises techniques de l’oeuvre qu’il avait fait diligenter à titre personnel, a maintenu sa demande de mesure d’instruction devant le tribunal, tout en formant à l’encontre de M. [VT]-[N] une demande de condamnation, initialement formée à titre principal, puis devenue, sans explication, au fil de la procédure, une demande subsidiaire, à hauteur de 9 millions d’euros, dont le montant exorbitant n’était aucunement justifié.
 
Force est de constater qu’en appel, en dépit de la condamnation pour procédure abusive prononcée en première instance, qui aurait dû l’inciter à une certaine prudence, M. [I] a choisi de maintenir sa demande d’expertise malgré l’ordonnance de la conseillère de la mise en état du 28 juin 2022, et ce, au terme d’une argumentation particulièrement confuse, voire incohérente, reposant sur la distinction prétendue entre ‘authentification’ de l’oeuvre et ‘attribution’ de l’oeuvre (‘l’héritier qui savait ne pas être en mesure d’authentifier véritablement l’oeuvre litigieuse, trompant aujourd’hui la religion des juges en faisant passer pour une authentification ce qui n’est qu’une simple attribution’ – page 6 ; ‘M. [VT] [N], lorsqu’il a répondu par écrit aux demandes d’avis qui lui avaient été adressées à l’époque par des opérateurs du marché de l’art ou leurs représentants n’a procédé qu’à l’attribution de cette oeuvre et non pas à son authentification’ – page 9), mais invoquant pourtant tout à la fois’la nécessité de l’authentification de l’oeuvre par le juge’ (page 41) et l’intérêt de la nomination d’un expert judiciaire permettant à la cour de dire ‘si l’oeuvre peut être attribuée’ à [L] [N] (page 43). Il a par ailleurs maintenu devant cette cour sa demande de condamnation du même montant de 9 millions d’euros, indiquant que cette somme correspond au prix que pourrait atteindre l’oeuvre si elle était reconnue par M. [VT]-[N] comme une oeuvre de [L] [N], mais sans véritable motivation comme il a été dit, reconnaissant par ailleurs que ‘sa demande indemnitaire n’est pas l’essentiel du procès’ (page 37). Ces circonstances traduisent une légèreté blâmable caractérisant l’abus du droit d’exercer une voie de recours.
 
Le caractère abusif de cette procédure a causé un préjudice à M. [VT]-[N], distinct de celui résultant de la nécessité de se défendre en justice, puisqu’il a affronté pendant plusieurs années un risque de condamnation disproportionnée.
 
Pour ces raisons, le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné M. [I] à payer à M. [VT]-[N], à titre personnel, la somme de 8 000 € et, ès qualités d’administrateur de la succession [N], celle de 2 000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.
 
La cour estimant que ces sommes constituent une réparation suffisante du préjudice subi par M. [VT]-[N], il ne sera pas fait droit à la demande de l’intimé tendant à l’allocation de dommages et intérêts complémentaires pour l’appel.
 
Sur les dépens et les frais irrépétibles
 
M. [I], partie perdante, sera condamné aux dépens d’appel et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu’il a exposés à l’occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et frais irrépétibles de première instance étant confirmées.
 
Les sommes qui doivent être mises à la charge de M. [I] au titre des frais non compris dans les dépens exposés par M. [VT]-[N] peuvent être équitablement fixées à 20 000 € à titre personnel et 10 000 € ès qualités d’administrateur de la succession [N], ces sommes complétant celles allouées en première instance.
 
PAR CES MOTIFS,
 
LA COUR,
 
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
 
Y ajoutant,
 
Déboute M. [VT]-[N] de ses demandes de dommages et intérêts pour procédure abusive au titre de l’appel,
 
Condamne M. [I] aux dépens d’appel,
 
Condamne M. [I] à payer, en application de l’article 700 du code de procédure civile, la somme de 20 000 € à M. [VT]-[N] à titre personnel et celle de 10 000 € à M. [VT]-[N] en sa qualité d’administrateur de la succession de [L] [N].
 
LA GREFFIÈRE
LA PRÉSIDENTE
 
 

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