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Les procès en diffamation se gagnent aussi sur le terrain de la procédure. Une assignation peut être déclarée nulle dès lors qu’elle prête à confusion sur les délits de presse visés.
La Fédération française de taekwondo a fait valoir qu’un profil Facebook public a été ouvert sous le pseudonyme « Birane Gueye Karl Marxens » sur lequel un ou plusieurs utilisateurs menaient quotidiennement une campagne très gravement diffamatoire à son encontre.
L’assignation, prêtant à confusion, a été déclarée nulle. Il existait un doute certain sur le point de savoir si les photographies publiées, qui sont poursuivies sur le fondement du droit à l’image aux termes de l’assignation, servaient également à illustrer les propos du post poursuivi quant à lui au titre de la diffamation.
Ainsi que le rappelle le juge de la mise en état, un demandeur ne peut invoquer simultanément l’article 9 du code civil à l’encontre des clichés poursuivis au titre de l’atteinte au droit à l’image, et se fonder sur ces mêmes clichés pour illustrer des propos diffamatoires sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881.
L’ambiguïté de l’assignation était amplifiée à la lecture de son dispositif, puisque la FFT sollicitait uniquement une somme de 30 000 € à titre de dommages-intérêts, sans distinguer entre les différents fondements invoqués, cette demande visant ainsi à réparer à la fois l’atteinte au droit à l’image et les propos diffamatoires. Les défendeurs n’ont pu utilement préparer leur défense en raison de l’ambiguïté du fondement des poursuites à l’égard des photographies.
L’inobservation des règles de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 entraîne la nullité de la poursuite elle-même, en ce qu’elle constitue une atteinte substantielle aux droits de la défense.
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 2 – Chambre 7
ARRET DU 30 OCTOBRE 2019
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 18/02468 – N° Portalis 35L7-V-B7C-B46EO
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 10 Janvier 2018 -Tribunal de Grande Instance de Paris – RG n° 17/03100
APPELANTE
Madame A Z
[…]
94360 BRY-SUR-MARNE – FRANCE
née le […]
Représentée et assistée par Me Carine PICCIO de la SELARL ASTON, avocat au barreau de PARIS, toque : B0989, avocat postulant et plaidant
INTIMES
Monsieur B Y
[…], […]
[…]
né le […]
Représenté par Me Jérôme KARSENTI, avocat au barreau de PARIS, toque : R215, avocat postulant
Assisté de Me Ambre BENITEZ de la SCP BUCHBINDER KARSENTI LAMY, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC372, avocat plaidant
Monsieur C D
[…]
[…]
né le […]
Représenté et assisté par Me Tatiana VASSINE de RMS AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : A0820, avocat postulant et plaidant
Madame E F
[…]
[…]
née le […]
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 25 septembre 2019, en audience publique, devant la cour composée de :
Mme Anne-Marie SAUTERAUD, Présidente
Mme Sophie-Hélène CHATEAU, Conseillère
Mme Bérengère X, Conseillère
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Mme X dans les conditions prévues par l’article 785 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Margaux MORA
ARRET :
— DEFAUT
— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
— signé par Anne-Marie SAUTERAUD, Présidente et par Margaux MORA, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
Vu les assignations délivrées le 7 octobre 2016 à B Y, E F épouse Y et C D, à la requête de A Z, qui demandait au tribunal de grande instance de Paris, au visa des articles 23, 29 alinéa 1, 33 alinéa 1 et 42 de la loi du 29 juillet 1881, de :
— dire que les propos mis en ligne le 9 juillet 2016 sur le compte Facebook de ‘Birane Gueye Karl Marxens’, constituent une diffamation publique envers particulier,
— dire que B Y, E F épouse Y et C D ont solidairement engagé leur responsabilité de ce fait ;
— dire que B Y, E F épouse Y et C D ont porté atteinte au droit à l’image de A Z ;
— ordonner la suppression dans un délai de 8 jours, sous astreinte de 1 000 € par jour de retard, du post du compte Facebook du 9 juillet 2016 et des posts du compte Facebook listés,
— les condamner solidairement à lui verser la somme de 30 000 € à titre de dommages-intérêts ;
— les condamner sous la même solidarité au paiement de la somme de 3 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
— les condamner en tous les dépens,
Vu l’ordonnance du juge de la mise en état rendue le 10 janvier 2018 par la 17e chambre civile du tribunal de grande instance de Paris, qui a :
— annulé l’assignation du 7 octobre 2016, en rejetant le moyen tiré de l’imprécision de l’article applicable, mais en retenant celui tiré de l’imprécision des fondements juridiques,
— condamné A Z à payer à B Y et C D la somme de 1.000 € chacun en application de l’article 700 du code de procédure civile,
— condamné A Z aux dépens,
Vu l’appel interjeté par cette dernière le 25 janvier 2018,
Dans ses dernières conclusions du 25 avril 2018, A Z sollicite l’infirmation de l’ordonnance rendue le 10 janvier 2018 par le juge de la mise en état de la 17e chambre du tribunal de grande instance de Paris en ce qu’elle a :
— Retenu que les intimés n’ont pu utilement préparer leur défense en raison de l’ambiguïté sur le périmètre des passages visés au titre de la diffamation publique envers particulier ;
— Constaté que les photographies étaient visées à la fois au titre de l’atteinte au droit à l’image et comme illustrant des propos diffamatoires ;
— Déclaré nulle l’assignation délivrée le 7 octobre 2016 à B Y, E F et C D ;
— Condamné A Z à verser à B Y et à C D la somme de 1.000 € chacun au titre de l’article 700 du code de la procédure civile,
et sollicite le renvoi de l’affaire devant le juge de la mise en état de la 17e chambre du tribunal de grande instance de Paris, et la condamnation solidaire de C D et B Y à verser à A Z la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Elle expose qu’en 2014, un profil Facebook public a été ouvert sous le pseudonyme « Birane Gueye Karl Marxens » sur lequel un ou plusieurs utilisateurs menaient quotidiennement une campagne très gravement diffamatoire à l’encontre de la Fédération française de taekwondo et de disciplines associées et de ses cadres, dont A Z. Suite à des requêtes devant le tribunal de grande instance, trois personnes ont été identifiées comme à l’origine de ces posts.
Le 7 octobre 2016, A Z a assigné les trois intimés, par actes séparés, « afin d’obtenir réparation du préjudice qu’elle subit indéniablement du fait de la publication d’accusations portant gravement atteinte à son honneur et à sa considération et de clichés attentatoires à son droit à l’image. »
Elle conteste l’ordonnance rendue qui indique qu’« un demandeur ne peut en même temps invoquer l’article 9 du code civil et faire état du fait que les clichés viseraient à illustrer des propos diffamatoires, la poursuite devant alors s’exercer sur le fondement des dispositions de la loi du 29 juillet 1881 » , alors qu’il n’existe aucun doute sur l’articulation entre les faits poursuivis sur le fondement de la diffamation et la publication des photographies poursuivies sur le fondement du droit à l’image ; que d’ailleurs, les intimés ont été en mesure d’organiser utilement leur défense, au vu des conclusions au fond.
Dans ses dernières conclusions déposées le 16 juillet 2018, B Y sollicite la confirmation de l’ordonnance rendue le 10 janvier 2018 par le juge de la mise en état, et la condamnation de A Z au paiement de 4.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Il soulève la nullité de l’assignation délivrée à son encontre au motif que cette assignation vise cumulativement les articles 29 alinéa 1er et 33 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881, sans que soient clairement précisés les propos des publications de Birane Gueye Karl Marxens qui relèveraient de la qualification de diffamation et celles qui relèveraient de la qualification d’injure. Il soulève également la nullité au motif que dès lors que l’image apparaît indissociable du texte litigieux prétendument diffamatoire, le plaignant ne peut invoquer l’article 9 du Code civil pour demander la réparation de son droit à l’image : l’action doit alors être introduite sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881, ce qui n’est pas le cas en l’espèce ; que si l’image n’avait pas été publiée le 9 juillet 2016 sur FACEBOOK, elle n’aurait pas été commentée et il n’y aurait pas eu de fondement à l’action en diffamation de A Z.
Dans ses dernières conclusions déposées le 24 juillet 2018, C D sollicite la confirmation de l’ordonnance rendue le 10 janvier 2018, la condamnation de A Z au paiement de 3.000 € au titre de l’article 32-1 du code de procédure civile, outre la somme de 2.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Il soulève la nullité de l’assignation au motif que celle-ci vise des messages Facebook qui constituent un ensemble : un message texte avec des photographies prises dans des lieux publics et publiées sur d’autres réseaux sociaux comme Twitter pour la plupart, l’ensemble constituant un « post ». Or, pour le même « post », l’appelante demande indistinctement l’application de la loi de 1881 sur le fondement de la diffamation et de l’article 9 du code civil au motif que les photographies auraient été soit détournées de l’usage pour lequel elle avait autorisé la publication, soit publiées sans aucune autorisation. Il fait valoir ne pas être en mesure de se défendre utilement ne sachant pas si les photographies attaquées l’étaient sur le fondement de la loi de 1881 ou de l’article 9 du code civil.
Il sollicite des dommages-intérêts pour procédure abusive, puisqu’il est mis en cause dans le présent dossier en raison d’une connexion qui aurait été identifiée sur sa ligne internet pour un compte qu’il n’a jamais utilisé et dont il ne connaissait pas même l’existence.
E F épouse Y n’est ni comparante, ni représentée.
Vu l’article 455 du code de procédure civile,
Vu l’ordonnance de clôture du 26 juin 2019,
Sur les exceptions de nullité
Il y a lieu de rappeler :
— que l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 exige que la citation précise et qualifie le fait incriminé et qu’elle indique le texte de loi applicable à la poursuite ;
— que cet acte introductif d’instance a ainsi pour rôle de fixer définitivement l’objet de la poursuite, afin que la personne poursuivie puisse connaître, dès sa lecture et sans équivoque, les faits dont elle aura exclusivement à répondre, l’objet exact de l’incrimination et la nature des moyens de défense qu’elle peut y opposer ;
— que les formalités prescrites par ce texte, applicables à l’action introduite devant la juridiction civile dès lors qu’aucun texte législatif n’en écarte l’application, sont substantielles aux droits de la défense et d’ordre public ;
— que leur inobservation entraîne la nullité de la poursuite elle-même aux termes du 3e alinéa de l’article 53.
Ce texte n’exige ainsi, à peine de nullité de la poursuite, que la mention, dans l’assignation, de la qualification du fait incriminé et du texte de loi énonçant la peine encourue, la nullité ne pouvant être prononcée que si l’acte introductif d’instance a pour effet de créer une incertitude dans l’esprit des personnes poursuivies quant à l’étendue des faits dont elles ont à répondre.
En l’espèce, il sera d’abord précisé que l’assignation datée du 7 octobre 2016 a été délivrée aux trois intimés dans des termes identiques.
C’est à raison que le juge de la mise en état a écarté le moyen tiré d’une incertitude sur le texte de loi applicable, les intimés soutenant à tort que l’assignation visait successivement plusieurs articles de la loi du 29 juillet 1881, dont l’article 33 alinéa 1er relatif à l’injure commise envers les corps constitués ou les élus et fonctionnaires.
En effet, s’il est exact que l’acte introductif de la présente instance vise dans son dispositif (page 19) ‘les articles 23, 29 alinéa 1er, 33 alinéa 1er et 42 de la loi du 29 juillet 1881’, la mention de l’article 33 alinéa 1 étant erronée eu égard au corps de l’assignation, cet acte est suffisamment clair, puisqu’il indique sans ambiguïté en page 9 et en page 12 que les articles 29 alinéa 1er et 32 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 sont les seuls visés, et qu’à la lecture des autres mentions de l’assignation, les défendeurs ne pouvaient pas se méprendre sur le texte de loi applicable, la mention de l’article 33 alinéa 1er n’intervenant qu’à une reprise en haut du dispositif, et constituant une simple erreur, les propos poursuivis étant toujours qualifiés par A Z de diffamation publique envers particulier, ce qui correspond aux articles 29 alinéa 1er et 32 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881.
En second lieu, l’ordonnance sera confirmée en ce qu’elle a considéré que le périmètre des passages visés au titre de la diffamation publique envers particulier était équivoque.
En effet, les motifs de l’assignation peuvent prêter à confusion dès lors qu’ils :
— énoncent que le post litigieux du 9 juillet 2016 poursuivi au titre des propos attentatoires à l’honneur et à la considération ‘est notamment illustré par une série de 6 clichés de Mme Z pris lors de cette table ronde’ (page 9),
— indiquent que A Z est identifiée comme la personne visée par le post du 9 juillet 2016 puisqu’elle ‘figure sur 6 clichés publiés en illustration du post litigieux’ (page 11),
— ajoutent que ‘si ce n’est à des fins d’illustrations de propos diffamatoires tenus à son égard, ces photographies alimentent des commentaires orduriers sur la jeune femme’, (page 13)
— enfin indiquent que ‘le post litigieux du 9 juillet 2016, introduit par le message diffamatoire à l’encontre de Mme Z est illustré par une série de 6 clichés d’elle pris lors de sa participation à la table ronde :’ (page 13).
Il existe ainsi un doute certain sur le point de savoir si les six photographies, qui sont poursuivies sur le fondement du droit à l’image aux termes de l’assignation, servent également à illustrer les propos du post du 9 juillet 2016 poursuivi quant à lui au titre de la diffamation.
Or, ainsi que le rappelle à juste titre le juge de la mise en état, un demandeur ne peut invoquer simultanément l’article 9 du code civil à l’encontre des clichés poursuivis au titre de l’atteinte au droit à l’image, et se fonder sur ces mêmes clichés pour illustrer des propos diffamatoires sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881.
Enfin, l’ambiguïté de l’assignation est amplifiée à la lecture de son dispositif, puisque A Z sollicite uniquement une somme de 30 000 € à titre de dommages-intérêts, sans distinguer entre les différents fondements invoqués, cette demande visant ainsi à réparer à la fois l’atteinte au droit à l’image et les propos diffamatoires.
Aussi, il y a lieu de constater que les défendeurs n’ont pu utilement préparer leur défense en raison de l’ambiguïté du fondement des poursuites à l’égard des photographies.
L’inobservation des règles de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 entraîne la nullité de la poursuite elle-même, en ce qu’elle constitue une atteinte substantielle aux droits de la défense.
En conséquence, l’ordonnance sera confirmée en ce qu’elle a annulé l’assignation et condamné A Z au paiement de frais irrépétibles, ainsi qu’aux dépens.
S’agissant de la demande au titre de l’article 32-1 du code de procédure civile de C D, elle sera rejetée, le demandeur ne justifiant pas du caractère abusif de la procédure à son égard, au vu de son identification dans les adresses IP de connexion sur le compte Facebook Birane Gueye Karl Marxens.
Enfin, il serait inéquitable de laisser à la charge de C D et B Y les frais qu’ils ont dû supporter en cause d’appel, et A Z sera donc condamnée à leur verser à chacun la somme de 800 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par défaut et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme l’ordonnance du juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Paris en date du 10 janvier 2018, en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Déboute C D de sa demande fondée sur l’article 32-1 du code de procédure civile ;
Condamne A Z à verser à B Y et à C D la somme de 800 € chacun au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;
Condamne A Z aux entiers dépens de la présente instance.
LE PRÉSIDENT LE GREFFIER