Madame [D] [V] a été employée par la société SA TATI DEVELOPPEMENT depuis le 10 août 1984 jusqu’à son licenciement le 30 avril 2002. La société a été rachetée par la société SAS LILNAT en 2013, qui a ensuite été placée en liquidation judiciaire en 2017. En avril 2020, Madame [D] [V] a saisi le conseil de prud’hommes de Nancy, alléguant une exposition à des fibres d’amiante dans le magasin TATI, et demandant une indemnisation de 20 000 euros pour préjudice d’anxiété. La société SELAFA MJA, mandataire liquidateur, a soulevé une exception d’incompétence et a demandé la prescription des demandes. Le 5 juin 2023, le conseil de prud’hommes a rejeté l’exception d’incompétence mais a déclaré l’action de Madame [D] [V] irrecevable pour cause de prescription. Elle a interjeté appel le 6 juillet 2023. Dans ses conclusions, elle demande la réformation du jugement, la reconnaissance de son exposition à l’amiante, et la fixation de sa créance au passif de la liquidation. Le CGEA-AGS et la société SELARL ASTEREN demandent la confirmation du jugement de première instance et le déboutement de Madame [D] [V] de ses demandes.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
PH
DU 05 SEPTEMBRE 2024
N° RG 23/01464 – N° Portalis DBVR-V-B7H-FGOO
Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de NANCY
05 juin 2023
COUR D’APPEL DE NANCY
CHAMBRE SOCIALE – SECTION 2
APPELANTE :
Madame [D] [V]
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représentée par Me Cédric DE ROMANET DE BEAUNE de la SELARL TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE ANDREU ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉES :
S.E.L.A.R.L. ASTEREN , venant aux droits de la SELAFA MJA,prise en la personne de Maître [Z] [M] et de Maître [U] [Y], es-qualité de Co Liquidateur Judiciaire de la Société LILNAT venant aux droits de la Société TATI DEVELOPPEMENT
[Adresse 2]
[Localité 8]
Représentée par Me Catherine LAUSSUCQ substituée par Me LHERMENAULT, avocates au barreau de PARIS
Association UNEDIC (DÉLÉGATION AGS, CGEA D’ILE DE FRANCE OUEST ) Association soumise à la loi du 1er juillet 1901, SIRENE 775 671 878, agissant en la personne de son représentant légal,
[Adresse 3]
[Localité 7]
Représentée par Me Eric FILLIATRE de la SELARL FILOR AVOCATS, substitué par Me CLEMENT-ELLES,avocats au barreau de NANCY
Association UNEDIC (DÉLÉGATION AGS, CGEA D’ILE DE FRANCE EST) Association soumise à la loi du 1er juillet 1901, SIRENE 775 671 878, agissant en la personne de son représentant légal,
[Adresse 3]
[Localité 7]
Représentée par Me Eric FILLIATRE de la SELARL FILOR AVOCATS, substitué par Me CLEMENT-ELLES,avocats au barreau de NANCY
Maître [G] [E] Es qualité de Commissaire à l’exécution du plan de la Société TATI SA, et agissant pour le compte de laSELARL FHBX
[Adresse 4]
[Localité 5]
Ni comparante ni représentée
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats et du délibéré,
Président : WEISSMANN Raphaël,
Conseillers : BRUNEAU Dominique,
STANEK Stéphane,
Greffier lors des débats : RIVORY Laurène
DÉBATS :
En audience publique du 14 Mars 2024 ;
L’affaire a été mise en délibéré pour l’arrêt être rendu le 04 Juillet 2024 ; par mise à disposition au greffe conformément à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ; puis à cette date le délibéré a été prorogé au 05 Septembre 2024 ;
Le 05 Septembre 2024, la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l’arrêt dont la teneur suit :
Madame [D] [V] a été engagée le 10 août 1984 sous contrat de travail à durée indéterminée, par la société SA TATI DEVELOPPEMENT, et était affectée au magasin de l’enseigne TATI, situé à [Localité 9].
Elle a été licenciée le 30 avril 2002.
La société SA TATI DEVELOPPEMENT a fait l’objet d’un plan de cession totale d’activité et a été rachetée par la société SAS LILNAT du groupe ERAM, le 04 février 2013, avec laquelle elle a fusionnée.
Par jugement du tribunal de commerce de Bobigny rendu le 20 juillet 2017, la société SAS LILNAT a été placée en liquidation judiciaire, avec la désignation de la société SELAFA MJA, prise en la personne de Maître [M] et de Maître [Y], en qualité de mandataires liquidateurs.
Par requête du 03 avril 2020, Madame [D] [V] a saisi le conseil de prud’hommes de Nancy, aux fins de dire qu’elle a été exposée à l’inhalation de fibres d’amiante au sein du magasin de l’enseigne TATI situé à Nancy dans des conditions constitutives d’un manquement à l’obligation contractuelle de sécurité de résultat de son employeur.
A titre principal, elle demande :
– de fixer sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la société SAS LILNAT, venant aux droits de la société SA TATI DEVELOPPEMENT à la somme de 20 000,00 euros en réparation du préjudice d’anxiété (comprenant l’inquiétude permanente et le bouleversement dans les conditions d’existence) qu’elle a subi,
*
Subsidiairement :
– de fixer la créance au passif de la liquidation judiciaire de la société SA TATI DEVELOPPEMENT à la somme de 20 000,00 euros en réparation du préjudice d’anxiété (comprenant l’inquiétude permanente et le bouleversement dans les conditions d’existence) qu’elle a subi,
*
En tout état de cause :
– de déclarer le jugement de plein droit opposable au CGEA-AGS dans les conditions prévues à l’article L.3253-6 et suivants du code du travail,
– de dire que le CGEA-AGS garantira les créances dans les conditions de l’article L.3253-15 du code du travail et qu’il devra avancer « les sommes correspondant à des créances établies par décision de justice exécutoire »,
A titre reconventionnel, la société SELAFA MJA, prise en la personne de Maître [M] et de Maître [Y], en qualité de mandataires liquidateurs la société SAS LILNAT, soulève l’exception d’incompétence du conseil de prud’hommes de Nancy au profit du Pôle Social du tribunal judiciaire de Nancy, outre la demande en constatation de l’irrecevabilité des demandes des salariés pour prescription.
Vu le jugement du conseil de prud’hommes de Nancy rendu le 05 juin 2023, lequel a :
– rejeté l’exception d’incompétence de la juridiction prud’homale,
– déclaré l’action en indemnisation de Madame [D] [V] irrecevable car prescrite,
– débouté la société SELAFA MJA, prise en la personne de Maître [M] et de Maître [Y] en qualité de mandataires liquidateurs la société SAS LILNAT, de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– dit que chaque partie converse ses propres dépens,
– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraire.
Vu l’appel formé par Madame [D] [V] le 06 juillet 2023,
Vu l’article 455 du code de procédure civile,
Vu les conclusions de Madame [D] [V] déposées sur le RPVA le 05 octobre 2023, celles du CGEA-AGS déposées sur le RPVA le 26 décembre 2023, et celles de la société SELARL ASTEREN, prise en la personne de Maître [M] et de Maître [Y] déposées sur le RPVA le 20 octobre 2023,
Maître [G] [E], en qualité de mandataire exécuteur au plan de cession d’activité de la société SA TATI DEVELOPPEMENT, n’est pas représentée à l’instance,
Vu l’ordonnance de clôture rendue le 07 février 2024,
Madame [D] [V] demande :
– de réformer, en toutes ses dispositions, chacune des décisions du conseil de prud’hommes de Nancy rendues le 05 juin 2023,
Statuant à nouveau :
– de prononcer la recevabilité de son action,
– de décider qu’elle a été exposée à l’inhalation de fibres d’amiante au sein du magasin à l’enseigne TATI situé à [Localité 9] dans des conditions constitutives d’un manquement à l’obligation contractuelle de sécurité de prévention de leur employeur,
*
A titre principal :
– de fixer sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la société SAS LILNAT venant aux droits de la société SA TATI DEVELOPPEMENT, à la somme de 20 000,00 euros en réparation du préjudice d’anxiété lié à son exposition au risque de l’amiante,
*
A titre subsidiaire :
– de fixer sa créance des salariés au passif de la liquidation judiciaire de la société SA TATI DEVELOPPEMENT en réparation du préjudice d’anxiété lié à son exposition au risque de l’amiante à la somme de 20 000,00 euros,
*
En tout état de cause :
– de déclarer le jugement de plein droit opposable à l’association UNEDIC CGEA-AGS dans les conditions prévues à l’article L.3253-6 et suivants du code du travail,
– de dire que l’association UNEDIC CGEA-AGS garantira les créances dans les conditions de l’article L.3253-15 du code du travail ; qu’elle devra avancer « les sommes correspondant à des créances établies par décision de justice exécutoire »,
Le CGEA-AGS demande :
A titre principal :
– de confirmer le jugement entrepris par le conseil de prud’hommes de Nancy en ce qu’il a déclaré l’action de Madame [D] [V] irrecevable car prescrite et en conséquence l’a déboutée de l’ensemble de ses demandes,
*
A titre subsidiaire,
– de dire et juger qu’il n’a pas à garantir les demandes de Madame [D] [V],
– de le mettre hors de cause
– de dire et juger que Madame [D] [V] ne rapporte pas la preuve d’un risque grave de développer une pathologie liée à l’amiante,
– de dire et juger que Madame [D] [V] ne rapporte pas la preuve d’un préjudice d’anxiété,
– en conséquence, de débouter Madame [D] [V] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
*
A titre infiniment subsidiaire :
– de lui donner acte des limites légales et jurisprudentielles de sa garantie,
*
En tout état de cause :
– de lui donner acte des limites légales et jurisprudentielles de leur garantie,
– de mettre à la charge de tout autre que le CGEA-AGS les entiers frais et dépens de l’instance.
La société SELARL ASTEREN, prise en la personne de Maître [M] et de Maître [Y], demande :
– de confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Nancy en date du 05 juin 2023, en ce qu’il a jugé l’action en indemnisation de Madame [D] [V] irrecevable car prescrite,
*
Dans tous les cas :
– de débouter Madame [D] [V] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
– de condamner Madame [D] [V] à verser à une somme de 2 000,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– subsidiairement, dans l’hypothèse d’une éventuelle fixation de créance au passif de la liquidation judiciaire de la société SAS LILNAT, de juger que le CGEA-AGS devra sa garantie,
– de condamner chacun des salariés aux entiers dépens.
Pour plus ample exposé sur les moyens et prétentions des parties, il sera expressément renvoyé aux dernières conclusions de Madame [D] [V] déposées sur le RPVA le 05 octobre 2023, de celles du CGEA-AGS déposées sur le RPVA le 26 décembre 2023, et de celles de la société SELARL ASTEREN, prise en la personne de Maître [M] et de Maître [Y] déposées sur le RPVA le 20 octobre 2023.
Sur le préjudice d’anxiété :
Madame [D] [V] fait valoir que le « Rapport de repérage des matériaux et produits contenant de l’amiante », réalisé 22 mai 2006, dans le magasin qui l’employait, a mis en exergue la présence importante de fibres d’amiante et que le « Rapport de vérification des mesures de concentration en fibres d’amiante dans l’air », réalisées du 8 au 11 mars 2006, a montré une concentration en fibres d’amiante de 38,6 et 40,1 fibres par litre d’air dans la réserve du magasin où elle était souvent amenée à se rendre, notamment pour déjeuner.
Elle indique que ces meures étaient huit fois supérieures aux cinq fibres maximum par litre d’air préconisées par le code de la santé publique de l’époque ; que notamment le décret n°77-949, relatif aux mesures particulières d’hygiène applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l’action des poussières d’amiante, du 17 août1977, faisait obligation à son employeur de veiller à ce que « la concentration moyenne en fibres d’amiante de l’atmosphère inhalée par un salarié pendant sa journée de travail ne doit pas dépasser deux fibres par centimètre cube ».
Madame [D] [V] expose ainsi que son employeur a manqué, vis-à-vis d’elle, à son obligation de sécurité, en l’exposant à l’inhalation d’amiante dans des quantités dangereuses pour sa santé.
Elle fait valoir que depuis qu’elle a eu connaissance de son exposition à l’amiante, substance cancérigène, elle ressent une inquiétude permanente de développer une maladie liée à cette exposition.
Madame [D] [V] réclame au titre du préjudice d’anxiété qu’elle dit ainsi subir, la somme de 20 000 euros.
L’employeur fait valoir que Madame [D] [V] ne démontre pas avoir été exposée à un risque élevé de développer une maladie grave liée à l’amiante ; qu’elle ne présente aucun élément en ce sens ; que notamment l’attestation du médecin du travail fait état d’une « exposition passive » et ne mentionne pas de risque grave de développer une pathologie grave ; que la seule exposition au risque créé par une substance nocive ou toxique n’est pas suffisante pour caractériser la reconnaissance du préjudice d’anxiété ; que l’employeur a pris les mesures nécessaires de prévention en procédant au désamiantage du site ; que Madame [D] [V] ne démontre pas qu’elle souffre d’anxiété ; que les attestations qu’elle produit en ce sens sont sujettes à caution en ce qu’elles émanent de membres de sa famille et d’autres salariées, qui demandent également la réparation de leur préjudice d’anxiété.
Le CGEA-AGS fait également valoir que le préjudice d’anxiété n’est pas caractérisé en ce que Madame [D] [V] ne démontre pas avoir un risque élevé de développer une pathologie grave en raison de son exposition à l’amiante.
Les intimés font également valoir que l’action de Madame [D] [V] est, en tout état de cause, prescrite.
Motivation :
– sur la prescription :
Le point de départ du délai de prescription de l’action par laquelle un salarié demande à son employeur, auquel il reproche un manquement à son obligation de sécurité, réparation de son préjudice d’anxiété, est la date à laquelle le salarié a eu connaissance du risque élevé de développer une pathologie grave résultant de son exposition à une substance nocive.
Dès lors, au vu de l’article 784 du code de procédure civile, avant d’examiner l’éventuelle prescription de l’action de Madame [D] [V], il convient de déterminer si la salariée a été exposée à un risque élevé de développer une pathologie grave résultant de son exposition à l’amiante.
– sur le fond :
Le préjudice d’anxiété est constitué par les troubles psychologiques qu’engendre la connaissance par le salarié du risque élevé de développer une pathologie grave.
La caractérisation d’un préjudice d’anxiété nécessite donc, dans un premier temps, que le salarié apporte la preuve de son exposition à une substance nocive générant un risque élevé de développer une pathologie grave, et seulement dans un second temps, qu’il apporte la preuve de son état d’anxiété.
Pour établir l’existence de son préjudice d’anxiété, Madame [D] [V] doit donc au préalable justifier d’une exposition à l’amiante générant un risque élevé de développer une pathologie grave.
Si le « Rapport de vérification de la concentration dans en fibres d’amiante » du 22 mars 2006 produit par la salariée (pièce n° PSE 4) conclut à une présence d’amiante dans l’air, à l’intérieur de la réserve, « largement supérieure à 5 fibres par litre » et conclut à la nécessité de travaux de désamiantage, il ne donne aucune indication sur le niveau de risque, pour les salariés ayant fréquenté cette réserve, de développer une maladie grave.
Il en est de même du « Rapport de repérage des matériaux et produits contenant de l’amiante » produit en pièce n° PSE 5.
En l’espèce, la seule pièce objective produite par Madame [D] [V] s’agissant de son niveau d’exposition personnelle à l’amiante, dans l’établissement dans lequel elle travaillait, est l’ « attestation d’exposition à l’amiante » que lui a adressée le médecin du travail, le 21 mars 2018 (pièce n° PSV 4).
Ce document indique que Madame [D] [V] a été exposée à l’amiante, de 1987 à 2006, de façon « passive », en raison de la dégradation des revêtements floqués des murs de la réserve ; que dans cette réserve le taux d’amiante était de 38,8 et 40,1 fibres par litre d’air ; que cette exposition est qualifiée d’ « intermédiaire ».
Il n’indique pas que l’exposition de Madame [D] [V] à l’amiante générait un risque élevé de développer une pathologie grave.
En conséquence, elle sera déboutée de sa demande de dommages et intérêt au titre du préjudice d’anxiété, sans qu’il soit besoin d’examiner la prescription de son action.
Sur l’article 700 du code de procédure civile et sur les dépens :
Les parties seront déboutées de leurs demandes respective au titre des frais irrépétibles.
Madame [D] [V] sera condamnée aux dépens.
La Cour, chambre sociale, statuant par arrêt réputé contradictoire, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,
INFIRME le jugement du conseil de prud’hommes de Nancy en ce qu’il a dit l’action de Madame [D] [V] irrecevable car prescrite ;
STATUANT A NOUVEAU
Déboute Madame [D] [V] de sa demande de dommages et intérêts au titre du préjudice d’anxiété ;
Y AJOUTANT
Met hors de cause le CGEA-AGS Île de France OUEST et Île de France Est,
Déboute la SELARL ASTEREN, prise en la personne de Maître [Z] [M] et Maître [U] [Y], désignés es qualité de co-Liquidateurs de la Société LILNAT, l’UNEDIC IDF OUEST,l’ UNEDIC IDF EST et Madame [D] [V] de leurs demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne Madame [D] [V] aux dépens.
Ainsi prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Et signé par Monsieur Raphaël WEISSMANN, Président de Chambre, et par Madame Laurène RIVORY, Greffier.
LE GREFFIER LE PRESIDENT DE CHAMBRE
Minute en huit pages