Expertise judiciaire et sursis à statuer : enjeux et procédures dans un litige de construction

·

·

Expertise judiciaire et sursis à statuer : enjeux et procédures dans un litige de construction

M. [D] et Mme [E] ont signé un contrat de construction pour une maison individuelle le 27 septembre 2021, avec réception de l’ouvrage sans réserves le 17 mars 2023. Ils ont ensuite constaté des fissures et ont assigné la Sas Accessis devant le tribunal judiciaire de Toulouse le 14 mars 2024, demandant une expertise judiciaire et des indemnités. La Sas Accessis a appelé en cause ses assureurs, la Sa Mma Iard et la Sa Mma Iard Assurances Mutuelles, le 19 avril 2024.

Le 19 juin 2024, M. [D] et Mme [E] ont demandé une expertise judiciaire et un sursis à statuer. La Sas Accessis a accepté l’expertise tout en émettant des réserves. Les assureurs ont également exprimé leur accord pour l’expertise tout en réservant leurs droits. Le juge a ordonné une expertise judiciaire, désignant un expert pour examiner les désordres, leur nature, leurs causes, et les travaux nécessaires pour y remédier. L’expert doit rendre son rapport dans un délai de neuf mois et les parties doivent fournir les documents requis. Un montant de 3 000 euros doit être consigné par M. [D] et Mme [E] pour couvrir les frais d’expertise. Le dossier a été renvoyé à l’audience de mise en état pour suivre l’avancement de l’expertise.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

17 octobre 2024
Tribunal judiciaire de Toulouse
RG
24/01590
ORDONNANCE DU : 17 Octobre 2024
DOSSIER : N° RG 24/01590 – N° Portalis DBX4-W-B7I-SYRC
NAC:54G

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE TOULOUSE
POLE CIVIL – Fil 1

ORDONNANCE DU 17 Octobre 2024
(Expertise / Sursis à statuer)

Madame KINOO, Juge de la mise en état

Madame CHAOUCH, Greffier

DEBATS : à l’audience publique du 19 Septembre 2024, les débats étant clos, l’affaire a été mise en délibéré au 17 Octobre 2024, date à laquelle l’ordonnance est rendue.

DEMANDEURS

M. [O] [D]
né le 14 Février 1967 à [Localité 15], demeurant [Adresse 9]

Mme [Y] [E]
née le 20 Mars 1974 à [Localité 11], demeurant [Adresse 9]

représentés par Maître Emmanuel GILLET de la SCP CARCY-GILLET, avocats au barreau de TOULOUSE, vestiaire : 54

DEFENDERESSES

S.A.S. ACCESSIS, dont le siège social est sis [Adresse 8]
représentée par Me Dominica DE BELSUNCE, avocat au barreau de TOULOUSE, vestiaire : 164

Compagnie d’assurance MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES, dont le siège social est sis [Adresse 5]

Compagnie d’assurance MMA IARD, dont le siège social est sis [Adresse 5]

représentées par Maître Pierre JOURDON de la SCP BARBIER ET ASSOCIES, avocats au barreau de TOULOUSE, vestiaire : 107

EXPOSE DU LITIGE

M. [D] et Mme [E] ont conclu le 27 septembre 2021 un contrat de construction de maison individuelle sur un terrain sis [Adresse 9] à [Localité 13] (31).

La réception de l’ouvrage a été prononcée sans réserves le 17 mars 2023.

Se plaignant de désordres de type fissurations affectant l’ouvrage en plusieurs endroits, M. [D] et Mme [E] ont, par acte du 14 mars 2024 fait assigner la Sas Accessis, devant le tribunal judiciaire de Toulouse aux fins de voir cette juridiction :
– avant dire droit, ordonner une expertise judiciaire,
– au fond, condamner la Sas Accessis à les indemniser pour le préjudice subi,
– dire qu’il n’y a pas lieu d’écarter l’exécution provisoire de droit du jugement à intervenir,
– condamner la Sas Accessis à leur payer une indemnité de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la même partie aux entiers dépens de l’instance lesquels comprendront les frais d’expertise judiciaire avec distraction de droit au profit de la Scp Carcy Gillet, Avocats à la Cour en vertu de l’article 699 du code de procédure civile.

Par actes du 19 avril 2024, la Sas Accessis a fait appeler en cause la Sa Mma Iard et la Sa Mma Iard Assurances Mutuelles, ses assureurs.

L’appel en cause a été joint à l’affaire principale par ordonnance du juge de la mise en état du 21 mai 2024.

L’incident

Par conclusions d’incident notifiées le 19 juin 2024, M. [D] et Mme [E] demandent au juge de la mise en état d’ordonner une expertise judiciaire et ordonner le sursis à statuer dans l’attente du dépôt du rapport de l’expert désigné.

En réponse, suivant conclusions notifiées le 22 juillet 2024, la Sas Accessis demande au juge de la mise en état de :
– lui donner acte de ce qu’elle ne s’oppose pas à la mesure d’expertise sollicitée,
– lui donner acte de ses plus expresses protestations et réserves d’usage.
– ajouter à la mission proposée de l’expert à désigner qu’il dise par rapport au projet de protocole établi le 28.02.2024 si des travaux avaient déjà effectivement été réalisés et dans
l’affirmative lesquels,
– surseoir à statuer au fond dans l’attente du dépôt du rapport d’expertise judiciaire.

Pour leur part, au terme de leurs conclusions d’incident notifiées le 17 septembre 2024, les Mma demandent au juge de la mise en état de :
– donner acte aux MMA de ce qu’elles ne s’opposent pas à la mesure d’instruction sollicitée,
– leur donner cependant acte de leurs plus expresses protestations et réserves quant à la mobilisation de leurs garanties,
– ordonner un sursis à statuer dans l’attente du dépôt du rapport d’expertise judiciaire.

MOTIFS

Sur la demande d’expertise

L’article 789 du code de procédure civile dispose que le juge de la mise en état est, à compter de sa désignation et, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour : (…)
5° Ordonner, même d’office, toute mesure d’instruction.
Il appartient au juge de s’assurer souverainement que la mesure correspond à un juste motif dont la pertinence se trouve dans l’établissement d’une preuve dont la production est susceptible d’influer sur la solution du litige, concernant des prétentions qui, dans leurs fondements, ne doivent pas apparaître comme manifestement irrecevables ou vouées à l’échec.

En l’espèce, M. [D] et Mme [E] produisent dans ce cadre des justificatifs suffisants (rapport d’expertise non judiciaire du 27 février 2024 de la Sarl Axyss Expertise, mandatée par leur assureur protection judirique) établissant les éléments de fait et de droit du litige et la nécessité de l’expertise demandée qui, en tout état de cause, rejoint l’intérêt de chacune des parties dans la perspective d’une défense loyale de leurs droits respectifs, sans préjudicier au fond.

Une mesure d’expertise sera donc ordonnée aux frais avancés des demandeurs qui y ont intérêt.

Sur la demande de sursis à statuer

Les parties justifient d’un intérêt légitime à voir prononcer un sursis à statuer, les opérations d’expertise ordonnées par la présente décision étant essentielles à la solution du litige.

Il sera en conséquence fait droit à la demande de sursis à statuer dans l’attente des conclusions définitives de l’expert désigné.

Sur les frais de l’incident

Les dépens de l’incident seront joints à ceux de l’instance au fond.

Enfin, il y a lieu d’ordonner le renvoi du dossier à une audience de mise en état électronique.

PAR CES MOTIFS

Le juge de la mise en état, statuant publiquement, par ordonnance contradictoire insusceptible d’appel sauf autorisation du premier président de la cour d’appel de Toulouse s’il est justifié d’un motif grave et légitime, prononcée par mise à disposition au greffe,

Ordonne une mesure d’expertise judiciaire

Commet pour y procéder

M. [G] [V]
[Adresse 6]
[Localité 15]
Tél : [XXXXXXXX02] Fax : [XXXXXXXX01]
Port. : [XXXXXXXX04] Mèl : [Courriel 14]

ou, en cas d’indisponibilité,

Mme [S] [C]
[Adresse 10]
[Localité 7]
Port. : [XXXXXXXX03]

Avec mission de :
– prendre connaissance de tous documents utiles à l’accomplissement de sa mission, des conventions intervenues entre les parties,
– visiter les lieux en présence des parties dûment convoquées, leurs conseils avisés;
– vérifier le cadre administratif, réglementaire et contractuel dans lequel la situation est intervenue ainsi que les conditions d’assurance,
– décrire l’état d’avancement des travaux,
– rechercher s’il y a eu réception, selon quelles modalités et dire s’il y a eu des réserves en précisant leur suivi,
– décrire les ouvrages,
– dire si les travaux effectués par les divers intervenants sont conformes quantitativement et qualitativement aux engagements contractuels pris et s’ils sont achevés,
– dire si l’immeuble présente les désordres et malfaçons précisément invoqués dans l’assignation et le rapport de la Sarl Axyss du 27 février 2024 ou tout document de renvoi à l’exclusion de tous autres non définis,
– dans l’affirmative, en indiquer la nature et l’étendue en précisant s’ils peuvent compromettre la stabilité ou la solidité de l’immeuble ou le rendre impropre à l’usage auquel il est destiné en l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement,
– dire quelles sont les causes de ces désordres et malfaçons en précisant s’ils sont imputables à une erreur de conception, à une faute d’exécution, à la mauvaise qualité des matériaux mis en œuvre, à une erreur d’utilisation de l’ouvrage, à un défaut d’entretien par son propriétaire, ou à toute autre cause qui sera indiquée, notamment une catastrophe naturelle reconnue par l’administration,
– dans l’hypothèse d’un caractère évolutif des désordres, préciser à quel terme et dans quelle mesure l’ouvrage sera affecté,
– dire si les désordres et malfaçons identifiés sont apparus avant ou après la réception de l’ouvrage et s’ils étaient ou non apparents lors de la réception,
– rechercher tous les éléments techniques qui permettront à telle juridiction de déterminer les responsabilités respectives éventuellement encourues,
– indiquer les travaux nécessaires pour remédier aux désordres, malfaçons ou non conformités, en apprécier le coût et la durée d’exécution au vu des devis remis par les parties ; dire si les travaux mentionnés dans le protocole d’accord signé le 28 février 2024 ont été exécutés ;
– préciser si après exécution des travaux de remise en état, les locaux seront affectés d’une moins-value et la quantifier dans l’affirmative,
– indiquer les préjudices éventuellement subis,
– présenter les éléments chiffrés permettant l’apurement des comptes entre parties

A l’issue de la première réunion d’expertise sur les lieux, rédiger une note succincte :
– en indiquant les premières constatations opérées, les questions à traiter et notamment les
travaux confortatifs urgents
– énumérant les travaux de remise en l’état sans incidence sur le déroulement de l’expertise,
– donnant un premier avis, non définitif, sur l’existence, la nature, les causes de désordres ainsi qu’une première approximation du coût des éventuels frais de remise en conformité,

Dit que l’expertise sera exécutée sous le contrôle du juge du tribunal judiciaire de Toulouse chargé de contrôler les mesures d’instruction, à qui il sera référé en cas de difficulté,

Rappelle à l’expert qu’il doit, dès sa saisine, adresser au greffe de la juridiction l’acceptation de sa mission et un engagement d’impartialité, et dire si la mission rentre dans ses compétences. Tout refus ou tout motif d’empêchement devra faire l’objet d’un courrier circonstancié, adressé dans les 8 jours de sa saisine,

Demande à l’expert de s’adresser à la boîte structurelle de la juridiction dédiée à l’expertise ([Courriel 12]),

Indique à l’expert qu’il devra procéder à la première réunion dans un délai maximum de 45 jours, à charge pour les parties de lui adresser spontanément leurs pièces et conclusions. Pour les dossiers complexes, et obligatoirement en matière de construction, patrimoniale ou comptable, l’expert adressera à son issue au juge chargé de la surveillance des expertises, une fiche récapitulative établie et adressée en la forme simplifiée, reprenant tous les points ci-dessous visés, en vue d’assurer un déroulement efficace de ses opérations,

Invite instamment les parties à adresser, spontanément et dans les délais les plus brefs, et dès avant la première réunion, à l’expert les pièces répertoriées suivant bordereau d’accompagnement,

Par ailleurs au titre du respect du contradictoire, et afin que les parties soient clairement informées des pièces versées au débat et qu’elles puissent vérifier sans difficulté ni confusion qu’elles sont bien en possession de celles-ci, demande que toutes les pièces transmises soient obligatoirement numérotées en continu (1, 2, 3, etc.) et accompagnées d’un bordereau de transmission les listant précisément. Les pièces transmises par voie électronique sur la plateforme OPALEXE, comme celles diffusées par courrier postal, sont à numéroter en continu et à nommer au niveau de leur intitulé (Exemple : Pièce n°1 + « nom de la pièce » ou P1 + « nom de la pièce » avec une pièce correspondant à un document PDF) et accompagnées d’un bordereau de transmission au format PDF,

Ordonne par ailleurs en tant que de besoin la communication de renseignements et le versement de toutes pièces utiles à l’expertise judiciaire, détenus par des tiers ou organismes de gestion, et notamment en application de l’article L 143 du livre des procédures fiscales,

Fixe à l’expert un délai maximum de NEUF MOIS à compter de sa saisine (date figurant sur l’avis de consignation du greffe) pour déposer son rapport accompagné seulement des pièces complémentaires recueillis par ses soins ou auprès de tiers, sauf prorogation accordée,

Ordonne à M. [D] et Mme [E], de consigner au greffe du tribunal une somme de 3 000 euros dans le mois de l’avis d’appel de consignation notifié par le greffe (sauf à justifier qu’ils sont bénéficiaires de l’aide juridictionnelle), sous peine de caducité de la présente désignation conformément à l’article 271 du code de procédure civile. Il est rappelé que l’avance des frais ne préjuge pas de la charge finale du coût de l’expertise qui peut incomber à l’une ou l’autre des parties en la cause,

Indique que l’expert, dès la première réunion indiquera sans délai aux parties le calendrier de ses opérations, le coût prévisible de sa mission sous réserve de l’évolution de celle-ci et de la décision finale du juge taxateur ainsi que le coût d’un recours éventuel à un sapiteur ou/et à des investigations techniques. Il devra au fur et à mesure de sa mission solliciter les provisions nécessaires à fin que celles-ci soient le plus proche possible du coût final,

Dit que l’expert devra procéder dans le respect absolu du principe du contradictoire, établir un inventaire des pièces introduites entre ses mains ainsi que des documents utilisés dans le cadre de sa mission et répondre aux dires que les parties lui communiqueront en cours d’expertise ou avant le dépôt du rapport final, dans le cadre du pré-rapport qu’il établira de façon systématique, éventuellement en la forme dématérialisée pour éviter un surcoût, en rappelant aux parties qu’elles sont irrecevables à faire valoir des observations au-delà du délai fixé,

Rappelle que selon l’article 276 du code de procédure civile : “Lorsque l’expert a fixé aux parties un délai pour formuler leurs observations ou réclamations, il n’est pas tenu de prendre en compte celles qui auraient été faites après l’expiration de ce délai, à moins qu’il n’existe une cause grave et dûment justifiée, auquel cas, il en fait rapport au juge. Lorsqu’elles sont écrites, les dernières observations ou réclamations des parties doivent rappeler sommairement le contenu de celles qu’elles ont présentées antérieurement. A défaut, elles sont réputées abandonnées par les parties. L’expert doit faire mention, dans son avis, de la suite donnée aux observations ou réclamations présentées”,

Demande à l’expert de vérifier le contenu de sa mission, la qualité des parties et des intervenants aux opérations ainsi que la nécessité de provoquer dans les plus brefs délais la mise en cause éventuelle d’autres acteurs, à la diligence des parties, sous le contrôle, le cas échéant, du magistrat chargé de la surveillance des expertises. Ce magistrat sera notamment informé de toutes difficultés affectant le bon déroulement de la mesure. Il accordera, à titre exceptionnel, toute prorogation du délai imparti sur demande motivée de l’expert. Le magistrat fixera, s’il y a lieu, toute provision complémentaire. Il sera saisi de toute demande particulière conditionnant, au niveau matériel ou financier, la poursuite de l’expertise. Il décidera aussi, saisi sur incident et après note spéciale de l’expert, de l’exécution de travaux urgents, au besoin pour le compte de qui il appartiendra,

Autorise l’expert, en vertu de l’article 278 du code de procédure civile, à s’adjoindre tout technicien ou homme de l’art, distinct de sa spécialité,

Rappelle que l’expert n’autorise aucun travaux de reprise, sauf urgence, après débats éventuels devant le juge chargé du suivi des expertises ou de la mise en état, selon le cas,

Souligne qu’il n’entre pas dans la mission de l’expert de diriger ou de contrôler l’exécution des travaux dont la bonne fin est réceptionnée conformément au cadre légal. Dans le but de limiter les frais d’expertise, invitons les parties, pour leurs échanges contradictoires avec l’expert et la communication des documents nécessaires à la réalisation de la mesure, à utiliser la voie dématérialisée via l’outil OPALEXE. Cette utilisation se fera dans le cadre déterminé par le site http://www.certeurope.fr et sous réserve de l’accord exprès et préalable de l’ensemble des parties conformément à la charte OPALEXE de la cour d’appel de Toulouse,

Invite le demandeur à communiquer sans délai à l’expert une version numérisée de son assignation,

Sursoit à statuer dans l’attente du dépôt du rapport de l’expertise ci-dessus ordonnée,

Dit que les dépens de l’incident seront joints à ceux de l’instance au fond,

Ordonne le renvoi du dossier à l’audience de mise en état électronique du jeudi 15 mai 2025 pour assurer le suivi du dossier, à charge pour les conseils des parties de tenir le juge de la mise en état informé de l’état d’avancement des opérations d’expertise.

Le greffier, Le juge de la mise en état,


0 0 votes
Je supporte LegalPlanet avec 5 étoiles
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x