Exclusivité : 7 mars 2017 Cour de cassation Pourvoi n° 15-14.638

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Exclusivité : 7 mars 2017 Cour de cassation Pourvoi n° 15-14.638
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7 mars 2017
Cour de cassation
Pourvoi n°
15-14.638

SOC.

MY1

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 7 mars 2017

Rejet

M. FROUIN, président

Arrêt n° 336 FS-D

Pourvoi n° W 15-14.638

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par l’institution AG2R Réunica prévoyance, anciennement AG2R prévoyance, dont le siège est [Adresse 1],

contre l’arrêt rendu le 18 décembre 2014 par la cour d’appel de Pau (1re chambre), dans le litige l’opposant :

1°/ à la société Boulangerie pâtisserie Larrieu, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3],

2°/ à la société Boulangerie pâtisserie Blanchard, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2],

3°/ à la société Boulangerie pâtisserie Graciet, société à responsabilité limitée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 4],

défenderesses à la cassation ;

La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, composée conformément à l’article R. 431-5 du code de l’organisation judiciaire, en l’audience publique du 17 janvier 2017, où étaient présents : M. Frouin, président, Mme Sabotier, conseiller référendaire rapporteur, M. Huglo, Mmes Geerssen, Lambremon, MM. Chauvet, Maron, Déglise, Mme Farthouat-Danon, M. Betoulle, Mmes Slove, Basset, conseillers, Mmes Salomon, Depelley, Duvallet, Barbé, M. Le Corre, Mmes Prache, Chamley-Coulet, conseillers référendaires, Mme Berriat, avocat général, Mme Hotte, greffier de chambre ;

Sur le rapport de Mme Sabotier, conseiller référendaire, les observations de Me Le Prado, avocat de l’institution AG2R prévoyance devenue AG2R Réunica prévoyance, de la SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat des sociétés Boulangerie pâtisserie Larrieu, Boulangerie pâtisserie Blanchard et Boulangerie pâtisserie Graciet, l’avis de Mme Berriat, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Pau, 18 décembre 2014), que les représentants des employeurs et des organisations syndicales représentatives des salariés du secteur de la boulangerie et de la boulangerie-pâtisserie, soumis à la convention collective nationale étendue des entreprises artisanales relevant de ce secteur, ont conclu, le 24 avril 2006, un avenant n° 83 à cette convention collective par lequel ils ont décidé de mettre en oeuvre un régime de remboursement complémentaire obligatoire des frais de santé pour les salariés entrant dans le champ d’application de ce secteur ; qu’AG2R prévoyance a été désignée aux termes de l’article 13 de cet avenant pour gérer ce régime et l’article 14 a imposé à toutes les entreprises entrant dans le champ d’application de l’avenant n° 83 de souscrire les garanties qu’il prévoit à compter du 1er janvier 2007 ; que l’accord a été étendu au plan national, par arrêté ministériel du 16 octobre 2006, à toute la branche de la boulangerie et de la boulangerie-pâtisserie ; qu’AG2R prévoyance a été désignée par les partenaires sociaux, pour une nouvelle durée de cinq ans, comme unique gestionnaire du régime, aux termes d’un avenant n° 100 du 27 mai 2011 étendu par arrêté du 23 décembre 2011 ; que les sociétés boulangerie pâtisserie Larrieu, boulangerie pâtisserie Blanchard et boulangerie pâtisserie Graciet, non adhérentes d’une organisation d’employeurs signataire de l’avenant, ayant refusé de s’affilier au régime géré par AG2R prévoyance, cette dernière a, par actes des 3 et 7 février 2012, saisi un tribunal de grande instance pour obtenir la régularisation de l’adhésion des sociétés et le paiement des cotisations dues pour l’ensemble de leurs salariés depuis le 1er janvier 2007 ; que par décision du 8 juillet 2016, le Conseil d’Etat a annulé l’article 6 de l’arrêté du 23 décembre 2011 ; que l’institution AG2R prévoyance est devenue AG2R Réunica prévoyance ;

Attendu que l’institution AG2R Réunica prévoyance fait grief à l’arrêt de rejeter ses demandes, alors, selon le moyen ;

1°/ qu’il appartient à celui qui invoque l’illicéité d’une clause de désignation et de migration d’un accord collectif d’en rapporter la preuve ; qu’en énonçant, pour rejeter les demandes d’AG2R prévoyance tendant à voir ordonner aux sociétés Boulangerie pâtisserie Larrieu, Pâtisserie Blanchard, et Pâtisserie Graciet de régulariser leur adhésion, rendue obligatoire par l’avenant numéro 83 à la Convention collective nationale de la boulangerie et de la boulangerie-pâtisserie, qu’elle ne justifiait pas d’éléments qui permettraient à la cour d’appel de vérifier le respect du droit communautaire au regard des critères relatifs au jeu de libre concurrence, la cour d’appel, qui a fait supporter à AG2R Prévoyance la charge de la preuve de la licéité des clauses de désignation et de migration, a ainsi inversé la charge de la preuve, en violation de l’article 1315 du code civil ;

2°/ que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a décidé, par un arrêt du 3 mars 2011, que l’affiliation obligatoire à un régime de remboursement complémentaire de frais de soins pour l’ensemble des entreprises du secteur concerné à un seul opérateur, sans possibilité de dispense, était conforme aux articles 102 et 106 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) ; que la Cour de justice de l’Union européenne a ainsi considéré que les clauses de désignation et de migration étaient valables au regard des règles de la libre concurrence ; qu’en décidant toutefois qu’il n’était pas justifié de la validité de ces clauses au regard du droit communautaire, et en réexaminant ainsi leur validité pourtant admise par la Cour de justice, la cour d’appel a violé l’article 267 TFUE ;

3°) que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a décidé, par un arrêt du 3 mars 2011, que l’affiliation obligatoire à un régime de remboursement complémentaire de frais de soins pour l’ensemble des entreprises du secteur concerné à un seul opérateur, sans possibilité de dispense, était conforme à l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) ; que la CJUE a jugé, par le même arrêt, que les articles 102 et 106 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ne s’opposaient pas à ce que les pouvoirs publics investissent, dans des circonstances telles que celles de l’affaire, un organisme de prévoyance du droit exclusif de gérer ce régime, sans aucune possibilité pour les entreprises du secteur d’activité concerné d’être dispensées de s’affilier audit régime ; que la Cour de justice de l’Union européenne a ainsi considéré que les clauses de désignation étaient valables, que l’organisme gestionnaire soit qualifié ou non d’entreprise ; que la cour d’appel a toutefois retenu qu’aux termes de l’arrêt du 3 mars 2011 rendu par la CJUE, la validité de la clause de désignation dépendait de la qualification d’entreprise d’AG2R Prévoyance, et donc des circonstances dans lesquelles elle avait été désignée et de la marge de négociation dont elle avait pu disposer quant aux modalités de son engagement et de la répercussion de ces éléments sur le mode de fonctionnement du régime concerné dans son ensemble ; qu’elle en a déduit qu’à défaut d’éléments lui permettant de se prononcer sur cette qualification, et partant, sur le respect du droit communautaire au regard des critères relatifs au jeu de la libre concurrence, ni sur les risques qu’AG2R Prévoyance pourrait encourir si elle était mise en concurrence avec d’autres organismes, elle n’était pas fondée à demander l’adhésion forcée des sociétés Boulangerie pâtisserie Larrieu, Pâtisserie Blanchard, et Pâtisserie Graciet ; qu’en statuant ainsi, quand la validité de la clause de désignation au regard des articles 102 et 106 TFUE n’était pas subordonnée à la qualification d’entreprise exerçant une activité économique de les sociétés Boulangerie pâtisserie Larrieu, Pâtisserie Blanchard, et Pâtisserie Graciet, la cour d’appel a violé les articles 102 et 106 du TFUE ;

4°/ que s’il était considéré que la cour d’appel avait retenu l’illicéité des clauses de désignation et de migration du fait qu’AG2R Prévoyance ne justifiait pas d’une mise en concurrence préalable, aucun texte n’impose que la désignation d’un organisme de prévoyance complémentaire prévue par une convention collective soit soumise à une mise en concurrence préalable ; qu’il en va ainsi fut-ce dans l’hypothèse où l’organisme de prévoyance complémentaire est qualifié d’entreprise ; qu’en considérant toutefois, pour juger illicite la clause de désignation prévue par l’avenant numéro 83 à la convention collective nationale des entreprises artisanales de la boulangerie et boulangerie pâtisserie, en date du 24 avril 2006, qu’AG2R Prévoyance ne justifiait pas d’une mise en concurrence préalable avec d’autres entreprises avec lesquelles elle est en concurrence sur le marché des services de prévoyance qu’elle propose, la cour d’appel a violé les articles 18, 56, 102 et 106 du TFUE ;

Mais attendu, d’abord, que la Cour de justice de l’Union européenne, dans son arrêt du 17 décembre 2015 (C-25/14 et C-26/14), a dit pour droit que c’est l’arrêté d’extension de l’accord collectif confiant à un unique opérateur, choisi par les partenaires sociaux, la gestion d’un régime de prévoyance complémentaire obligatoire au profit des salariés, qui a un effet d’exclusion à l’égard des opérateurs établis dans d’autres États membres et qui seraient potentiellement intéressés par l’exercice de cette activité de gestion ; qu’il apparaît que dans un mécanisme tel que celui en cause, c’est l’intervention de l’autorité publique qui est à l’origine de la création d’un droit exclusif et qui doit ainsi avoir lieu dans le respect de l’obligation de transparence découlant de l’article 56 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ; que par une décision du 8 juillet 2016, le Conseil d’Etat, considérant qu’il n’avait pas été précédé d’une publicité adéquate permettant aux opérateurs intéressés de manifester leur intérêt pour la gestion des régimes de prévoyance concernés avant l’adoption de la décision d’extension, a annulé l’article 6 de l’arrêté du 23 décembre 2011 en tant qu’il étend l’article 6 de l’avenant n° 100 du 27 mai 2011, à effet du 1er janvier 2017, sous réserve des actions contentieuses mettant en cause des actes pris sur son fondement engagées avant le 17 décembre 2015 ;

Attendu, ensuite, que s’agissant du droit de l’Union européenne, dont le respect constitue une obligation, tant en vertu du Traité sur l’Union européenne et du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne qu’en application de l’article 88-1 de la Constitution, il résulte du principe d’effectivité issu des dispositions de ces Traités, telles qu’elles ont été interprétées par la Cour de justice de l’Union européenne, que le juge national chargé d’appliquer les dispositions du droit de l’Union a l’obligation d’en assurer le plein effet en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire ; qu’à cet effet, il doit pouvoir, en cas de difficulté d’interprétation de ces normes, en saisir lui-même la Cour de justice à titre préjudiciel ou, lorsqu’il s’estime en état de le faire, appliquer le droit de l’Union, sans être tenu de saisir au préalable la juridiction administrative d’une question préjudicielle, dans le cas où serait en cause devant lui, à titre incident, la conformité d’un acte administratif au droit de l’Union européenne ; qu’il en résulte que l’arrêté du 16 octobre 2006 simplement précédé de la publicité prévue à l’article L. 133-14 du code du travail, alors applicable, qui ne peut être regardée comme ayant permis aux opérateurs intéressés de manifester leur intérêt pour la gestion des régimes de prévoyance concernés avant l’adoption de la décision d’extension, incompatible avec les règles issues du droit de l’Union tel qu’interprété par la Cour de justice de l’Union européenne, doit voir son application écartée en l’espèce ;

Que par ces motifs de pur droit substitués à ceux critiqués, après avis donné aux parties conformément aux dispositions de l’article 1015 du code de procédure civile, l’arrêt se trouve légalement justifié ;

 


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