Exclusivité : 6 septembre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/05268

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Exclusivité : 6 septembre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/05268
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6 septembre 2023
Cour d’appel de Paris
RG n°
21/05268

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 4

ARRET DU 06 SEPTEMBRE 2023

(n° 141 , 11 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 21/05268 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDKJZ

Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 Février 2021 – Tribunal de Commerce de Paris, 13ème chambre – RG n° 2019064006

APPELANTE

S.A.S. ENVIRONNEMENT GENERAL HYDRAULIQUE (E.G.H.) agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège

immatriculée au RCS de AIX-EN-PROVENCE sous le numéro 410 608 194

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représentée par Me Frédérique ETEVENARD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0065, avocat postulant

Assistée de Me Vincent CARADEC, avocat au barreau de Marseille, substituant Me Michel

MOATTI, avocat au barreau de Marseille, avocat plaidant

INTIMEE

Société XYLEM WATER SOLUTIONS MIDDLE EAST REGION FZCO, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

société de droit émirati, numéro de licence : 7733

[Adresse 4]

[Localité 2] (EMIRATS ARABES UNIS)

Représentée par Me Thierry SERRA, avocat au barreau de paris, toque : E0280, avocat postulant

Assistée de Me Marie PUIL, avocate au barreau de paris, avocat plaidant

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 30 Mai 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposé, devant Madame Sophie Depelley, conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Marie-Laure Dallery, présidente de la chambre 5.4

Madame Sophie Depelley, conseillère,

Monsieur Julien Richaud, conseiller,

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Monsieur Damien Govindaretty

ARRÊT :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Marie-Laure Dallery, présidente de chambre, et par Monsieur Maxime Martinez, greffier, auquel la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCEDURE

La société Environnement General Hydraulique (ci-après “la société EGH”) qui a une activité d’intermédiaire en commerce de machines hydrauliques, entretient depuis sa création en 1997 une relation commerciale avec des sociétés du groupe Xylem pour la commercialisation des produits du groupe au Maghreb et en Afrique francophone, cette relation ayant connu plusieurs modalités juridiques différentes comprenant une exclusivité.

Le 16 mars 2016, la société EGH a conclu avec la société Xylem Water Solutions Middle East Region FZCO (ci-après “la société Xylem”) un contrat de concession exclusive de 14 produits de marque Flygt à effet du 1er janvier 2015 pour une durée de 24 mois reconductible tacitement pour des périodes successives de 24 mois, sauf dénonciation, mais expirant de plein droit au terme de 5 ans suivant sa date d’effet.

Un autre contrat est signé le 21 juillet 2016 pour la distribution non-exclusive d’autres produits de marques du groupe Xylem.

Par lettre du 20 juin 2018, la société Xylem a informé la société EGH de son opposition à la reconduction tacite du contrat et lui a notifié la résiliation du contrat à son échéance au 31 décembre 2018, tout en précisant : “Toutefois, compte tenu de notre relation privilégiée, si vous le souhaitez, nous consentons à poursuivre nos relations commerciales sur une base exclusive jusqu’au 30 juin 2019, sans toutefois évidemment que cela puisse être considéré comme un nouveau contrat ou le renouvellement de l’ancien”.

S’en est suivi des échanges entre les parties au cours desquels la société Xylem a fait savoir à la société EGH qu’elle n’entendait plus poursuivre la relation contractuelle sur la base d’une exclusivité de la distribution des produits de marque Flygt.

Par lettre du 29 avril 2019, la société Xylem tout en confirmant son intention de continuer sa collaboration à partir du 1er juillet 2019 sur une base contractuelle différente, a proposé à partir du contrat de distribution existant une extension “de la période de préavis pour une durée de 6 mois supplémentaire soit jusqu’à la fin de l’année 2019 (..) pour continuer nos discussions et de finaliser les nouvelles règles de notre coopération à partir de 2020”.

Par lettre du 27 juin 2019, la société EGH a confirmé ne pouvoir accepter les exigences de la société Xylem visant à mettre fin à tout exclusivité à compter du 1er janvier 2020, mais a accepté de poursuivre le contrat du 16 mars 2016 jusqu’au 31 décembre 2019.

Estimant que la décision de la société Xylem de mettre fin à la relation d’exclusivité existant entre les parties depuis 23 années constituait une rupture brutale de la relation commerciale, la société EGH l’a assignée par acte du 29 août 2019 devant le tribunal de commerce de Paris aux fins d’obtenir diverses sommes, dont le paiement d’une amende de 5 millions d’euros, sur le fondement de l’article L.442-6, I du code de commerce dans sa version applicable au litige.

Par jugement du 22 février 2021, le tribunal de commerce de Paris a :

· Dit que la loi applicable est la loi française

· Dit que la demande d’amende est irrecevable

· Débouté EGH de sa demande au titre de l’article L442-6 I 5° du code de commerce

· Débouté Xylem de sa demande au titre de la procédure abusive

· Condamné la société EGH à payer à la société Xylem la somme de 10 000 euros par application des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile,

· Condamné la société EGH aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,01 euros dont 12,12 euros de TVA.

Par déclaration reçue au greffe de la Cour le 17 mars 2021, la société EGH a interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 4 avril 2023, la société EGH demande à la Cour de :

Vu les dispositions de l’article L 442-6-I du Code de Commerce,

· Infirmer le jugement du Tribunal de Commerce de Paris du 22 février 2021 en ce qu’il a débouté la Société ENVIRONNEMENT GENERAL HYDRAULIQUE de sa demande au titre de l’article L 442-6-1 5ème du Code de Commerce et l’a condamnée à payer une somme de 10.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Statuant à nouveau,

· Dire et Juger que le préavis eu égard à l’ancienneté des relations commerciales, leur intensité, l’obligation de non concurrence de la Société EGH, et la dépendance économique de la Société EGH, devait en l’espèce être de 46 mois.

· Constater que le préavis n’a été que de 6 mois,

· Condamner la Société XYLEM WATER SOLUTIONS MIDDLE EAST REGION FZCO, à payer à la Société ENVIRONNEMENT GENERAL HYDRAULIQUE la somme de 6.405.400 €, soit l’équivalent de 40 mois de marge,

· Condamner la Société XYLEM WATER SOLUTIONS MIDDLE EAST REGION FZCO, à payer à la Société ENVIRONNEMENT GENERAL HYDRAULIQUE la somme de 1.491.157 € au titre des préjudices complémentaires liés à la diminution des résultats des filiales et aux coûts des licenciements qui devront être exposés,

· Débouter la Société XYLEM WATER SOLUTIONS MIDDLE EAST REGION FZCO de toutes ses demandes fins et conclusions,

· Condamner la Société XYLEM WATER SOLUTIONS MIDDLE EAST REGION FZCO, à payer à la Société ENVIRONNEMENT GENERAL HYDRAULIQUE la somme de 10.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées 10 mai 2022, la société Xylem demande à la Cour de :

Vu l’article L 134-5 et l’ancien article L 442-6 du code de commerce,

Vu les articles 1102 et anciennement 1134 du code civil,

Vu l’ancien article L 112-6 alinéa 2 du code de la consommation,

Vu les articles 9, 32-1, 700 et l’ancien article 56 du code de procédure civile,

Il est demandé à la Cour d’appel de Paris de :

Confirmer le jugement du 22 février 2021 en ce qu’il :

· Déboute ENVIRONNEMENT GENERAL HYDRAULIQUE de sa demande au titre de l’article L 442-6 I 5° du code de commerce,

· Condamne ENVIRONNEMENT GENERAL HYDRAULIQUE à payer à XYLEM MIDDLE EAST la somme de 10 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

· Condamne ENVIRONNEMENT GENERAL HYDRAULIQUE aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,01 € dont 12,12 € de TVA.

Réformer le jugement du 22 février 2021 en ce qu’il :

· Déboute XYLEM MIDDLE EAST de sa demande au titre de la procédure abusive.

Et, statuant de nouveau :

· Condamner la société ENVIRONNEMENT GENERAL HYDRAULIQUE à verser à la société XYLEM WATER SOLUTIONS MIDDLE EAST REGION FZCO la somme de 40.000 € à titre de dommages-intérêts en application des dispositions de l’article 32-1 du code de procédure civile,

En toute hypothèse :

· Condamner la société ENVIRONNEMENT GENERAL HYDRAULIQUE à verser à la société XYLEM WATER SOLUTIONS MIDDLE EAST REGION FZCO la somme de 10.000 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, au titre de l’instance d’appel,

· Condamner la société ENVIRONNEMENT GENERAL HYDRAULIQUE aux entiers dépens de l’appel, dont distraction au profit de Maître Thierry SERRA en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 16 mai 2023.

La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

Sur la rupture de la relation commerciale

Exposé des moyens des parties

La société EGH fait principalement valoir qu’elle bénéficiait d’une relation commerciale établie depuis 1997 qui avait pour objet de lui reconnaître sur les produits Flygt un droit exclusif de vente aux pays du Maghreb et d’Afrique francophone, que ce soit dans le cadre d’un contrat d’agence commerciale de 1997 à fin 2005, ou d’un contrat de distribution commerciale exclusive du 1er janvier 2006 au 31 décembre 2019. Elle relève que la société Xylem, en reprenant dans le préambule du dernier contrat l’historique des relations commerciales établies depuis 1997, a manifestement entendu en reprendre l’ancienneté, mais aussi l’exclusivité. Elle relève également que si chaque contrat était renégocié à son terme, l’exclusivité de la relation a été préservée, en sorte qu’au moment de la notification de la fin du dernier contrat de concession, elle pouvait légitiment croire à la poursuite de la relation commerciale portant sur les produits Flygt sur une base d’exclusivité. Elle fait ensuite observer que dans sa lettre du 20 juin 2018 du contrat n°5, la société Xylem indiquait vouloir poursuivre les relations après le 1er juillet 2019, sur de nouvelles bases, sans exclure toute exclusivité, cette lettre étant en tout point similaire avec la lettre de résiliation du 25 juin 2014 du contrat n°4, et ce n’est que dans sa lettre du 24 juin 2019 après plusieurs relances d’EGH entre le 20 juin 2018 et le 12 mars 2019 que la société Xylem a clairement notifié son intention de ne pas poursuivre la relation sur une base d’exclusivité. Dans ces conditions, elle estime n’avoir bénéficié que d’un préavis de 6 mois concernant la fin de l’exclusivité de la distribution des produits Flygt.

La société EGH expose ensuite que pendant 23 années elle a développé son modèle économique sur la base d’une distribution exclusive des produits Flygt qui représentaient 85% de son chiffre d’affaires et qu’elle ne peut subitement proposer à ses clients des produits concurrents, alors que pendant de nombreuses années elle leur indiquait que les produits Flygt étaient les meilleurs. Elle ajoute que la clientèle sur des territoires naguère exclusifs, n’est pas spontanément intéressée par les services de la société EGH, si cette dernière fournit subitement d’autres produits que des produits Flygt, en particulier sur les infrastructures Flygt mises en place par EGH et qui ne peuvent faire l’objet de maintenance et/ou de renouvellement qu’avec du matériel Flygt. Aussi, elle insiste sur le fait que la remise en cause au mois de juin 2019 de ce modèle économique par la société Xylem avec un effet au 31 décembre 2019 a été brutale. Si elle peut continuer à vendre les produits Flygt, elle fait observer qu’elle ne dispose plus de prix compétitifs et que sur le premier semestre 2020 ses entrées de commandes ont été divisées par 3 par rapport à la moyenne d’entrée en commande des premiers semestres 2017/2018/2019 au cours desquels l’exclusivité était en vigueur. Elle fait observer que depuis le 1er janvier 2020, elle se voit privée de vente sur ses anciens territoires exclusifs où la société Xylem intervient soit directement, soit par d’autres distributeurs, lesquels bénéficient du travail de prospection à la fois historique de EGH mais aussi afférent à un marché précis. Elle explique subir également une chute de marge en ne bénéficiant plus des prix préférentiels d’avant 2020. Pour l’ensemble de ces raisons, elle estime qu’elle aurait dû bénéficier d’un préavis de 46 mois pour lui permettre une transition vers d’autres fabricants, tenant également compte des produits de marque distributeur, soit une insuffisance de préavis de 40 mois.

Elle évalue sa marge mensuelle moyenne à 160 135 euros et son préjudice à hauteur de 6 405 400 euros (40x 160 135 euros) au titre de la brutalité de la rupture. Elle réclame en outre la somme de 1 491 157 euros au titre de préjudices complémentaires liés à la diminution des résultats de ses filiales et aux coûts des licenciements qui devront être exposés.

La société Xylem réplique pour l’essentiel l’absence de relation commerciale établie, ou du moins une relation limitée à 5 années dans le cadre du dernier contrat de concession et la suffisance du préavis de 18 mois dont a bénéficié la société EGH. Elle explique d’abord ne pas nier la relation commerciale nouée sous différente forme avec la société EGH au fil du temps mais conteste avoir entretenu avec la société EGH une relation commerciale exclusive établie. Elle relève que la relation a débuté sous le statut d’agence commerciale exclue du champ d’application de l’article L.442-6, I, 5° du code de commerce, et qu’ensuite au travers des négociations et stipulations des différents contrats de distribution la société Xylem a toujours souhaité supprimer progressivement l’exclusivité consentie à la société EGH, en sorte que celle-ci ne pouvait légitimement croire à sa poursuite au delà du dernier contrat de distribution et encore moins prétendre à une relation commerciale exclusive établie depuis 23 ans, mais tout au plus de 5 années lors de la signature du dernier contrat. Ensuite, elle soutient que le préavis de 18 mois dont la société EGH a bénéficié est suffisant comme l’ont jugé les premiers juges et que ce préavis a été appliqué d’un commun accord entre les parties à compter du 20 juin 2018 comme cela résulte de leurs différents échanges et caractérise la résolution amiable du litige. Elle précise que les parties ont même organisé les modalités précises de leur collaboration future dans les termes du courrier du 17 janvier 2020 de la société EGH. Elle soutient que la relation commerciale ne portait nullement sur des produits de marque “distributeur” et que le préavis n’a pas à être doublé. Dans ces circonstances, elle estime qu’il ne peut être question d’une rupture brutale et qu’en réalité, à travers cette procédure, la société EGH cherche abusivement à obtenir l’indemnisation de la perte de l’exclusivité lui procurant une rente de situation.

Sur l’évaluation du préjudice, elle soutient que les pièces comptables versées aux débats sont insuffisantes pour établir le préjudice évalué à des sommes extravagantes. En toute hypothèse, elle relève que le préjudice résultant d’une prétendue perte brutale de l’exclusivité ne pourrait être indemnisé qu’à hauteur de la différence entre la marge brute réalisable depuis la fin de l’exclusivité et la marge brute réalisée avec l’exclusivité. Concernant les préjudices complémentaires, la société Xylem fait principalement valoir que les préjudices invoqués à ce titre résulteraient de la perte de l’exclusivité et non de la brutalité seule indemnisable sur le fondement de l’article L.442-6, I, 5° précité.

Réponse de la Cour,

Dans son dernier état, la relation commerciale exclusive entre les parties était formalisée par le contrat de “concession commerciale exclusive” signé le 16 mars 2016 qui précise en son article 10.4 que le présent contrat est régi par la loi française et que les parties conviennent expressément d’exclure dans le cadre de leur relation contractuelle l’application de la convention sur la vente internationale de marchandises (CVIM). Il est également stipulé à l’article 10.5 que tout litige, toute contestation ou réclamation déroulant du contrat que les parties ne parviendraient à résoudre à l’amiable sera soumis à la compétence exclusive du tribunal de commerce de Paris.

A hauteur d’appel, les parties ne contestent pas l’applicabilité de l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa version antérieure à l’ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019 qui, dispose qu’engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

L’action de la société EGH fondée sur ces dispositions vise, non pas à obtenir la réparation d’une rupture brutale de toute relation commerciale avec la société Xylem, mais la brutalité de la perte de l’exclusivité de la vente des produits de la société Xylem, soit une modification substantielle de la relation commerciale.

* sur le caractère établi de la relation commerciale

La relation commerciale, pour être établie au sens des dispositions susvisées, doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s’entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper pour l’avenir une certaine continuité du flux d’affaires avec son partenaire commercial.

En l’espèce, la société EGH a débuté sa relation commerciale pour la commercialisation des produits Flygt par un contrat d’agent commercial signé le 14 février 1997 avec la société ITT Flygt avec une exclusivité non contestée sur des pays du Mahgreb et d’Afrique francophone. Puis un contrat de “concession commerciale” a été signé entre la société ITT Flygt et la société EGH le 6 janvier 2006 stipulant le droit exclusif de promouvoir et de vendre les produits de fabrication ITT Flygt par le concessionnaire principalement sur les territoires des pays du Maghreb et d’Afrique francophone. Un nouveau contrat de “distribution” exclusive a été conclu entre la société EGH et la société ITT France, venant aux droits de ITT Flygt puis devenue Xylem Water Solutions France, du 25 janvier 2010 au 24 janvier 2012, puis remplacé par un contrat signé le 18 mars 2014 de concession commerciale exclusive du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014. Enfin, le dernier contrat de “concession commerciale exclusive” a été signé le 16 mars 2016 entre la société EGH et la société Xylem Water Solutions Middle East Région.

Dans le préambule de ce dernier contrat, l’ensemble de la relation commerciale de la société EGH avec le groupe Xylem est retracée depuis 1997 avec le contrat d’agence commerciale, et mettant en exergue la relation d’exclusivité pour la distribution des produits sur les territoires des pays du Maghreb et d’Afrique Francophone. Il est précisé que dans le cadre de la réorganisation commerciale stratégique du groupe Xylem, Xylem Water Solutions France ne sera plus en charge de l’Afrique francophone à partir du 1er janvier 2015, mais que “souhaitant poursuivre sa relation commerciale avec EGH, un nouveau contrat de concession exclusive lui proposé.”

Il ressort clairement des termes de ce préambule, l’intention du groupe Xylem et de sa filiale Xylem Water Solutions Middle East Région d’inscrire dans une continuité depuis 1997 la relation commerciale exclusive de distribution des produits du groupe nouée avec la société EGH, et ce quelque soit les modalités juridiques de cette relation et les entités signataires des contrats.

Même s’il ressort des pièces versées aux débats que pour chaque contrat de distribution ou de concession, d’âpres négociations s’engageaient entre les parties notamment sur les contours de l’exclusivité (par exemple pièce Xylem n°27), celle-ci a néanmoins toujours été maintenue dans son principe dans les projets de contrat successifs objets des négociations. La Cour observe en outre, que la lettre de notification de fin de contrat du 20 juin 2018 de la société Xylem, si elle évoque des discussions sur les “contours d’un nouveau contrat” et des échanges sur de “nouvelles bases” et du souhait du groupe Xylem de “poursuivre sa relation commerciale” avec la société EGH en comptant sur son “implication pour atteindre cet objectif d’expansion”, elle ne comporte aucune indication sur l’intention de la société Xylem de remettre en cause le principe même de l’exclusivité de la relation.

Au regard de l’ensemble de ces circonstances, au moment de la notification du délai de préavis par lettre du 20 juin 2018, la société EGH pouvait légitimement croire à la poursuite de l’exclusivité de la relation commerciale établie depuis 1997 au sens des dispositions de l’article L.442-6, I 5° précité.

* sur la brutalité de la modification d’un élément substantiel de la relation commerciale

Le texte précité vise à sanctionner, non la rupture elle-même, mais sa brutalité caractérisée par l’absence de préavis écrit ou l’insuffisance de préavis. Il est constant que la brutalité de la rupture résulte soit de l’absence de tout préavis écrit, soit d’un délai de préavis trop court, même notifié par écrit, mais ne permettant pas à la partie qui soutient en avoir été la victime de pouvoir trouver des solutions de rechange et de retrouver un partenaire commercial équivalent.

Or le délai de préavis doit tenir compte de la durée des relations commerciales et doit s’entendre du temps nécessaire à l’entreprise délaissée pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement. Les principaux critères à prendre en compte sont la dépendance économique, l’ancienneté des relations, le volume d’affaires et la progression du chiffre d’affaires, les investissements spécifiques effectués et non amortis, les relations d’exclusivité et la spécificité des produits et services en cause.

Par lettre du 20 juin 2018, la société Xylem a notifié à la société EGH, dans le respect du préavis contractuel de 6 mois, la résiliation du contrat de concession commerciale exclusive à effet au 31 décembre 2018, tout en indiquant :

“En effet comme nous avons discuté lors de notre réunion du mardi 24 avril (…) , nous souhaitons augmenter notre présence dans les régions d’Afrique de l’Est et d’Afrique de l’Ouest afin de soutenir nos plans de croissance sur le continent Africain. Dès lors, le 31 décembre 2018, le contrat de concession commerciale exclusive signé en 2015 prend fin, comme stipulé contractuellement.

Toutefois, compte tenu de notre relation privilégiée, si vous le souhaitez, nous consentons à poursuivre nos relations commerciales sur une base exclusive jusqu’au 30 juin 2019, sans toutefois évidemment que cela puisse être considéré comme un nouveau contrat ou le renouvellement de l’ancien.

De la même façon, compte tenu de nos bonnes relations, nous vous proposons de poursuivre nos échanges à compter du 1er juillet 2019 sur de nouvelles bases.

Nous pouvons rapidement discuter des contours d’un nouveau contrat, notamment pour évoquer les dispositions transitoires entre le 1er janvier 2019 et le 30 juin 2019 et pour évoquer, le cas échéant, la suite de nos relations à partir du 1er juillet 2019.

Nous vous précisons que la poursuite de nos relations après le 1er juillet 2019 supposera la signature préalable d’un nouveau contrat avant cette date.

Toutefois, le groupe Xylem souhaite poursuivre sa relation commerciale avec vous et compte sur votre implication pour atteindre cet objectif d’expansion.”

Par lettre du 3 août 2018, la société EGH a accusé réception de cette intention de la société Xylem de s’opposer à toute reconduction tacite du contrat de concession commerciale exclusive et a indiqué être dans l’attente d’un nouveau contrat pour la suite des relations à partir du 1er juillet 2019 et a précisé “Force est de constater, que plus d’un mois après votre décision, nous n’avons reçu aucune proposition de votre part, pour la période postérieure au 1er juillet 2019, ce qui n’est pas acceptable, compte tenu de l’ancienneté de nos relations, des investissements que nous avons opérés et de la date très proche du 1er juillet 2019, eu égard à l’activité particulière de notre société et de la spécificité de la clientèle que nous avons développée sur les territoires exclusifs.”

Par courriel du 12 octobre 2018, puis par la lettre du 21 février 2019, la société EGH a relancé la société Xylem en lui indiquant qu’elle était toujours en attente d’un projet de nouveau contrat.

Par lettre du 20 mars 2019, la société EGH a indiqué à la société Xylem avoir reçu sa lettre du 12 mars 2019 qui n’a pas manqué de lui surprendre, avec la communication d’un projet de contrat “d’ores et déjà signé, en excluant toute exclusivité qui est la principale caractéristique de notre relation contractuelle depuis 22 ans”.

Par lettre du 29 avril 2019, la société Xylem tout en confirmant son intention de continuer sa collaboration à partir du 1er juillet 2019 avec la société EGH a néanmoins indiqué sa ferme intention de faire évoluer la coopération sur une base contractuelle différente. Dans le même temps, elle a proposé à partir du contrat de distribution existant une extension “de la période de préavis pour une durée de 6 mois supplémentaire soit jusqu’à la fin de l’année 2019 (..) pour continuer nos discussions et de finaliser les nouvelles règles de notre coopération à partir de 2020”.

Par lettre du 27 juin 2019, la société EGH a confirmé ne pouvoir accepter les exigences de la société Xylem visant à mettre fin à tout exclusivité à compter du 1er janvier 2020, mais a accepté de poursuivre le contrat du 16 mars 2016 jusqu’au 31 décembre 2019.

Par lettre du 18 décembre 2019, soit quelques jours avant la fin du délai de préavis, la société Xylem a proposé une prolongation du préavis pour une durée de 6 mois supplémentaires que la société EGH a refusé.

Il résulte de la chronologie et de la teneur des échanges entre les parties qu’aucun accord entre les parties n’est intervenu pour fixer un délai de préavis de 18 mois et que, comme le soutient à juste titre la société EGH, celle-ci n’a été prévenue de l’intention de la société Xylem de lui retirer l’exclusivité de la vente de ses produits que 6 mois avant la fin de cette relation exclusive fixée initialement au 31 décembre 2019 .

Contrairement à ce qu’a relevé le tribunal, la lettre du 20 juin 2018, si elle notifie la fin de la relation contractuelle, elle n’énonce pas clairement la fin d’une relation commerciale exclusive pour la vente des produits Flygt, et ce n’est que courant mars 2019, par la réception du projet de nouveau contrat et des échanges ultérieurs que la société EGH a été informée de la ferme intention de la société Xylem de ne plus confier l’exclusivité de vente de ses produits sur les territoires africains concernés à compter du 31 décembre 2019.

Or, il ressort du rapport d’expertise produit par la société EGH que celle-ci a construit son modèle économique sur la base d’une relation commerciale exclusive depuis 1997 et que la perte de ce droit impliquait pour celle-ci d’engager une réorganisation d’ensemble de son activité, étant observé que près de 80% de son chiffre d’affaires reposait sur la vente exclusive des produits Flygt. Si la société EGH a poursuivi sur les exercices 2020 et 2021 la vente des produits Flygt (pièce n°35), elle justifie d’une importante chute de son chiffre d’affaires passant de 6 442 220 euros sur l’exercice clos au 31 décembre 2019, à 3 938 130 euros sur l’exercice clos au 31 décembre 2020 (pièce n°30), puis à 3 596 647 euros sur l’exercice clos au 31 décembre 2021 (pièce n°44). Elle expose sans être utilement contredite qu’en perdant ses droits exclusifs de vente elle n’a plus été en mesure de proposer à ses clients des prix compétitifs ni de leur vendre des produits concurrents qu’elle n’a pas vanté pendant 23 ans pour promouvoir les produits Flygt (pièces EGH n° 37, 15, 25). Il en résulte que par la perte du droit exclusif de vendre les produits Flygt représentant plus de 80% de son chiffre d’affaires, la société EGH a subi une modification substantielle de la relation commerciale établie depuis 1997.

La Cour constate toutefois que si l’exclusivité n’avait pas été remise en cause dans son principe lors des négociations des précédant contrats de concession, les contours de celle-ci étaient sérieusement discutés au gré des résiliations successives des différents contrats. Ainsi dans un courrier du 7 novembre 2011, faisant suite à la notification de la décision de la société ITT France de mettre fin au contrat de concession exclusive au 25 janvier 2012, la société EGH faisait les observations suivantes : “Je note que depuis le début des relations contractuelles en 1997, le rythme de la révision des relations contractuelles ne cesse de s’accélérer puis que le premier contrat avait duré 9 ans, le second contrat 4 ans, l’actuel seulement 2 ans, la société ITT France souhaitant, à chaque dois, réduire le périmètre des droits de la société EGH.” Concernant l’exclusivité il était noté par la société EGH “Nous avons réitéré à plusieurs reprises, notamment à l’occasion de la conclusion du contrat du 25 janvier 2010, nos craintes que l’exclusivité de la société EGH soit mise à néant par la concurrence d’autres sociétés du Groupe ITT, ou encore des autres distributeurs du Groupe ITT (…).”

Enfin la relation commerciale ne porte pas sur la fourniture de produits sous marque de distributeur.

De l’ensemble de ces constatations, la Cour en déduit que le délai de prévenance de la perte de l’exclusivité devait être d’un délai nécessaire mais suffisant de 12 mois. Le préavis effectif concernant la perte de exclusivité de la relation commerciale dont a bénéficié la société EGH n’ayant été que de 6 mois, l’insuffisance de préavis de 6 mois caractérise une rupture partielle et brutale de la relation commerciale établie de nature à engager la responsabilité de la société Xylem sur le fondement de l’article L.442-6, I 5° précité.

* sur l’évaluation du préjudice

Il est constant que le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture est constitué par la perte de la marge dont la victime pouvait escompter bénéficier pendant la durée du préavis qui aurait dû lui être accordé. La référence à retenir est la marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d’affaires dont la victime a été privée sous déduction des charges qui n’ont pas été supportées du fait de la baisse d’activité résultant de la rupture.

En l’espèce, l’insuffisance de préavis relevée ne concerne pas la rupture de la relation commerciale elle-même qui s’est poursuivie mais la perte de l’exclusivité. Aussi, le préjudice ne peut s’évaluer, comme le soutient la société Xylem, qu’à partir de la différence entre la marge réalisable depuis la fin de l’exclusivité et la marge réalisée avec l’exclusivité.

Il ressort du rapport d’expertise (page 17) produit aux débats par la société EGH un montant de marge opérationnelle après frais variables moyen annuel sur les exercices 2016 à 2018 de 1 921 623 euros, soit 160 135 euros moyen mensuel. Cette marge sur coûts variables est calculée en déduisant de la marge commerciale (37% du chiffre d’affaires) divers frais de prestations de services, sous-traitance, commissions et frais de ports et de déplacement ( 33% du chiffres d’affaires). Si les bilans comptables des exercices de référence ne sont pas produits aux débats les chiffres retenus pour le calcul des marges sont en cohérence avec ceux des soldes intermédiaires de gestion des exercices 2019 et 2020 (pièce n°34), en sorte qu’une marge sur coûts variable mensuelle moyenne de 160 135 euros sera retenue.

Ensuite, les bilans comptables des exercices 2020 et 2021 (pièces n°34 et 44) renseignent que la société EGH a subi :

– une baisse de chiffre d’affaires entre 2019 et 2020 de 38,68 % et une baisse de marge brute globale de 38,50 % et de valeur ajoutée de 43,75%

– une baisse de chiffre d’affaires entre 2020 et 2021 de 6% et une baisse de marge brute globale de 11,80% et de valeur ajoutée de 10,87%

Il n’est pas contesté que sur l’exercice 2020, 80% du chiffre d’affaires est encore approvisionné par les produits Xylem (pièce n°35).

Dès lors que la Cour ne dispose pas suffisamment d’éléments pour imputer intégralement la baisse constatée de marge brute à la perte de l’exclusivité, il sera retenu en proportion une perte de 35 % sur la marge opérationnelle sur coûts variables pour le calcul du préjudice liée à la fin de l’exclusivité, soit rapportée à un préavis manquant de 6 mois, un préjudice de perte de marge de 336 047 euros (160 135 x 0,35 x 6).

S’agissant du préjudice complémentaire allégué sur les filiales, les seules considérations du rapport d’expertise (page 18 et 19) étayées par aucune pièce sont manifestement insuffisantes pour établir non seulement la réalité d’un tel préjudice mais encore le lien avec la brutalité de la perte d’exclusivité seule indemnisée sur le fondement de l’article L.442-6, I, 5° et non pas la perte de l’exclusivité elle-même. La société EGH sera déboutée de sa demande d’indemnisation de préjudice complémentaire.

En conséquence, le jugement sera infirmé en ce qu’il a débouté la société EGH de sa demande au titre de l’article L.442-6 I 5° et la société Xylem sera condamnée à verser à la société EGH la somme de 336 047 euros au titre de la rupture brutale partielle de la relation commerciale établie liée à la perte d’exclusivité.

Sur la demande de la société Xylem au titre d’une procédure abusive

Compte tenu du sens de la décision rendue, la société Xylem sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts au titre d’une procédure abusive. Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

Le jugement sera infirmé en ce qu’il a condamné la société EGH aux dépens de première instance et à verser à la société Xylem la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La société Xylem, partie perdante, sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel.

En application de l’article 700 du code de procédure civile, la société Xylem sera condamnée à payer à la société EGH la somme de 10 000 euros.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Infirme le jugement en ses dispositions soumises à la Cour mais seulement en ce qu’il a :

– débouté la société Environnement General Hydraulique de sa demande au titre de l’article L.442-6 I 5° du code de commerce,

– condamné la société Environnement General Hydraulique aux dépens et à payer à la société Xylem Middle East la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Dit que la société Xylem Water Solutions Middle East Region FZCO a partiellement et brutalement rompu la relation commerciale exclusive nouée entre les parties et engagée sa responsabilité sur le fondement de l’article L.442-6, I 5° du code de commerce ;

Condamne la société Xylem Water Solutions Middle East Region FZCO à payer à la société Environnement General Hyraulique la somme de 336 047 euros à titre de dommages-intérêts ;

Déboute la société Environnement General Hydraulique du surplus de ses demandes en indemnisation ;

Condamne la société Xylem Water Solutions Middle East Region FZCO aux dépens de première instance et d’appel ;

Condamne la société Xylem Water Solutions Middle East Region FZCO à payer à la société Environnement General Hydraulique la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Rejette toute autre demande.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE

 


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