Exclusivité : 30 juin 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 21/21831

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Exclusivité : 30 juin 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 21/21831
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30 juin 2022
Cour d’appel de Paris
RG n°
21/21831

Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 1 – Chambre 8

ARRET DU 30 JUIN 2022

(n° , 9 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/21831 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CE2PP

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 16 Novembre 2021 -Tribunal de Commerce de Bobigny – RG n° 2021R00409

APPELANTE

S.A.S. CENTRE VIDEO DISTRIBUTION agissant poursuites et diligences de son représentant légal en cette qualité au siège,

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée et assistée par Me Frédéric COULON de la SCP BIGNON LEBRAY, avocat au barreau de PARIS, toque P370

INTIMEE

S.A.R.L. COLLECTIVITE VIDEO SERVICES à associé unique, représentée par ses représentants légaux

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Assistée par Me Louis De GAULLE, avocat au barreau de PARIS, toque K35

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 02 juin 2022, en audience publique, les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Florence LAGEMI, Président chargé du rapport et Rachel LE COTTY, Conseiller.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de:

Florence LAGEMI, Président,

Rachel LE COTTY, Conseiller,

Bérengère DOLBEAU, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Marie GOIN

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Florence LAGEMI, Président et par Marie GOIN, Greffier présent lors de la mise à disposition.

La société Centre Vidéo Distribution (ci-après CVD) est spécialisée dans la distribution en gros ou au détail de supports multimedia (ci-après désignés vidéogrammes), principalement sur le secteur locatif et institutionnel, qui regroupe les vidéo clubs, les médiathèques, les comités d’entreprise et les associations.

La société Collectivité Vidéo Services (ci-après CVS) exerce une activité de distribution de vidéogrammes à destination, notamment, du secteur locatif et institutionnel mais aussi de vente de services numériques en développant des plateformes digitales de vidéo à la demande (VOD).

La commercialisation des vidéogrammes s’effectue au moyen de deux marchés distincts : le marché dit ‘vente’, sans droits spécifiques, uniquement destiné à la vente aux particuliers pour ‘un usage privé’ et le marché dit ‘locatif et institutionnel’ sur lequel des droits spécifiques sont appliqués par les éditeurs. Ce marché est destiné à la location (vidéo club) ou au prêt à titre gratuit (médiathèque, comité d’entreprise, association) pour ‘un usage professionnel’. Dans le cadre de ce marché, les grossistes acquièrent les vidéogrammes à un prix supérieur à ceux vendus par des distributeurs, tels que la Fnac, aux particuliers et ne peuvent acheter des vidéogrammes du marché ‘vente’ pour les revendre sur le marché ‘locatif et institutionnel’.

Par plusieurs accords-cadres annuels, les sociétés CVD et CVS ont défini, depuis 2012, les conditions dans lesquelles la seconde pouvait acquérir auprès de la première des vidéogrammes pour le marché locatif ou institutionnel.

Au cours de l’année 2019, la société CVD a été alertée par un éditeur, la société Fox Pathé Europa (FPE), que l’un de ses principaux clients grossistes, la société Colaco, procéderait, chaque année, à l’acquisition illicite de vidéogrammes pour plus de 400.000 euros auprès de la Fnac, distributeur du marché ‘vente’, au lieu de les acheter auprès d’elle, ce qui lui occasionnerait une perte de chiffre d’affaires de plusieurs millions d’euros. Elle a donc entendu insérer dans les accords-cadres, à compter de l’année 2020, une clause d’audit lui permettant, sur simple demande écrite, d’obtenir de son cocontractant la communication de ses bilans détaillés pour les trois derniers exercices et de procéder à des audits.

La société CVS s’est opposée à la signature de l’accord-cadre comportant cette clause tant en 2020 qu’en 2021.

Considérant ce refus suspect et soupçonnant la société CVS de se livrer aux mêmes agissements que la société Colaco, la société CVD l’a fait assigner, par acte du 16 août 2021, devant le juge des référés du tribunal de commerce de Bobigny afin d’obtenir une mesure d’expertise.

Par ordonnance du 16 novembre 2021, ce magistrat a :

déclaré le tribunal de commerce de Bobigny compétent ;

dit n’y avoir lieu à référé et invité la société CVD à mieux se pourvoir au fond ;

dit n’y avoir lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

laissé les dépens à la charge de la société CVD.

Par déclaration du 10 décembre 2021, la société CVD a relevé appel de cette décision en critiquant l’ensemble de ses chefs de dispositif à l’exception de celui relatif à la compétence du tribunal de commerce de Bobigny.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 1er juin 2022, la société CVD demande à la cour de :

faire injonction à la société CVS de lui communiquer dans un délai de trois semaines à compter de la décision à intervenir :

les accords conclus pour le marché locatif et/ou institutionnel avec les éditeurs cités ci-après et les factures d’achat avec les droits locatifs et/ou institutionnels effectués directement ou indirectement auprès de ces éditeurs, à l’exception des achats réalisés auprès d’elle, au cours des périodes pendant lesquelles elle bénéficiait d’une exclusivité de droit ou de fait de ces éditeurs, à savoir :

– concernant le GIE FPE (anciennement Fox Pathé Europa), du 1er avril 2015 au 31 mai 2020,

– concernant Disney, du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2020,

– concernant Marco Polo, du 1er avril 2017 au 31 décembre 2020,

– concernant Zylo, du 1er juin 2017 au 31 décembre 2020,

– concernant René Château, du 6 mars 2018 au 31 décembre 2020,

– concernant LCJ, du 15 septembre 2018 au 31 décembre 2020 ;

ou de confirmer qu’au cours des périodes précitées, la société CVS n’a procédé à aucun achat direct de vidéogrammes avec les droits locatifs et/ou institutionnels auprès de ces éditeurs, à l’exception des achats auprès d’elle ;

les contrats conclus avec Disney en 2021 et 2022 visant les droits locatifs et/ou institutionnels ;

renvoyer l’affaire à une autre audience pour qu’il puisse être plaidé sur le fond postérieurement à la date de communication des pièces précitées ;

confirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a décidé que le juge des référés du tribunal de commerce de Bobigny était compétent pour connaître de ses demandes et que celles-ci sont recevables ;

infirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a rejeté ses demandes ;

la confirmer en ce qu’elle a rejeté les demandes reconventionnelles de la société CVS ;

En conséquence,

à titre principal, décider qu’elle justifie d’un intérêt légitime à établir et à conserver la preuve de l’approvisionnement illicite en vidéogrammes par la société CVS auprès de distributeurs ne faisant pas partie du marché locatif et institutionnel ;

désigner tel expert judiciaire qu’il plaira, spécialisé en comptabilité, avec pour mission de :

convoquer les parties et leurs conseils pour une première réunion d’expertise ;

se rendre dans les différents sites de la société CVS et se rendre au besoin au sein du cabinet de ses experts-comptables ;

rechercher et se faire remettre sur quelque support que ce soit et, notamment, par extraction pour les années 2015 à 2020,

1/ Sur le plan comptable proprement dit :

‘les comptes sociaux 2015, 2016, 2017, 2018, 2019 et 2020 comprenant le détail bilan et le compte de résultat,

‘les fichiers des écritures comptables pour les exercices 2015 à 2020, ou à défaut, l’édition des journaux,

‘la balance auxiliaire fournisseurs et clients pour les exercices 2015 à 2020 ;

2/ Sur le plan de la gestion :

les ventes extraites du logiciel de gestion commerciale, avec au moins les champs suivants :

– n°fact/Réf client anonymisée/référence article éditeur/référence CVS/N°code barre/quantité par article/prix unitaire,

‘les achats extraits du logiciel de gestion achats avec au moins les champs suivants :

– n° de pièce comptable/n° de facture fournisseur/nom fournisseur/ Ref éditeur/Ref article/Ref article CVS si différente/n° code barre/ quantité par article/prix unitaire,

se faire remettre par les parties tout autre document qu’il estimera utile à l’accomplissement de sa mission et, plus particulièrement, tous les éléments relatifs à la vente par CVS de vidéogrammes des éditeurs Fox Pathé Europa, Disney, LCJ, Zylo, Marco Polo, René Château (documents comptables de gestion des stocks, bons de livraison, factures, etc.) ;

établir la quantité de vidéogrammes des éditeurs Fox Pathé Europa, Disney, LCJ, Zylo, Marco Polo, René Château vendus par CVS depuis le 1er janvier 2015 sur le marché institutionnel et locatif ;

comparer la quantité totale de vidéogrammes des éditeurs Fox Pathé Europa, Disney, LCJ, Zylo, Marco Polo, René Château vendus par la société CVS depuis le 1er janvier 2015 à la quantité de vidéogrammes de ces éditeurs vendus par la société CVD à la société CVS pendant la même période ;

déterminer le préjudice financier subi par la société CVD en raison des approvisionnements illicites par la société CVS auprès d’autres sociétés ;

à titre subsidiaire, désigner tel expert judiciaire qu’il plaira, spécialisé en comptabilité, avec pour mission de :

convoquer les parties et leurs conseils pour une première réunion d’expertise ;

se rendre dans les différents sites de la société CVS et se rendre au besoin au sein du cabinet de ses experts-comptables ;

rechercher et se faire remettre sur quelque support que ce soit et notamment par extraction pour les années 2015 à 2020 :

– le listing fournisseurs de la société CVS ;

– procéder à une vérification portant uniquement sur 200 références de vidéogrammes d’éditeurs distribués en exclusivité par la société CVD, entre 2015 et 2020 sur la base de documents anonymisés en ce qui concerne les clients de la société CVS ;

se faire remettre par les parties tout autre document qu’il estimera utile à l’accomplissement de sa mission et plus particulièrement tous les éléments relatifs à la vente par la société CVS de vidéogrammes des éditeurs Fox Pathé Europa, Disney, LCJ, Zylo, Marco Polo, René Château (documents comptables de gestion des stocks, bons de livraison, factures, etc.) ;

établir la quantité de vidéogrammes des éditeurs Fox Pathé Europa, Disney, LCJ, Zylo, Marco Polo, René Château vendus par la société CVS depuis le 1er janvier 2015 sur le marché institutionnel et locatif ;

comparer la quantité totale de vidéogrammes des éditeurs Fox Pathé Europa, Disney, LCJ, Zylo, Marco Polo, René Château vendus par la société CVS depuis le 1er janvier 2015 à la quantité de vidéogrammes de ces éditeurs vendus par la société CVD à la société CVS pendant la même période ;

déterminer le préjudice financier subi par la société CVD en raison des approvisionnements illicites par la société CVS auprès d’autres sociétés ;

condamner la société CVS à lui verser la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 1er juin 2022, la société CVS demande à la cour de :

confirmer la décision entreprise sauf en ses dispositions ayant dit n’y avoir lieu à référé sur sa demande reconventionnelle en réparation du préjudice subi du fait du caractère abusif de l’action engagée contre elle et celles relatives à l’application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau :

déclarer irrecevables les demandes formulées par la société CVD à son encontre faute de démontrer l’existence des droits susceptibles de lui conférer qualité à agir ;

en tout état de cause, débouter la société CVD de l’intégralité de ses prétentions à défaut pour elle de justifier d’un motif légitime au sens de l’article 145 du code de procédure civile ;

à titre reconventionnel, condamner la société CVD à lui payer la somme de 25.000 euros en réparation du préjudice subi du fait de l’action abusivement diligentée contre elle ;

condamner la société CVD à lui payer la somme de 25.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens avec faculté de recouvrement direct conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;

s’agissant de la présente instance,

rejeter la demande d’injonction ;

rejeter la demande de renvoi de l’affaire à une autre audience pour qu’il puisse ‘être plaidé sur le fond’ formulée par la société CVD et évoquer l’ensemble des points soumis à son appréciation ;

condamner la société CVD à lui payer la somme de 6.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

condamner la société CVD aux entiers dépens, avec faculté de recouvrement direct conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture initialement prononcée le 1er juin 2022, a été révoquée le 2 juin 2022 à l’audience fixée pour les plaidoiries, conformément à l’accord des parties.

La procédure a été, de nouveau, clôturée à cette dernière date, avant l’ouverture des débats et sans opposition des parties.

Pour un exposé plus détaillé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie expressément à la décision déférée ainsi qu’aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR

Sur la recevabilité des demandes de la société CVD

La société CVS soutient, en se fondant sur l’article 32 du code de procédure civile, que les demandes de l’appelante seraient irrecevables faute de justifier des droits lui conférant qualité à agir.

Elle considère que ne démontrant pas l’existence de droits qui auraient été enfreints et qui lui conféreraient qualité à agir, cette carence dans l’administration de la preuve suffit à déclarer irrecevables les demandes de la société CVD et à la priver de motif légitime.

Selon l’article 32 du code de procédure civile, toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d’agir est irrecevable.

En l’espèce, la société CVD alléguant d’agissements illicites de la société CVS susceptibles de lui permettre d’exercer une action future en responsabilité, a qualité pour engager, avant tout procès, une action sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, afin de solliciter une mesure d’instruction destinée à établir la preuve des faits invoqués et ce, indépendamment du motif légitime dont l’existence conditionne le bien fondé de cette action.

Les demandes de la société CVD sont donc recevables.

Sur la demande de communication de pièces avant dire droit

A titre liminaire, la société CVD sollicite, en se fondant sur les articles 10 et 11 du code de procédure civile, qu’il soit fait injonction à l’intimée de produire les documents visés dans une sommation de communiquer qu’elle lui a fait délivrer le 6 mai 2022, consistant dans les accords qui auraient été conclus pour le marché locatif et/ou institutionnel avec certains éditeurs, les factures d’achat avec les droits locatifs et/ou institutionnels effectués directement ou indirectement auprès de ces éditeurs, au cours de périodes déterminées pendant lesquelles elle bénéficiait ‘d’une exclusivité de droit ou de fait de ces éditeurs’ ou, à défaut, qu’elle confirme n’avoir procédé à aucun achat de vidéogrammes avec les droits locatifs et/ou institutionnel auprès de ces éditeurs. Elle sollicite encore la communication des contrats conclus avec Disney en 2021 et 2022 visant les droits précités.

Elle estime que ces pièces, qui n’ont aucun rapport avec les pièces comptables pour lesquelles elle sollicite une mesure d’instruction sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, visent à confirmer que le marché locatif et institutionnel est un seul marché, que la société CVS n’a pas acheté de vidéogrammes avec les droits locatifs et/ou institutionnels auprès des éditeurs lui ayant concédé des droits exclusifs de distribution pendant les périodes concernées, qu’elle s’est donc approvisionnée illicitement sur le marché ‘vente’ et donc sans droits de sorte que leur commercialisation sur le marché locatif et institutionnel est illicite et porte atteinte à ses droits et à ceux des éditeurs.

Cependant, la cour étant saisie sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, d’une demande d’expertise destinée à établir la preuve des agissements frauduleux de la société CVS tels qu’allégués par l’appelante, la communication avant dire droit des pièces visées dans la sommation de communiquer dont l’absence de production pourra, selon cette dernière, confirmer ses allégations, apparaît sans utilité pour la solution du présent litige.

Il n’y a donc pas lieu d’ordonner la production avant dire droit des pièces réclamées.

Sur la demande d’expertise

Selon les dispositions de l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution du litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

L’application de ce texte suppose seulement que soit constatée l’existence d’un procès ‘en germe’ possible et non manifestement voué à l’échec au regard des moyens soulevés par le défendeur, dont la solution peut dépendre de la mesure d’instruction sollicitée à condition que cette mesure ne porte pas une atteinte illégitime aux droits d’autrui.

En l’espèce, la société CVD soutient qu’elle détient des droits exclusifs de distribution, sur le marché locatif et institutionnel, des vidéogrammes édités par les sociétés FPE, Disney, René Château, LCJ, Marco Polo et Zylo ; que la société CVS ne pouvait donc s’approvisionner licitement qu’auprès d’elle concernant les vidéogrammes de ces éditeurs, ce qu’elle n’ignorait pas, l’exclusivité de distribution ayant été mentionnée dans des avenants aux accords-cadres.

Elle indique qu’ayant été informée des agissements illicites d’un distributeur, la société Colaco, concurrent de la société intimée, elle a été incitée par la société FPE à mettre en place des contrôles de l’ensemble de ses clients et leur a adressé, pour 2020, un accord cadre contenant une clause d’audit lui permettant ‘sur simple demande écrite de sa part’ d’obtenir la communication des bilans détaillés des trois derniers exercices et de procéder à des audits.

Elle fait valoir qu’elle soupçonne la société CVS de se livrer à des agissements illicites en s’approvisionnant sur le marché ‘vente’ puisque cette dernière s’est opposée à la clause susvisée, que son chiffre d’affaires est en augmentation depuis 2015 alors que, dans le même temps, les achats effectués auprès d’elle ont fortement chuté et rappelle qu’au cours des premières investigations menées lors de l’audit réalisé auprès de la société Colaco, il a pu être identifié de nombreuses factures Fnac et Carrefour permettant d’évaluer la perte qu’elle subit à une somme de 785.855 euros au titre des années 2015 à 2019.

Elle estime donc que l’expertise permettra la découverte de documents propres à établir un approvisionnement de la société CVS en dehors du marché locatif, sur des produits pour lesquels elle dispose d’une exclusivité de distribution et qu’elle pourra solliciter en justice l’indemnisation de son préjudice.

S’il n’appartient pas à la cour, saisie sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, d’apprécier le bien fondé de l’éventuelle action que pourrait engager la société CVD à l’encontre de la société CVS, il lui appartient néanmoins de rechercher si les faits invoqués pour justifier la mesure d’instruction sollicitée, susceptible d’améliorer sa situation probatoire, sont suffisamment crédibles pour fonder un éventuel procès qui ne serait pas manifestement voué à l’échec.

S’il apparaît des pièces produites que la société CVD bénéficie, avec certains éditeurs, d’une exclusivité de distribution pour les circuits institutionnels et locatifs (accord commercial conclu avec FPE – pièce 21 ; contrats d’exclusivité conclus avec LCJ Editions & Productions – pièce 22, avec Zylo – pièce 23, avec Marco Polo Production – pièce 24), elle ne justifie cependant pas d’une exclusivité avec l’ensemble des éditeurs. D’ailleurs les accords-cadres conclus entre les parties au présent litige mentionnent des éditeurs (Gaumont, Sony, Universal, France Télévision, Warner, TF1 Vidéo) pour lesquels la société CVD n’invoque aucune exclusivité (pièces 3 et 4).

En tout état de cause, les contrats susvisés qui confient à la société CVD l’exploitation exclusive des vidéogrammes dans le circuit institutionnel et locatif n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes et il est relevé à la lecture des accords-cadres conclus entre les sociétés CVD et CVS, que ces derniers ne contiennent pas de clause d’exclusivité imposant à la société CVS de ne s’approvisionner qu’auprès de la société CVD.

En outre, il ne peut se déduire du refus de la clause d’audit que souhaitait lui imposer la société CVD, l’existence d’un comportement illicite de la part de la société CVS. La cour rappelle qu’en vertu du principe de la liberté contractuelle, chacun est libre de contracter ou de ne pas contracter et de déterminer, dans le respect de la loi, le contenu du contrat.

Ainsi, aucune conséquence ne peut être tirée du refus manifesté par la société CVS de voir insérée dans le contrat la clause litigieuse dont il sera relevé qu’elle présente un caractère particulièrement intrusif puisqu’elle permet à la société CVD, sur simple demande écrite de sa part et sans aucun contrôle, d’obtenir communication d’informations susceptibles d’être protégées par le secret des affaires et de procéder à des vérifications des documents comptables d’une société opérant dans le même secteur d’activités que le sien.

Par ailleurs, les faits reprochés par la société CVD à la société Colaco, concurrente de la société CVS, apparaissent sans lien avec cette dernière. En effet, l’appelante ne peut sérieusement se fonder sur le comportement de la société Colaco, laquelle se serait approvisionnée auprès de la Fnac pour plus de 400.000 euros par an, pour en conclure que la société intimée agirait de même.

La société CVD ne produit en effet aucune pièce permettant objectivement d’établir un lien entre les faits allégués à l’encontre de la société Colaco contre laquelle des procédures ont été engagées et ceux imputés à la société CVS qui relèvent, en l’état, de suppositions non étayées.

Au surplus, la cour observe à l’examen des pièces produites et des explications des parties que les situations des sociétés CVS et Colaco sont différentes puisque la société Colaco a accepté la clause d’audit et, ainsi, de se soumettre au contrôle de la société CVD et que cette dernière avait été alertée, par courriel d’un de ses partenaires, de ce qu’elle s’approvisionnait massivement auprès de la Fnac et qu’elle était donc susceptible d’agir illicitement.

Enfin, s’agissant de la discordance entre la hausse du chiffre d’affaires au cours des cinq dernières années enregistrée par la société CVS et la baisse corrélative de ses commandes de vidéogrammes auprès de la société CVD évoquée par celle-ci, force est de constater que les explications fournies par l’intimée tenant aux facteurs structurels et conjoncturels du marché des ventes de ‘vidéos physiques’ et au développement de l’offre digitale qu’elle a mise en oeuvre et dont le marché est en plein essor, justifient l’évolution positive de son chiffre d’affaires.

Ainsi, les spéculations auxquelles se livre la société CVD sur l’activité illicite qu’exercerait la société CVS ne peuvent constituer un motif légitime permettant d’accueillir sa demande d’expertise, laquelle ne saurait, en tout état de cause, suppléer le refus de la clause d’audit opposé par l’intimée dans le cadre des relations contractuelles liant les parties.

Il convient donc de débouter la société CVD de sa demande d’expertise et, par suite, de confirmer l’ordonnance entreprise.

Sur la demande de dommages et intérêts

La société CVS sollicite la somme de 25.000 euros en réparation du préjudice subi du fait de la procédure abusivement engagée à son encontre.

L’action en justice, comme l’exercice du droit d’appel, ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi, d’erreur grossière équipollente au dol ou encore de légèreté blâmable. Ces exigences n’étant pas satisfaites en l’espèce, la société CVS, qui, au demeurant ne caractérise pas le préjudice qu’elle indique avoir subi, sera déboutée de sa demande.

L’ordonnance entreprise sera également confirmée de ce chef.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Le sort des dépens de première instance et l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ont été exactement appréciés par le premier juge.

Succombant en ses prétentions, la société CVD supportera les dépens d’appel.

Il sera alloué à la société CVS, contrainte d’exposer des frais irrépétibles pour assurer sa défense en appel, la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Déclare recevables les demandes de la société Centre Vidéo Distribution ;

Dit n’y avoir lieu d’ordonner avant dire droit la communication des pièces sollicitées par la société Centre Vidéo Distribution ;

Confirme l’ordonnance entreprise en ses dispositions dont il a été fait appel ;

Condamne la société Centre Vidéo Distribution aux dépens d’appel avec faculté de recouvrement direct au bénéfice de la SELARL Lexavoué Paris-Versailles conformément à l’article 699 du code de procédure civile et à payer à la société Collectivité Vidéo Services, au titre des frais irrépétibles exposés en appel, la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier, Le Président,

 


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