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29 octobre 2020
Cour d’appel de Paris
RG n°
20/10716
Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 1 – Chambre 2
ARRÊT DU 29 OCTOBRE 2020
(n° 315 , 13 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/10716 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCEJY
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 17 Juillet 2020 -Président du Tribunal de Commerce de PARIS – RG n° 2020/017627
APPELANTE
S.A. NACON représentée par Monsieur [U] [I], représentant légal domicilié audit siège
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Assistée par Me Jean-Daniel BOUHENIC, du cabinet DEPREZ-GUIGNOT et ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P221
INTIMEE
Société FROGWARES IRELAND LTD prise en la personne de ses représentants légaux en exercice Monsieur [X] [N] et Monsieur [E] [S]
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée et assistée par Me Jean-Philippe HUGOT, avocat au barreau de PARIS, toque : C2501
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 01 Octobre 2020, en audience publique, rapport ayant été fait par Thomas RONDEAU, Conseiller et Michèle CHOPIN, Conseillère conformément aux articles 804, 805 et 905 du code de procédure civile, les avocats ne s’y étant pas opposés.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Hélène GUILLOU, Présidente
Thomas RONDEAU, Conseiller
Michèle CHOPIN, Conseillère
Greffier, lors des débats : Lauranne VOLPI
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Hélène GUILLOU, Présidente de chambre et par Lauranne VOLPI, Greffière,
Exposé du litige
La société Bigben Interactive, aux droits de laquelle est venue la SA Nacon, a conclu un contrat à durée déterminée en date du 9 février 2017 puis un avenant du 5 octobre 2018 avec la société de droit irlandais Frogwares Ireland Ltd, en vue de la production du jeu vidéo ‘The Sinking City’.
Après mise en demeure du 20 mars 2020 et par lettre recommandée avec accusé de réception du 20 avril 2020, la société Frogwares Ireland a prononcé la résiliation du contrat sur le fondement de l’article 4.2 de la convention.
Par ordonnance du 14 mai 2020 sur requête du 24 avril 2020, le président du tribunal de commerce de Paris a autorisé la société Nacon à assigner la société Frogwares Ireland en référé à heure indiquée pour l’audience du 11 juin 2020 à 14h en application des dispositions de l’article 485 du code de procédure civile.
Le 18 mai 2020, la société Nacon a fait assigner la société Frogwares Ireland devant le président du tribunal de commerce de Paris aux fins de :
– dire recevables et bien fondées les demandes et prétentions de la SA Nacon,
Sur le maintien de la relation contractuelle :
– ordonner le maintien du contrat du 9 février 2017 et de son avenant du 5 octobre 2018 jusqu’à son terme ou jusqu’à ce qu’une décision au fond intervienne s’agissant de la rupture du contrat, et ce sous astreinte de 10 000 euros par infraction constatée à compter de la notification par e-mail de la décision à intervenir,
– ordonner à la société Frogwares Ireland de cesser et de s’abstenir de tout agissement susceptible de perturber l’exploitation du jeu, par quelque moyen que ce soit et plus particulièrement faire interdiction à la société Frogwares Ireland de contacter les partenaires et sous-distributeurs de Bigben/Nacon et notamment la plate-forme Steam, pour évoquer une prétendue résiliation du contrat ou contester les droits de distribution de la SA Nacon, sous astreinte de 100.000 euros par infraction constatée à compter du 5ème jour suivant la notification par e-mail de la décision à intervenir,
Sur la livraison des formats manquants :
– ordonner à Frogwares Ireland de lui livrer les deux masters du jeu ‘The Sinking city’ sur format PC DRM Free et Steam sous astreinte de 50.000 euros par jour de retard à compter du 5 ème jour suivant la notification par e-mail de la décision à intervenir,
Sur la mise en place du séquestre judiciaire :
– désigner Mme le Bâtonnier de l’Ordre des Avocats du Barreau de Paris en qualité de séquestre judiciaire, avec mission de :
– recevoir l’intégralité des fonds générés par le jeu « The Sinking City » revenant à la société Frogwares Ireland, et notamment celles qui doivent lui être versées en exécution du contrat conclu le 9 février 2017 tel que modifié par l’avenant du 5 octobre 2018,
– conserver ces fonds dans l’attente d’une décision de justice définitive ordonnant leur remise ou d’une transaction mettant un terme à la contestation entre les parties,
– dire que le séquestre ainsi désigné ne pourra se dessaisir des sommes consignées entre ses mains que par la signification à la requête de la partie la plus diligente à l’autre partie :
– d’une décision judiciaire définitive ordonnant la mainlevée du séquestre et la remise des fonds à l’une et/ou l’autre partie(s), ou
– d’un accord transactionnel conclu entre les parties, convenant du sort des sommes consignées,
En tout état de cause :
– rappeler l’exécution provisoire de droit de la décision à intervenir, nonobstant appel,
– condamner la société Frogwares Ireland à lui payer la somme de 11.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens,
Par ordonnance de référé du 17 juillet 2020, le président du tribunal de commerce de Paris a :
– dit n’y avoir lieu à référé,
– condamné la société Nacon à payer à la société Frogwares Ireland la somme de 3.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– rejeté toutes demandes plus amples ou contraires des parties,
– condamné la SA Nacon aux entiers dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 44,07 euros TTC dont 7,13 euros de TVA,
– dit que l’ordonnance est exécutoire de plein droit à titre provisoire en application de l’article 489 du code de procédure civile.
Le président du tribunal de commerce de Paris a estimé notamment que l’existence d’un désaccord des parties sur l’interprétation et les conditions d’exécution du contrat du 9 février 2017 et de l’avenant du 5 octobre 2018 établissait l’existence d’une contestation sérieuse, relevant des pouvoirs du juge du fond et qu’il n’y avait donc pas lieu à référé.
Par déclaration en date du 27 juillet 2020, la société Nacon a fait appel de cette ordonnance.
Aux termes de ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 9 septembre 2020, la société Nacon demande à la cour, sur le fondement des articles 872, 873 et 905-2 du code de procédure civile et des articles 1212, 1240 et 1961 du code civil, de :
– juger son appel recevable et bien fondé,
– infirmer intégralement l’ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce de Paris le 17 juillet 2020,
Statuant à nouveau :
Sur la poursuite de la relation contractuelle :
– juger que les motifs dont se prévaut la société Frogwares Ireland sont insusceptibles d’entraîner la résiliation du contrat,
– juger que la résiliation de la société Frogwares Ireland en date du 20 avril 2020 est privée d’effet ;
– ordonner la poursuite du contrat du 9 février 2017 et de son avenant du 5 octobre 2018 jusqu’à son terme ou jusqu’à ce qu’une décision au fond intervienne s’agissant de la rupture du contrat, et ce sous astreinte de 10.000 euros par infraction constatée à compter de la notification par e-mail de la décision à intervenir,
– ordonner à la société Frogwares Ireland de cesser et de s’abstenir de tout agissement susceptible de perturber l’exploitation et/ou la reprise de l’exploitation du jeu, par quelque moyen que ce soit et plus particulièrement faire interdiction à la société Frogwares Ireland de poursuivre l’exploitation du jeu sur PC, de contacter les partenaires et sous distributeurs de Nacon et notamment la plate-forme Steam, pour évoquer une prétendue résiliation du contrat ou contester les droits de distribution de la SA Nacon, sous astreinte de 100.000 euros par infraction constatée à compter du 5ème jour suivant la notification par e-mail de la décision à intervenir,
Sur la livraison des formats manquants :
– ordonner à la société Frogwares Ireland de lui livrer les deux masters du jeu « The Sinking City » sur format PC DRM Free et Steam et de permettre par tout moyen technique à sa disposition le début de l’exploitation sur la plate-forme Steam, sous astreinte de 50.000 euros par jour de retard à compter du 5ème jour suivant la notification par e-mail de la décision à intervenir,
Sur la mise en place du séquestre judiciaire :
– désigner M. le bâtonnier de l’Ordre des avocats du barreau de Paris en qualité de séquestre judiciaire, avec mission de :
– recevoir l’intégralité des fonds générés et qui seront générés par l’exploitation du jeu « The Sinking City » revenant à la société Frogwares Ireland, et notamment celles qui doivent lui être versées en exécution du contrat conclu le 9 février 2017 tel que modifié par l’avenant du 5 octobre 2018 et qui à la date des présentes conclusions s’élèvent à 1.080.552 euros ;
– conserver ces fonds dans l’attente d’une décision de justice définitive ordonnant leur remise ou d’une transaction mettant un terme à la contestation entre les parties,
– dire que le séquestre ainsi désigné ne pourra se dessaisir des sommes consignées entre ses mains que par la signification à la requête de la partie la plus diligente à l’autre partie :
– d’une décision judiciaire définitive ordonnant la mainlevée du séquestre et la remise des fonds à l’une et/ou l’autre partie(s), ou
– d’un accord transactionnel conclu entre les parties, convenant du sort des sommes consignées,
En tout état de cause :
– juger irrecevables les conclusions et à tout le moins rejeter toutes les demandes, fins de non-recevoir et de nullités et prétentions de la société Frogwares Ireland,
– rappeler l’exécution provisoire de droit de la décision à intervenir ;
– condamner la société Frogwares Ireland à lui payer la somme de 15.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens
La société Nacon fait valoir en substance les éléments suivants :
A titre liminaire :
– sur la recevabilité des conclusions de la société Frogwares Ireland : que l’ordonnance du 3 août 2020 autorisant la société Nacon à interjeter un appel à jour fixe avait imparti un délai pour conclure en ces termes : « la société Frogwares Ireland Ltd devra conclure avant le 8 septembre 2020 » ; que les conclusions d’intimée régularisées le 8 septembre à 19h30 sont donc irrecevables ;
– sur l’absence de procédure au fond : qu’aucun texte n’exige la saisine d’une juridiction au fond à peine d’irrecevabilité de l’action en référé ; que par ailleurs la société Nacon a engagé une procédure au fond portant sur le préjudice résultant des agissements de la société Frogwares Ireland ;
Sur la poursuite de la relation contractuelle :
– que l’existence d’une contestation sérieuse ne fait pas obstacle au pouvoir du juge des référés d’ordonner des mesures conservatoires afin de prévenir un dommage imminent ou de faire cesser un trouble manifestement illicite, en application de l’article 873 du code de procédure civile,
– que le juge statuant en référé peut ordonner le maintien d’une relation contractuelle jusqu’à son terme ou jusqu’à toute décision statuant sur le bien-fondé de la résiliation,
– que la clause résolutoire du contrat a été invoquée par la société Frogwares Ireland avec une évidente mauvaise foi, notamment parce qu’elle se prévaut d’un manquement à une obligation de fourniture de justificatifs relatifs aux frais de distribution déduits par la SA Nacon, obligation qui ne fait pas partie des obligations essentielles ni même expresses du contrat et qu’un droit d’audit de la société Frogwares Ireland pouvait aisément remplacer,
– que le délai de 30 jours invoqué dans la mise en demeure du 20 avril 2020 a été prorogé par les dispositions d’urgence liées à la crise sanitaire du covid-19 ;
– que la résiliation n’a donc pas pu produire d’effet et que la demande de résiliation de la société Frogwares Ireland cause un trouble illicite et un dommage imminent puisqu’elle permet à la société Frogwares Ireland de récupérer l’intégralité des sommes résultant de l’exploitation du jeu en court-circuitant à son profit le réseau de distribution de la SA Nacon,
Sur la livraison des formats DRM Free et Steam sous astreinte :
– que le manquement de la société Frogwares Ireland à l’obligation de livrer ces formats est une violation d’une obligation essentielle du contrat et constitue donc un trouble manifestement illicite,
– que l’affirmation de la société Frogwares Ireland que les masters auraient déjà été remis n’est pas démontrée par des éléments de preuve sérieux, alors que la livraison ne se heurte à aucun obstacle ;
Sur la mise en place d’un séquestre judiciaire :
– qu’une action en indemnisation a été intentée auprès du tribunal de commerce de Paris pour un montant provisoirement évalué à 3 millions d’euros, que la société Frogwares Ireland n’a pas payé sa condamnation de 5.000 euros au titre de l’article 700 résultant d’une décision ayant acquis force de chose jugée du tribunal de grande instance de Paris du 11 décembre 2019 se déclarant incompétent pour statuer sur les demandes en paiement d’une somme d’argent et en communication de documents de la société Frogwares Ireland,
– que le séquestre demandé se justifie par le refus persistant de la société Frogwares Ireland de lui livrer les formats DRM Free et Steam, par son incohérence s’agissant des factures, et par le préjudice subi par la SA Nacon, qu’il existe un risque que la société Frogwares Ireland ne transfère à réception les sommes qui lui sont dues à sa société mère située en Ukraine puisqu’elle ne dispose pas d’activités en Irlande mais seulement d’une boîte postale.
Sur l’argumentation adverse :
– que les relations contractuelles entre la société Nacon et ses distributeurs ne concernent pas la société Frogwares Ireland et que celle-ci ne peut pas invoquer un manquement contractuel dans un contrat auquel elle n’est pas partie pour justifier sa propre demande de résiliation,
– qu’elle a suspendu les paiements des royalties dans l’attente de la décision du président du tribunal de commerce puis de la cour saisis de ses demandes de séquestre, que la rétention de ces sommes résulte de la mise en oeuvre d’une exception d’inexécution intervenue seulement après le 20 avril 2020 ;
– que la société Frogwares Ireland ne peut se prévaloir de la stipulation contractuelle sur la force majeure puisque celle-ci ne l’a pas empêchée d’exécuter ses autres obligations ni de commercialiser le jeu,
– que la compétence exclusive du tribunal de grande instance ne s’applique que lorsque le litige implique réellement des droits de propriété intellectuelle et non simplement la responsabilité contractuelle ; que la remise des masters n’emporte aucune application du droit de la propriété intellectuelle,
– que les demandes visant des incohérences dans ses redditions de compte sont nouvelles, qu’elles échappent au juge des référés par leur niveau de détail et qu’elles sont en tout état de cause infondées.
Aux termes de ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 30 septembre 2020, la société Frogwares Ireland demande à la cour, sur le fondement des articles 872 et 873 du code de procédure civile, de :
– confirmer l’ordonnance en date du 17 juillet 2020,
A titre principal :
– dire que la société Nacon a manqué à son obligation essentielle de justification du montant des recettes perçues au titre de l’exploitation du jeu « The Sinking City », ce qui justifie la résiliation du contrat,
– dire que la société Nacon a manqué à son obligation essentielle de paiement des redevances dues à que la société Frogwares Ireland en refusant de lui régler a minima les factures TSC-M9-2020-05042020, TSC-M10-2020-05052020, TSC-M11-2020-05062020, TSC-M12-2020-08072020, TSC-M13-2020-08082020 pour un montant de 1.080.552 euros et les redevances subséquentes, ce qui justifie la résiliation du contrat,
– constater la prise d’effet de la clause résolutoire du contrat au 20 avril 2020 ou au 21 mai 2020 ;
En tout état de cause :
– dire que l’article 4.4 du contrat visant la force majeure trouve à s’appliquer et que le contrat est donc résilié,
– déclarer n’y avoir lieu à référé,
A titre subsidiaire :
– dire que la crise sanitaire du Covid est un événement de force majeure ayant excédé 60 jours,
– dire que la société Nacon, en application de l’article 122 du code de procédure civile et de la jurisprudence applicable, ne peut retarder la prise d’effet de l’article 4.4 du contrat,
– prononcer la résiliation du contrat conclu le 9 février 2017 tel que modifié par avenants au 12 mai 2020,
– déclarer n’y avoir lieu à référé,
En tout état de cause :
– ordonner la publication de l’ordonnance à intervenir sur la page d’accueil du site internet de la société Nacon,
– condamner la société Nacon à payer à Me Hugot la somme de 10.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
La société Frogwares Ireland a exposé en résumé ce qui suit :
A titre liminaire :
– que la résiliation du contrat est justifiée tant par les manquements de la société Nacon à des obligations essentielles de reddition de comptes, de paiement des royalties depuis près de 6 mois, que par l’application de l’article 4-4 du contrat sur la force majeure ;
A titre principal :
– qu’en l’absence de procédure contestant la résiliation du contrat, le référé est dépourvu d’objet ;
– qu’ordonner la reprise, même provisoire, d’un contrat résilié de plein droit n’entre pas dans les pouvoirs du juge des référés,
– que la requête de la SA Nacon aux fins de solliciter l’autorisation d’assigner en référé heure à heure ne fait pas état des mises en demeure et procédures engagées par la société Frogwares Ireland et présente une présentation fallacieuse des faits,
– que l’absence d’engagement d’une action au fond pour solliciter le maintien du contrat, son maintien artificiel par la société Frogwares Ireland en dépit de la résiliation, et intervention rapide de la résiliation même si les ordonnances Covid trouvaient à s’appliquer, témoignent de l’absence d’urgence,
– que les motifs de résiliation ont bien produit effet sans qu’une quelconque mauvaise foi de sa part ne vienne vicier la mise en oeuvre de la clause résolutoire et justifier d’un trouble manifestement illicite,
– que trouble consistant à contacter les plateformes Utomik, Gog et Twitch n’est pas manifestement illicite alors que ces questions supposent à tout le moins d’interpréter le contrat et l’étendue de la cession accordée, et sont la conséquence de la résiliation ; que ces questions relèvent de la compétence du tribunal de grande instance de Paris saisi au fond,
– que par ailleurs le dommage concernant ces plateformes serait déjà réalisé s’il existait ; que concernant la plate-forme Steam, la sortie du jeu sur cette plate-forme pouvait être repoussée sans dommage puisqu’il s’agit d’une plate-forme digitale et qu’il n’existe aucun contrat ou autre obligation contractuelle fixant à une date précise la sortie du jeu,
– qu’il n’existe donc pas de dommage imminent ou de trouble manifestement illicite justifiant un référé,
– que l’exploitation du jeu ne pourra se poursuivre tant que la question de l’interprétation du contrat et de la licence d’exploitation n’aura pas été tranchée, qu’il n’y a donc pas lieu à référé,
– que le litige ayant pour objet la livraison des formats manquants porte sur l’étendue du contrat de licence et relève de la compétence du tribunal judiciaire, que ces demandes de communication sont sans objet puisque le contrat est résolu,
– que la version PC Steam est toujours à la disposition de Nacon et téléchargeable ; qu’il n’y a donc aucune urgence concernant cette version,
– que l’avenant 1 du contrat ne visant pas de plateformes PC autres que Steam, la demande de livraison d’une version PC DRM Free valable pour l’ensemble des plateformes présentes sur PC n’a pas de fondement contractuel ;
Sur le séquestre :
– que la créance de Nacon est contestée en son fondement comme en son montant dans deux procédures judiciaire en cours ; qu’il existe donc des contestations sérieuses faisant obstacle à la demande de séquestre,
– que le placement sous séquestre de la quote-part revenant éventuellement à la société Frogwares Ireland n’est pas justifié par un dommage imminent ou un trouble manifestement illicite ; qu’au contraire, la société Frogwares Ireland a émis 4 factures pour un montant total de 1.080.552 euros de royalties dues depuis mars 2020, qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse et constituent une obligation non sérieusement contestable, et qui restent impayées par la SA Nacon ; que les sommes retenues par la SA Nacon sont évaluées à plus de 3 millions d’euros et dépassent ainsi le préjudice allégué dans la procédure au fond devant le tribunal de commerce,
Sur la liberté d’expression et le droit de protéger ses droits de propriété intellectuelle :
– que c’est dans l’exercice de sa liberté fondamentale d’expression et de son droit de propriété en tant qu’auteur sur son ‘uvre que la société Frogwares Ireland a fait état auprès des plateformes de sa qualité d’auteur du jeu et de la résiliation du contrat avec la société Nacon ; qu’en conséquence, il n’y a pas lieu à une interdiction de communication avec les distributeurs.
MOTIFS :
Sur la recevabilité des demandes en référé
Il sera préalablement précisé que, dans le corps de ses conclusions, la société Frogwares Ireland soutient qu’aucune action au fond n’a été engagée par la société Nacon pour contester la résiliation du contrat et que ses demandes sont de ce fait irrecevables en référé.
Aucune demande d’irrecevabilité n’étant formulée à ce titre dans le dispositif des conclusions de la société Frogwares Ireland, il n’y a pas lieu de répondre à ce moyen.
Sur la recevabilité des conclusions de la société Frogwares Ireland:
La société Nacon soutient que les conclusions d’intimée sont irrecevables, dès lors que l’ordonnance autorisant la société Nacon à interjeter appel à jour fixe précise que la société Frogwares Ireland doit conclure ‘avant le 8 septembre 2020″.
Mais, si l’ordonnance du 3 août 2020 comporte cette mention destinée à favoriser le respect du contradictoire, ni la loi ni l’ordonnance, ainsi que le relève l’intimée, ne prévoient de sanction pour le non-respect de ce délai.
Aucune violation du respect du contradictoire n’étant invoquée, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande formulée à ce titre.
Sur les demandes:
L’article 873 du code de procédure civile dispose que « Le président peut, dans les mêmes limites (dans les limites de la compétence du tribunal) et même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. (…) ».
Il convient donc d’examiner si l’une des deux conditions de l’article 873 du code de procédure civile est remplie en l’espèce, trouble manifestement illicite ou dommage imminent.
Sur le trouble manifestement illicite:
Le trouble manifestement illicite résulte de toute perturbation résultant d’un fait qui directement
ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit.
Aux termes de l’article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
Les parties ont prévu à l’article 4.2 du contrat une faculté de résiliation de plein droit de leur contrat :
‘Le présent Contrat pourra être résilié par toute Partie, comme prévu
spécifiquement par les présentes.
Le présent Contrat pourra également être résilié par une Partie en cas d’inexécution par l’autre Partie de l’une de ses obligations essentielles. Dans ce cas, la Partie non-défaillante pourra mettre fin au présent Contrat automatiquement (de plein droit) après une période effective de trente (30) jours suivant mise en demeure si le manquement n’a pas été suffisamment remédié dans ce délai, et sans préjudice des dommages et intérêts et/ou toutes autres mesures qui pourraient être réclamées par la Partie non-défaillante. […] »
Par lettre recommandée du 20 avril 2020, faisant suite à une mise en demeure du 20 mars 2020, la société Frogwares Ireland a mis en oeuvre cette clause de résiliation ‘de plein droit’ à l’encontre de la société Nacon.
Il n’est pas contesté que la société Frogwares Ireland a respecté le formalisme de la résiliation et que la lettre de résiliation n’est pas manifestement illicite en la forme. La validité de la clause résolutoire n’est pas non plus discutée.
La société Nacon soutient que la clause résolutoire n’a pu produire effet parce qu’elle se fonde sur des manquements qui, outre qu’ils ne sont pas établis, ne peuvent fonder l’application de la clause résolutoire.
Sur le caractère manifestement illicite de la mise en oeuvre de la clause:
La lettre de résiliation fait 4 griefs à la société Nacon de:
‘- l’absence de justification des déductions réalisées et ce malgré nos demandes répétées en violation de la définition 5 du contrat conclu entre nous ‘All monies actually paid to and received by Bigben (net of taxe) from the sales of the Game in the physical format (retall) less documented deductions for manufacturing (costs of goods sold, distribution costs (including the fees of console manufacturers as well as other retallers and distributors, réserves, credits, returns, markdowns, write off, allowances and rebates’ (…)
Nous n’avons pas d’autre choix que de vous mettre en demeure de:
1- nous fournir les justifications de déduction visées dans les reports et les explications concernant la diminution de sommes encaissées d’un relevé à l’autre,
2- nous fournir les justifications des recettes du jeu et reports de vente,
3- nous fournir l’ensemble des reports de vente PS4 et Xbox mensuels et trimestriels PS4 USA.
4- nous donner toutes les explications sur le déroulé du fiasco d’Utomik et du risque pris à l’égard de l’Epic.
Au terme des 30 jours à la réception de cette mise en demeure, en l’absence de la totalité des documents demandés, nous serons au regret de constater que le contrat sera résilié de plein droit selon l’article 4.2 de notre contrat.’
La société Nacon soutient que la clause résolutoire n’a pas valablement été mise en oeuvre puisque la lettre de résiliation invoque des griefs qui ne portent pas sur des obligations essentielles du contrat, et que c’est au contraire la résiliation illégitime qui constitue un trouble manifestement illicite, de sorte qu’elle doit être privée d’effet et que la poursuite du contrat doit être ordonnée.
La société Frogwares Ireland réplique que la société Nacon a manqué à ses obligations essentielles de justification des sommes déduites des redevances qui lui ont été versées. Elle estime ainsi que le contrat a été valablement résilié à la suite de sa mise en demeure et que sa rupture ne constitue pas un trouble manifestement illicite.
Si le juge des référés ne peut se prononcer sur la validité de la mise en oeuvre de la clause résolutoire, qui relève du juge du fond, il peut cependant, à titre provisoire, suspendre l’effet d’une clause dont la mise en oeuvre apparaît manifestement illicite et dans ce cas, ordonner la poursuite du contrat pendant le temps nécessaire à ce qu’il soit statué au fond.
Plus précisément en l’espèce, le juge des référés saisi d’une demande de maintien forcé d’un contrat résilié en application de la clause résolutoire doit rechercher si l’obligation dont la violation est invoquée à l’appui de la résiliation n’est pas manifestement insusceptible de faire partie des obligations visées par cette clause ou si le manquement allégué n’est pas manifestement insusceptible de justifier une résiliation.
Il convient donc de se référer aux clauses du contrat afférentes à la résiliation, en l’espèce l’article 4.2 dudit contrat.
Celui-ci stipule: ‘le présent contrat pourra également être résilié par une partie en cas d’inexécution par l’autre partie de l’une de ses obligations essentielles. Dans ce cas la partie non défaillante pourra mettre fin au contrat automatiquement (de plein droit) après une période effective de 30 jours suivant mise en demeure si le manquement n’a pas été suffisamment remédié dans ce délai et sans préjudice des dommages-intérêts et/ou toutes autres mesures qui pourraient être réclamées par la partie non défaillante.
En cas de résiliation en application de l’article 4.2 les dispositions des articles 3.2 relativement à la période d’écoulement des stocks, 4.1, 4.3 et 4.6 continueront à s’appliquer.’
Les parties s’accordent dans leurs écritures sur la traduction de cette clause, en ce qu’elle se rapporte à l’« inexécution par l’autre Partie de l’une de ses obligations essentielles ». Ce point faisant l’objet d’une traduction similaire par les parties, il ne soulève pas de difficulté sérieuse.
Cette clause n’énumère cependant pas les obligations essentielles.
Le contrat ne qualifie que deux obligations de ‘ material obligation’ ou ‘obligation essentielle’, aux clauses 2.2 et 2.4., qui ne sont pas en cause dans la lettre de mise en demeure.
La clause 3.3 relatives aux ‘royautés’ stipule que Bigben versera à Frogwares des royautés correspondant à une quote-part du revenu net généré par l’exploitation du jeu en ces termes:
– 30% du revenu net à Frogwares jusqu’au moment ou Bigben a reçu sur les 70% du revenu net restant un montant égal à la contribution de Bigben au développement telle que précisée à l’article 1.4 (…) Pendant la période d’exploitation du présent contrat Bigben fournira à Frogwares un décompte mensuel des ventes et revenus net pour le mois précédent, dans les 10 jours de la fin de chaque mois. Les décomptes seront définitifs et obligatoires cinq mois après leur réception sauf opposition formée avant par écrit. Bigben versera à Frogwares la quote-part de revenu net lui revenant pour chaque période de décompte mensuel dans les 15 jours de la réception de la facture correspondante.
Certes, à la différence des clauses précitées, cette clause 3.3 n’est pas expressément qualifiée d’essentielle par le contrat, mais le paiement du prix fait partie des obligations essentielles de tout contrat.
Cependant en l’espèce la lettre de résiliation ‘de plein droit’ ne fait pas reproche à la société Nacon (aux droits de Bigben) de ne pas payer le prix convenu mais seulement de ne pas justifier des déductions réalisées et ce malgré les demandes répétées.
Or au paragraphe 3.4 audit il est prévu que ‘Frogwares aura le droit de consulter les documents de Bigben relatifs à la vente du jeu pendant les heures ouvrées et moyennant un préavis de 30 jours au moins’ et elle prévoit la façon dont la société Bigben devra payer ‘les montants manquants’ si elle n’est pas en mesure de justifier les retenues ainsi que les pénalités si le montant de revenu net revenant à Frogwares excède de 7% la part de revenu net effectivement payé à Frogwares pour la période.
Ainsi que le relève M. [U] [I] dans un courriel du 10 avril 2020 en réponse à la mise en demeure du 20 mars 2020, le contrat n’indique nullement que Nacon est tenue d’adresser les justificatifs à Frogwares, mais seulement d’adresser des décomptes, ce qui a été fait par la société Nacon comme en attestent les documents versés par les deux parties.
Il peut donc être retenu, sans contestation sérieuse et sans qu’il y ait lieu à interprétation de cette clause parfaitement claire, que l’absence d’envoi des justificatifs des déductions opérées sur les décomptes ne constitue pas un manquement à une obligation contractuelle et encore moins une obligation essentielle’ et la société Nacon rappelle d’ailleurs tenir ces documents à la disposition de la société Frogwares, comme le contrat lui en fait l’obligation.
Il en est de même des autres justifications demandées dans la lettre de mise en demeure.
Quant au dernier grief tenant au ‘déroulé du fiasco d’Utomik et du risque pris à l’égard d’EPIC’, ce manquement est si vaguement évoqué dans la lettre de mise en demeure qu’il était insusceptible de justification dans les 30 jours et ne peut être apprécié que par le juge du fond.
La société Frogwares Ireland soutient enfin, non dans la lettre de mise en demeure mais dans ses conclusions devant la cour, que la société Nacon a manqué à son obligation essentielle de paiement des redevances qui lui étaient dues en refusant de lui régler a minima les factures TSC-M9-2020-05042020, TSC-M10-2020-05052020, TSC-M11-2020-05062020, TSC-M12-2020-08072020, TSC-M13-2020-08082020 pour un montant de 1.080.552 euros et les redevances subséquentes, ce qui justifie la résiliation du Contrat TSC.
Cependant, il sera relevé d’une part que toutes ces factures sont postérieures au prononcer de la mise en oeuvre de la clause résolutoire et qu’en conséquences ces manquements n’ont pas été évoqués dans la lettre de mise en demeure, et d’autre part que le juge des référés ne peut prononcer de résiliation mais seulement constater si les conditions de mise en oeuvre d’une clause résolutoire sont remplies.
Il en ressort en conséquence que la mise en oeuvre de la clause résolutoire le 20 mars 2020 avec effet au 20 avril 2020 pour un motif qui ne relève pas des obligations contractuelles de la société Nacon est donc constitutive d’un trouble manifestement illicite.
Subsidiairement, la société Frogewares Ireland fait valoir qu’en application de l’article 4.4 du contrat TSC sur la force majeure, le contrat a été résilié au 11 mai 2020, 60 jours après l’entrée en vigueur de l’état d’urgence sanitaire le 12 mars 2020.
L’article 4.4 du contrat liant les parties stipule en effet que ‘la responsabilité d’une partie ne sera pas engagée d’une quelconque manière et une telle partie ne sera pas considérée comme étant en violation du présent contrat pour tous retards ou inexécution du présent contrat en raison des actes en dehors du contrôle de cette partie (…) (Événement de force majeure). Chaque partie s’engage à mettre en oeuvre ses meilleurs efforts commerciaux et raisonnables pour minimiser les effets d’un événement de force majeure sur l’application du présent contrat.
Si l’événement de force majeure persiste pour une période excédant 60 jours chacune des parties aura la faculté de mettre fin au présent contrat.’
La société Frogwares Ireland ne peut de bonne foi se prévaloir de cette clause pour justifier la résiliation du contrat, alors, d’une part, que c’est elle qui reproche à la société Nacon une inexécution ( dont il a d’ailleurs été relevé qu’elle n’était pas justifiée), d’autre part que la clause qu’elle invoque jouerait le cas échéant au soutien de la société Nacon et non pas en sa défaveur et enfin qu’en tout état de cause la société Nacon n’a jamais tenté de se soustraire à ses obligations pendant l’état d’urgence sanitaire.
Dans le courrier cité par la société Frogwares ireland au soutien de cette demande, la société Nacon ne se prévaut en effet pas de la crise sanitaire pour ne pas exécuter ses obligations, mais fait valoir que les justificatifs qu’elle a été mise en demeure d’adresser et qu’elle conteste devoir produire, seraient en tout état de cause très difficiles à donner dans les 30 jours.
Aucune contradiction au détriment de la société Frogwares Ireland n’en résulte dans la défense de la société Nacon.
Le contrat a d’ailleurs été exécuté pendant toute la période de l’état d’urgence sanitaire, de sorte que la mise en oeuvre de cette clause de force majeure qui suppose que l’une des parties se prévale d’un cas de force majeure pour exécuter avec retard ses obligations, n’a pu trouver application.
La force majeure ne peut donc manifestement pas justifier la résiliation prononcée par la société Frogwares.
En conséquence, il résulte de ce qui précède que la résiliation du contrat a été prononcée de façon manifestement illicite.
Sur les mesures conservatoires:
Le juge des référés peut, sur le fondement de l’article 873 du code de procédure civile, faire cesser ce trouble en enjoignant à une partie à un contrat de reprendre les relations contractuelles qu’elle a manifestement fait cesser de manière illicite.
L’ordonnance sera donc infirmée en ce qu’elle a dit n’y avoir lieu à référé, et, sans qu’il y ait lieu de s’interroger sur l’existence d’un dommage imminent, il y a lieu de dire que l’exécution du contrat doit se poursuivre jusqu’à ce que le juge du fond se prononce sur les conséquences des manquements réciproques que les parties se reprochent et dont les vifs courriers échangés au cours de l’exécution du contrat démontrent qu’ils sont nombreux.
Sur la livraison sous astreinte des formats DRM Free et Steam
La société Nacon soutient que le manquement à l’obligation de livraison des formats DRM Free et Steam est une violation d’une obligation essentielle du contrat et constitue un trouble manifestement illicite.
La société Frogwares Ireland soutient que le tribunal de commerce n’est pas compétent concernant la demande de livraison des formats manquants, qui relève de l’appréciation de l’étendue du contrat de licence, et qu’en tout état de cause, cette demande n’a pas d’objet dès lors que le contrat est résolu. Elle conteste encore avoir cédé le format DRM Free et oppose que sa contestation du contenu comme de la date de livraison des formats sont des contestations sérieuses.
En l’espèce, le contrat contient une clause 4.6 attribuant la compétence au tribunal de commerce de Paris, et qui survit à la résiliation du contrat en application de la clause résolutoire 4.2.
En outre ainsi que l’a rappelé le juge dans l’ordonnance du 11 décembre 2019, la détermination des obligations des parties quant aux formats de livraison des jeux ne met pas en jeu les règles spécifiques de la propriété littéraire et artistique.
Le juge des référés du tribunal de commerce et la cour d’appel, d’ailleurs juge des appels de ces deux juridictions, sont donc compétents pour connaître de cette demande.
La demande de la société Nacon de livraison des masters est fondée sur l’article 873 alinéa 1 du code de procédure civile, c’est-à-dire qu’il s’agit d’une demande de mesure conservatoire pour prévenir un trouble manifestement illicite.
Elle suppose donc que le refus de livraison soit manifestement illicite.
La société Nacon fonde sa demande sur l’avenant n° 1 du contrat qui comporte une annexe portant sur l’échéancier de livraison et mentionne in fine ’25 avril 2019: version PC définitive pour sortie sur Steam et autres boutiques’. La société Frogwares contestant avoir donné son autorisation pour exploiter le jeu sur toutes les plateformes PC, et soutenant que la mention autre boutiques ne vise que la mention ‘others stores’ signifie XboxOne et PS4 visées à la ligne précédente.
En outre une lettre de la société Frogwares Ireland non datée mais qui serait du 10 juillet 2019, en réponse à un courrier de mise en demeure du 4 juillet 2019 adressé par la société Nacon, fait déjà état du désaccord des parties quant à la livraison de la version PC Steam, la société Frogwares Ireland rappelant que la société Epic games store possède une exclusivité qui interdit sa vente avant le 27 juin 2020 et que la plate-forme PC Dream Free quant à elle ne fait pas partie de l’accord.
Il en ressort que ce différend n’est pas récent et que ces demandes supposent une interprétation des clauses du contrat et de ses avenants qui excède les pouvoirs du juge des référés.
Il en est de même de la demande tendant à voir interdire à la société Frogwares Ireland de poursuivre l’exploitation du jeu sur PC.
En conséquence, l’ordonnance sera confirmée sur ce point en ce qu’elle a dit n’y avoir lieu à référé.
Sur la demande de mise en place d’un séquestre judiciaire:
L’article 872 du code de procédure civile dispose que : Dans tous les cas d’urgence, le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend ».
La société Nacon demande un séquestre en exposant qu’elle a formé devant le juge du fond d’importantes demandes indemnitaires en réparation du préjudice résultant de la tentative de résiliation, de l’exploitation par la société Frogwares du jeu au détriment des droits exclusifs de la société Nacon, et du blocage total de l’exploitation du jeu, indemnités qu’elle a provisoirement évaluées à 3 millions d’euros ; que la société Frogwares ne sera certainement pas en mesure de verser ces sommes et qu’elle craint que cette société de droit irlandais, mais qui n’a en Irlande qu’une boîte postale, créée par une société ukrainienne et dont les activités opérationnelles sont en Ukraine ne transfère dans ce pays les sommes qui lui seront versées en exécution du contrat.
La société Frogwares Ireland soutient que la créance de la société Nacon est contestée tant en son fondement qu’en son principe et oppose ses propres créances sur les revenus du jeu.
Dès lors que l’effet de la clause résolutoire mise en oeuvre de façon manifestement illicite a été suspendu, il n’y a pas lieu d’ordonner le séquestre des sommes dues en vertu du contrat qui a repris force obligatoire et oblige les deux parties, la société Nacon devant s’acquitter des redevances convenues dans les termes du contrat.
Cette demande sera donc rejetée.
Sur la demande d’interdiction de contacter les plateformes de distribution du jeu TSC.
La poursuite du contrat étant ordonnée, la société Frogwares Ireland devra s’abstenir de tout agissement faisant obstacle à son exécution loyale.
En revanche, il ne sera pas fait état de l’interdiction de la société Frogwares Ireland de poursuivre l’exploitation du jeu sur PC, cette question relevant des points à faire trancher par le juge du fond.
PAR CES MOTIFS
Déclare recevables les conclusions transmises en appel par la société Frogwares Ireland,
Infirme l’ordonnance sauf en ce qu’elle a dit n’y avoir lieu à référé sur la demande de condamnation à livrer sous astreinte des formats DRM Free et Steam et sur la demande tendant à voir faire interdiction à la société Frogwares Ireland de poursuivre l’exploitation du jeu sur PC
Et, statuant à nouveau,
Ordonne, à titre de mesure conservatoire, la poursuite du contrat signé le 9 février 2017 et de son avenant du 5 octobre 2018 jusqu’à son terme ou jusqu’à ce qu’une décision intervienne sur la rupture de ce contrat et ordonne à la société Frogwares Ireland de s’abstenir de tout agissement faisant obstacle à cette poursuite, sous astreinte de 10 000 euros par infraction constatée, à compter de la signification de la décision,
Dit que la mesure conservatoire emporte nécessairement, à titre conservatoire les effets de la lettre de résiliation du 20 avril 2020,
Rejette la demande de séquestre judiciaire,
Condamne la société Frogwares Ireland à payer à la société Nacon la somme de 15 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première instance et d’appel.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,