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29 octobre 2020
Cour d’appel de Paris
RG n°
20/08910
Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 7
ARRÊT DU 29 OCTOBRE 2020
(n° 25, 15 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : 20/08910 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CB77T
Décision déférée à la Cour : décision n° 2020-MC-01 de l’Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie en date du 2 juillet 2020
REQUÉRANT :
L’OFFICE DES POSTES ET TÉLÉCOMMUNICATIONS DE NOUVELLE- CALÉDONIE E.P.I.C
Pris en la personne de son Directeur Général
inscrit au RCS de Nouméa sous le n° 132 720
ayant son siège social [Adresse 7]
[Localité 6]
Élisant domicile au cabinet de L’AARPI TEYTAUD-SALEH
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté par Me Nada SALEH-CHERABIEH, de l’AARPI TEYTAUD-SALEH, avocat au barreau de PARIS, toque : J125
Assistée de Me Richard RENAUDIER et de Me Muriel PERRIER, du Cabinet RENAUDIER, avocats au barreau de PARIS, toque : L0003
DÉFENDERESSE AU RECOURS :
SOCIÉTÉ CALÉDONIENNE DE CONNECTIVITÉ INTERNATIONALE S.A.R.L.
Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux
inscrite au RCS de Nouméa sous le n° 1 440 114
ayant son siège socia[Adresse 8]
[Adresse 8]
[Localité 6]
Élisant domicile au cabinet de la SELARL LEXAVOUÉ PARIS-VERSAILLES
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD, de la SELARL LEXAVOUÉ PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Assistée de Me Olivier BILLARD, Me Marie-Cécile RAMEAU et Me Arthur HELFER, du cabinet BREDIN-PRAT, avocats au barreau de PARIS, toque : T12
EN PRÉSENCE DE :
L’AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE
Prise en la personne de sa présidente
[Adresse 2]
[Localité 6] (NOUVELLE-CALÉDONIE)
Représentée par M. [O] [P], Chef de service, dûment mandaté
LE GOUVERNEMENT DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE
Pris en la personne de son Président
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 6] (NOUVELLE-CALÉDONIE)
assigné par acte remis en étude le 13 juillet 2020
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 24 septembre 2020, en audience publique, devant la Cour composée de :
‘ Mme Agnès MAITREPIERRE, présidente de chambre, présidente,
‘ Mme Frédérique SCHMIDT, présidente de chambre,
‘ Mme Sylvie TRÉARD, conseillère,
qui en ont délibéré.
GREFFIER, lors des débats : Mme Véronique COUVET
MINISTÈRE PUBLIC : auquel l’affaire a été communiquée
ARRÊT :
‘ contradictoire ;
‘ rendu par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
‘ signé par Mme Agnès MAITREPIERRE, présidente de chambre et par M. Gérald BRICONGNE, greffier à qui la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.
* * * * * * * *
Vu la décision n° 2020-MC-01 du 2 juillet 2020 (rectifiée) de l’Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie relative à une demande de mesures conservatoires de la Société calédonienne de connectivité internationale pour des pratiques mises en ‘uvre par l’Office des postes et télécommunications de Nouvelle-Calédonie dans le secteur des télécommunications en Nouvelle-Calédonie ;
Vu l’assignation en annulation/réformation de cette décision délivrée le 13 juillet 2020 par l’Office des postes et télécommunications de Nouvelle-Calédonie à l’Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie, à la Société calédonienne de connectivité internationale et au gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ;
Vu les observations en réponse et en réplique de la Société Calédonienne de connectivité internationale déposées au greffe les 11 et 23 septembre 2020 ;
Vu les observations en réponse de l’Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie déposées au greffe de la Cour le 14 septembre 2020 ;
Vu les observations en réplique de l’Office des postes et télécommunications de Nouvelle-Calédonie déposées au greffe de la Cour le 18 septembre 2020 ;
L’affaire ayant été communiquée au ministère public ;
Après avoir entendu à l’audience publique du 24 septembre 2020 les conseils de l’Office public des télécommunications de Nouvelle-Calédonie, qui ont été mis en mesure de répliquer, le représentant de l’Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie et les conseils de la Société calédonienne de connectivité internationale.
*
* *
FAITS ET PROCÉDURE
1.La Cour est saisie d’un recours formé par l’Office public des postes et télécommunications de Nouvelle-Calédonie (ci-après l’« OPT-NC ») contre la décision n° 2020-MC-01 du 2 juillet 2020 (rectifiée) de l’Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie (ci-après la « décision attaquée ») relative à des demandes de mesures conservatoires présentées par la Société calédonienne de connectivité internationale sur le fondement de l’article Lp.464-1du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie.
Le secteur concerné, les acteurs et le cadre juridique applicable
2.Le secteur concerné est celui des télécommunications en Nouvelle-Calédonie, matière qui relève de la compétence de la Nouvelle-Calédonie par suite du transfert opéré par l’article 22, 7° de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie (à l’exclusion des liaisons et communications gouvernementales, de défense et de sécurité en matière de postes et télécommunications et de la réglementation des fréquences radioélectriques qui restent de la compétence de l’État).
3.L’article 23 de la loi organique a également transféré à la Nouvelle-Calédonie l’opérateur historique OPT-NC, établissement public industriel et commercial créé par le décret n° 56-1229 du 3 décembre 1956 portant réorganisation et décentralisation des postes et télécommunications d’outre-mer. Ce décret, en son article 7, lui avait confié le monopole d’État du service public des postes et télécommunications, tel qu’il résultait de l’article 1er du décret-loi du 27 décembre 1851 relatif au monopole et à la police des lignes télégraphiques.
4.Ses nouveaux statuts ont été adoptés par une délibération du Congrès de la Nouvelle-Calédonie n° 51-CP du 23 octobre 2000, laquelle, en matière de télécommunications, précise en son article 2 que l’OPT-NC a pour objet :
‘ d’assurer tous services publics de télécommunications dans les relations intérieures et extérieures et en particulier d’assurer l’accès au service du téléphone à toute personne qui en fait la demande ;
‘ d’établir, de développer, d’exploiter tous réseaux de télécommunications ouverts au public, nécessaires à la fourniture de ces services et d’assurer leur connexion avec les réseaux étrangers.
5.Le transfert de cet établissement a été effectivement opéré par le décret n°2002-717 du 2 mai 2002.
6.Sa mission de service de public est définie par le code des postes et télécommunications de Nouvelle-Calédonie (ci-après le « CPTNC »), institué par une délibération du Congrès de Nouvelle-Calédonie n°236 du 15 décembre 2006, et plus précisément par les dispositions suivantes, figurant au Livre II « Les télécommunications » :
‘ au Titre I « Dispositions générales », l’article 211-3 :
« 1° Le service public des télécommunications défini à l’article 221-2 relève de la compétence exclusive de la Nouvelle-Calédonie. Le service public des télécommunications est assuré par l’office des postes et télécommunications.
L’office des postes et télécommunications et, le cas échéant, ses filiales assurent l’accès aux réseaux et services de télécommunications ouverts au public dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires.
2° Les activités de télécommunications qui ne relèvent pas du service public s’exercent dans les conditions prévues au titre 3 ».
‘ au Titre II « Le service public des télécommunications » :
– l’article 221-1 : « Le service public des télécommunications est assuré par l’office des postes et télécommunications dans le respect des principes d’égalité, de continuité, de neutralité et d’adaptabilité » ;
– l’article 221-2 de ce code définit le service public des télécommunications comme comprenant :
« ‘ l’accès aux réseaux de télécommunications à bas débit ;
‘ l’accès au réseau large bande par la fourniture d’une capacité de transmission sur support matériel, radioélectrique, terrestre ou satellitaire ;
‘ la fourniture d’un service de voix, y compris au moyen d’un service de voix sur internet ;
‘ la commercialisation de liaisons louées et de transmission de données ;
‘ l’acheminement des télécommunications en provenance ou à destination des points de terminaison des réseaux cités ci-dessus ;
‘ l’acheminement gratuit des appels vers les services d’urgence ;
‘ la fourniture d’annuaires d’abonnés ;
‘ la fourniture d’un service de renseignements ;
‘ la desserte en cabines téléphoniques. ».
7.L’OPT-NC est propriétaire et exploite l’ensemble des infrastructures de télécommunications locales et internationales qui constituent « le réseau fédérateur ». Ce réseau fédérateur permet la collecte des flux de données entrants et sortants de Nouvelle-Calédonie et les flux internes à la Nouvelle-Calédonie ainsi que leur acheminement à partir des ou vers les utilisateurs calédoniens d’internet. Ces infrastructures interconnectées comprennent notamment :
‘ le réseau qui relie l’utilisateur à un central (réseau fibre ou réseau cuivre ADSL, et dans certaines régions réculées, réseau par radio), et qu’on appelle communément « la boucle locale » ;
‘ un câble domestique dénommé « Picot » qui rejoint [Localité 11], situé sur la côte est de la Nouvelle-Calédonie, aux îles d'[Localité 10] et [Localité 9] ;
‘ un câble sous-marin international dénommmé « [M] » qui, depuis septembre 2008, relie [Localité 6] à l’Australie. Ce câble a été construit par la société Alcatel Submarine Network (ASN) dans le cadre d’un appel d’offres. Le coût de ce câble a été de 4,6 milliards de franc CFP. Selon l’OPT-NC, le délai de retour sur investissement est de 12 années et 1 mois, le câble est donc amorti depuis début 2020.
8.À ce jour, la connexion au réseau mondial et aux opérateurs distants se fait au moyen de ce seul câble sous-marin et, à titre de secours, de satellites.
9.En vue de sécuriser [M], l’OPT-NC a lancé un premier appel d’offres international en juillet 2016, auquel ont répondu deux sociétés : la société ASN, qui proposait de créer un nouveau câble sous-marin reliant la Nouvelle-Calédonie à Fidji et la société Hawaïki, qui proposait de relier la Nouvelle-Calédonie à son propre câble sous-marin (Hawaïki) qui relie déjà l’Australie, la Nouvelle-Zélande et les États-Unis. Cet appel d’offres ayant été déclaré infructueux le 1er octobre 2018, l’OPT-NC a relancé un nouvel appel d’offres le 30 mars 2019 spécifiant son choix d’un câble sous-marin international à destination de Fidji pour lequel la société ASN a été seule candidate et a été retenue. Ce second câble sous-marin, appelé [M] 2, est en cours de construction depuis avril 2020.
10.La société Hawaïki, de son côté, par l’intermédiaire de sa filiale, la Société calédonienne de connectivité internationale (ci-après la « SCCI ») créée en juillet 2019, a décidé d’investir elle-même dans la réalisation d’un câble sous-marin, qui reliera la Nouvelle-Calédonie à son câble sous-marin Hawaïki. Ces deux sociétés ont présenté leur projet au Président du gouvernement de Nouvelle-Calédonie le 30 août 2019 afin d’obtenir les autorisations nécessaires à la construction de leur câble dénommé « Tomoo », avec pour objectif d’entrer sur le marché en proposant notamment aux fournisseurs d’accès à l’internet présents en Nouvelle-Calédonie une offre alternative à l’offre « liaison internationale » de l’OPT-NC.
11.L’OPT-NC donne, en effet, accès à son réseau fédérateur à travers des offres tarifaires, étant précisé que ces tarifs doivent être approuvés par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie en vertu du 3° de l’article 127 de la loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie.
12.Jusqu’au 1er mars 2020, ces offres, en ce qu’elles étaient destinées aux fournisseurs d’accès internet (FAI) et aux fournisseurs de services internet (FSI) auxquels l’OPT-NC vend des capacités de trafic, comprenaient deux types de tarifs : les tarifs du réseau fédérateur international et les tarifs du réseau fédérateur local et « proximisé ».
13.À compter du 1er mars 2020, une nouvelle offre tarifaire a été mise en oeuvre, dénommée « offre fusionnée », qui englobe le trafic local et de proximité avec le trafic international. Ces nouveaux tarifs, adoptés par l’OPT-NC lors de son conseil d’administration du 19 décembre 2019, ont été présentés au public lors d’une conférence de presse tenue le lendemain.
14.Ils ont été ensuite approuvés par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie par arrêté n° 2020-127/GNC du 4 février 2020.
La saisine de l’Autorité de la concurrence et du tribunal administratif de la Nouvelle-Calédonie
15.Le 23 janvier 2020, dès avant la décision du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie d’approuver la nouvelle grille tarifaire, la SCCI a saisi l’Autorité de la concurrence de Nouvelle-Calédonie (ci après l’« Autorité-NC») d’une plainte suivie le 27 janvier 2020, d’une demande de mesures conservatoires, enregistrées respectivement par l’Autorité-NC les 27 et 28 janvier 2020 sous les n° 20/0006F et 20/0007M.
16.Dans cette saisine, la SCCI critique le tarif résultant de l’offre fusionnée de l’OPT-NC adoptée par l’arrêté du 4 février 2020, précité, qui caractérise, selon elle, une pratique de ventes liées visant à l’empêcher d’entrer sur le marché, et qui serait constitutive d’un abus de position dominante de la part de l’OPT-NC sur le marché des capacités de connectivité internationale haut débit par câble sous-marin. Elle soutient que ce marché ne fait l’objet d’aucun monopole de droit de l’OPT-NC en soulignant que le monopole de l’OPT-NC en matière de télécomunications ne s’exerce que dans les domaines cités à l’article 221-2 du CPTNC parmi lesquels ne figure pas celui des capacités de connectivité internationale. Elle demande, à titre de mesure conservatoire, la suspension de l’offre fusionnée.
17.Parallèlement à la saisine de l’Autorité, la SCCI a saisi le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie de deux procédures, l’une en référé, aux fins de suspension de l’exécution de l’arrêté du 4 février 2020, précité et l’autre, au fond, aux fins d’annulation de cet arrêté.
18.Par une ordonnance du 9 mars 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté la demande de suspension, au motif que la condition d’urgence n’était pas remplie.
19.Par une décision avant dire droit du 22 avril 2020, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie, saisi de l’instance au fond, a, en application de l’article Lp.462-3 du code de commerce, dans sa version applicable en Nouvelle-Calédonie, demandé à l’Autorité-NC de lui fournir tous éléments d’appréciation lui permettant de répondre aux question suivantes : « le marché de capacités de connectivité internationale constitue-t-il un marché pertinent ‘ Ensuite, et le cas échéant, ce marché est-il ouvert à la concurrence ou relève-t-il du monopole légal conféré par l’article211-3 du CPTNC à l’OPT-NC ‘ Enfin, la réforme tarifaire approuvé par l’arrêté n° 2020/127 GNC du gouvervement de la Nouvelle-Calédonie du 4 février 2020 est-elle constitutive d’un abus de position dominante ‘ ».
20.Entre-temps, le 14 avril 2020, la SCCI a adressé à l’Autorité-NC une saisine complémentaire pour dénoncer un abus de position dominante de l’OPT-NC qui serait, selon elle, caractérisé par :
‘ des pratiques de ventes liées ;
‘ des pratiques tarifaires d’éviction, voire de prédation, intervenant dans un contexte de subventionnement croisé ;
‘ des pratiques de refus d’accès à une infrastructure essentielle ; et, plus généralement ;
‘ des pratiques visant à évincer la SCCI du marché de gros des capacités de connectivité internationale haut débit en Nouvelle-Calédonie, sur lequel elle est nouvel entrant.
21.Accessoirement à cette saisine complémentaire, la SCCI a demandé le prononcé de mesures conservatoires consistant à ce qu’il soit enjoint à l’OPT-NC « d’accorder à la SCCI un accès non discriminatoire au réseau fédérateur domestique de Nouvelle-Calédonie, en répondant favorablement aux demandes d’accès et d’interconnexion formulées par la SCCI,depuis août 2019, dans un délai de deux mois », de « suspendre l’application de l’offre fusionnée » et, à défaut, « de soumettre, sous astreinte, au gouvernement de Nouvelle-Calédonie pour approbation, dans un délai d’un mois, une nouvelle offre tarifaire, non fusionnée et fixée à un niveau conforme aux exigences du droit de la concurrence ».
22.À la réception de cette saisine, l’Autorité-NC, qui avait décidé de suspendre l’instruction des mesures conservatoires dans l’attente de la décision au fond du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie, a repris cette instruction et fixé un nouveau calendrier de procédure aux parties.
La décision attaquée
23.Par la décision attaquée, l’Autorité-NC a retenu, en substance :
‘ que le marché pertinent est celui du marché de gros des services de capacités de connectivité internationale qui comprend les services de transmission de communications électroniques extérieures à la Nouvelle-Calédonie principalement par câble sous-marin et de façon plus résiduelle par satellites, et sur lequel l’OPT-NC est actuellement le principal opérateur intervenant en tant qu’offreur et en tant que propriétaire de toutes les infrastructures de télécommunications internationales (câble [M] 1) à l’exception de liaisons satellitaires de secours qu’il loue ;
‘ que ce marché est ouvert à la concurrence en ce que les dispositions du CPTNC ne confèrent pas expressément à l’OPT-NC des droits exclusifs pour la fourniture de services de capacités de connectivité internationale à haut débit par câble sous-marin et qu’à supposer qu’ils lui soient conférés de manière implicite, ils doivent être interprétés strictement étant donné qu’ils portent atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie ;
‘ qu’elle est compétente pour apprécier la conformité des décisions prises par l’OPT-NC aux règles de la concurrence, en ce que ses ces décisions étaient détachables de sa mission de service public ;
‘ que le refus d’accès au réseau fédérateur domestique et le tarif fusionné sont susceptibles de caractériser un abus de position dominante par refus d’accès à une infrastructure essentielle et par la pratique de ventes liées ;
‘ que ces faits constituent une atteinte grave et immédiate aux intérêts de la SCCI.
24.Par ces motifs, elle a enjoint à l’ OPT-NC de « proposer à la SCCI, dans un délai maximum de huit semaines à compter de la notification de la présente décision, une offre technique et commerciale d’accès au réseau fédérateur local pour la fourniture de services de capacités de connectivité internationale à haut débit par câble sous-marin, à des conditions objectives et non discriminatoires et orientée vers les coûts, pour lui permettre l’exercice d’une concurrence effective sur ce marché ».
Le recours en annulation
25.Par une assignation délivrée le 13 juillet 2020 à l’Autorité-NC, à la SCCI et au gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, l’OPT-NC a formé un recours en annulation de cette décision.
26.Au cours de l’instance, et après avoir reçu le 6 juillet 2020 l’ avis de l’Autorité-NC qu’il avait sollicité, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a, par un jugement du 6 août 2020, rejeté la requête en annulation de l’arrêté portant approbation de l’offre tarifaire, après avoir retenu que l’OPT-NC disposait d’un monopole légal sur le marché des services de capacités de connectivité internationale à haut débit.
27.La SCCI a indiqué avoir fait appel de cette décision devant la cour administrative d’appel de Paris.
28.Aux termes de ses dernières conclusions, l’OPT-NC demande à la Cour de :
‘ déclarer son recours en annulation recevable,
À titre liminaire :
‘ prononcer l’incompétence de l’Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie au profit des juridictions administratives,
‘ inviter la SCCI à mieux se pourvoir,
‘ en conséquence, annuler la décision n° 2020-MC-01 du 2 juillet 2020 dans son intégralité et les mesures conservatoires prononcées ;
À titre principal :
‘ déclarer irrecevable la demande de la SCCI,
‘ constater l’existence du monopole de l’OPT-NC,
‘ déclarer en toute hypothèse mal fondée la demande de mesures conservatoires de la SCCI,
‘ en conséquence, annuler la décision n° 2020-MC-01 du 2 juillet 2020 dans son intégralité et la mesure conservatoire prononcée ;
‘ en tout état de cause, condamner la SCCI au paiement de la somme de 60 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.
29.L’Autorité-NC invite la Cour à rejeter le recours.
30.La SCCI demande à la Cour de confirmer en tous points la décision de l’Autorité-NC, de rejeter le recours et de condamner l’OPT-NC à lui payer la somme de 60 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
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* *
MOTIVATION
31.Lorsque le marché concerné par les pratiques dénoncées dans la saisine est soumis à un monopole de droit, les principes de libre jeu de la concurrence et de fonctionnement concurrentiel des marchés, au respect desquels l’Autorité-NC doit veiller conformément à l’article Lp.461-1 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie, ne s’appliquent pas de sorte que cette autorité n’est pas compétente au sens de l’article Lp.462-8 du code de commerce. Dans une telle hypothèse, la saisine est, en vertu de ce texte, irrecevable.
I. SUR L’EXISTENCE D’UN MONOPOLE DE DROIT COUVRANT LE MARCHÉ PERTINENT
32.L’OPT-NC soutient qu’il dispose d’un monopole légal, au sens monopole de droit par opposition à un monopole de fait, en vertu du décret-loi du 27 décembre 1851et celui décret n°56-1229 du 3 décembre 1956 et souligne que ce monopole a été réaffirmé par le Congrès de la Nouvelle-Calédonie lors de l’adoption de ses statuts et du CPTNC.
33.Il rappelle que le décret de 1851 est resté en vigueur jusqu’à son abrogation par la délibération de 2006 ayant institué le CPTNC, et que celui de 1956, dont la valeur législative a été reconnue par le Tribunal des conflits, est toujours applicable en Nouvelle-Calédonie, contrairement à l’analyse retenue par l’Autorité-NC selon laquelle il aurait été abrogé implicitement dès lors que la Nouvelle-Calédonie a exercé pleinement sa compétence dans la matière. Il fait valoir, à cet égard, que la théorie de l’abrogation implicite n’a pas vocation à s’appliquer dès lors que les textes en cause, le décret de 1956 d’un côté, et les délibérations du Congrès de 2000 et 2006 de l’autre, ne sont pas incompatibles, et qu’en outre, le décret de 1956 a été visé par des dispositions adoptées postérieurement à ces délibérations du Congrès.
34.Il ajoute que son monopole légal a été réaffirmé :
‘ en 2000, lors de l’adoption de ses statuts et plus particulièrement à l’article 2 qui précise que l’OPT-NC a pour objet « d’assurer tous services publics de télécommunications dans les relations intérieures et extérieures » ainsi que « d’exploiter tous réseaux de télécommunications […] et d’assurer leur connexion avec les réseaux étrangers » ;
‘ en 2006, lors de l’adoption du CPTNC, et plus particulièrement à l’article 211-3 de ce code qui prévoit que « le service public des télécommunications est assuré par l’office des postes et télécommunications », à l’article 211-2 qui définit le réseau public de télécommunications comme « l’ensemble des réseaux de télécommunications établis ou utilisés par l’office des postes et télécommunications pour les besoins du public ».
35.Il soutient que ces dispositions lui confèrent à titre exclusif le service public des télécommunications et que les matières qui n’en relèvent pas sont prévues limitativement aux articles 231-1 et 231-4 du CPTNC qui visent :
‘ les réseaux internes définis par l’article 211-2 comme « un réseau entièrement établi sur une même propriété sans emprunter ni une propriété tierce ni, le cas échéant, le domaine hertzien ou le domaine public maritime ou routier » ;
‘ les réseaux indépendants définis par l’article 211-2 comme « un réseau de télécommunications réservé à l’usage exclusif de la personne physique ou morale qui l’établit » ;
‘ et la fourniture de services de voix sur Internet aux utilisateurs, après annulation, par un jugement du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie du 20 mars 2008, de l’article 231-3 qui prohibait la fourniture de ce service par un opérateur autre que l’OPT-NC.
36.Il invoque également, d’une part, les débats parlementaires du Congrès de la Nouvelle-Calédonie lors de l’adoption du CPTNC qui affirment la volonté du Congrès de maintenir le monopole de l’OPT-NC et le fait que ce monopole couvre le câble sous-marin [M] dont la mise en service était déjà programmée, d’autre part, le jugement du tribunal administratif du 20 mars 2008 qui, s’il a annulé la disposition du CPTNC ayant prohibé la fourniture de voix sur internet par un opérateur autre que l’OPT-NC, a en revanche refusé d’annuler les articles 211-3, 221-1 à 221-3 de ce code au motif que la restriction apportée à la liberté du commerce et de l’industrie par l’attribution des droits exclusifs au profit de l’OPT-NC était une contrepartie justifiée des charges pesant sur l’opérateur ; ainsi que le jugement de ce même tribunal administratif du 6 août 2020.
37.S’agissant de l’étendue de ce monopole, il fait valoir que l’article 221-2 du CPTNC inclut expressément dans ce monopole légal « l’accès au réseau large bande par la fourniture d’une capacité de transmission sur support matériel, radioélectrique, terrestre ou satellitaire » et que selon la définition classique retenue par l’Union Internationale des Télécommunications (UIT), un réseau large bande est défini comme capable de transmettre des signaux à un débit élevé. A cet égard, il soutient qu’un câble sous-marin, comme une fibre optique terrestre, sont des supports matériels de réseaux larges bandes entrant dans la définition de l’article 221-2 précité qui ne fait aucune distinction entre les réseaux intérieurs ou extérieurs (ou internationaux).
38.L’Autorité-NC considère que la Nouvelle-Calédonie a pleinement exercé la compétence en matière de télécommunications que lui a transférée la loi organique de 1999 en adoptant les délibérations n° 51/CP du 23 octobre 2000 et n° 236 du 15 décembre 2006, de sorte que le décret du 3 décembre 1956 est devenu manifestement incompatible avec le nouveau cadre juridique applicable et doit être regardé comme implicitement abrogé, conformément à une jurisprudence constante de l’ordre administratif comme judiciaire. Elle ajoute que la délibération n° 051/CP du 23 octobre 2000 qui fixe les statuts de l’OPT-NC ne peut davantage fonder le monopole de droit invoqué par ce dernier, dès lors que ce texte ne lui confère aucune exclusivité ni monopole et qu’au demeurant, dans les années 2000, l’OPT-NC n’était pas seul en charge du service public des télécommunications extérieures, lequel était également assuré par la société France Câble Radio et par des opérateurs privés concernant la fourniture de capacités de connectivité internationale à bas débit sur support satellitaire. Elle considère que seule la délibération n° 236 du 15 décembre 2006 relative au CPTNC est pertinente pour déterminer l’étendue des missions confiées à l’OPT-NC et leur caractère concurrentiel ou non.
39.À cet égard, elle fait valoir que si le CPTNC encadre l’exercice des missions de service public confiées à l’OPT-NC, il ne lui accorde expressément aucun droit exclusif en matière de télécommunications, contrairement à ce qui est le cas en matière postale où l’article 111-3 de ce code prévoit expressément l’exclusivité de l’OPT-NC. Elle soutient que l’article 221-2 du CPTNC ne mentionne pas au titre des activités de service public confiées à l’OPT-NC la transmission de capacités de connectivité internationale ni même le support sous-marin.
40.Elle considère que si, dans son jugement du 20 mars 2008, le tribunal administratif de la Nouvelle-Calédonie avait déjà interprété les dispositions du CPTNC comme confiant implicitement des droits exclusifs à l’OPT-NC, conduisant ce dernier à tenir pour acquis qu’il bénéficie d’un « monopole légal », il n’en demeure pas moins que les dispositions du CPTNC ne confèrent pas expressément de droits exclusifs à l’OPT-NC dans le secteur des télécommunications alors qu’il le fait en matière postale et qu’il n’est pas contesté, ni par l’OPT-NC, ni par le tribunal administratif dans son jugement du 6 août 2020, que l’article 221-2 du CPTNC ne mentionne ni la transmission de capacités internationales ni l’utilisation pour l’accès au réseau large bande d’un câble sous-marin, parmi les activités relevant du service public de l’OPT-NC, de sorte que ce dernier ne saurait se prévaloir des dispositions du CPTNC pour exciper d’un monopole légal qui lui serait expressément confié sur le marché de la fourniture de service de capacités de connectivité internationale à haut débit par câble sous-marin.
41.Elle ajoute que le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, bien qu’alerté en septembre 2018 sur la fragilité juridique de l’article 221-2 du CPTNC par un étude intitulée « Le cadre juridique, règlementaire et fiscal » du secteur des télécommunications, n’a pas donné suite à la proposition de modification de ce code pour conforter l’OPT-NC et lui garantir un quelconque monopole légal sur le marché de la fourniture de service de capacités de connectivité internationale à haut débit par câble sous-marin.
42.À titre subsidiaire, l’Autorité-NC considère qu’à supposer que le CPTNC confère implicitement des droits exclusifs à l’OPT-NC, ces dispositions doivent être interprétées strictement, conformément à une jurisprudence constante, au regard de l’atteinte disproportionnée qu’elles portent au principe constitutionnel de la liberté du commerce et de l’industrie, et de la libre concurrence qui en découle, et que cette interprétation stricte doit conduire à écarter l’argument de l’OPT-NC selon lequel le câble sous-marin serait implicitement inclus dans la notion de support matériel pour fonder le monopole légal de l’OPT-NC sur le marché de la fourniture de services de capacités de connectivité internationale à haut débit.
43.La SCCI développe des arguments analogues à ceux de l’Autorité-NC, en soulignant que si l’analyse des travaux préparatoires du CPTNC tend à indiquer que l’intention du Congrès de la Nouvelle-Calédonie était bien de conférer à l’OPT-NC un monopole sur les activités visées à l’article 221-2 du code, et uniquement sur les activités limitativement énumérées à cet article, l’ « intention » exprimée dans les travaux parlementaires ne peut suffire à fonder juridiquement un monopole que les textes finalement adoptés n’ont pas eux-mêmes, expressément, prévu. Elle relève qu’en l’état, le CPTNC n’interdit pas expressément à des opérateurs autres que l’OPT-NC d’intervenir dans le secteur des télécommunications, et en tous les cas, sur le marché des services de capacités de connectivité internationale. Sur ce dernier point, elle soutient que les travaux préparatoires du CPTNC ne traduisent aucune intention d’instaurer un monopole sur ce marché précis, alors même que le projet de construction du câble sous-marin [M] était connu et en cours.
44.Elle ajoute que l’absence de monopole de droit de l’OPT-NC sur ce marché est confirmée par un certain nombre d’éléments factuels qui ont été à juste titre relevés par l’Autorité-NC dans la décision attaquée, tenant à la commercialisation de capacité de connectivité internationale satellitaire par des opérateurs économiques autres que l’OPT-NC jusqu’à la mise en place du câble sous-marin [M].
* * *
Sur ce, la Cour :
45.La délibération n° 236 du 15 décembre 2006 relative au code des postes et télécommunications de la Nouvelle-Calédonie abroge expressément en son article 2, en tant qu’ils s’appliquent à la Nouvelle-Calédonie :
‘ le décret-loi du 27 décembre 1851 relatif au monopole et à la police des lignes télégraphiques ;
‘ l’article 85 de la loi du 30 juin 1923 portant fixation du budget général de l’exercice 1923 ayant étendu ce monopole à l’émission et à la réception des signaux électriques de toute nature ;
‘ le décret du 10 mars 1930 rendant applicable cette extension « à l’ensemble des colonies françaises et des pays africains sous mandat de la France ».
46.Cette délibération a ainsi abrogé les textes qui instituaient un monopole d’État en matière de télécommunications.
47.Le décret n°56-1229 du 3 décembre 1956, qui en son article 7 avait confié à l’OPT-NC, l’exploitation du service public des postes et télécommunications et l’exercice « à cet effet [des] monopoles postal, télégraphique et téléphonique tels qu’ils résultent des textes en vigueur », ne peut donc être utilement invoqué par ce dernier pour fonder l’existence du monopole qu’il prétend détenir sur le service public des télécommunications en Nouvelle-Calédonie.
48.Il s’ensuit que le CPTNC, institué par cette même délibération, constitue désormais le seul texte pertinent pour déterminer la nature et l’étendue des missions de service public de l’OPT-NC dans le secteur des télécommunications, et si ces activités sont exercées dans le cadre d’un monopole de droit.
49.Le CPTNC, issu de cette délibération, est structuré en deux livres :
‘ le livre I intitulé « Le service postal »,
‘ le livre II intitulé « Les télécommunications ».
50.Ce livre II est, quant à lui, structuré en cinq titres :
‘ Titre I : Dispositions générales ;
‘ Titre II : Le service public des télécommunications ;
‘ Titre III : Régimes des autres réseaux et services ;
‘ Titre IV : Gestion des ressources rares ;
‘ Titre V : Normes et agréments ;
‘ Titre VI : Dispositions pénales.
51.Comme rappelé au paragraphe 6 du présent arrêt, le titre I comprend, notamment, l’article 211-3, intitulé « Principes généraux », rédigé de la manière suivante :
« 1° Le service public des télécommunications défini à l’article 221-2 relève de la compétence exclusive de la Nouvelle-Calédonie. Le service public des télécommunications est assuré par l’office des postes et télécommunications.
L’office des postes et télécommunications et, le cas échéant, ses filiales assurent l’accès aux réseaux et services de télécommunications ouverts au public dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires.
2° Les activités de télécommunications qui ne relèvent pas du service public s’exercent dans les conditions prévues au titre 3 ».
52.Ainsi, l’article 211-3 affirme, en son 1°, que le service public de télécommunications relève de la compétence exclusive de la Nouvelle-Calédonie et qu’il est assuré par l’OPT-NC. S’il ne précise pas que ce service public est assuré exclusivement par l’OPT-NC, comme le fait l’article 111-3 pour le service public postal, il désigne néanmoins uniquement l’OPT-NC pour assurer ce service et pour assurer l’accès aux réseaux et services des télécommunications ouverts au public. A cet égard, il doit être observé que les statuts de cet établissement public ont été adoptés en 2000, soit à une date à laquelle les dispositions qui fondaient le monopole d’État confié à l’OPT-NC par le décret de 1956, tel qu’il résultait de l’article 1er du décret-loi du 27 décembre 1851, étaient toujours en vigueur, que ces statuts n’ont pas été modifiés après l’abrogation de ces dispositions et qu’ils prévoient toujours que l’OPT-NC a pour objet :
‘ d’assurer tous services publics de télécommunications dans les relations intérieures et extérieures et en particulier d’assurer l’accès au service du téléphone à toute personne qui en fait la demande ;
‘ d’établir, de développer, d’exploiter tous réseaux de télécommunications ouverts au public, nécessaires à la fourniture de ces services et d’assurer leur connexion avec les réseaux étrangers.
53.S’agissant des activités de télécommunications qui ne dépendent pas de ce service public, ce même article 211-3, en son 2°, renvoie aux règles prévues au titre III, lequel prévoit à l’article 231-1 que certaines de ces activités sont simplement soumises à autorisation du gouvernement tandis que d’autres, énumérées à l’article 231-3, sont exercées librement, sans intervention de la part de l’OPT-NC.
54.Il se déduit ainsi de la lecture combinée des 1° et 2° de l’article 211-3, et des articles 231-1 et 231-3, que par ces dispositions, le CPTNC confère à l’OPT-NC, seul, l’exercice et l’exploitation des activités relevant du service public des télécommunications, tel que défini à l’article 221-2 et n’autorise l’intervention d’autres opérateurs que pour les activités ne relevant pas de ce service et énumérées au titre III.
55.Il en résulte que l’OPT-NC dispose d’un monopole de droit sur l’exploitation des réseaux et services des télécommunications ouverts au public qui relèvent du service public des télécommunications en Nouvelle-Calédonie, et partant, qu’il dispose donc des droits exclusifs sur ces réseaux et services.
56.L’Autorité-NC ne peut donc tirer argument de ce que les textes précités n’utilisent ni le terme « monopole » ni les termes « droits exclusifs » pour contester l’existence du monopole attribué par le CPTNC à l’OPT-NC sur l’exploitation des réseaux et services des télécommunications ouverts au public.
57.Cette lecture se trouve confortée par le libellé de l’article 221-1. En effet, à l’instar, de l’article 211-3 précité, le titre II, en son article 221-1, prévoit que « [l]e service public des télécommunications est assuré par l’office des postes et télécommunications dans le respect des principes d’égalité, de continuité, de neutralité et d’adaptabilité », sans envisager d’autre opérateur susceptible d’assumer cette charge.
58.En outre, l’OPT-NC produit devant la Cour des extraits des débats du Congrès lors de l’adoption de la délibération instituant le CPTNC, publiés au Journal Officiel de la Nouvelle-Calédonie du 15 mai 2008. Il ressort de ces débats et en particulier du rapport du gouvernement de présentation du projet de délibération instituant le CPTNC lu au Congrès, que la délibération tend à réaffirmer que l’activité des postes et télécommunications demeure un service public relevant de la compétence exclusive de la Nouvelle-Calédonie, à maintenir le monopole de l’OPT-NC qui exerce cette activité, et à exclure une ouverture à la concurrence des activités relevant de ce service public. Il ressort également de ces débats que le projet de CPTNC, en ses articles 211-3, 221-1 et 221-2 n’a pas fait l’objet d’amendement de sorte que ces articles ont été adoptés sans aucune modification.
59.Il en ressort que l’intention du Congrès a été de préserver le monopole dont bénéficiait l’OPT-NC, lorsqu’il a adopté cette délibération.
60.Enfin, à titre surabondant, la Cour rappelle que le CPTNC, dans sa rédaction initiale, consolidée après publication d’un erratum, comportait, au titre III, l’article 231-2 intitulé « Fourniture d’accès à Internet et voix sur Internet » et rédigé de la manière suivante :
« La fourniture d’accès à Internet, à distance ou dans des locaux dédiés à cet effet s’exerce librement.
Conformément aux dispositions du titre II du présent Livre, la fourniture, pour un usage personnel ou professionnel d’un service de voix sur Internet offert par un fournisseur autre que l’exploitant public est prohibée ».
61.Ainsi, si ce texte posait en son alinéa 1er, le principe de la liberté d’exercice de l’activité de fourniture d’accès à internet, laquelle activité ne relève pas du service public, son alinéa 2 prohibait la fourniture d’un service de voix sur internet et fondait explicitement cette prohibition sur les dispositions du titre II du livre II.
62.Le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie, par un jugement du 20 mars 2008, devenu définitif, a annulé l’article 231-2 au motif qu’il portait « une atteinte excessive à la liberté fondamentale d’entreprendre qui découle du préambule de la Constitution, et à sa composante qu’est la liberté du commerce et de l’industrie ». Il a, toutefois, refusé d’annuler les articles 211-3, 221-1 et 221-2 au motif que la restriction que ces dispositions apportaient à la liberté du commerce et de l’industrie en confiant des droits exclusifs au profit de l’OPT-NC était une contrepartie justifiée des charges pesant sur l’opérateur.
63.L’Autorité-NC ne peut donc utilement tirer argument de ce que la fourniture d’un service de voix sur internet figure toujours à l’article 221-2 et qu’elle peut être exercée librement, pour en déduire que les activités composant le service public des télécommunications défini par cet article ne s’exercent pas dans le cadre d’un monopole de droit. En effet, si le tribunal administratif, en laissant inchangé les termes de l’article 221-2, a ainsi créé un double régime, permettant la fourniture d’un service de voix sur internet par d’autres opérateurs que l’OPT-NC qui la fournit dans le cadre de ses missions de service public, cette circonstance n’est pas de nature à remettre en cause, à l’égard des autres activités confiées à l’OPT-NC, le monopole qui résulte de la lecture combinée des textes précités, déjà évoqué aux § 54 et suivant du présent arrêt, et non du seul article 221-2.
64.S’agissant de l’étendue de ce monopole, elle est déterminée à l’article 221-2 du CPTNC qui, comme il a été exposé au paragraphe 6 du présent arrêt, inclut notamment « l’accès au réseau large bande par la fourniture d’une capacité de transmission sur support matériel, radioélectrique, terrestre ou satellitaire ».
65.Ni l’Autorité-NC, ni la SCCI ne contestent qu’un réseau large bande est défini comme un système capable de transmettre des signaux à un débit élevé, et ce comme l’expose l’OPT-NC dans ses écritures en se fondant sur la définition donnée par l’Union internationale des télécommunications.
66.En outre, force est de constater que ce texte ne fait aucune distinction entre une transmission externe et interne de sorte qu’il n’y a pas lieu de distinguer là où le texte ne distingue pas et qu’il convient de retenir que ce texte vise les transmissions de signaux tant internes à la Nouvelle-Calédonie qu’externes, c’est-à-dire internationales.
67.Ce texte n’énumère pas trois types de support matériel de transmission, de manière limitative, que seraient le support radioélectrique, satellitaire ou terrestre, contrairement à ce que soutient l’Autorité-NC, sauf à faire d’un support radioélectrique un support matériel, ce qu’il n’est pas.
68.Ce texte désigne quatre grands types de support en recourant à des notions très larges, dont celle de support matériel de transmission. Il ne peut être sérieusement contesté qu’un câble constitue un support matériel de transmission de signaux et ce, fût-il sous-marin, posé au fond des mers.
69.Ainsi, si ce texte ne vise pas expressément le câble sous-marin, il l’inclut nécessairement en visant le support matériel de transmission de signaux.
70.Dès lors, il n’y a pas à lieu de recourir à l’interprétation « stricte » de l’article L.221-2 que l’Autorité-NC propose à la Cour.
71.La Cour ajoute, au surplus, que les débats du Congrès précédant l’adoption de la délibération instituant le CPTNC invoquent les investissements dans la construction d’un câble sous-marin par l’OPT-NC comme un argument en faveur d’un maintien du monopole de droit de ce dernier dans le secteur des télécommunications.
72.Enfin, l’existence de ce monopole ne saurait être remise en cause par les pratiques de certains opérateurs, dont font état l’Autorité-NC et la SCCI, ayant consisté à se procurer des capacités de connectivité satellitaires en dehors de toute intervention de l’OPT-NC. En effet, la méconnaissance du monopole par certains ne peut être interprétée comme une autorisation d’exercer librement les activités et services couverts par le monopole tel qu’institué au profit de l’OPT-NC par les dispositions du CPTNC.
73.En l’état des textes applicables, le marché de fournitures de service de capacités de connectivité internationale relève donc des activités de service public soumises au monopole de droit de l’OPT-NC.
74.C’est donc à tort que l’Autorité-NC a retenu que les faits invoqués par la SCCI dans ses plaintes successives entraient dans le champ de ses compétences, qu’elle a admis la recevabilité de sa saisine et des demandes de mesures conservatoires et a adressé des injonctions à l’OPT-NC sur le fondement de l’article Lp.464-1 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie.
75.Il convient d’annuler la décision attaquée et, statuant à nouveau, de déclarer la saisine irrecevable en application de l’article Lp.462-8 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie.
II. SUR LES AUTRES DEMANDES
76.La SCCI, succombant en ses prétentions, sera condamnée à payer à l’OPT-NC la somme de 20 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par décision rendue en dernier ressort :
ANNULE la décision n°2020-MC-01 du 2 juillet 2020 (rectifiée) de l’Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie relative à une demande de mesures conservatoires de la Société calédonienne de connectivité internationale pour des pratiques mises en ‘uvre par l’Office des postes et télécommunications de Nouvelle-Calédonie dans le secteur des télécommunications en Nouvelle-Calédonie ;
Statuant à nouveau :
DÉCLARE irrecevables les saisines de l’Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie par la Société calédonienne de connectivité internationale et ses demandes de mesures conservatoires accessoires ;
CONDAMNE la Société calédonienne de connectivité internationale à payer à l’Office des postes et télécommunications de Nouvelle-Calédonie la somme de 20 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la Société calédonienne de connectivité internationale aux dépens.
LE GREFFIER,
Gérald BRICONGNE
LA PRÉSIDENTE,
Agnès MAITREPIERRE