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22 septembre 2023
Cour d’appel de Paris
RG n°
21/20751
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 2
ARRÊT DU 22 SEPTEMBRE 2023
(n°131, 11 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : n° RG 21/20751 – n° Portalis 35L7-V-B7F-CEXRM
Décision déférée à la Cour : jugement du 22 octobre 2021 – Tribunal Judiciaire de PARIS – 3ème chambre 2ème section – RG n°18/13457
APPELANTE AU PRINCIPAL et INTIMEE INCIDENTE
S.A.S. HOTEL DES VENTES DE L’ORLEANAIS, agissant en la personne de sa présidente, Mme [A] [C], domiciliée en cette qualité au siège social situé
[Adresse 4]
[Localité 1]
Immatriculée au rcs d’Orléans sous le numéro 831 092 374
Représentée par Me François TEYTAUD de l’AARPI TEYTAUD – SALEH, avocat au barreau de PARIS, toque J 125
Assistée de Me Alan WALTER plaidant pour l’AARPI WALTER BILLET AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque D 1839
INTIMEE AU PRINCIPAL et APPELANTE INCIDENTE
S.A.R.L. [T] [K] ASSOCIES, prise en la personne de son gérant, M. [Z] [K], domicilié en cette qualité au siège social situé
[Adresse 3]
[Localité 2]
Immatriculée au rcs de Lyon sous le numéro 841 047 962
Représentée par Me Michel GUIZARD de la SELARL GUIZARD & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque L 0020
Assistée de Me Marie SOULEZ plaidant pour la SELAS ALAIN BENSOUSSAN et substittuant Me Alain BENSOUSSAN, avocate au barreau de PARIS, toque E 241
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 24 mai 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Véronique RENARD, Présidente, en présence de Mme Agnès MARCADE, Conseillère, chargée d’instruire l’affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport
Mmes [D] [V] et [F] [M] ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Véronique RENARD, Présidente
Mme Laurence LEHMANN, Conseillère
Mme Agnès MARCADE, Conseillère
Greffière lors des débats : Mme Carole TREJAUT
ARRET :
Contradictoire
Par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile
Signé par Mme Véronique RENARD, Présidente, et par Mme Carole TREJAUT, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
Vu le jugement contradictoire rendu le 22 octobre 2021 par le tribunal judiciaire de Paris.
Vu l’appel interjeté le 26 novembre 2021 par la société Hôtel des Ventes de l’orléanais.
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 2 février 2023 par la société Hôtel des Ventes de l’orléanais, appelante et intimée à titre incident.
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 14 mars 2023 par la société [T] [K] Associés, intimée et appelante incidente.
Vu l’ordonnance de clôture rendue le 16 mars 2023.
SUR CE, LA COUR,
Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties.
La SARL [T] [K] Associés (la société [T] [K]), spécialisée dans l’édition de logiciels, a été créée le 5 juillet 2018 par MM. [Z] [K]-[L] et [Y] [T]. Ces derniers lui ont concédé une licence d’exploitation sur un logiciel baptisé « Enchères », permettant d’automatiser et d’optimiser les opérations de déstockage de produits par ventes aux enchères. Ce logiciel a été développé par M. [B] [X] qui a cédé ses droits à MM. [Z] [K]-[L] et [Y] [T] par contrat du 11 janvier 2016.
La société de ventes volontaires SVV Dumas, constituée par Me [J] Dumas, commissaire-priseur, avait pour activité l’organisation et la réalisation de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques. MM. [T] et [K]-[L], par l’intermédiaire de la holding BR Finance, ont acquis la majorité des parts de la société SVV Dumas en 2004, poursuivant son activité sous l’enseigne « Lyon Sud Enchères », avant de revendre leurs actions le 11 mai 2016 à Mme [I] [N], M. [R] [H] et M. [S] [W].
Par jugement du 12 février 2019, le tribunal de commerce de Lyon a prononcé l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire de la société SVV Dumas, désignant la société Alliance MJ ès qualités de liquidateur judiciaire.
La SAS Hôtel des Ventes de l’orléanais (la société HVO) est également une société de ventes volontaires immatriculée le 17 août 2017 au registre du commerce et des sociétés. Elle a été constituée notamment par des anciens associés de la société SVV Dumas, Mme [N] et MM. [H] et [W], et exerce son activité sous l’enseigne « Orléans Sud Enchères ».
Disant avoir constaté que les sociétés SVV Dumas et HVO avaient fait usage du logiciel « Enchères » lors de certaines ventes postérieurement à la cessation du bail incluant droit d’usage temporaire consenti par MM. [T] et [K]-[L] à la société SVV Dumas et même postérieurement à la liquidation judiciaire de celle-ci, M. [K]-[L] a fait constater ces usages par procès-verbaux des 28 mai et 25 juin 2018, puis fait procéder à la mise sous séquestre du matériel informatique de la société SVV Dumas chez son liquidateur judiciaire. Des opérations de saisie-contrefaçon ont par ailleurs été diligentées par la société [T] [K], sur autorisation judiciaire, le 22 octobre 2018 dans les locaux des sociétés HVO et SVV Dumas.
Par acte en date du 20 novembre 2018, la société [T] [K] a fait assigner devant le tribunal judiciaire de Paris les sociétés SVV Dumas et HVO en contrefaçon, avant d’appeler en intervention forcée par acte du 20 mai 2019, la Selarl Alliance MJ, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société SVV Dumas.
Suite à une nouvelle saisie-contrefaçon du 5 juin 2019 dans les locaux de la seule société HVO, la société [T] [K] a fait assigner en contrefaçon les sociétés HVO et Alliance MJ, ès-qualités.
Les trois procédures ont été jointes par le juge de la mise en état.
C’est dans ces circonstances que le tribunal judiciaire de Paris a par jugement dont appel :
– dit valable le contrat de licence du 5 juillet 2018,
– dit la société [T] [K] Associés recevable à agir en contrefaçon de logiciel et rejeté la demande en nullité de l’assignation de la société Hôtel des Ventes de l’orléanais ;
– dit que le logiciel « Enchères » n’est pas accessible à la protection du droit d’auteur et débouté la société [T] [K] Associés de ses demandes au titre de la contrefaçon ;
– dit que les sociétés SVV Dumas et Hôtel des Ventes de l’orléanais se sont rendues coupables de concurrence parasitaire à l’égard de la société [T] [K] Associés ;
En conséquence :
– fixé la créance de la société [T] [K] Associés au passif de la société SVV Dumas à la somme de 25 200 euros en réparation du préjudice subi du fait des actes de parasitisme ;
– condamné la société Hôtel des Ventes de l’orléanais à payer à la société [T] [K] Associés la somme de 58 800 euros en réparation du préjudice subi du fait des actes de parasitisme ;
– dit que les intérêts légaux courront sur ces sommes à compter de l’assignation du 20 novembre 2018 et ordonné la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil;
– débouté la société [T] [K] Associés de sa demande de publication judiciaire ;
– condamné la société Hôtel des Ventes de l’orléanais à verser à la société [T] [K] Associés la somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné la société Hôtel des Ventes de l’orléanais aux entiers dépens, et au remboursement des frais d’huissier relatifs aux opérations de saisie-contrefaçon et à la mise sous séquestre, pour un montant de 6 581, 65 (six mille cinq cent quatre-vingt-un virgule soixante-cinq) euros,
– ordonné l’exécution provisoire.
Seule la société Hôtel des Ventes de l’orléanais (HVO) a interjeté appel de cette décision. La société SVV Dumas représentée par la Selarl Alliance MJ ès qualités de liquidateur, n’est pas partie à l’instance d’appel et le jugement du 22 octobre 2021 est devenu irrévocable à son égard.
Par ordonnance du 24 mars 2022, le magistrat délégué du Premier président de la cour d’appel de Paris a fait droit à la demande de la société HVO de suspension de l’exécution provisoire attachée au jugement du tribunal judiciaire de Paris du 22 octobre 2021.
Entre temps, la société [T] [K] a fait procéder à deux saisies-attribution sur le compte bancaire de la société HVO détenu auprès de l’agence de la banque CIC Loiret Berry Entreprises, les 9 décembre 2021 et 21 janvier 2022 pour des montants de 4 900,50 euros et de 5 757,12 euros.
Par ses dernières conclusions, la société HVO demande à la cour de :
– réformer le jugement du 22 octobre pour ce qui concerne la qualité à agir de l’intimée et à ce titre :
– constater la nullité du contrat de licence en date du 5 juillet 2018,
– constater que la société [T] [K] Associés n’a pas qualité à agir en contrefaçon,
– prononcer la nullité de l’assignation en date du 20 novembre 2018,
– à titre principal, confirmer le jugement pour ce qui concerne la protection du logiciel « enchères » par le droit d’auteur et à ce titre :
– débouter la société [T] [K] Associés de l’ensemble de ses demandes au titre de la contrefaçon.
– à titre subsidiaire (sic), réformer le jugement en ce qu’il a condamné l’appelante sur le fondement du parasitisme et à ce titre :
– débouter la société [T] [K] Associés de l’ensemble de ses demandes au titre de la concurrence déloyale ou parasitaire,
– en tout état de cause, infirmer le jugement en ce qu’il a condamné l’appelante à verser la somme de 58 800 euros au titre du préjudice subi par la société [T] [K] Associés et 15 000 euros au titre de la perte subie et à ce titre :
– constater l’absence de préjudice subi par la société [T] [K] Associés,
– débouter la société [T] [K] Associés de l’ensemble de ses demandes indemnitaires, en ce compris en vue d’une publication judiciaire et du prononcé d’une astreinte,
– à défaut et à titre subsidiaire, infirmer la décision en ce qu’elle a calculé la redevance sur le volume d’affaires et non le chiffre d’affaires et à ce titre :
– limiter sa condamnation à la somme de 13 267,44 euros,
Et en tout état de cause,
– condamner la société [T] [K] Associés à lui verser la somme de 30 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la société [T] [K] Associés aux entiers dépens de l’instance dont distraction au profit de Me François Teytaud dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.
Par ses dernières conclusions, la société [T] [K] Associés demande à la cour de :
– la déclarer recevable et bien fondée en son appel incident et l’ensemble de ses fins, moyens et prétentions, y faire droit et en conséquence :
– confirmer le jugement en ce qu’il a :
– dit la société [T] [K] Associés recevable à agir en contrefaçon de logiciel,
– dit que la société Hôtel des Ventes de l’orléanais s’est rendue coupable de concurrence parasitaire à l’égard de la société [T] [K] Associés,
– condamné la société Hôtel des Ventes de l’orléanais à réparer le préjudice subi par la société [T] [K] Associés du fait des actes de concurrence déloyale et/ou parasitaires,
– ordonné la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil,
– condamné la société Hôtel des Ventes de l’orléanais aux entiers dépens, au remboursement des frais d’huissier, et à verser à la société [T] [K] Associés une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
– infirmer le jugement en ce qu’il a :
– dit que le logiciel « Enchères » n’est pas accessible à la protection du droit d’auteur et débouté la société [T] [K] Associés de ses demandes au titre de la contrefaçon,
– limité la réparation du préjudice de la société [T] [K] du fait des actes de parasitisme de la société Hôtel des Ventes de l’orléanais à la somme de 58 800 euros,
– limité l’indemnité due par la société Hôtel des Ventes de l’orléanais au titre de l’article 700 du code de procédure civile à la somme de 10 000 euros,
– débouté la société [T] [K] Associés de sa demande de publication judiciaire,
Et statuant à nouveau,
– condamner la société Hôtel des Ventes de l’orléanais à lui payer à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice, la somme de 533 890 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter de l’assignation du 20 novembre 2018,
– ordonner à titre de complément de dommages et intérêts la publication de l’ensemble du dispositif de la décision à intervenir sur la page d’accueil du site internet de la société Hôtel des Ventes de l’orléanais accessible à l’adresse https://www.orleansud.com/, au-dessus de la ligne de flottaison, en lettres d’imprimerie de taille 12 en mode texte, dans les huit jours de la signification et pendant un délai ininterrompu d’un mois aux frais de la société Hôtel des Ventes de l’orléanais,
– assortir l’ensemble des condamnations d’une astreinte de 1 000 euros par jour de retard, par jour manquant s’agissant de la demande de publication judiciaire, et par infraction, dire que l’ensemble des astreintes commencera à courir une fois passé le délai de huit jours à compter de la signification de la décision à intervenir, dire que les astreintes prononcées seront productrices d’intérêts au taux légal et se réserver expressément le pouvoir de liquider les astreintes prononcées,
– condamner la société Hôtel des Ventes de l’orléanais à lui payer la somme de 188 081,60 euros TTC au titre de l’article 700 du code de procédure civile, avec intérêts au taux légal à compter de l’assignation du 20 novembre 2018,
– condamner la société Hôtel des Ventes de l’orléanais à lui payer la somme de 18 333,35 euros TTC au titre des frais d’huissier et d’expert.
Sur la recevabilité à agir de la société [T] [K] Associés au titre de la contrefaçon de droit d’auteur sur le logiciel « Enchères »
La société HVO soutient en premier lieu que le contrat de licence conclu entre MM. et [T] et [K]-[L] et la société [T] [K] est nul, d’une nullité absolue, car à la date mentionnée sur ledit contrat, soit le 5 juillet 2018, la société [T] [K] n’était pas encore immatriculée au registre du commerce et des sociétés et ne jouissait donc pas de la personnalité morale.
La société [T] [K], suivie en cela par le tribunal, fait valoir que la date du 5 juillet 2018 mentionnée à l’acte est erronée, le numéro d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés étant indiqué sur le contrat, et qu’il ressort des éléments fournis notamment les échanges entre les parties et leur conseil que la signature du contrat est intervenue le 24 juillet 2018 au plus tôt.
La société [T] [K] a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Lyon le 17 juillet 2018 sous le numéro 841 047 962. Le contrat de licence conclu entre MM. et [T] et [K]-[L] et la société [T] [K] porte une date de signature du 5 juillet 2018.
Néanmoins, ainsi que le soutient la société [T] [K] Associés, la date du 5 juillet 2018, qui est la date de commencement d’activité de cette société, n’apparaît pas être celle à laquelle le contrat de licence en cause a été signé. En effet, outre que le numéro d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés de la société [T] [K] Associés est indiquée sur le contrat (pièce 2 [T] [K] Associés), il est établi que les parties à l’acte sollicitaient encore le 24 juillet 2018 (pièce 42 [T] [K] Associés) des modifications du projet d’acte, modifications qui, pour la plupart, se retrouvent dans l’acte portant la date du 5 juillet 2018 ce quand bien même la suggestion de changement quant à la date d’entrée en vigueur du contrat (article 9) n’a pas été reprise et vise toujours « la dernière date de signature des parties ».
Or, le 24 juillet 2018, la société [T] [K] Associés était bien immatriculée au registre du commerce et des sociétés et donc investie de la personnalité morale.
La circonstance que l’avenant numéro 2 au contrat en date du 17 janvier 2020 (pièce 2 [T] [K] Associés) prévoit à son article 1er que « par le présent avenant, les parties conviennent de faire rétroagir les droits exclusifs du licencié, tels que stipulés à l’avenant n°1, à la date de signature du contrat de licence, le 5 juillet 2018 » est inopérante à démontrer que l’acte premier a été signé alors que la société [T] [K] Associés n’avait pas de personnalité juridique.
La demande nullité du contrat de licence doit donc être écartée et le jugement confirmé de ce chef.
La société HVO fait ensuite valoir le défaut de qualité à agir de la société [T] [K] Associés aux motifs que celle-ci se fonde sur un contrat de licence qu’elle n’avait pas capacité à contracter et, en tout état de cause, n’a pas la qualité de licencié exclusif.
La société [T] [K] Associés réplique qu’elle est titulaire de droits sur le logiciel dont la contrefaçon est alléguée et qu’en matière de droit d’auteur, le licencié non exclusif peut agir en contrefaçon et qu’en tout état de cause, la fin de non-recevoir a été régularisée, l’avenant n° 2 du contrat de licence prévoyant qu’elle bénéficie d’une licence exclusive ce à compter du 5 juillet 2018.
L’article L. 332-1 du code de la propriété intellectuelle prévoit notamment que « tout auteur d’une ‘uvre protégée par le Livre 1er de la présente partie, ses ayants droits ou ses ayants cause peuvent agir en contrefaçon. (…) »
Selon acte de cession du 11 janvier 2016, l’auteur du logiciel « Enchères », M. [X], a cédé ses droits patrimoniaux sur ce logiciel à MM. [T] et [K]-[L]. Ces derniers ont par « contrat de licence » daté du 5 juillet 2018 concédé des droits à la société [T] [K].
L’article 3 du contrat du 5 juillet 2018 prévoit que les concédants concèdent au licencié une licence non exclusive de l’ensemble des droits de propriété intellectuelle portant sur les logiciels et les applicatifs ainsi que sur la documentation y afférente à savoir les droits d’exploitation, de reproduction, de représentation, de commercialisation, de distribution, de mise à disposition, de mise sur le marché, de location, d’extraction, de transfert, de donner en licence, d’usage, de traduction … Il est également prévu que la société [T] [K] versera 50% du chiffre d’affaires HT généré par les recettes d’exploitation des logiciels, applicatifs, développements futurs licenciés notamment résultant des sous-licences éventuellement conclues.
Par avenant en date du 8 avril 2019, les parties sont convenues que cette licence devient une licence exclusive et l’avenant n°2 en date du 17 janvier 2020 prévoit que les parties conviennent de faire rétroagir les droits exclusifs du licencié à la date de signature du contrat de licence, le 5 juillet 2018.
En outre, l’article 7 du contrat daté du 5 juillet 2018 prévoit notamment que « sauf accord contraire des parties, les parties conviennent que le licencié assurera seul la défense des droits de propriété intellectuelle portant sur les logiciels et/ou les applicatifs et/ou développements futurs et/ou la documentation y afférente ».
Aussi, il apparaît que la société [T] [K] doit être considérée comme l’ayant cause de MM. [T] et [K] [L], en tant qu’éditeur du logiciel « Enchères » bénéficiant d’une licence exclusive, étant rappelé que si la qualité à agir s’apprécie à la date de l’assignation, la situation donnant lieu à fin de non-recevoir est susceptible d’être régularisée avant que le juge ne statue.
La société [T] [K] a donc qualité à agir en contrefaçon de droit d’auteur. La fin de non-recevoir opposée par la société HVO sera rejetée et le jugement également confirmé de ce chef.
Sur la contrefaçon de droit d’auteur
La société HVO conteste l’originalité du logiciel « Enchères » qui lui est opposé. Elle précise qu’elle utilise la version 2.79 qui est la première version du logiciel et que la société [T] et [K] ne peut justifier l’originalité de ce logiciel par les développements ultérieurs qui ont été faits. Elle considère que les choix de M. [X] que celui exposent dans la note fournie au débat par l’intimée ne sont pas créatifs mais constituent de simples choix techniques ne démontrant aucun effort personnalisé de sa part.
Selon la société [T] [K], le logiciel dans sa version 2.79 est original, les choix délibérés de M. [X] afin de structurer, organiser et rendre le logiciel le plus adapté et le plus performant possible dans le domaine de la vente aux enchères démontrant un effort particulier de l’auteur et l’empreinte de la personnalité de celui-ci.
L’originalité du logiciel argué de contrefaçon étant contestée, il appartient à la société [T] et [K] de caractériser celle-ci et notamment d’établir les choix opérés par le concepteur de ce logiciel témoignant un apport intellectuel propre et un effort personnalisé de l’auteur.
Pour ce faire, la société [T] [K] se fonde principalement sur une note d’analyse du logiciel (pièce 43 [T] et [K]) dont le concepteur du logiciel, M. [X], atteste que les informations contenues dans ce rapport concernent la version 2.79 (pièce 44 [T] et [K]).
La version 2.79 du logiciel « enchères » est une version du 6 novembre 2008 sur laquelle il a été procédé au « développement d’une nouvelle fonctionnalité de statistiques sur les ventes issues de plusieurs bases de données : bouton “Répertoire des Procès-verbaux de ventes”- nouvelle fonctionnalité de déplacement d’une vente d’une base vers une autre » (pièce 56 [T] et [K]).
Ce logiciel est présenté comme un logiciel conçu pour réaliser la totalité des opérations nécessaires à la gestion des ventes aux enchères au sein d’une salle des ventes et être calibré pour faire des ventes aux enchères de déstockage. Il rend possible la préparation de la vente (lots, vendeurs), la saisie des lots vendus et des règlements notamment pendant la vente, et la génération des procès-verbaux, la vérification de la caisse, la création des déclarations après la vente… Ce logiciel permet de travailler sur différentes bases de données selon le type de vente (vente volontaire ou judiciaire).
Les choix effectués par M. [X] et exposés dans le document précité (pièce 43 [T] et [K]) sont :
S’agissant de l’unité Enchères D00 : gestion de l’enregistrement des données dans la base, à partir des composants orientés données,
– choix n° 1 : plutôt que de surcharger les évènements de modification de chaque ensemble de données, on utilise des objets de lien qui vont nous renseigner automatiquement des changements apportés aux objets connectés à la base de données…
– choix n° 2 : plutôt que de gérer (créer/supprimer) un objet de lien pour chaque ensemble de données de chaque fiche, on définit à la place une collection d’objets de liens, centralisés dans une unique unité….
– choix n°3 : à chaque création ou affichage d’une nouvelle fiche, plutôt que de créer manuellement les liens pour chaque ensemble de données, on appelle en une ligne cette fonction, en passant en paramètre la liste des ensembles de données,
– choix n°4 : pour permettre de modifier les données mais d’apporter malgré tout la possibilité d’annuler un lot de modifications, on utilise le mode de modifications cachées…
S’agissant de l’unité Enchères U12 : fonction de génération d’une clé de licence, stockant plusieurs informations (logiciel concerné + date de fin d’utilisation),
– choix n° 1 : pour permettre de renforcer la sécurité du stockage des informations de façon encodées, on choisit de créer des fonctions de Checksum (somme de contrôle) dont le but sera de contrôler que la chaîne ne fait pas l’objet d’une tentative de modification,
– choix n° 2 : il y a un très grand nombre de possibilités pour les fonctions de Checksum, on choisit pour la première fonction de multiplier les indices de 5 caractères et la Checksum est le reste de la division entière du résultat par 975, concaténé avec le reste de la division entière du résultat par 99, on choisit pour la seconde fonction de multiplier les indices de 5 caractères et la Checksum correspond au « i-ème »caractère dans un tableau statique du reste de la division entière du résultat par 8, concaténé avec le « i-ème » caractère dans un tableau statique du reste de la division entière du résultat par 256 par 8,
– choix n° 3 : la chaîne finale (la clé de licence) correspond à la concaténation des différentes chaînes obtenues précédemment, mais on concatène les caractères dans un ordre mélangé, pour rajouter une couche de sécurité supplémentaire.
Si le rapport précité fait état des choix réalisés par M. [X] lorsqu’il a conçu ce logiciel s’agissant de son infrastructure ou du code source en termes d’arborescences, ces choix quant aux éléments relatifs aux fonctionnalités et avantages tels les choix structurels, d’organisation de commandes, d’arborescences et d’intitulés de tables propres à l’activité de vente aux enchères apparaissent, ainsi que l’a justement retenu le tribunal, dictés par des considérations techniques et fonctionnelles (options les plus agiles ou économes), et ne sont pas de nature à caractériser des choix arbitraires révélant un effort intellectuel en termes de composition du logiciel et exprimés en langage informatique.
De même, la circonstance que ce logiciel soit le résultat d’innovations et de développements depuis 16 années à travers plus de 220 versions est inopérante à caractériser l’originalité de celui-ci.
Il n’est donc pas démontré en quoi l’architecture fonctionnelle porte la trace d’un effort créatif empreint de la personnalité de l’auteur. C’est donc à juste titre que le tribunal en a déduit que le logiciel « Enchères » n’était pas éligible à la protection par le droit d’auteur.
Le jugement déféré sera également confirmé de ce chef.
Sur la concurrence déloyale et parasitaire
A titre subsidiaire, la société [T] [K], suivie en cela par le tribunal, estime que l’exploitation non autorisée par la société HVO du logiciel afin d’émettre des bordereaux dans le cadre des ventes aux enchères caractérise des actes fautifs de parasitisme et/ou de concurrence déloyale, celle-ci s’étant mis dans son sillage en vue de tirer profit des plus-values essentielles apportées par le logiciel de gestion de vente aux enchères et qu’elle a tiré profit sans rien dépenser de ses efforts et investissements consistant en l’acquisition des droits d’exploitation sur le logiciel et sa mise à jour.
La société [T] [K] reproche donc à la société HVO des actes de parasitisme qui consistent pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d’un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis.
La société HVO réplique que la société [T] [K] ne démontre aucun investissement protégeable dès lors qu’elle ne détient aucun droit sur le logiciel en raison de la nullité du contrat de licence et n’établit pas plus qu’elle a voulu s’inscrire dans son sillage dans le cadre de l’utilisation de ce logiciel et ainsi voulu profiter de sa notoriété et de son image.
Il n’est pas discuté par la société HVO qu’elle a utilisé le logiciel « Enchères » en 2018 et 2019 ainsi qu’il a été constaté par huissier de justice selon procès-verbaux de saisie-contrefaçon des 22 octobre 2018 et 17 juin 2019 (pièces 21 et 36 [T] [K]). La société HVO explique en page 2 de ses écritures qu’elle a été constituée le 17 août 2017 par d’anciens associés de la société SVV Dumas alors en procédure collective et qu’en suite de sa constitution, l’un de ses associés a fourni un ordinateur portable de la SVV Dumas sur lequel était installé le logiciel « Enchères », M. [H], président de la SVV Dumas, attestant le 8 janvier 2018 être propriétaire de ce logiciel et octroyer une licence à titre gratuit par le prêt à la société HVO d’un ordinateur sur lequel est installé ce logiciel « sans droit de licencier pour le monde entier pour la durée de 18 mois » (pièce 6 HVO).
Néanmoins, ainsi qu’il a été précédemment décidé, le contrat de licence conclu entre la société [T] [K] et MM. [T] et [K]-[L], cessionnaires des droits sur le logiciel, est valable.
Il ressort des éléments fournis au débat tels les procès-verbaux de saisie-contrefaçon au sein de la société SVV Dumas ainsi que du jugement déféré que la société SVV Dumas avait contourné le système de cryptage du logiciel « Enchères » qui lui avait été remis avec les clés de cryptage afférentes, en modifiant les paramètres de date de ses ordinateurs, avec le but de continuer à utiliser ce logiciel au-delà du 8 février 2018 date d’expiration de la clé de cryptage.
Outre que l’ordinateur comportant la version du logiciel « Enchères » a été remis à la société HVO par un ancien associé de la société SVV Dumas, celle-ci a été alertée par les premières opérations de saisie-contrefaçon du 22 octobre 2018 qu’elle n’utilisait pas ce logiciel « Enchères » avec l’autorisation de la société [T] [K], titulaire des droits d’exploitation, et a pour autant continué à l’exploiter ainsi que le démontre le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 17 juin 2019.
En conséquence, la société HVO a utilisé en connaissance de cause un logiciel dont elle savait qu’elle n’avait pas l’autorisation pour le faire, ce en méconnaissance des usages loyaux du commerce en profitant sans bourse délier des investissements et du savoir-faire dont le logiciel est le fruit et dont la société [T] [K] bénéficie des droits d’exploitation.
Les actes de parasitisme de la société HVO sont ainsi caractérisés.
Sur le préjudice, la société HVO critique la décision déférée qui, pour la condamner à payer la somme de 58.800 euros, a retenu une assiette de 1 591 920 euros qui correspond au produit des ventes effectuées et non au chiffre d’affaires réalisé.
Elle reconnaît dans ses écritures avoir utilisé le logiciel en cause de l’année 2018 jusqu’au 14 mars 2020.
La société [T] [K] critique également l’évaluation de son préjudice et fait valoir que celui-ci est de 533 890 euros correspondant aux coûts de personnel engagés imputables à la société HVO soit 85 910 euros, aux bénéfices réalisés par la société HVO soit 397 980 euros et à son préjudice moral soit 50 000 euros.
Selon le procès-verbal de saisie-contrefaçon en date du 17 juin 2019 (pièce 36 [T] [K]), il est indiqué par le logiciel « Enchères » le chiffre d’affaires réalisé sur la période. Le chiffre d’affaires réalisé en 2018 est de 395 961 euros et celui de 2019 est de 254 664 euros jusqu’au 16 juin 2019.
Pour l’année 2020, l’ordinateur comportant le logiciel en cause a été restitué au liquidateur de la société SVV Dumas le 5 août 2020 selon procès-verbal de saisie-revendication établi à cette date (pièce 37 [T] [K]). Cette date sera retenue comme dernier usage du logiciel. Aucun élément n’est donné par la société [T] [K] sur le chiffre d’affaires effectivement réalisé en 2020, celle-ci le fixant à 468 547 euros pour 7,2 mois, en procédant par déduction à partir des chiffres de 2019 et en estimant une progression de 40,4 % identique à celle réalisée entre 2018 et 2019. Elle ajoute à ce chiffres d’affaires acheteur, le chiffres d’affaires réalisé grâce à la commission payée par les vendeurs de 15 %. Elle évalue les bénéfices de la société HVO réalisés grâce au logiciel à 397 980 euros correspondant à 25 % d’un chiffre d’affaires estimé à 1 591 920 euros.
Ces chiffres sont toutefois contredits par les pièces fournies par la société HVO qui justifie par la production de bilans et comptes de résultats ainsi que d’une attestation de son expert-comptable (pièces 23, 24 et 25 HVO) avoir réalisé sur cette période un chiffre d’affaires de 442 248 euros (153 498 euros en 2018, 228 020 en 2019 et 60 730 euros en 2020). Ces pièces ne sont pas discutées par la société [T] [K] et les pratiques illicites de la société HVO qu’elle dénonce pour contredire les affirmations de celle-ci concernant ses difficultés financières sont indifférentes, étant relevé que la situation obérée de la société HVO a été prise en considération par le délégué du Premier président de cette cour pour ordonner l’arrêt de l’exécution provisoire dont est assorti le jugement déféré par décision du 24 mars 2022.
La société HVO a pu réaliser ce chiffre d’affaires grâce à l’outil logiciel « Enchères » qui permet de gérer des ventes de masse et ainsi de réaliser de ventes aux enchères dans des proportions plus importantes que s’il elle n’avait pas à disposition cet outil. Le logiciel lui a donc permis de réaliser plus de ventes en économisant sur les coûts de personnels ainsi que sur les redevances d’utilisation de cet outil, estimées à 3% du chiffre d’affaires, qu’elle n’a pas versé à la société [T] [K].
Les coûts internes de la société [T] [K] liés à l’utilisation illicite du logiciel ne sont pas justifiés, le tableau qu’elle fournit établi par ses soins dans des circonstances inconnues de la cour ne peut être retenu.
En revanche, celle-ci n’a pas bénéficié des redevances qui lui étaient dues pour l’utilisation du logiciel, et a subi un préjudice moral lié à l’atteinte à son image.
Au vu de ce qui précède, l’entier préjudice en lien avec les actes de parasitisme commis par la société HVO au préjudice de la société [T] et [K] sera réparé par l’allocation de la somme de 60 000 euros de dommages et intérêts.
Le préjudice de la société [T] et [K] étant entièrement réparé par l’allocation de cette somme indemnitaire, sa demande de publication judiciaire sera rejetée et le jugement également confirmé de ce chef.
Sur les autres demandes
Le sens de l’arrêt conduit à confirmer les dispositions du jugement concernant les dépens et les frais irrépétibles, en ce compris les condamnations de la société HVO au remboursement des frais d’huissier relatifs aux opérations de saisie-contrefaçon et à la mise sous séquestre, pour un montant de 6 581, 65 (six mille cinq cent quatre-vingt-un virgule soixante-cinq) euros.
Partie perdante, la société HVO est condamnée aux dépens d’appel et à payer à la société [T] [K], en application de l’article 700 du code de procédure civile, une indemnité qui sera, en équité, fixée à la somme de 15 000 euros, en ce compris les frais d’huissier et d’expert exposés en cause d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, dans les limites de l’appel,
Confirme le jugement entrepris sauf en sa disposition ayant condamné la société Hôtel des Ventes de l’orléanais à payer à la société [T] [K] Associés la somme de 58 800 euros en réparation du préjudice subi du fait des actes de parasitisme ;
Statuant à nouveau de ce chef et y ajoutant,
Condamne la société Hôtel des Ventes de l’orléanais à payer à la société [T] [K] Associés la somme de 60 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes de parasitisme,
Condamne la société Hôtel des Ventes de l’orléanais à payer à la société [T] [K] Associés la somme de 15 000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel, en ce compris les frais d’huissier et d’expert exposés en cause d’appel,
Condamne la société Hôtel des Ventes de l’orléanais aux dépens d’appel.
La Greffière La Présidente