Your cart is currently empty!
18 octobre 2016
Cour d’appel de Paris
RG n°
15/01298
Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 1
ARRÊT DU 18 OCTOBRE 2016
(n° 191/2016, 11 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : 15/01298
sur renvoi après cassation, par arrêt de la chambre commercial, financière et économique civile de la Cour de Cassation rendu le 07 décembre 2014 (pourvoi n°R13-23.986), d’un arrêt du pôle 5 chambre 2 de la Cour d’appel de PARIS rendu le 21 juin 2013 (RG n°11/20436) saisie suite à l’arrêt de renvoi N°852F-P+B du 20 septembre 2011 de la cour de cassation annulant et cassant un arrêt du 1er juin 2010 de la 1ère chambre du pôle 5 (07/16086) autrement composée, rendu sur appel d’un jugement du 21 décembre 2000 du tribunal de grande instance de LYON (1998/00555)
APPELANTES
SA NERGECO -SA
Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Puy en Veley sous le numéro B320 167 513
Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Adresse 2]
SAS NERGECO FRANCE
Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Puy en Veley sous le numéro B380 464 446
Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Adresse 2]
Représentées par Me Alain FISSELIER de la SCP AFG, avocat au barreau de PARIS, toque : L0044
Assistées de Me Yves BIZOLLON de l’AARPI BIRD & BIRD AARPI, avocat au barreau de PARIS, toque : R255
INTIMÉES
SAS GEWISS FRANCE
venant aux droits par fusion de la société MAVIL
Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de DIJON sous le numéro B 318 762 325
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 3]’
[Adresse 4]
Représentée par Me Cédric DE POUZILHAC de la SELARL ARAMIS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0485
Assistée de Me Clément MALFOY, avocat au barreau de PARIS, toque : P0485
SAS MAVIFLEX
Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Lyon sous le numéro B328 025 721
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 5]
[Adresse 6]
Représentée par Me Edmond FROMANTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J151
Assistée de Me Jean Pierre STOULS de la société STOULS & Associés, avocat au barreau de LYON
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 28 Juin 2016, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Benjamin RAJBAUT, Président de chambre
Mme Nathalie AUROY, Conseillère
Madame Isabelle DOUILLET, Conseillère
qui en ont délibéré.
Un rapport a été présenté à l’audience dans les conditions prévues à l’article 785 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Madame Karine ABELKALON
ARRÊT :
contradictoire
par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
signé par Monsieur Benjamin RAJBAUT, président et par Madame Karine ABELKALON, greffier.
***
La société NERGECO est spécialisée dans la fabrication de portes automatiques à relevage rapide. Elle est titulaire, notamment, d’un brevet européen, déposé le 11 mai 1990 sous priorité des demandes de brevets français n° 89 06 592 et n° 90 00 001, respectivement déposées les 19 mai 1989 et 2 janvier 1990, délivré le 13 octobre 1993 sous le n° EP 0 398 791 et concernant une ‘porte à rideaux relevables renforcés par des barres d’armature horizontales’.
La société NERGECO FRANCE indique qu’elle est titulaire d’une licence portant sur la partie française de ce brevet en vertu de deux documents initiaux ayant fait l’objet de plusieurs avenants :
un contrat de ‘management’ en date du 6 décembre 1990, conclu pour une durée de cinq ans, prévoyant notamment en son article 8 : « La Société NERGECO sera chargée de la recherche et du développement de tous nouveaux produits, qu’ils soient un prolongement de ceux existants ou entièrement nouveaux, et ce, en fonction de l’évolution technologique et de l’évolution du goût de la clientèle.
La Société NERGECO dirigera tous travaux d’études, et de recherche s’adressera en priorité à la S.A. NERGECO France pour la fabrication de tous prototypes.
Le cas échéant, la Société NERGECO assurera le suivi de la prise et de la maintenance des brevets d’invention. NERGECO France sera ipso facto licenciée des brevets pour la France»,
une annexe à ce contrat de management, en date du 31 janvier 1991, qui précise, en application de cet article 8, les brevets européens – parmi lesquels le brevet n° EP 0 398 791 -, sur la partie française desquels la société NERGECO concède à la société NERGECO FRANCE une licence.
Le contrat de management et son annexe ont été inscrits au registre national des brevets le 3 juin 1998.
A la fin des années 1990, les sociétés NERGECO et NERGECO FRANCE ont agi en contrefaçon devant le TGI de [Localité 1] à l’encontre des sociétés MAVIL (aujourd’hui GEWISS FRANCE à la suite d’une fusion-absorption) et MAVIFLEX.
Un jugement du TGI de [Localité 1] rendu le 21 décembre 2000 a, notamment, rejeté l’exception d’irrecevabilité formée par les sociétés MAVIL et MAVIFLEX à l’encontre des demandes de la société NERGECO FRANCE et débouté les sociétés NERGECO de leurs demandes en contrefaçon portant sur la revendication 1 du brevet.
Par un arrêt du 2 octobre 2003, la cour d’appel de Lyon, statuant sur l’appel interjeté par les sociétés NERGECO contre ce jugement, a rejeté la demande reconventionnelle tendant à la nullité du brevet, dit que les modèles de portes ‘Fil’Up’ exploités par les sociétés MAVIL et MAVIFLEX en constituaient la contrefaçon, condamné ces sociétés à payer aux sociétés NERGECO une provision à valoir sur leur préjudice et ordonné une expertise.
Par un arrêt du 15 décembre 2005, la cour d’appel de Lyon, après le dépôt du rapport de l’expert, a jugé que parmi les modèles de portes ‘Fil’Up’, seules les versions ‘Trafic’ étaient contrefaisantes et a condamné les sociétés MAVIL et MAVIFLEX à payer 60 000 € à NERGECO (titulaire du brevet) et 1 563 214 € à NERGECO FRANCE (licenciée) à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par la fabrication et la commercialisation de ces portes ‘Fil’Up (Trafic)’ .
Sur le pourvoi formé par les sociétés MAVIFLEX et GEWISS FRANCE (venant aux droits de la société MAVIL), cet arrêt a été cassé par la Cour de Cassation dans un arrêt du 10 juillet 2007, au visa de l’article 455 du code de procédure civile, mais en ses seules dispositions ayant alloué des dommages et intérêts à la société NERGECO FRANCE, faute pour la cour d’appel d’avoir répondu aux conclusions faisant valoir que le contrat de licence dont bénéficiait cette société n’avait été inscrit au registre national des brevets que le 3 juin 1998, ce dont il résultait que ce n’est qu’à compter de cette date que les droits de cette société étaient opposables aux tiers.
Sur renvoi, la cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 2 juin 2010, a principalement :
déclaré irrecevables les demandes des sociétés NERGECO dirigées contre la société GEWISS FRANCE (MAVIL) au motif que la procédure d’appel avait été mal dirigée initialement contre la société MAVIL (absorbée par GEWISS FRANCE),
et fixé la créance de la société NERGECO FRANCE à l’encontre de la société MAVIFLEX (qui faisait l’objet d’une procédure de sauvegarde depuis un jugement du tribunal de commerce de Lyon du 6 juillet 2006) à 766 213 € (préjudice à compter du 3 juin 1998, date d’inscription de la licence), outre intérêts au taux légal à compter de l’assignation introductive d’instance et capitalisation des intérêts.
Sur le pourvoi formé par la société MAVIFLEX, le pourvoi incident relevé par les sociétés NERGECO et le pourvoi provoqué formé par ces dernières contre la société GEWISS FRANCE, cet arrêt a été cassé en toutes ses dispositions par la Cour de cassation dans un arrêt du 20 septembre 2011 :
au premier motif que la cour d’appel avait dit irrecevables les moyens relatifs à la nullité du contrat de licence et à son inopposabilité faute d’inscription régulière comme tendant à remettre en cause ce qui avait été définitivement jugé alors que les précédents arrêts de la cour d’appel de Lyon des 2 octobre 2003 et 15 décembre 2005 ne s’étaient pas prononcés sur la nullité du contrat de licence,
au second motif, que la société GEWISS FRANCE qui avait elle-même formé et instruit le pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel de Lyon du 15 décembre 2005 ayant abouti à la cassation partielle de cet arrêt, ne pouvait, sans se contredire au détriment des sociétés NERGECO, se prévaloir devant la cour de renvoi, de la circonstance qu’elle aurait été dépourvue de personnalité juridique lors des instances ayant abouti à ces décisions.
Sur renvoi, la cour d’appel de Paris, par un arrêt du 21 juin 2013, a principalement :
déclaré la société NERGECO FRANCE recevable et bien fondée à agir en réparation du préjudice causé par les actes de contrefaçon du brevet dont est titulaire la société NERGECO à compter du 3 juin 1998,
déclaré recevables les demandes formées à l’encontre de la société GEWISS FRANCE,
condamné in solidum les sociétés MAVIFLEX et GEWISS FRANCE à payer à la société NERGECO FRANCE la somme de 766 213 €, outre intérêts au taux légal à compter du 18 décembre 2012 et capitalisation desdits intérêts dans les conditions de l’article 1154 du code civil,
débouté la société NERGECO FRANCE du surplus de ses demandes et notamment de sa demande de dommages et intérêts,
condamné la société MAVIFLEX à indemniser la société GEWISS FRANCE de toute somme versée par cette dernière à la société NERGECO FRANCE au-delà de la somme de 103 615 €,
condamné in solidum les sociétés MAVIFLEX et GEWISS FRANCE aux dépens, en ce compris ceux de l’arrêt cassé et les frais d’expertise, et au paiement à la société NERGECO FRANCE de la somme de 50 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Sur le pourvoi formé par la société MAVIFLEX et le pourvoi incident relevé par la société GEWISS FRANCE, cet arrêt a été partiellement cassé par la Cour de cassation dans un arrêt du 16 décembre 2014, seulement en ce qu’il a déclaré la société NERGECO FRANCE recevable et bien fondée à agir en contrefaçon du brevet n° EP 0 398 791 dont est titulaire la société NERGECO à compter du 3 juin 1998 et condamné in solidum les sociétés MAVIFLEX et GEWISS FRANCE à payer à la société NERGECO FRANCE la somme de 766 213 €.
La cassation est fondée sur deux motifs :
– le premier vise les articles 1129 alinéa 1 du code civil et L. 613-8 et L. 614-14
1: L. 614-14 alinéa 1 :« Une demande de brevet français ou un brevet français et une demande de brevet européen ou un brevet européen ayant la même date de dépôt ou la même date de priorité, couvrant la même invention et appartenant au même inventeur ou à son ayant-cause, ne peuvent, pour les parties communes, faire l’objet indépendamment l’une de l’autre d’un transfert, gage, nantissement ou d’une concession de droit d’exploitation, à peine de nullité »
du code de la propriété intellectuelle :
‘Attendu que, pour déclarer la société Nergeco France recevable et bien fondée à agir, l’arrêt, écartant la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir à raison de la nullité du contrat de licence portant sur le brevet européen n° EP 0 398 791 à défaut de concession simultanée de la licence sur les demandes de brevets français dont la priorité était revendiquée, retient que cette société étant, selon l’article 8 du contrat de management du 6 décembre 1990, ‘ipso facto’ licenciée des brevets pour la France, la licence portant sur ce brevet figurant à l’annexe du 31 janvier 1991 incluait les demandes de brevets français correspondantes ;
Attendu qu’en statuant ainsi, alors que ni le contrat de management, ni son annexe ne comportaient la concession des droits exclusifs d’exploitation sur les demandes de brevets français dont la priorité était revendiquée par ledit brevet européen, la cour d’appel a violé les textes susvisés.’ ;
– le second vise l’article 1351 du code civil :
‘Attendu que pour exclure du champ de sa saisine la ‘question tirée du défaut d’inscription’ du contrat de licence de la société Nergeco France, l’arrêt retient que cette question a été définitivement tranchée par les arrêts des 2 octobre 2003 et 15 décembre 2005 ;
Attendu qu’en statuant ainsi, alors que ni l’arrêt du 2 octobre 2003, ni celui du 15 décembre 2005 n’avaient statué, dans leur dispositif, sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de la société Nergeco France et que, l’arrêt du 2 juin 2010 ayant été cassé dans toutes ses dispositions, la juridiction de renvoi se trouvait investie de la connaissance de cette fin de non-recevoir sous tous ses aspects, y compris en tant qu’elle était déduite de l’inopposabilité aux tiers du contrat de licence, la cour d’appel a violé le texte susvisé.’
C’est dans ces conditions que, sur la saisine des sociétés NERGECO du 16 janvier 2015, l’affaire revient devant la cour d’appel de Paris autrement composée.
Dans leurs dernières conclusions, numérotées 3 transmises le 2 mai 2016, les sociétés NERGECO demandent à la cour :
– à titre principal :
– de débouter les sociétés GEWISS FRANCE et MAVIFLEX de l’ensemble de leurs demandes,
– de juger que pour la période allant du 7 décembre 1994 au 3 juin 1998, date d’inscription de sa licence, la société NERGECO FRANCE est recevable et fondée à obtenir réparation du dommage résultant pour elle de la contrefaçon commise par MAVIFLEX et GEWISS FRANCE, sur le fondement de l’article 1382 du code civil,
– de juger que, pour la période courant à compter du 3 juin 1998, date de l’inscription du contrat de management et de son annexe, la société NERGECO FRANCE est recevable et fondée en ses demandes visant à obtenir réparation du préjudice sur le fondement de l’article L. 615-2 du code de la propriété intellectuelle,
– à titre subsidiaire, si la cour jugeait que la licence dont elle bénéficie est nulle ou inopposable, de juger que la société NERGECO FRANCE est recevable et fondée en toutes ses demandes au titre de l’article 1382 du code civil,
– en conséquence : de condamner in solidum les sociétés GEWISS FRANCE et MAVIFLEX à verser à la société NERGECO FRANCE :
– la somme de 1 563 214 €,
– à titre subsidiaire (dans l’hypothèse où la cour déciderait que NERGECO FRANCE n’est pas fondée à être indemnisée pour la période antérieure à l’inscription de sa licence), la somme de 766 213 €,
– en tout état de cause :
– de juger que les sommes exposées allouées porteront intérêt au taux légal à compter de l’assignation introductive d’instance avec capitalisation des intérêts à chaque date anniversaire de l’assignation,
– de condamner la société MAVIFLEX à verser à la société NERGECO FRANCE la somme de 150 000 € à titre de dommages et intérêts pour son attitude fautive dans la conduite de la procédure en déposant notamment de multiples plaintes pénales de façon légère et inconsidérée,
– de condamner in solidum les sociétés MAVIFLEX et GEWISS FRANCE à leur payer la somme de 200 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens d’appel, lesquels comprendront également les frais d’expertise.
Dans ses dernières conclusions transmises le 30 mai 2016, la société MAVIFLEX demande à la cour :
– de dire nuls et de nullité absolue le contrat de management du 6 décembre 1990 et son annexe du 31 janvier 1991,
– de dire que la société NERGECO FRANCE n’a pas la qualité de licenciée et est donc dépourvue de qualité pour agir et la débouter de toutes ses prétentions comme irrecevables,
– de débouter les sociétés NERGECO de toutes leurs prétentions comme irrecevables et/ou mal fondées,
– en toute hypothèse, de dire la société NERGECO FRANCE irrecevable et en tout cas mal fondée à réclamer quelque indemnisation que ce soit du chef de la contrefaçon alléguée du brevet,
– subsidiairement, de dire que la société NERGECO FRANCE ne peut pas invoquer de droits d’exploitation préalablement au 3 juin 1998, en application de l’article L. 613-9 du code de la propriété intellectuelle,
– très subsidiairement, si la cour admet que la société NERGECO FRANCE peut agir en qualité de ‘distributeur exclusif’, de dire que la réparation ne pourrait porter que sur une perte de marge de ‘distributeur’ dont il reviendrait à la société NERGECO FRANCE de produire la justification,
– encore plus subsidiairement, de dire que les intérêts légaux ne peuvent être fixés qu’à compter de la clôture de la procédure de sauvegarde de la société MAVIFLEX prononcée par jugement du 17 décembre 2012,
– de condamner les sociétés NERGECO à lui payer :
– la somme de 100 000 € à titre de dommages et intérêts,
– celle de 200 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– de condamner les sociétés NERGECO aux dépens.
Dans ses conclusions transmises le 13 janvier 2016, la société GEWISS FRANCE demande à la cour :
– à titre principal : de rejeter les demandes des sociétés NERGECO comme irrecevables ou subsidiairement mal fondées,
– à titre subsidiaire :
– sur l’obligation à la dette :
. de dire que toute condamnation prononcée contre la société GEWISS FRANCE ne peut l’être qu’in solidum avec la société MAVIFLEX,
. de dire que la société NERGECO FRANCE ne saurait réclamer l’indemnisation d’un préjudice antérieur au 3 juin 1998 et postérieur au 6 février 1999 et, par conséquent, que le préjudice indemnisable de la société NERGECO FRANCE par la société GEWISS FRANCE ne saurait être supérieur à la somme de 207 230 €,
. de rejeter la demande des sociétés NERGECO au titre des intérêts moratoires,
– sur la répartition de responsabilité entre les intimées et la contribution à la dette de GEWISS :
. de retenir un partage de responsabilité par parts franches entre les sociétés GEWISS FRANCE et MAVIFLEX,
. de dire que la société GEWISS FRANCE n’a plus fabriqué aucune porte jugée contrefaisante à compter du 31 décembre 1998,
. de dire que sa contribution ne saurait être supérieure à 103 615 €,
. de condamner la société MAVIFLEX à l’indemniser de toute somme versée par elle à la société NERGECO FRANCE au-delà de 103 615 €,
– en tout état de cause :
– de rejeter les plus amples demandes des sociétés NERGECO,
– de condamner in solidum les sociétés NERGECO aux dépens ainsi qu’au paiement de la somme de 100 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 14 juin 2016.
MOTIFS DE L’ARRÊT
Considérant qu’en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu’elles ont transmises, telles que susvisées ;
Sur la recevabilité des demandes de la société NERGECO FRANCE
Sur la recevabilité des demandes de la société NERGECO FRANCE en tant que licenciée
Considérant que le dernier alinéa de l’article L. 615-2 du code de la propriété intellectuelle prévoit que le licencié est recevable à intervenir dans l’instance en contrefaçon engagée par le breveté, afin d’obtenir la réparation du préjudice qui lui est propre ;
Considérant que selon l’article L. 210-6 du code de commerce, les sociétés commerciales jouissent de la personnalité morale à compter de leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés ;
Que le contrat de management, daté du 6 décembre 1990, n’indique pas que la société NERGECO FRANCE est une société en formation mais mentionne qu’elle est immatriculée au RCS au registre du commerce du Puy sous le numéro ‘B 380 464 446 ([Immatriculation 1])’ ;
Que cependant, ainsi que le soutiennent les sociétés intimées, au vu de l’extrait Kbis versé au dossier, la société NERGECO FRANCE n’a été immatriculée au RCS du tribunal de commerce du Puy que le 2 février 1991 ;
Qu’à la date du contrat de management signé entre les sociétés NERGECO et NERGECO FRANCE, cette dernière, non encore immatriculée au registre du commerce et des sociétés, était donc dépourvue de personnalité juridique lui permettant de contracter ; qu’il est indifférent que les statuts de la société NERGECO FRANCE aient été signés dès le 30 novembre 1990 et que la société ait débuté son activité commerciale le 1er décembre 1990, comme le font valoir les sociétés NERGECO ;
Qu’il s’ensuit que l’acte de management du 6 décembre 1990 est nul, de même, par voie de conséquence, que l’annexe à ce contrat, signée le 31 janvier 1991, qui s’y réfère expressément ;
Que la nullité affectant des actes conclus par une société dépourvue d’existence juridique étant une nullité absolue, elle ne peut être rétroactivement couverte après la disparition de la cause de nullité, de sorte que les sociétés NERGECO arguent vainement de la réfection du contrat de management après l’immatriculation régulière de la société NERGECO FRANCE au RCS le 2 février 1991, résultant des actes d’exécution de la licence intervenus postérieurement à l’immatriculation de la société NERGECO FRANCE le 2 février 1991, du renouvellement tacite du contrat le 6 décembre 1995, de l’inscription du contrat et de son annexe au registre national des brevets le 3 juin 1998 ou de la conclusion, le 3 septembre 1998, d’un avenant rectificatif au contrat de management initial précisant que ‘NERGECO France sera ipso facto licenciée des brevets et des marques pour la France’ ou encore de la signature, le 20 novembre 2006, d’un avenant ‘confirmatif’ ;
Considérant, en outre, qu’aux termes de l’alinéa premier de l’article L. 614-14 du code de la propriété intellectuelle, une demande de brevet français ou un brevet français et une demande de brevet européen ou un brevet européen ayant la même date de dépôt ou la même date de priorité, couvrant la même invention et appartenant au même inventeur ou à son ayant-cause, ne peuvent, pour les parties communes, faire l’objet indépendamment l’une de l’autre d’un transfert, gage, nantissement ou d’une concession de droit d’exploitation, à peine de nullité ;
Qu’en l’espèce, l’article 8 du contrat de management stipule, en son alinéa 3 : ‘le cas échéant, la société Nergeco assurera le suivi de la prise et de la maintenance des brevets d’invention. Nergeco France sera ipso facto licenciée des brevets pour la France’ ; que l’annexe datée du 31 janvier 1991 précise qu”en application de l’article 8 dudit contrat, Nergeco et Nergeco France confirment que Nergeco concède à Nergeco France la licence de la partie française des brevets européens ci-après : (…) n° 0 398 791 du 11 mai 1990 Porte à rideaux relevables renforcée par des barres d’armature horizontales’ ;
Que ni le contrat de management du 6 décembre 1990, ni son annexe du 31 janvier 1991 ne font mention de la concession des droits exclusifs d’exploitation sur les demandes de brevets français n° 89 06 592 et n° 90 00 001 dont la priorité était revendiquée par le brevet européen n° EP 0 398 791 ; que l’indication’Nergeco France sera ipso facto licenciée des brevets pour la France’ dans le contrat de management ne peut pallier l’absence de mention, dans le contrat lui-même ou du moins dans son annexe, des demandes de brevets français concernées ;
Que les sociétés NERGECO se prévalent des dispositions de l’article L. 614-3 du code de la propriété intellectuelle
1: ‘Dans la mesure où un brevet français couvre une invention pour laquelle un brevet européen a été délivré au même inventeur ou à son ayant cause avec la même date de dépôt ou de priorité, le brevet français cesse de produire ses effets soit à la date à laquelle le délai prévu pour la formation de l’opposition au brevet européen est expiré sans qu’une opposition ait été formée, soit à la date à laquelle la procédure d’opposition est close, le brevet européen ayant été maintenu (…)’
pour soutenir que le délai de neuf mois prévu pour la formation de l’opposition ayant pris fin le 13 juillet 1994, les brevets français ont cessé de produire leurs effets à cette même date, de sorte que la nullité résultant du défaut de mention des brevets français dans l’annexe du 31 janvier 1991 n’existant plus à compter du 13 juillet 1994, les parties ont postérieurement valablement renouvelé leur accord de conclure une licence sur le brevet n° EP 0 398 791, par l’exécution de la licence, l’inscription des actes au registre national des brevets le 3 juin 1998, la tacite reconduction du contrat de management le 6 décembre 1995 ou la conclusion des avenants des 3 septembre 1998 et du 20 novembre 2006 ;
Que cependant, la nullité prévue par l’article L. 614-14 du code de la propriété intellectuelle est une nullité absolue, les dispositions légales en cause étant destinées à protéger un intérêt général (prévenir la double brevetabilité d’une invention sur un même territoire) ; que la validité du contrat de management et de l’avenant s’apprécient à la date de leur signature ;
Que dans ces conditions le contrat de management et son annexe sont nuls en application de l’article L. 614-14 susvisé ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’examiner le surplus des moyens des parties concernant notamment la nullité du contrat de management et de son annexe pour fraude et faux en écriture privée et le défaut d’inscription de la licence, que la société NERGECO FRANCE est irrecevable, faute de qualité à agir, à demander réparation, sur le fondement de l’article L. 615-2 du code de la propriété intellectuelle, du préjudice causé par les actes de contrefaçon du brevet n° EP 0 398 791 dont la société NERGECO est titulaire ;
Que le jugement du TGI de [Localité 1] du 21 décembre 2000 doit, en conséquence, être infirmé en ce qu’il a rejeté l’exception d’irrecevabilité formée par les sociétés MAVIL (aujourd’hui GEWISS FRANCE) et MAVIFLEX à l’encontre de la demande de la société NERGECO FRANCE ;
Sur la recevabilité des demandes de la société NERGECO fondées sur l’article 1382 du code civil
Considérant que les sociétés NERGECO font valoir que la contrefaçon d’un brevet poursuivie par le titulaire du titre constitue des actes de concurrence déloyale justifiant la réparation du préjudice à l’égard du distributeur des produits brevetés pour le cas où ce dernier n’est pas le titulaire d’un contrat de licence ; qu’ainsi, à titre subsidiaire, pour le cas où la licence serait jugée nulle ou inopposable, la société NERGECO FRANCE demande, en tant qu’exploitante du brevet n° EP 0 398 791, la réparation du dommage résultant pour elle de la contrefaçon commise par les sociétés MAVIFLEX et GEWISS FRANCE sur le fondement de l’article 1382 du code civil ;
Considérant cependant que les sociétés MAVIFLEX et GEWISS FRANCE opposent à juste raison que cette demande nouvelle est irrecevable dès lors qu’elle se heurte aux dispositions de l’article 481 du code de procédure civile selon lesquelles le jugement, dès son prononcé, dessaisit le juge de la contestation qu’il tranche ;
Qu’en effet, comme l’admet la société NERGECO FRANCE (page 47 de ses dernières écritures), il a été définitivement jugé dans l’arrêt précité du 2 octobre 2003 rendu par la cour d’appel de Lyon que les sociétés MAVIL et MAVIFLEX ont commis des actes de contrefaçon du brevet européen n° EP 0 398 791 dont la société NERGECO est titulaire ; que, par ailleurs, la société NERGECO FRANCE reconnaît qu’elle a jusqu’à présent justifié son droit à réparation sur le fait qu’elle disposait d’une licence sur ledit brevet ; qu’en conséquence, la société NERGECO FRANCE ne peut demander à cette cour de renvoi, saisie à la suite de l’arrêt de cassation partielle du 16 décembre 2014, de statuer sur sa demande d’indemnisation sur un fondement autre que celui de la contrefaçon, sur lequel elle a initialement basé sa demande et sur lequel la cour d’appel de Lyon a définitivement jugé qu’elle pouvait, par principe, prétendre être indemnisée, question dont la cour d’appel de Lyon s’est alors trouvée dessaisie ;
Que la société NERGECO FRANCE sera, en conséquence, déclarée irrecevable à demander réparation de son préjudice sur le fondement de l’article 1382 du code civil ;
Sur la demande des sociétés NERGECO en dommages et intérêts pour attitude fautive de la société MAVIFLEX dans la conduite de la procédure
Considérant que les sociétés NERGECO invoquent ‘de multiples plaintes pénales’ déposées par la société MAVIFLEX de façon légère et inconsidérée afin notamment de faire obstruction à la présente procédure et en retarder l’issue, notamment par le biais de demandes de sursis à statuer ;
Considérant qu’il n’appartient pas à cette cour, saisie de la demande de la société NERGECO FRANCE en indemnisation d’un préjudice causé par des actes de contrefaçon, d’accorder des dommages et intérêts venant réparer le caractère prétendument abusif de procédures initiées au plan pénal par l’une des sociétés intimées, dont l’une serait encore en cours selon la société MAVIFLEX ;
Que la demande des sociétés NERGECO sera rejetée ;
Sur les demandes de la société GEWISS FRANCE dirigées contre la société MAVIFLEX
Considérant que du fait de l’irrecevabilité des demandes de la société NERGECO FRANCE, les demandes de la société GEWISS FRANCE tendant à un partage de responsabilité entre elle et la société MAVIFLEX et à la condamnation de cette dernière à l’indemniser de toute somme versée par elle au-delà de 103 615 €, se trouvent sans objet ;
Sur la demande reconventionnelle de la société MAVIFLEX
Considérant que la société MAVIFLEX fait valoir que les demandes outrancières de la société NERGECO FRANCE sont justifiées ‘par des contrats pour le moins suspects’ et que la longueur de la procédure lui a causé un préjudice considérable ;
Considérant que l’exercice d’une action en justice constitue, en principe, un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d’erreur grossière équipollente au dol ;
Que compte tenu de la succession de décisions divergentes rendues dans ce dossier, le rejet des prétentions des sociétés NERGECO, en raison de l’irrecevabilité des demandes de la société NERGECO FRANCE, ne permet pas de caractériser une faute ayant fait dégénérer en abus leur droit d’agir en justice ;
Que la demande de la société MAVIFLEX sera rejetée ;
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Considérant que les sociétés NERGECO qui succombent en leur recours seront condamnées aux dépens d’appel et garderont à leur charge les frais non compris dans les dépens qu’elles ont exposés à l’occasion de la présente instance ;
Qu’en équité, il n’y a pas lieu d’allouer d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile aux sociétés MAVIFLEX et GEWISS FRANCE ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Infirme le jugement du TGI de [Localité 1] du 21 décembre 2000 en ce qu’il a rejeté l’exception d’irrecevabilité formée par les sociétés MAVIL (aujourd’hui GEWISS FRANCE) et MAVIFLEX à l’encontre de la demande de la société NERGECO FRANCE ;
Dit que sont nuls le contrat de management daté du 6 décembre 1990 conclu entre les sociétés NERGECO et NERGECO FRANCE et l’annexe à ce contrat en date du 31 janvier 1991,
En conséquence, dit que la société NERGECO FRANCE est irrecevable en sa demande, fondée sur l’article L. 615-2 du code de la propriété intellectuelle, en réparation du préjudice causé par les actes de contrefaçon du brevet n° EP 0 398 791 dont la société NERGECO est titulaire, commis par les sociétés MAVIFLEX et GEWISS FRANCE,
Dit que la société NERGECO FRANCE est également irrecevable en sa demande en réparation du même préjudice fondée sur l’article 1382 du code civil,
Déboute les sociétés NERGECO et NERGECO FRANCE de leur demande en dommages et intérêts à l’encontre de la société MAVIFLEX pour attitude fautive dans la conduite de la procédure,
Dit que les demandes de la société GEWISS FRANCE dirigées contre la société MAVIFLEX sont sans objet,
Déboute la société MAVIFLEX de sa demande de dommages et intérêts à l’encontre des sociétés NERGECO,
Condamne les sociétés NERGECO et NERGECO FRANCE aux dépens,
Déboute les sociétés MAVIFLEX et GEWISS FRANCE de leurs demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile.
LE PRÉSIDENTLE GREFFIER