Exclusivité : 15 septembre 2022 Cour d’appel de Rennes RG n° 21/02575

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Exclusivité : 15 septembre 2022 Cour d’appel de Rennes RG n° 21/02575
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15 septembre 2022
Cour d’appel de Rennes
RG n°
21/02575

4ème Chambre

ARRÊT N° 308

N° RG 21/02575 –

N° Portalis DBVL-V-B7F-RSOS

HR/JPC

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 15 SEPTEMBRE 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Hélène RAULINE, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Brigitte DELAPIERREGROSSE, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Nathalie MALARDEL, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Juliette VANHERSEL, lors des débats, et Monsieur Jean-Pierre CHAZAL, lors du prononcé,

DÉBATS :

A l’audience publique du 09 Juin 2022,

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 15 Septembre 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats

****

APPELANTE :

Madame [M] [Z]

née le 14 Septembre 1973 à [Localité 4]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Paul LE GALL, Plaidant, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

Représentée par Me Jean-Paul RENAUDIN de la SCP GUILLOU-RENAUDIN, Postulant, avocat au barreau de RENNES

INTIMÉES :

SCI LVL, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée par Me Caroline LE GOFF de la SELARL KERJEAN-LE GOFF-NADREAU-BARON-NEYROUD, avocat au barreau de SAINT-MALO

Syndicat de copropriétaires de l’immeuble GALERIE SOLIDOR représenté par son Syndic, la SELARL EGUIMOS, dont le siège social est [Adresse 1], pris en la personne de son représentant légal domicilié audit siège

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée par Me Olivier SEBAL, avocat au barreau de SAINT-MALO

****

FAITS ET PROCÉDURE

L’immeuble en copropriété situé [Adresse 3] est constitué de deux bâtiments:

– le bâtiment A comportant au rez-de-chaussée une galerie commerciale, au premier étage, les lots 10 à 15 appartenant à la SCI LVL depuis 1991 et exploités par une école de danse, et au second étage, des locaux professionnels appartenant à un maître d’oeuvre ;

– le bâtiment B comprenant un sous-sol et des locaux au rez-de-chaussée acquis en 2004 par Mme [M] [Z] pour y installer son étude notariale.

Mme [Z] a entrepris des travaux de rénovation qu’elle a dû interrompre en 2006 en raison de malfaçons. Elle a cessé de payer ses charges de copropriété. Ces affaires sont toujours pendantes devant la cour.

En marge de ces litiges, par lettre recommandée avec accusé de réception du 11 janvier 2015, Mme [Z] a mis en demeure le syndicat de copropriété Galerie Solidor d’agir contre la SCI LVL dans le délai d’un mois afin d’obtenir la restitution des toilettes communes situées au premier étage du bâtiment A.

Le syndic lui a répondu le 2 février suivant que la SCI lui avait transmis un plan du 6 septembre 1985, postérieur à celui transmis par elle, dans lequel il n’y avait aucune ouverture dans la tourelle permettant d’accéder aux toilettes et qu’il n’y avait pas de mention de celles-ci dans le descriptif du réglement de copropriété.

Reprochant à la SCI LVL de s’être accaparée les parties communes du premier étage du bâtiment A, Mme [Z] l’a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Saint-Malo par acte d’huissier en date du 15 juin 2015. Elle demandait sa condamnation sous astreinte à restituer les toilettes, la sortie de secours et le couloir entre les toilettes, la sortie de secours et le couloir desservant les lots n°15 et 16 allant jusqu’à la façade extérieure du bâtiment A.

Elle a attrait à la cause le syndicat des copropriétaires par acte du 9 mai 2017.

Par un jugement en date du 12 avril 2021, le tribunal judiciaire a déclaré Mme [Z] recevable mais non fondée en son action, dit que la SCI LVL a acquis par usucapion l’usage exclusif des parties communes du 1er étage du bâtiment A de l’immeuble situé [Adresse 3], débouté Mme [Z] de l’ensemble de ses demandes et condamné cette dernière aux dépens et à verser à la SCI LVL, d’une part, au syndicat des copropriétaires, d’autre part, la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Mme [Z] a interjeté appel de cette décision par déclaration du 27 avril 2021.

L’instruction a été clôturée le 9 juin 2022.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans ses dernières conclusions en date du 7 juin 2022, au visa des articles 2, 26, 41 de la loi du 10 juillet 1965, ainsi que de l’article 2272 du code civil, Mme [Z] demande à la cour de :

– réformer le jugement dont appel ;

Sur l’appropriation irrégulière des parties communes,

– juger qu’en application de la loi du 10 juillet de 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis et de la jurisprudence constante de la Cour de cassation, il est interdit aux copropriétaires de s’approprier les parties communes de la copropriété, sauf à disposer d’un titre leur conférant ce droit ou à y avoir été dûment autorisé par une assemblée générale de la copropriété dans les conditions de l’article 26 de la loi du 10 juillet de 1965;

– juger qu’il ressort de l’état descriptif de division de la copropriété Galerie Solidor et du plan annexé compris dans le règlement de copropriété que les parties privatives de la SCI LVL au premier étage du bâtiment A ont une superficie totale de 201 m² qui ne comprend aucunement les parties communes correspondant aux toilettes, à la sortie de secours et aux couloirs;

– juger que l’état descriptif de division et l’acte de propriété de la SCI LVL ont valeur contractuelle et à ce titre la force probante pour établir que la SCI LVL a acquis six lots pour une superficie de 201 m² ;

– juger que l’acte de propriété de la SCI LVL vient confirmer qu’elle a acquis six lots pour une superficie de 201 m² qui ne comprennent pas les parties communes du premier étage du bâtiment A ;

– juger qu’aucune assemblée générale de la copropriété n’est venue autoriser cette appropriation de partie communes par la SCI LVL et que celle-ci est donc irrégulière ;

– en conséquence, juger que l’appropriation des parties communes du 1er étage du bâtiment A par la SCI LVL est irrégulière et nulle ; l’obliger à restituer les parties appropriées à la copropriété Galerie Solidor ;

Sur l’inapplicabilité de la prescription acquisitive à l’appropriation des parties communes par la SCI LVL,

– juger que l’action en restitution de parties communes dans une copropriété est une action réelle soumise à la prescription de trente ans en application de l’article 42 de la loi du 10 juillet 1965 et de la jurisprudence ;

– juger que la SCI LVL ne peut invoquer valablement la prescription acquisitive puisqu’il est matériellement établi qu’elle ne dispose pas d’une possession de trente ans sur les parties communes appropriées ;

– juger que la prescription abrégée de dix ans concerne exclusivement la « propriété » et qu’elle n’est pas applicable pour l’acquisition d’un droit d’usage exclusif ;

– juger que la prescription abrégée de dix ans n’est pas applicable puisque la SCI LVL ne demande pas l’acquisition d’un droit de propriété par prescription, mais un droit d’usage exclusif, qui nécessite un délai de trente ans ;

– juger que la prescription acquisitive abrégée impose de disposer d’un juste titre qui est un acte réel de transfert de propriété qui doit mentionner exactement le transfert en sa totalité du bien que le possesseur entend prescrire ;

– juger que la SCI LVL ne détient pas de juste titre puisque l’acte de propriété du 22 mars 1991 ne mentionne pas les parties communes que la SCI LVL entend prescrire, ni un droit d’usage exclusif sur ces parties communes ;

– juger que la SCI LVL ne dispose pas de juste titre puisque l’article 2270 du code civil lui interdit de prescrire une possession des parties communes contre son titre de propriété qui n’en fait pas état ;

– juger que la jurisprudence de la Cour de cassation prévoit que l’ensemble des copropriétaires agissant ensemble peuvent invoquer leurs droits indivis de propriété qu’ils ont sur les parties communes pour user de la prescription acquisitive, mais que cette situation ne correspond pas à l’action individuelle de la seule SCI LVL de sorte que la jurisprudence retenue par le jugement du 12 avril 2021 est inapplicable et ne peut conférer un juste titre à la SCI LVL;

– juger que la SCI LVL ne dispose pas de juste titre puisque la quote-part de parties communes ne peut constituer un juste titre puisque c’est un droit indivis qui n’est pas un droit de propriété ou d’usage privatif et de plus c’est un droit portant sur des parties non définies ;

– juger que la SCI LVL n’est pas acquéreur de bonne foi puisque son acte de propriété indique expressément qu’elle avait connaissance des informations du règlement de copropriété qui mentionnent les parties communes du 1er étage du bâtiment A et que son acte de propriété indique qu’elle n’a pas acquis un lot d’un seul tenant mais 6 lots, ce qui implique nécessairement l’existence de parties communes ;

– juger qu’il ressort des déclarations du syndicat des copropriétaires que les cloisons séparant les parties privatives et les parties communes du 1er étage du bâtiment A existaient lors de l’acquisition des locaux par la SCI LVL et que celles-ci ont été détruites pour réunir les lots dans la foulée de l’acquisition, comme il l’a conclu dans ses écritures de première instance et d’appel;

– juger que les cloisons séparant les parties privatives et communes existaient avant l’acquisition des locaux par la SCI LVL comme l’établissent les trois actes de propriété portant sur les locaux actuels de la SCI LVL ;

– juger que la SCI LVL avait connaissance des parties communes du 1er étage du bâtiment A et notamment de l’issue de secours et du couloir d’accès menant à l’issue de secours puisqu’elle a matériellement bloqué cet accès pour les occupants du deuxième étage ;

– en conséquence, juger que la prescription acquisitive de dix ans est inapplicable et que la SCI LVL ne remplit pas les conditions de la prescription de trente ans ; débouter la SCI LVL et la copropriété Galerie Solidor de l’ensemble de leurs demandes ;

Sur l’inapplicabilité de la clause de réunion des lots à l’appropriation des parties communes par la SCI LVL,

– juger que la clause « réunion de lots » de l’article 6 du règlement de copropriété est illicite en ce qu’elle permet d’annexer des parties communes sans demander d’autorisation de l’assemblée générale ; la réputer non écrite;

– juger que cette clause est inapplicable puisqu’elle n’a jamais été mise en ‘uvre par la SCI LVL qui n’a jamais réuni les conditions pour sa mise en ‘uvre ;

– juger que la clause est inapplicable puisque sa mise en ‘uvre prive les autres copropriétaires de l’usage des parties communes appropriées ;

– en conséquence, juger que la clause n’est pas applicable pour justifier le droit d’usage exclusif des parties communes invoqué par la SCI LVL ; débouter la SCI LVL et la copropriété Galerie Solidor de l’ensemble de leurs demandes ;

Sur la condamnation de la SCI LVL à restituer les parties communes et à faire les travaux de remise en état et à payer de légitimes dommages-intérêts,

– juger que toute appropriation irrégulière de parties communes oblige l’auteur de l’appropriation à restituer à ses frais les parties communes indûment appropriées ;

– juger qu’en sa qualité de copropriétaire, elle est fondée à solliciter des dommages et intérêts à la SCI LVL puisque celle-ci s’est appropriée un actif de la copropriété au détriment des autres copropriétaires sans régler les charges y afférent et que cette appropriation a été réalisée au mépris des règles de sécurité ;

– en conséquence, condamner la SCI LVL à restituer les parties communes du premier étage du bâtiment A, à savoir : le local correspondant aux toilettes, la sortie de secours et le couloir les reliant et ce, en réalisant à ses frais les travaux de remise en état sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du prononcé de l’arrêt à intervenir ;

– condamner la SCI LVL à lui régler les sommes de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts, 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions en date du 2 juin 2022, la SCI LVL demande à la cour de :

– confirmer le jugement du 12 avril 2021 en toutes ses dispositions ;

– par conséquent, dire qu’elle a acquis par usucapion l’usage exclusif des parties communes du 1er étage du bâtiment A de l’immeuble sis [Adresse 3] ;

– en cas de réformation sur l’usucapion, dire qu’elle bénéficie de l’usage exclusif des parties communes du 1er étage du bâtiment A en application de la clause de réunion des lots ;

– dire irrecevable comme prescrite et en tous cas infondée la demande de remise des parties communes dans leur état antérieur ;

– en toute hypothèse, débouter Mme [Z] de l’ensemble de ses demandes ;

– condamner Mme [Z] à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre de ses frais irrépétibles de première instance et à prendre en charge les dépens de première instance ;

– y additant, la condamner à payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens d’appel.

Elle ne conteste pas avoir acquis 201 m² et des tantièmes de copropriété qui ont été modifiés en juillet 2004 mais indique que la configuration des lieux telle qu’elle résulte de l’état descriptif de division et du plan annexé n’est nullement celle qui existait quand elle est entrée en possession en mars 1991 car les lots n’avaient pas été mis en conformité avec celui-ci. Elle répond que l’acte authentique avait été rédigé par le notaire sur la base des éléments en sa possession, c’est à dire l’état descriptif de division, qu’il n’avait procédé à aucune vérification personnelle de la configuration réelle des locaux vendus et que, lorsque l’état descriptif de division a été rédigé, les travaux n’avaient pas encore été réalisés, ce qui résulte de la formule: ‘L’ensemble immobilier comprendra après exécution des travaux que M. [O] envisage d’effectuer…’. Elle observe que ce document ne décrit pas les parties communes du premier étage, le plan annexé n’ayant pas de valeur authentique. Elle ajoute que M. [O] a rencontré des difficultés financières puisqu’il a été placé en liquidation en 1988 et que le procès-verbal d’adjudication de ses biens immobiliers confirme l’inachèvement des travaux, un acquéreur n’ayant été trouvé qu’en 1991 en la personne de M. [I]. Il en découle qu’il n’y a aucune conformité entre la description juridique et la configuration des lieux. Elle précise que les plans d’aménagement de son architecte ont été établis sur la base de l’existant et qu’elle a fait dresser un constat d’huissier qui confirme que les tourelles n’ont jamais été percées. Selon elle, il se déduit de la configuration des lieux qu’aucun autre copropriétaire n’a besoin des parties communes du premier étage pour desservir ses lots et que Mme [Z], qui n’est copropriétaire que dans le bâtiment B et qui ne participe pas aux charge du bâtiment A en application du modificatif de l’état descriptif de division qu’elle a établi en juillet 2004, n’a pas non plus d’utilité sur celles-ci. Elle ne peut donc prétendre à la remise en état d’un état antérieur qui n’a jamais existé.

Disposant de l’usage exclusif de l’ensemble du premier étage depuis son acquisition et d’une possession répondant aux critères de l’article 2261 du code civil, elle considère qu’elle peut se prévaloir des dispositions de l’article 2272 alinéa 2 du code civil, la jurisprudence admettant que le juste titre puisse être l’acte d’acquisition puisque celle-ci porte à la fois sur un lot privatif et sur une partie des parties communes. Elle ajoute que son titre est conforme au réglement de copropriété et à l’état descriptif de division, que l’usage exclusif n’est contesté ni par le syndicat de copropriétaires ni par les copropriétaires individuellement, sauf Mme [Z] depuis 2015, et que la réunion des lots est autorisée par le réglement de copropriété. Elle considère que la division prévue par l’état descriptif de division n’ayant jamais été réalisée, elle peut se prévaloir de l’occupation par M. [O] de sorte qu’il s’est écoulé plus de trente ans entre le 30 avril 1985 et l’assignation délivrée par l’appelante le 15 juin 2015.

Elle oppose la prescription quinquennale à l’action tendant à la remise en état au motif que Mme [Z] connaissait la situation des parties communes depuis juillet 2004 pour avoir rédigé le modificatif de l’état descriptif de division en sa qualité de notaire.

A titre subsidiaire, elle invoque la clause de réunion des lots, qui confère l’usage exclusif des dégagements communs aux lots contigus réunis, en soulignant qu’elle est conforme à l’article 26b de la loi de 1965 et licite selon la jurisprudence.

Elle s’étonne de la demande de dommages-intérêts alors que la copropriété est dispensée de l’entretien de cette partie de l’immeuble depuis trente ans et que l’appelante a fait modifier l’état descriptif de division en 2004 pour ne payer aucune charge du bâtiment A.

Dans ses dernières conclusions en date du 22 octobre 2021, le syndicat de copropriétaires de l’immeuble Galerie Solidor demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions et de condamner Mme [Z] à lui payer la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Il fait valoir que, selon une jurisprudence constante, un droit de jouissance privatif sur les parties communes est un droit réel et perpétuel qui peut s’acquérir par usucapion conformément à l’article 2272 du code civil qui ne fait aucune distinction pour les parties communes de sorte que la prescription abrégée a vocation à s’appliquer et que l’action en restitution des parties communes est une action réelle qui échappe à l’ancienne prescription de l’article 42 de la loi de 1965, réservée aux actions personnelles. Il considère que la bonne foi de la SCI est difficilement contestable en ce qu’elle a acquis les locaux du premier étage dans une configuration extérieure à l’identique de ce qu’elle est aujourd’hui, les travaux de réunion des lots qui lui sont reprochés ayant été réalisés dans la foulée de l’acquisition et qu’elle remplit également la condition du juste titre au regard de la jurisprudence résultant de la décision du 30 avril 2003 n°01-15078.

MOTIFS

Le dispositif des conclusions de la SCI LVL ne contenant aucune prétention relative à l’irrecevabilité de la demande de remise en état comme étant prescrite par application de l’article 42 alinéa 1er de la loi de 1965 et de l’article 2224 du code civil, il n’y a pas lieu de statuer sur ce point.

L’appelante soutient que la SCI occupe irrégulièrement une partie du premier étage, lui reprochant d’avoir démoli les toilettes et l’issue de secours qui étaient dans les tourelles et abattu les cloisons, supprimant ainsi les couloirs reliant les différentes parties privatives pour créer son école de danse. Elle sollicite la remise en état des lieux dans leur état antérieur et la restitution de ces parties communes à la copropriété.

La SCI conteste la configuration des lieux décrite par Mme [Z], reconnaît avoir acquis 201 m² et revendique avoir acquis la jouissance privative des parties communes du premier étage en application de l’article 2272 du code civil.

Il convient d’examiner en premier lieu si les parties communes litigieuses existaient lorsque la SCI a acquis les lots n°10 à 15.

1. Sur la consistance des parties communes du 1er étage du bâtiment A en 1991

1.1. L’appelante soutient que les parties communes existaient en 1991 en se fondant sur l’acte de vente de M. [O] du 30 avril 1985, le projet de rénovation du 9 mai 1985, le réglement de copropriété et l’état descriptif de division.

Il ressort des pièces versées aux débats que M. [E] [O] a acquis l’immeuble le 30 avril 1985 dans le but de créer une galerie commerciale. Dans son acte de vente, il est fait état, en ce qui concerne la désignation du bien vendu, d’une maison d’habitation comprenant une tourelle à chaque coin avec notamment six pièces au premier étage et d’un immeuble à toit plat dans lequel était exploité un magasin Prisunic.

J.J. [O] a obtenu un permis de construire le 29 avril 1985. Ses architectes ont établi les plans du 1er étage le 9 mai 1985, l’un de l’existant, l’autre du projet de rénovation de cet étage.

Il résulte du premier plan (pièce 6 de la SCI) qu’un escalier tournant débouchait sur ce qui était dénommé une réserve, sans cloisonnement, celle-ci étant séparée par une terrasse fermée aux deux extrémités par des tourelles, d’une seconde partie divisée en une réserve plus petite et trois bureaux. Il existait un second escalier dans une troisième tourelle permettant de descendre au rez de chaussée, le palier de l’étage donnant accès à chacune des réserves.

Le plan du projet (pièce 8) prévoyait la création à la place de l’escalier tournant d’un escalier droit desservant le premier et le second étage (l’escalier central), de six lots de tailles différentes appelés à devenir des cellules commerciales, les trois créés dans la grande réserve étant séparés par un couloir qui débouchait sur la terrasse, couloir et terrasse qui devenaient une galerie marchande, la terrasse étant recouverte d’une verrière. Les deux tourelles aux extrémités de la terrasse étaient percées pour accueillir, l’une des toilettes, l’autre, une issue de secours qui débouchait sur l’escalier de la tourelle. Il résulte de l’avis de la commission de sécurité sur ce projet en date du 24 juin 1985 que le projet tendait à créer six boutiques à l’étage représentant 201 m² qui s’ajoutaient à la surface commerciale existante de 472m².

L’allégation de l’appelante selon laquelle les six lots existaient déjà en 1985 est démentie par le plan de l’existant, qui montre que la partie entourée de tourelles (l’ancienne maison d’habitation) était un plateau nu au premier étage et par le fait que, dans le projet, les six lots devaient être créés sur toute la superficie du premier étage constitué de l’ancienne maison et de l’immeuble à toit plat avec la terrasse au milieu.

Mme [Z] ne peut pas non plus se fonder sur le plan du 9 mai 1985 puisqu’un permis modificatif avait été délivré le 6 septembre 1985 qui précisait que les nouveaux plans annulaient et remplaçaient ceux qui avaient fait l’objet de l’arrêté du 29 avril 1985 (pièce 3 de la SCI).

Il apparaît que le projet de rénovation telle qu’il est figuré dans le plan annexé qui porte la date du 6 septembre 1985 avec le cachet de la mairie (sa pièce 7) avait été sensiblement réduit : les trois cellules créées dans l’ancienne grande réserve séparées par un couloir à usage de galerie marchande demeuraient mais un couloir de 11 m² et un grand espace de 103 m² étaient prévus à la place des trois autres, il n’y avait plus ni toilettes ni d’issue de secours dans les tourelles, la galerie marchande centrale (la terrasse) devenait un passage couvert.

S’agissant du réglement de copropriété et de l’état descriptif de division, également datés du 30 avril 1985, il y est précisé qu’ils décrivent ce que seront les 37 lots une fois la réhabilitation achevée. L’état descriptif de division mentionne, pour les lots acquis par la SCI et numérotés 10 à 15, six locaux professionnels de, respectivement, 43 m², 29 m², 42 m², 27,50 m², 26,50 m² et 33 m². Le plan annexé est celui du 9 mai 1985 (la pièce 8 précitée).

L’emploi du futur confirme que les locaux n’avaient pas encore été aménagés à la date à laquelle l’acte a été rédigé.

Il n’est fait état des parties arguées de communes par l’appelante ni dans l’état descriptif de division, ni dans la partie du réglement de copropriété qui les définit.

En conséquence, aucun de ces documents n’établit que les six lots et les parties communes du premier étage existaient en 1985.

1.2. L’appelante considère que la preuve de la réalisation des travaux prévus par J.J. [O] résulte des permis de construire et de la déclaration de travaux du 14 mai 1985.

Cependant, M. [O] a été placé en liquidation judiciaire en août 1988. Celle-ci a donné lieu à une vente sur adjudication de l’ensemble de ses biens immobiliers organisée par le mandataire judiciaire. Dans le procès-verbal d’adjudication établi par le notaire le 18 septembre 1990, il est indiqué que les travaux ont fait l’objet d’un permis modificatif du 6 septembre 1985 mais n’ont pas été achevés, que les adjudicataires prendront les biens en l’état, leur désignation étant celle de l’état descriptif de division, et feront leur affaire personnelle d’une éventuelle discordance avec les biens vendus.

Mme [Z] invoque la phrase suivante dans ce procès-verbal : ‘Les biens mis en vente correspondent donc à la désignation résultant des plans dont s’agit’. Or, il suffit de lire intégralement les trois paragraphes qu’elle reproduit en page 50 de ses conclusions pour percevoir la contradiction entre cette phrase et le reste où il est écrit que les travaux n’ont pas été achevés. C’est la désignation des lots mis en vente qui avait été établie sur la base du réglement de copropriété et de l’état descriptif de division, comme cela était écrit à la phrase précédente.

1.3. Le mandataire judiciaire a vendu les biens immobiliers le 22 mars 1991 à M. [I] qui a revendu les lots 10 à 15 à la SCI LVL le même jour. Mme [Z] invoque le fait que les lots sont désignés dans l’acte d’acquisition de ces dernières dans des termes identiques à ceux de l’état descriptif de division. Aucune conséquence ne peut cependant en être tirée compte tenu de ce qui précède.

1.4. La SCI déclare que, lors de son entrée en jouissance, les lieux étaient délabrés, sans porte ni toit entre les deux bâtiments, et que les seuls travaux qui avaient été réalisés par J.J. [O] étaient la création de l’escalier central, la création de deux ouvertures pour accéder à la terrasse depuis cet escalier et la démolition des cloisons des trois bureaux. Elle indique avoir créé une cloison avec porte palière au niveau de l’escalier principal, posé une verrière pour couvrir la terrasse qui devenait un couloir, carrelé le sol de celui-ci et enduit les murs du couloir. Elle considère qu’il ne peut lui être fait grief d’avoir fait des travaux pour intégrer les parties communes à ses parties privatives puisque ces parties communes n’existaient pas.

Elle produit les justificatifs de ces travaux et le plan d’aménagement de l’étage établi par son architecte.

L’appelante relève qu’elle ne justifie pas d’une autorisation permettant de vérifier les travaux réalisés mais celle-ci n’était pas requise par le réglement de copropriété.

Elle se prévaut de ce que le syndicat de copropriétaires écrit dans ses conclusions que la SCI avait réuni ses lots. Cette indication est exacte au regard des stipulations de son acte mais aucune conséquence ne peut en être tirée quant à la configuration des lieux.

L’absence de percement des tourelles est corroboré par le constat d’huissier du 11 août 2016 de Me [K], notaire à [Localité 5]. Il en résulte que leurs formes arrondies constituent les extrémités du couloir recouvert d’une verrière, leur aspect (mur enduit pour la tourelle nord, maçonnerie en pierre et soubassement enduit pour la tourelle sud) étant intact d’après les photographies insérées dans le constat, ce qui n’aurait pas été le cas si elles avaient été percées puis rebouchées comme le prétend Mme [Z].

Cela résulte également de la photographie prise pendant les travaux réalisés par la SCI à son entrée dans les lieux, qui constitue la pièce 13 de son dossier et montre la tourelle en pierres dans le même état qu’en 2016.

M. [W] [G], propriétaire d’un local professionnel au rez-de-chaussée qui, d’après la pièce 37 du dossier de la SCI retraçant l’historique de la Galerie Solidor, était déjà propriétaire en 1987, atteste que les parties communes du premier étage n’ont jamais existé.

L’absence de création des six lots (dont découle l’absence de cloisons et des deux couloirs perpendiculaires dont l’appelante demande la restitution à la copropriété) résulte du propre courrier de Mme [Z] au préfet d’Ille et Vilaine daté du 23 février 2015 (pièce 41 de la SCI) dans lequel elle fournissait des éléments complémentaires à son précédent courrier dénonçant des manquements du syndic en matière de sécurité incendie. Elle y écrivait ‘la création de 6 boutiques au 1er étage n’a jamais été réalisée mais une école de danse a été créée dans les lieux en 1991’. C’est bien l’absence de réalisation des travaux prévus par M. [O] qu’elle reconnaissait alors, et non leur absence d’exploitation comme elle le fait plaider.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, le tribunal sera approuvé pour avoir retenu que la configuration des lieux en 1991, au premier étage, n’était pas celle décrite dans le plan annexé au réglement de copropriété et que la preuve n’était pas rapportée de l’existence de toilettes, d’une issue de secours et de deux couloirs.

Dans ces conditions, la demande de remise en état de ces parties communes dans leur état antérieur ne saurait prospérer.

2. Sur la jouissance des parties communes de l’étage

Il ne fait pas débat que la SCI LVL a acquis le 22 mars 1991 des parties privatives d’une superficie totale de 201 m², conformément à l’état descriptif de division, et qu’elle occupe depuis cette date la totalité du premier étage sans y avoir été autorisée par une assemblée générale de copropriété. Cette occupation est dès lors irrégulière.

Le tribunal a jugé qu’elle avait usucapé l’usage exclusif des parties communes de l’étage en vertu du second alinéa de l’article 2272 du code civil.

L’appelante objecte que :

– le droit de jouissance privative ne peut résulter que d’une mention expresse du réglement de copropriété, il s’agit d’une condition d’existence du droit; la procédure de régularisation ouverte par le législateur en 2018 ne saurait permettre de créer un droit qui n’existe pas dans le réglement de copropriété; l’absence de mention au profit de la SCI est confirmée par le rapport d’audit du 30 janvier 2021 commandé par la copropriété ; l’assemblée générale du 19 mai 2022 en a pris acte ; ce droit n’est donc pas prescriptible;

– des installations de sécurité ne peuvent faire l’objet d’une jouissance privative, celle-ci est également exclue si elle porte atteinte aux droits des autres copropriétaires et à la destination de l’immeuble ; la SCI ne peut acquérir un droit de jouissance sur l’issue de secours dont l’obstruction porte atteinte à la sécurité de l’immeuble ; la copropriété vient de se rendre compte qu’il convient de se préoccuper des règles communes de sécurité ; le plan invoqué par la SCI est celui de ses propres locaux, non celui de l’immeuble;

– une jurisprudence constante applique la prescription trentenaire à l’action en restitution des parties communes sur le fondement de l’article 42 de la loi de 1965 ;

– la prescription abrégée de l’article 2272 du code civil est applicable uniquement en matière de propriété immobilière ; elle ne permet pas d’acquérir un droit d’usage exclusif ;

– le copropriétaire qui entend prescrire l’usage exclusif de parties communes ne peut invoquer la jouissance de son auteur ; la SCI ne peut donc se prévaloir de la durée de détention de M. [I] d’autant que ce dernier, marchand de biens, n’a été propriétaire qu’une journée ;

– la SCI ne justifie pas d’un juste titre, lequel est défini par la jurisprudence comme un acte de transfert de la propriété de la totalité du bien ou de l’usage du droit exclusif que le possesseur entend prescrire ; au contraire, la SCI entend prescrire contre son titre ; l’arrêt de 2017 qu’elle cite concernait l’ensemble des copropriétaires, il n’est pas transposable à la SCI qui agit seule;

– la SCI n’est pas de bonne foi car elle avait connaissance de l’existence des parties communes par son titre et par le réglement de copropriété et le plan annexé aux termes desquels elle acquérait six lots, et non un, et des parties communes délimitées par des cloisons qu’elle a démolies de même que l’issue de secours.

Sur le premier moyen, indépendamment du fait que Mme [Z] se prévaut de l’audit de janvier 2021 dont elle a pourtant contesté les conclusions dans le courrier du 2 mai 2022 demandant au syndic de reporter la mise à jour du réglement de copropriété compte tenu du litige en cours, l’article 209 II de la loi 2018-1021 du 23 novembre 2018 a été modifié par la loi 2022-217 du 21 février 2022 qui a supprimé l’obligation de mise en conformité des réglements de copropriété dans un délai de trois ans à compter de sa promulgation. Aucune conséquence juridique ne peut donc être tirée de l’absence de stipulation relative aux parties communes spéciales ou au parties communes à jouissance privative dans le réglement de copropriété de la Galerie Solidor.

Le deuxième n’est pas davantage fondé, la SCI n’ayant pas porté atteinte à la sécurité des occupants de l’immeuble puisqu’elle n’a pas pu supprimer une issue de secours qui n’avait pas été créée.

En droit, la possibilité d’usucaper un bien est prévue par l’article 2258 du code civil.

Aux termes de l’article 2261, il faut justifier d’une possession continue et non interrompue, paisible, publique et non équivoque et à titre de propriétaire pour pouvoir prescrire.

L’article 2272 du code civil dispose :

‘Le délai de prescription requis pour acquérir la propriété immobilière est de trente ans.

Toutefois, celui qui acquiert par bonne foi et par juste titre un immeuble en prescrit la propriété par dix ans’.

Contrairement à ce qui est soutenu par l’appelante, un droit de jouissance privatif sur des parties communes est un droit réel et perpétuel qui peut s’acquérir par usucapion, y compris selon la prescription abrégée.

En revanche, la jurisprudence issue de l’arrêt de la 3ème chambre civile du 30 avril 2003 (n°01-15078), invoquée par les intimés, qui permet aux copropriétaires de prescrire, selon les modalités de l’article 2272 du code civil, sur les parties communes de la copropriété, les droits indivis de propriété qu’ils ont acquis accessoirement aux droits exclusifs qu’ils détiennent sur les parties privatives de leurs lots, ne peut s’appliquer que lorsque l’action en revendication oppose le syndicat de copropriétaires à des tiers.

En l’absence de juste titre, la SCI et le syndicat de copropriétaires ne peuvent se prévaloir de la prescription abrégée.

La cour fait siens les motifs du jugement qui ont retenu que les conditions de l’article 2261 du code civil étaient réunies. En effet, la SCI LVL établit qu’elle occupe le premier étage dans son intégralité depuis le 22 mars 1991, qu’elle se comporte en propriétaire exclusive, ayant aménagé les locaux pour les besoins de leur exploitation et assurant leur entretien avec l’assentiment du syndicat et des autres copropriétaires, y compris Mme [Z] de 2004 à janvier 2015. Elle a fermé l’accès au premier étage en édifiant une cloison et une porte au vu et au su de tous les copropriétaires à qui les parties communes n’étaient et ne sont toujours d’aucune utilité, comme trois d’entre eux en attestent, y compris celui du second étage.

Mme [Z] ne démontre pas la mauvaise foi de la SCI. Elle ne saurait résulter de ce qu’elle a aménagé l’étage sans solliciter préalablement l’autorisation de l’assemblée générale. Le seul acte qui était alors susceptible de la renseigner était le plan annexé au réglement de copropriété puisque celui-ci et l’état descriptif de division ne les mentionnaient pas. Or, sa comparaison avec l’existant montrait que les installations qui y étaient prévues n’existaient pas parce que les travaux n’avaient pas été réalisés. La SCI réplique à juste titre qu’elle n’avait aucun moyen d’identifier ses lots lorsqu’elle a pris possession des lieux.

La SCI est également fondée à soutenir qu’elle peut se prévaloir de la possession privative de ses auteurs, M. [I] et M. [O], à compter du 30 avril 1985.

L’assignation du 4 juin 2015 a donc été délivrée alors que le délai de trente ans de l’article 2272 alinéa 1er du code civil était écoulé.

Le jugement est confirmé par substitution de motifs en ce qu’il a dit que la SCI LVL a usucapé l’usage exclusif des parties communes du 1er étage du bâtiment A et débouté Mme [Z] de ses demandes de restitution des parties communes et de dommages-intérêts.

3. Sur les dépens et les frais irrépétibles

Les dispositions du jugement de ces chefs sont confirmées.

Succombant en ses prétentions, l’appelante est condamnée aux dépens d’appel et à payer la somme de 3 000 € au syndicat et celle de 5 000 € à la SCI en application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, contradictoirement :

CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

CONDAMNE Mme [M] [Z] à payer en application de l’article 700 du code de procédure civile :

– la somme de 3 000 € au syndicat de copropriétaires Galerie Solidor,

– la somme de 5 000 € à la SCI LVL,

CONDAMNE Mme [M] [Z] aux dépens d’appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Le Greffier, Le Président,

 


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