Exception d’inexécution : 24 novembre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 23/05731

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Exception d’inexécution : 24 novembre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 23/05731

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 1 – Chambre 8

ARRET DU 24 NOVEMBRE 2023

(n° , 6 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 23/05731 – N° Portalis 35L7-V-B7H-CHLNN

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 23 Février 2023 -Tribunal de Commerce de PARIS – RG n° 23/05750

APPELANTE

S.A.S. EBERHARDT prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Nicole DELAY PEUCH, avocat au barreau de PARIS, toque : A0377 et assistée par Me Luc STROHL, avocat au barreau de STRASBOURG

INTIMÉ

Société FONDS FEMMES & AVENIR, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me François TEYTAUD de l’AARPI TEYTAUD-SALEH, avocat au barreau de PARIS, toque : J125 et assistée par Me Mathieu WEYGAND, avocat au barreau de STRASBOURG

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 12 octobre 2023, en audience publique, les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Florence LAGEMI, Président.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Florence LAGEMI, Président,

Rachel LE COTTY, Conseiller,

Patrick BIROLLEAU, Magistrat honoraire

Greffier, lors des débats : Jeanne BELCOUR

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– rendu publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Florence LAGEMI, Présidente de chambre et par Jeanne BELCOUR, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

*****

Le fonds de dotation Femmes & Avenir a été créé en 2021 afin de financer des actions en faveur des mères célibataires en situation difficile.

Le 1er juin 2021, une convention de partenariat a été conclue entre le fonds Femmes & Avenir et la société Eberhardt aux termes de laquelle celle-ci s’engageait à contribuer au financement du fonds à hauteur de la somme de 60.000 euros par trois versements de 20.000 euros sur les années 2021, 2022 et 2023.

Le premier versement de la société Eberhardt, d’un montant de 20.000 euros, est intervenu le 2 juin 2021 mais les autres virements n’ont pas été effectués.

Par acte du 1er décembre 2022, le fonds de dotation Femmes & Avenir a assigné la société Eberhardt devant le président du tribunal de commerce de Paris statuant en référé pour la voir condamner à lui payer une provision de 20.000 euros.

Par ordonnance du 23 février 2023, le président du tribunal de commerce de Paris a :

condamné la société Eberhardt à payer au fonds de dotation Femmes & Avenir, à titre de provision, la somme de 20.000 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 9 novembre 2022 et capitalisation conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil ;

dit n’y avoir lieu à référé sur la demande au titre des dommages et intérêts ;

condamné la société Eberhardt à payer au fonds Femmes & Avenir la somme de 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

rejeté toutes demandes plus amples ou contraires des parties ;

condamné la société Eberhardt aux dépens de l’instance.

Par déclaration du 10 mars 2023, la société Eberhardt a interjeté appel de cette décision en critiquant l’ensemble de ses chefs de dispositif.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 5 juillet 2023, elle demande à la cour de :

prononcer la nullité de l’ordonnance entreprise ;

à titre subsidiaire,

infirmer l’ordonnance entreprise ;

statuant à nouveau,

débouter le fonds de dotation Femmes & Avenir de l’ensemble de ses demandes ;

statuant sur l’appel incident,

rejeter l’appel incident formé par le fonds de dotation Femmes & Avenir ;

le dire irrecevable, en tout cas infondé ;

débouter le fonds de dotation Femmes & Avenir de l’ensemble de ses demandes ;

en tout état de cause,

condamner le fonds de dotation Femmes & Avenir à lui payer la somme de 3.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

condamner le fonds Femmes & Avenir aux entiers frais et dépens.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 19 juin 2023, le fonds Femmes & Avenir demande à la cour de :

sur l’appel principal de la société Eberhardt,

confirmer la décision entreprise en ce qu’elle lui a accordé une somme de 20.000 euros à titre de provision, avec intérêts aux taux légal et capitalisation ;

confirmer la décision entreprise en ce qu’elle a condamné la société Eberhardt aux entiers frais et dépens ;

déclarer la société Eberhardt mal fondée en son appel ;

en conséquence,

débouter la société Eberhardt de l’ensemble de ses demandes ;

sur son appel incident,

infirmer la décision entreprise en ce qu’elle a écarté sa demande au titre de la résistance abusive ;

statuant à nouveau,

condamner la société Eberhardt à lui verser la somme provisionnelle de 1.000 euros au titre de sa résistance abusive ;

condamner la société Eberhardt à lui verser la somme de 5.000 euros au titre de la procédure d’appel introduite abusivement ;

condamner la société Eberhardt à lui payer une indemnité de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

condamner la société Eberhardt aux entiers frais et dépens, avec faculté de recouvrement direct au profit de Maître Teytaud, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 27 septembre 2023.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé des moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.

SUR CE, LA COUR,

Il sera relevé à titre liminaire que des « conclusions d’intimée et d’appel incident n° 2 » figurent au dossier du fonds Femmes & Avenir, contenant un bordereau de communication de 26 pièces, mais que celles-ci n’ont jamais été remises au greffe ni notifiées à l’appelante par RPVA.

Seules les « conclusions d’intimée et d’appel incident » remises au greffe et notifiées par RPVA le 19 juin 2023 à l’appelante, ainsi que les 20 pièces qui y sont annexées, seront en conséquence prises en considération par la cour.

Sur la nullité de l’ordonnance entreprise

La société Eberhardt soulève la nullité de l’ordonnance du 23 février 2023 en application des articles 455 et 458, alinéa 1er, du code de procédure civile, pour défaut de motifs et absence de réponse aux moyens qu’elle soulevait.

Cependant, l’ordonnance entreprise n’est pas dépourvue de motifs, même si ceux-ci sont particulièrement brefs et lacunaires.

La demande d’annulation sera donc rejetée.

En tout état de cause, l’annulation serait sans incidence, la cour étant tenue, par l’effet dévolutif de l’appel, de statuer sur les demandes formées par les parties.

Sur la demande de provision formée par le fonds de dotation Femmes & Avenir

Selon l’article 873, alinéa 2, du code de procédure civile, dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, le président du tribunal de commerce peut accorder une provision au créancier ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.

Aux termes de l’article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.

L’article 1104 du même code dispose que les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi, cette disposition étant d’ordre public.

L’article 1194 précise que les contrats obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que leur donnent l’équité, l’usage ou la loi.

Au cas présent, l’appelante soutient que la convention de partenariat signée avec le fonds Femmes & Avenir ne constitue pas un engagement contractuel mais s’analyse en une promesse de don, dépourvue d’effet en l’absence de remise de la chose objet du don.

Elle affirme également que, contrairement à ce qui était prévu dans la convention, la directrice générale du fonds Femmes & Avenir ne l’a jamais tenue informée de l’utilisation des fonds donnés, celle-ci fonctionnant dans une totale opacité, et n’a donc pas respecté ses engagements.

L’intimée réplique que les parties ont signé une convention de mécénat fixant des obligations claires et précises à la charge de la société Eberhardt, laquelle s’est engagée à lui verser la somme totale de 60.000 euros en trois versements annuels. Elle soutient que la convention ne peut être qualifiée de promesse de don dès lors qu’y figurent des engagements réciproques.

Elle ajoute qu’elle a, pour sa part, rempli ses obligations en faisant état du partenariat avec l’appelante sur ses supports de communication et que la prétendue perte de confiance envers Mme [S], sa directrice, ne saurait justifier l’inexécution par l’appelante de ses obligations.

La convention signée par les parties le 1er juin 2021, intitulée « convention de partenariat – comité des mécènes » précise, au titre des définitions, que « le mécénat désigne les dons et legs pour lesquels le donateur bénéficie des dispositions fiscales issues de la loi n°2003-709 du 1er août 2003 relative au mécénat, aux associations et aux fondations », qu’il s’agit d’un « soutien matériel apporté sans contrepartie directe de la part du bénéficiaire à une ‘uvre ou à une personne pour l’exercice d’activités présentant un intérêt général » et d’un « acte philanthropique, désintéressé, qui se traduit par un don fait à un projet d’intérêt général ou d’utilité publique », précisant qu’il implique une « disproportion marquée entre la valeur du don et les contreparties accordées au mécène ».

L’article 2 de la convention, intitulé « apports du mécène et modalités de règlement de la contribution financière », stipule que :

« La société Eberhardt s’engage à contribuer au financement du programme d’actions pluriannuel en versant la somme de 60.000 euros/soixante mille euros au Fonds.

Les versements sont effectués sont forme de 3 virements de 20.000 euros/vingt mille euros, net de taxe, dus respectivement aux dates suivantes :

Année 2021 (juin) : 20.000 euros/vingt mille euros

Année 2022 (juin) : 20.000 euros/vingt mille euros

Année 2023 (juin) : 20.000 euros/vingt mille euros

Les versements sont effectués sur le compte banque de Femmes et Avenir ([Adresse 1]), dont les coordonnées sont indiquées ci-dessous […] ».

L’article 2.1 de la convention précise que le don effectué par le mécène ouvre droit à la réduction d’impôt prévue à l’article 238 bis du code général des impôts.

L’article 3 intitulé « apports du bénéficiaire » stipule que celui-ci « s’engage à utiliser l’intégralité de la contribution apportée par le mécène pour financer son programme d’actions » et que, pendant toute la durée de la convention, il s’engage « à faire mention du partenariat avec le mécène sur tous les supports de communication liés à l’opération, et notamment à reproduire le logo du mécène sur tous les documents écrits relatifs au projet ».

L’article 3.4.1 intitulé « octroi de contre-parties » stipule également que « conformément aux dispositions prévues par la loi de 2003 relative au mécénat, le fonds Femmes & Avenir peut accorder aux entreprises et fondations mécènes des contreparties en communication ou relations publiques, correspondant au maximum à 25% des contributions versées ».

L’article 7 du contrat précise que « les parties s’engagent mutuellement à accomplir leurs obligations telles qu’elles sont définies dans la présente convention », l’article 13 ajoutant que « la présente convention prend effet au jour de sa signature par les deux parties. Elle est conclue pour une durée de 3 ans ».

Il résulte de ces stipulations claires et précises que les parties ont conclu une convention de mécénat comportant des engagements pour chacune d’elles, mécène et bénéficiaire, et ce, nonobstant la référence au terme « don » pour les contributions du mécène, ce seul terme n’ayant pas pour effet de transformer la convention en promesse de don, contrairement à ce que soutient l’appelante.

Il en résulte également que le paiement de la contribution financière pour le mécène est, lorsqu’il s’y est engagé contractuellement, une obligation.

Elle s’impose donc à la société Eberhardt, qui s’est engagée à contribuer au financement du programme d’actions de l’intimée en lui versant la somme de 60.000 euros en trois virements successifs de 20.000 euros.

L’appelante invoque une exception d’inexécution, soutenant que le fonds de dotation n’aurait pas rempli ses propres engagements.

Mais elle ne le démontre nullement, alors que l’intimé produit de son côté des pièces attestant qu’il a régulièrement fait état du partenariat conclu avec la société Eberhardt (cf. pièce n° 11 : document de présentation des « actions de communication engagées pour valoriser l’engagement de la société Eberhardt », septembre 2022).

Quant aux longs développements des conclusions de l’appelante consacrés à la personnalité de Mme [S], alors directrice du fonds de dotation, et à ses relations avec M. [R], alors président de celui-ci, d’une part, « la dérive de Mme [S] dans le cadre de l’exercice de ses missions concernant l’utilisation du carnet d’adresses des administrateurs du fonds […] ainsi que concernant l’utilisation de l’image des différents contacts des administrateurs sans autorisation préalable », n’est étayée par aucune pièce, d’autre part, les relations interpersonnelles entre la directrice et le président du fonds de dotation sont sans incidence sur le respect par le fonds lui-même de ses obligations, seule la personne morale étant juridiquement engagée.

Les contestations soulevées par l’appelante ne sont donc pas sérieuses, de sorte que la demande de provision formée par le fonds Femmes & Avenir est fondée.

Il est constant que la société Eberhardt a réglé la première échéance de 20.000 euros en juin 2021 mais qu’elle n’a pas réglé les suivantes. Elle sera en conséquence condamnée au paiement d’une provision de 20.000 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 9 novembre 2022, date de la mise en demeure, et capitalisation, l’ordonnance étant confirmée de ce chef.

Sur la demande de dommages et intérêts pour résistance abusive et la demande de dommages et intérêts pour appel abusif formées par le fonds Femmes & Avenir

La résistance de la société Eberhartd n’a pas dégénéré en abus, pas plus que son appel, le droit d’accès au juge d’appel étant de principe et aucune légèreté blâmable ou mauvaise foi n’étant en l’espèce caractérisée.

Les demandes de dommages et intérêts provisionnels formées par l’intimée seront donc rejetées.

Sur les frais et dépens

Le premier juge a fait une exacte appréciation du sort des dépens et de l’indemnité allouée sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

L’appelante, partie perdante, sera tenue aux dépens d’appel et condamnée à indemniser l’intimé des frais qu’il a de nouveau été contraint d’exposer, à hauteur de la somme de 3.000 euros, sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Rejette la demande d’annulation de l’ordonnance entreprise ;

Confirme cette ordonnance en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Rejette les demandes de dommages et intérêts provisionnels formées par le fonds Femmes & Avenir au titre de la résistance abusive de la société Eberhardt et de l’appel abusif ;

Condamne la société Eberhardt aux dépens d’appel, avec faculté de recouvrement direct au profit de Maître Teytaud, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;

Condamne la société Eberhardt à payer au fonds Femmes & Avenir la somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


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