Exception d’inexécution : 22 novembre 2023 Cour d’appel de Colmar RG n° 23/00131

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Exception d’inexécution : 22 novembre 2023 Cour d’appel de Colmar RG n° 23/00131

MINUTE N° 525/23

Copie exécutoire à

– Me Loïc RENAUD

– Me Christine BOUDET

Le 22.11.2023

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE COLMAR

PREMIERE CHAMBRE CIVILE – SECTION A

ARRET DU 22 Novembre 2023

Numéro d’inscription au répertoire général : 1 A N° RG 23/00131 – N° Portalis DBVW-V-B7H-H7NY

Décision déférée à la Cour : 14 Décembre 2022 par le Juge des référés commerciaux du Tribunal judiciaire de STRASBOURG

APPELANTES :

S.A.S. L’AMOUR DU BOIS

prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 1] [Localité 4]

S.C.I. FDV

prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 2] [Localité 3]

Représentées par Me Loïc RENAUD, avocat à la Cour

Avocat plaidant : Me ALDOBRANDI, avocat au barreau de STRASBOURG

INTIMEE :

S.A.S. HEDONIA

prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 2] [Localité 3]

Représentée par Me Christine BOUDET, avocat à la Cour

Avocat plaidant : Me BLEYKASTEN, avocat au barreau de STRASBOURG

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 25 Septembre 2023, en audience publique, un rapport de l’affaire ayant été présenté à l’audience, devant la Cour composée de :

M. WALGENWITZ, Président de chambre

M. ROUBLOT, Conseiller

Mme RHODE, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme VELLAINE

ARRET :

– Contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile.

– signé par M. Franck WALGENWITZ, président et Mme Régine VELLAINE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS PROCÉDURE PRÉTENTIONS DES PARTIES :

La SAS HEDONIA est une société spécialisée dans la conception et la commercialisation de chalets en bois sur mesure et clés en main. Pour la fabrication et l’installation de la structure bois de ces chalets, la SAS HEDONIA a noué un partenariat avec la SARL BOIS EMOIS, dont les locaux d’exploitation sont voisins, aux termes d’un contrat cadre conclu le 21 mars 2020, dans lequel la société BOIS EMOIS s’était engagée à fournir un certain nombre de prestations (fabrication, transport, montage, réglage, mise en service en conformité et sécurité).

Le dirigeant de la société BOIS EMOIS était également gérant de la SCI FDV, qui possède le terrain sur lequel sont installés, tant les locaux occupés par la société BOIS EMOIS que la société HEDONIA. En effet la SAS HEDONIA et la SCI FDV ont conclu un contrat de commodat le 15 novembre 2018 avec un terme fixé au 31 décembre 2024, qui prévoit que la société HEDONIA bénéficie gratuitement de la possibilité d’installer sur le terrain appartenant à la SCI FDV, un chalet en bois de 50 m2 pour y loger son siège social et y développer ses activités. Ce chalet sert notamment de chalet témoin pour les clients intéressés, qui ont la possibilité d’y passer une nuit de découverte.

Les conditions d’approvisionnement en eau et électricité du chalet de la société HEDONIA sont notamment régies par ledit contrat, qui prévoit la mise en place d’un sous-compteur électrique et d’un sous-compteur d’eau, ouverts par la société BOIS EMOIS, laquelle refacture la consommation d’eau sans marge à la société HEDONIA.

Par un jugement du 26 décembre 2021, la SARL BOIS EMOIS a été placée en redressement judiciaire. L’activité et le contrat de partenariat se sont poursuivis. La société BOIS EMOIS a notamment fabriqué la structure bois d’un chalet commandé par les époux [I]. Compte-tenu de la situation de redressement judiciaire de la société BOIS EMOIS, c’est la société HEDONIA qui a commandé l’ensemble des matières premières et des équipements qu’elle a remis à la société BOIS EMOIS, à charge pour cette dernière de fabriquer le chalet et d’assembler les éléments.

Ce chalet devait être livré aux époux [I] le 30 septembre 2022, date reportée au 12 octobre 2022. Des factures de la société BOIS EMOIS ont été réglées par HEDONIA dans le cadre de l’échéancier mis en place par le contrat cadre du 21 mars 2020.

Par jugement du 11 octobre 2022, la chambre commerciale du Tribunal Judiciaire de STRASBOURG a arrêté un plan de cession de la SARL BOIS EMOIS, au profit de la SAS L’AMOUR DU BOIS représentée par M. [B] [X].

Le 11 octobre 2022, M. [B] [X] a annulé la livraison du chalet.

Le 16 octobre 2022, la société HEDONIA a constaté que l’eau et l’électricité avaient été coupées par la SAS L’AMOUR DU BOIS sans préavis ni avertissement.

M. [B] [X], agissant pour le compte de la société L’AMOUR DU BOIS, a lors été mis en demeure, en vain, par la société HEDONIA, le 9 novembre 2022 de :

– rétablir la fourniture d’eau et d’électricité, sans délai à compter de la présente lettre,

– honorer, dans le cadre du rachat du fonds de commerce, les termes du contrat ‘[I]’ liant les sociétés BOIS EMOIS et HEDONIA.

Par requête présentée le 23 novembre 2022, la SAS HEDONIA a sollicité l’autorisation d’assigner en référé d’heure à heure les sociétés L’AMOUR DU BOIS et FDV.

Par une ordonnance du 23 novembre 2022, elle y a été autorisée pour l’audience du 30 novembre 2022. La SAS HEDONIA a saisi, par actes délivrés le 25 novembre 2022 le juge des référés commerciaux d’une demande dirigée contre la SAS L’AMOUR DU BOIS et la SCI FDV.

Dans son ordonnance en date du 14 décembre 2022, le Juge des référés commerciaux du tribunal judiciaire de STRASBOURG a :

 

‘- Déclaré irrecevable l’exception d’incompétence matérielle soulevée par la SAS L’AMOUR DU BOIS et la SCI FDV.

– Condamné in solidum la SAS L’AMOUR DU BOIS et la SCI FDV à rétablir l’alimentation en eau et en électricité du chalet de la société HEDONIA, sous peine, passé un délai de 24 heures suivant la signification de l’ordonnance, d’une astreinte de 1.000 euros par jour de retard et pour une durée s’achevant le 31 décembre 2024.

– Interdit aux sociétés L’AMOUR DU BOIS et FDV de couper l’alimentation en eau et en électricité du chalet de la société HEDONIA sous peine d’une astreinte de 5.000 euros par infraction constatée.

– Condamné la SAS L’AMOUR DU BOIS à remettre à la SAS HEDONIA, sous peine, passé un délai de trois jours suivant la signification de l’ordonnance, d’une astreinte de 1.000 euros par jour de retard et pour une durée de trois mois, les éléments suivants, en parfait état, selon devis et factures produites en annexes 26 à 33 :

– Les éléments préfabriqués ossature bois + bloc sanitaire du chalet correspondant à la commande [I].

– Les éléments sanitaires CEDEO.

– 3 portes LAPEYRE.

– Une rampe luminaire épicéa.

– Une armoire VALCHROMAT.

– Une terrasse de 19,20m2 ou les lames.

– Cornières et profilés DZ alu.

– 4 fenêtres et une porte fenêtre INTERFERM.

– Une baie vitrée K-LINE.

– S’est réservée la compétence pour connaître du contentieux éventuel en liquidation de l’astreinte.

– Condamné la SAS L’AMOUR DU BOIS à payer à la SAS HEDONIA une provision de 5.000 euros à valoir sur son préjudice d’exploitation.

– Rappelé que le juge des référés n’est pas compétent pour prononcer la résiliation d’un contrat.

– Débouté la SAS AMOUR DU BOIS de sa demande en paiement d’une provision sur dommages et intérêts.

– Condamné la SAS AMOUR DU BOIS aux dépens.

– Condamné la SAS AMOUR DU BOIS à payer à la SAS HEDONIA une indemnité de 2.500 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile.

– Rejeté toutes les autres demandes.’

Le juge des référés a retenu :

Sur l’exception d’incompétence matérielle, que la SAS L’AMOUR DU BOIS et la SCI FDV ne font pas connaître devant quelle juridiction elles demandent que l’affaire soit portée et prononce de ce fait l’irrecevabilité de cette demande.

Sur la demande de rétablissement de l’approvisionnement en eau et en électricité, que c’est par acte sous seing privé du 15 novembre 2018 que les sociétés HEDONIA et FDV ont conclu un contrat de prêt à usage dont le terme est fixé au 31 décembre 2024, renouvelable par tacite reconduction. Qu’en se basant sur les articles 6.1, 6.2 et 3 du contrat, il résulte de ces dispositions contractuelles claires et ne nécessitant aucune interprétation, que la question de l’approvisionnement du chalet de la société HEDONIA en eau, électricité et télécommunication, avait été expressément incluse par les parties dans le champ contractuel. Dès lors que la privation, à compter du 16 octobre 2022 de l’approvisionnement en eau et électricité, constitue à la fois un trouble manifestement illicite et un dommage imminent. Quant à la société L’AMOUR DU BOIS, bien que tiers au contrat de prêt à usage entre la SCI FDV et HEDONIA, au titre de l’article 1200 du Code Civil, elle est tenue de respecter la situation juridique créée par ledit contrat.

Sur la demande en délivrance des éléments du chalet des époux [I], qu’aux termes d’un contrat cadre conclu le 21 mars 2020 entre les sociétés HEDONIA et BOIS EMOIS, les parties ont convenu des conditions dans lesquelles la société BOIS EMOIS fournirait à la société HEDONIA la structure, l’équipement, le matériel et les sous-ensembles constituant les chalets commercialisés par la société HEDONIA. Qu’il résulte des éléments exposés, que les prestations de fabrication telles que prévues au contrat cadre, ont été réalisées par la société BOIS EMOIS et ont été payées par la SAS HEDONIA avant l’arrêté du plan de cession conformément au contrat cadre. La poursuite du contrat par la société L’AMOUR DU BOIS ne porte que sur les prestations de livraison, montage et installation des équipements et mise en service. L’exception d’inexécution opposée par celle-ci pour refuser de livrer le chalet, est totalement infondée, de sorte que les éléments du chalet doivent être restitués pour mettre fin au trouble.

Sur la demande en paiement d’une provision à valoir sur dommages et intérêts formée par la société HEDONIA, que le comportement adopté par la société L’AMOUR DU BOIS à l’égard de la SAS HEDONIA est totalement abusif et incontestablement générateur d’un préjudice pour celle-ci. Qu’également l’obligation à indemnisation ne se heurte à aucune contestation sérieuse.

Il est à noter que suite à la signification de l’ordonnance en date du 14 décembre 2022, rendue par le juge des référés,

– par procès-verbal d’huissier en date du 15 décembre 2022, il a été constaté que la société L’AMOUR DU BOIS a rétabli l’alimentation en eau et en électricité du chalet de la société HEDONIA,

– par procès-verbal en date du 19 décembre 2022, le commissaire de justice a constaté qu’ont été remis certains éléments du chalet [I] à la société HEDONIA qui n’appelaient pas d’observation particulière, le commissaire de justice précisant qu’au moment de son départ, il restait encore des éléments à remettre à la société HEDONIA mais que faute de place sur les engins et remorques, cette opération aurait lieu ultérieurement (dans l’après-midi),

– par procès-verbal de constat en date du 30 janvier 2023, le commissaire de justice mandaté pour constater les malfaçons et dégradations du matériel stocké dans de mauvaises conditions chez le fournisseur de la société HEDONIA dans la cour de la société L’AMOUR DU BOIS présentaient des dégradations (en effet, les lambris présentaient des nuances, à certains endroits, des salissures et des traces indélébiles’),

– par courrier en date du 08 février 2023, le Conseil de la société HEDONIA reprochait à la société L’AMOUR DU BOIS de ne pas avoir restitué 13 m2 restant de lames de bois constituant la terrasse du chalet [I].

Par une déclaration faite au greffe en date du 27 décembre 2022, la SAS L’AMOUR DU BOIS et la SCI FDV ont interjeté appel de cette ordonnance.

Par une déclaration faite au greffe en date du 13 janvier 2023, la SAS HEDONIA s’est constituée partie intimée dans la présente procédure.

Par une ordonnance en date du 2 mars 2023, Mme la Présidente de Chambre a fixé l’affaire à l’audience du 25 septembre 2023 et l’avis de fixation a été transmis par le greffe le même jour.

PRETENTIONS DES PARTIES :

Par leurs dernières conclusions en date du 4 mai 2023, auxquelles a été joint le bordereau de communication de pièces récapitulatif qui n’a fait l’objet d’aucune contestation, la SAS L’AMOUR DU BOIS et la SCI FDV demandent à la Cour de :

– DECLARER l’appel recevable et bien fondé.

En conséquence,

– INFIRMER l’ordonnance rendue par le Juge des référés commerciaux près le Tribunal Judiciaire de STRASBOURG le 14 décembre 2022 en ce qu’elle :

– CONDAMNE in solidum les sociétés AMOUR DU BOIS et FDV à rétablir l’alimentation en eau et en électricité du chalet de la société HEDONIA sis [Adresse 2] à [Localité 3], sous peine, passé un délai de 24 heures suivant la signification de l’ordonnance, d’une astreinte de 1.000€ par jour de retard et pour une durée s’achevant le 31 décembre 2024.

– INTERDIT aux sociétés AMOUR DU BOIS et FDV de couper l’alimentation en eau et en électricité du chalet de la société HEDONIA sis [Adresse 2] à [Localité 3], sous peine d’une astreinte de 5.000€ par infraction constatée.

– CONDAMNE la société AMOUR DU BOIS à remettre à la société HEDONIA, sous peine passé un délai de trois jours suivant la signification de cette ordonnance, d’une astreinte de 1.000 € par jour de retard et pour une durée de trois mois, les éléments suivants, en parfait état, selon devis et factures produites en annexes 26 à 33 :

*Les éléments préfabriqués ossature bois + bloc sanitaire du chalet correspondant à la commande [I].

*Les éléments sanitaires CEDEO.

*3 portes LAPEYRE.

*Une rampe luminaire épicéa.

*Une armoire VALCHROMAT.

*Une terrasse de 19,20 m2 ou les lames.

*Cornières et profilés DZ alu.

*4 fenêtres et une porte fenêtre INTERFERM.

*Une baie vitrée K-LINE.

– Se RESERVE la compétence pour connaître du contentieux éventuel en liquidation de l’astreinte.

– CONDAMNE la société AMOUR DU BOIS à payer à la société HEDONIA une provision de 5.000€ à valoir sur son préjudice d’exploitation.

– RAPPELLE que le juge des référés n’est pas compétent pour prononcer la résiliation d’un contrat.

– DEBOUTE la société AMOUR DU BOIS de sa demande en paiement d’une provision sur dommages et intérêts.

– CONDAMNE la société AMOUR DU BOIS aux dépens.

– CONDAMNE la société AMOUR DU BOIS à payer à la société HEDONIA une indemnité de 2.500€ en application de l’article 700 du Code de procédure civile.

– REJETTE toutes les autres demandes.

EN CONSEQUENCE, ET STATUANT DE NOUVEAU :

– CONSTATER que l’interdiction de rétrocession d’énergie est une règle d’ordre public.

– JUGER de l’absence de trouble manifestement illicite.

– JUGER de l’absence de responsabilité des sociétés FDV et AMOUR DU BOIS.

– DIRE ET JUGER que la société HEDONIA n’atteste d’aucun préjudice personnel, direct et certain.

En tirer les conséquences et :

– JUGER les demandes de la société HEDONIA irrecevables et mal fondées.

– DEBOUTER la société HEDONIA de l’intégralité de ses demandes.

– CONDAMNER la société HEDONIA à réaliser les raccordements nécessaires auprès des fournisseurs d’eau et d’électricité, et ce sous astreinte de 1.000 € par jour de retard au terme d’un délai de 15 jours suivant la signification de l’arrêt à intervenir et se RESERVER la compétence pour connaître du contentieux éventuel en liquidation de l’astreinte.

– CONDAMNER la société HEDONIA à régler à la société AMOUR DU BOIS à titre de provision la somme de 17.896,90 € objet de la facture n°1110/006.

EN TOUT ETAT DE CAUSE :

– DEBOUTER la société HEDONIA de l’intégralité de ses fins, moyens et conclusions.

– CONDAMNER la société HEDONIA à payer aux sociétés AMOUR DU BOIS et SCI FDV la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile au titre de la première instance ainsi qu’à une somme de 5.000 € au titre de la présente instance d’appel.

– CONDAMNER la société HEDONIA aux entiers dépens de la procédure de première instance et d’appel.

Au soutien de leurs prétentions, sur l’approvisionnement en eau et en électricité de la SAS HEDONIA, la SAS L’AMOUR DU BOIS et la SCI FDV estiment que la rupture de l’alimentation en eau et en électricité ne constituerait pas un trouble manifestement illicite. Ils font valoir qu’il s’agirait uniquement d’un chalet témoin, et non d’une habitation. La SAS L’AMOUR DU BOIS mentionne le fait qu’elle ne serait pas partie au contrat d’usage entre la SCI FDV et la SAS HEDONIA, car elle a seulement acheté le fonds de commerce et non le terrain situé à [Localité 3].

Sur l’exécution du contrat du chalet des époux [I], la SAS L’AMOUR DU BOIS explique avoir acquis le fonds de commerce détenu par la société BOIS EMOIS avec la commande des époux [I] en cours. Cependant, elle explique avoir seulement repris le devis du 27 septembre 2022, contrairement au contrat cadre du 21 mars 2020, qui n’est pas listé dans le plan de cession. Ainsi elle aurait eu un défaut de connaissance du contrat cadre et se serait donc conformée aux modalités fixées par le devis et les conditions générales signées par la société HEDONIA.

Sur le préjudice d’exploitation, la SAS L’AMOUR DU BOIS estime ne pas devoir régler une provision à valoir sur un préjudice d’exploitation car elle affirme ne pas avoir commis de faute délictuelle ou de manquement contractuel.

Par ses dernières conclusions en date du 23 février 2023, auxquelles a été joint le bordereau de communication de pièces récapitulatif qui n’a fait l’objet d’aucune contestation, la SAS HEDONIA demande à la Cour de :

– DECLARER l’appel de la SAS L’AMOUR DU BOIS et la SCI FDV mal fondé.

– EN CONSEQUENCE,

– DEBOUTER la SAS L’AMOUR DU BOIS et la SCI FDV de l’ensemble de leurs fins et conclusions.

– CONFIRMER en toutes ses dispositions l’ordonnance en date du 14 décembre 2022 rendue par le Juge des référés commerciaux près le Tribunal judiciaire de Strasbourg.

– CONDAMNER la SAS L’AMOUR DU BOIS et la SCI FDV à payer à la société HEDONIA la somme de 3.000 € par application de l’article 700 du Code de procédure civile.

– CONDAMNER la SAS L’AMOUR DU BOIS et la SCI FDV aux entiers frais et dépens de la procédure.

Au soutien de ses prétentions, sur la fourniture d’eau et d’électricité, la SAS HEDONIA affirme que la coupure d’alimentation en eau et électricité, par la société L’AMOUR DU BOIS, constituerait à elle seule une faute susceptible d’engager sa responsabilité délictuelle. Cet approvisionnement s’inscrirait dans un cadre parfaitement légal et ne constituerait aucunement une rétrocession d’énergie prohibée.

Un tel comportement serait constitutif d’un trouble manifestement illicite, qu’il conviendrait de faire cesser, même s’il ne s’agit pas d’une maison d’habitation, mais d’un siège social et d’un chalet témoin, qui sans lequel la société HEDONIA ne pourrait pas exercer son activité.

Sur la restitution des éléments du chalet, étant donné le plan de cession, la société HEDONIA fait valoir que la SAS L’AMOUR DU BOIS devrait finaliser la commande des époux [I]. Le devis de réalisation du chalet aurait été signé par la société BOIS EMOIS le 27 septembre 2022, et la société HEDONIA indique que les mails échangés antérieurement démontreraient que la construction avait déjà commencé avant cette date. La société HEDONIA aurait constaté la réalisation de ces prestations et aurait déjà réglé une facture le 30 septembre 2022.

Sur la provision pour préjudice d’exploitation, c’est à tort que la société L’AMOUR DU BOIS allègue qu’elle n’aurait commis aucune faute. Celle-ci aurait indéniablement engagé sa responsabilité délictuelle en coupant l’approvisionnement en eau et en électricité à la société HEDONIA sans préavis, et au mépris du contrat de prêt à usage qui avait été conclu avec la SCI FDV. Selon la société HEDONIA ces agissements, durant deux mois d’hiver, ont rendu impossible l’exploitation de l’activité. Les annulations de visites, de tests du chalet témoin et au dernier moment de la livraison du chalet des époux [I] auraient mis en difficulté la société HEDONIA.

La Cour se référera aux dernières écritures des parties pour plus ample exposé des faits, de la procédure et de leurs prétentions, en application de l’article 455 du code de procédure civile.

L’affaire a été appelée et retenue à l’audience du 25 septembre 2023.

MOTIFS DE LA DECISION :

La Cour entend, au préalable, rappeler que :

– Aux termes de l’article 954 du code de procédure civile elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion.

– Ne constituent pas des prétentions, au sens de l’article 4 du code de procédure civile, les demandes des parties tendant à ‘dire et juger’ ou ‘constater’, en ce que, hors les cas prévus par la loi, elles ne sont pas susceptibles d’emporter de conséquences juridiques, mais constituent en réalité des moyens ou arguments, de sorte que la Cour n’y répondra qu’à la condition qu’ils viennent au soutien de la prétention formulée dans le dispositif des conclusions et, en tout état de cause, pas dans son dispositif mais dans ses motifs.

– Récemment la Cour de cassation a énoncé que les juges du fond devaient statuer sur les demandes des parties tendant à « dire et juger » lorsqu’elles constituent un élément substantiel et de fond susceptible de constituer une prétention (2ème, Civ., 13 avril 2023, n°P21-21.463).

I- Sur la coupure d’eau et d’électricité :

L’article 873 du code de procédure civile édicte que le juge des référés ‘peut, dans les mêmes limites, et même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite’.

Il est constant que depuis le 16 octobre 2022, la SAS HEDONIA s’est vue couper son alimentation en eau et en électricité par la société L’AMOUR DU BOIS (pièce n°19 de l’intimée), ce qui ne pouvait que plonger l’intimée dans une situation particulièrement délicate en la privant des moyens d’exercer ses activités puisque le chalet est son siège social et son chalet témoin. L’intimée a mis en demeure le 09 novembre 2022 la société L’AMOUR DU BOIS de la réapprovisionner en eau et en électricité (pièce n°35 de l’intimée), et le 23 novembre 2022, elle a assigné en référé d’heure à heure la société L’AMOUR DU BOIS et la SCI FDV afin de faire cesser le trouble.

Le 15 novembre 2018, la SAS HEDONIA et la SCI FDV ont signé un contrat de commodat (pièce n°6 de l’intimée) intitulé ‘prêt à usage d’un immeuble’ dans lequel la société FDV prêtait à la société HEDONIA, à titre de prêt à usage, une fraction de son terrain d’une superficie de 57 m² pour y installer un chalet, de 12 m² pour la terrasse et de 18 m² pour une place de parking, au lieu-dit Stoeckelaecker à [Localité 3]. Aux termes dudit contrat litigieux, l’article 6.1 met à la charge de la société HEDONIA un certain nombre d’obligations (réaliser à ses seules frais les travaux d’installation du chalet et de raccordement de celui-ci aux réservations faites pour les réseaux, acquitter directement ses consommations d’eau, d’électricité et télécommunications auprès des fournisseurs concernés, l’article 6.2 mettant quant à lui à la charge de la société FDV la réalisation, sur la fraction de parcelle prêtée à la société HEDONIA, d’un portique permettant d’accueillir le chalet avec l’ensemble des réservations pour les réseaux d’eau, d’électricité et de télécommunication.

Il apparaît à la lecture des pièces de la procédure, que pour permettre l’approvisionnement du chalet de la société HEDONIA en eau, électricité et télécommunication, le chalet a été raccordé sur le système d’approvisionnement de la société BOIS EMOIS, avec pause de sous-compteurs installés sur les compteurs de la société BOIS EMOIS qui refacturait à la société HEDONIA ses consommations. Cette installation n’était pas provisoire comme l’affirme la SCI, celle-ci ne démontrant aucunement que les raccordements et sous compteurs auraient été prévus de manière uniquement temporaire. Par ailleurs, à aucun moment, ni la société BOIS EMOIS, ni la SCI FDV, n’ont adressé une quelconque mise en demeure à la société HEDONIA pour faire cesser ou évoluer cette situation. Le raccordement aux réseaux via des sous-compteurs était donc une solution pérenne et admise par les trois parties.

La société L’AMOUR DU BOIS – qui a repris l’activité de la société BOIS EMOIS dans le cadre d’un plan de cession – jouit actuellement des locaux d’un accord conclu avec la SCI FDV (annexe n°3 de l’appelante), argue du fait qu’elle n’est pas partie au contrat liant le propriétaire du fond et l’intimée. Cependant comme l’a justement rappelé le juge des référés, aux termes de l’article 1200 du code civil, ‘les tiers doivent respecter la situation juridique créée par le contrat’. Dès lors, la société L’AMOUR DU BOIS doit respecter la situation juridique créée par le contrat passé entre la SCI et HEDONIA, sauf à engager sa responsabilité délictuelle, et c’est ce qu’elle a fait, en coupant brutalement l’approvisionnement en eau et en électricité de la société HEDONIA.

Les sociétés L’AMOUR DU BOIS et FDV ne sauraient faire valoir sérieusement que toute rétrocession d’énergie par un client direct, à quelque titre que ce soit, est interdit (décret du 23 décembre 1994) pour échapper à leur responsabilité, alors que depuis la signature du contrat de commodat en date du 15 novembre 2018, il a été prévu de permettre à HEDONIA de se brancher sur le réseau électrique de sa voisine à charge pour elle de régler sa sous consommation, qu’aucune contestation n’a été faite à la société intimée qui a par ailleurs toujours payé ses factures.

Ainsi, le juge des référés a, à juste titre, condamné in solidum la SCI FDV – partie au contrat – et la SAS L’AMOUR DU BOIS – tiers au contrat mais tenue par la situation juridique – à rétablir et maintenir l’approvisionnement en eau et en électricité du chalet afin de faire cesser le trouble manifestement illicite, et ce sous astreinte. Il est à noter que l’approvisionnement en eau et en électricité a été rétabli comme l’atteste le procès-verbal de constat en date du 15 décembre 2022 (pièce 41 de l’intimée).

II- Sur l’exécution du contrat relatif au chalet des époux [I] :

Selon le contrat cadre conclu le 21 mars 2020 entre les sociétés BOIS EMOIS et HEDONIA, les parties ont convenu des conditions dans lesquelles la société BOIS EMOIS fournirait à HEDONIA la structure de l’équipement, le matériel et les sous-ensembles constituant les chalets commercialisés par la société HEDONIA (pièce n°5 de l’intimée).

Les prestations réalisées par la société BOIS EMOIS sont énumérées de la manière suivante dans ledit contrat litigieux :

– Acceptation par HEDONIA du devis, événement générateur d’un droit à paiement de 10 % sous huit jours ;

– Fabrication, événement générateur d’un droit à paiement de 20 % sous huit jours ;

– Livraison, événement générateur d’un droit à paiement de 30 % supplémentaire devant être réglé à 45 jours fin de mois après la facture ;

– Fin du montage et fin de l’installation des équipements, événements générateur d’un droit à paiement de 30 % supplémentaire devant être réglé à 45 jours fin de mois après la facture ;

– Mise en service, événement générateur d’un droit à paiement de 10 % supplémentaire devant être réglé à 45 jours fin de mois après la facture.

Il résulte des pièces produites aux débats et très justement rappelées par le juge des référés que :

– Les époux [I] ont passé commande auprès de la société HEDONIA, le 10 décembre 2021, d’un chalet modèle SYBILLA de 40 m2 (pièce n° 10 de l’intimée) ;

– Dès mars 2022 les sociétés HEDONIA et BOIS EMOIS ont commandé les éléments nécessaires à ce chantier, à savoir la baie coulissante K-LINE facturée par la société BOIS EMOIS à la société HEDONIA le 30 mai 2022 (pièce n° 33 de l’intimée) ;

– A compter du mois d’août 2022, les sociétés HEDONIA et BOIS EMOIS ont échangé un certain nombre d’informations, portant notamment sur les plans de constructions de ce chalet ainsi que les plannings d’intervention, la coulée des fondations en béton étant fixée au 19 septembre 2022 ;

– Le devis établi par la société BOIS EMOIS le 27 septembre 2022 (pièce n°14 de l’intimée) ;

– Dès le 28 septembre 2022 la société HEDONIA a établi une facture n°1224 d’un montant de 9.584,95 euros correspondant à 30 % du marché (pièce n°15 de l’intimée) payée par virement du 30 septembre 2022 (pièce n°16 de l’intimée) ;

– Le transport des éléments du chalet devait intervenir le 12 octobre 2022, mais le transport a été annulé le 11 octobre 2022, soit le jour d’arrêté du plan de cession de la société BOIS EMOIS ainsi que son immatriculation lui permettant de bénéficier d’une assurance décennale pour poursuivre le chantier, courriel du 20 octobre 2022 (pièce n°13 de l’intimée).

Il résulte de l’ensemble des éléments, comme l’a parfaitement repris le juge des référés, que les prestations de fabrication telles que prévues au contrat, réalisées par la société BOIS EMOIS, ont été payées par la société HEDONIA avant l’arrêté du plan de cession conformément aux conditions de l’accord cadre.

Dès lors, s’agissant de la poursuite du contrat par la société L’AMOUR DU BOIS, celle-ci ne porte plus que sur la livraison, le montage et l’installation des équipements et la mise en service.

Au moment où le juge des référés a été saisi de la requête de la société, la société L’AMOUR DU BOIS n’avait réalisé aucune des prestations susmentionnées dans sa facture (pièce n°21), de sorte qu’elle n’est pas fondée à opposer une exception d’inexécution pour refuser de délivrer les éléments du chalet. Il est à noter que depuis la signification de l’ordonnance contestée, la plupart des éléments du chalet des époux [I] (sauf 13 m² de lames destinées à la terrasse du chalet) ont été remis à la société HEDONIA, ce qu’atteste un procès-verbal dressé le 19 décembre 2022.

Par voie de conséquence, c’est à juste titre que le juge des référés a constaté l’existence d’un trouble manifestement illicite généré par la société L’AMOUR DU BOIS et l’a condamnée à remettre les éléments du chalet des époux [I] sous astreinte.

III- Sur l’indemnité d’exploitation :

Le défaut d’approvisionnement en eau et en électricité a privé la société HEDONIA de la possibilité d’exercer son activité pendant une période de deux mois, durant la période hivernale. Elle a été contrainte d’annuler des visites et des essais du chalet.

Comme le juge des référés et la Cour l’ont relevé, la société L’AMOUR DU BOIS a commis une première faute de nature quasi délictuelle en coupant cet approvisionnement et une seconde faute de nature contractuelle, en refusant de livrer à la société HEDONIA les éléments du chalet des époux [I]. Ces fautes sont directement à l’origine d’un préjudice commercial d’exploitation, tel qu’exposé plus haut, dont la réalité n’est pas contestable, de sorte que le juge des référés pouvait, aux termes de l’article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, accorder une provision sur les dommages et intérêts. Son appréciation à hauteur de 5 000 euros paraît raisonnable et doit être confirmée.

IV- Sur les demandes annexes :

Les parties appelantes, qui succombent au principal, seront condamnées aux dépens de la procédure d’appel et déboutées de leurs demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile, l’ordonnance de référé étant confirmée sur ces points.

L’équité commande l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au profit de la SAS HEDONIA, qui se verra accorder 3.000 euros, la décision entreprise étant confirmée de ce chef.

P A R C E S M O T I F S

La Cour,

Confirme l’ordonnance du Tribunal judiciaire de Strasbourg en date du 14 décembre 2022 en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne la SAS L’AMOUR DU BOIS et la SCI FDV aux dépens d’appel,

Condamne la SAS L’AMOUR DU BOIS et la SCI FDV à verser à la SAS HEDONIA la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d’appel,

Rejette la demande de la SAS L’AMOUR DU BOIS et la SCI FDV fondée sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, à hauteur de Cour.

La Greffière : le Président :

 


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