Exception d’inexécution : 12 octobre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 23/02531

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Exception d’inexécution : 12 octobre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 23/02531

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 1 – Chambre 2

ARRÊT DU 12 OCTOBRE 2023

(n° , 9 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 23/02531 – N° Portalis 35L7-V-B7H-CHCIC

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 14 Décembre 2022 -Président du TJ de PARIS – RG n° 22 / 55399

APPELANTE

S.A.S. DELIZIOSO AL TAGLIO, RCS de PARIS sous le n°832 560 577, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Sandra OHANA de l’AARPI OHANA ZERHAT CABINET D’AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : C1050

Assistée à l’audience par Me Lucie SERVEL, avocat au barreau de PARIS, toque : D2149

INTIMEE

S.N.C. ALTA QWARTZ, RCS de Paris sous le n°433 806 726, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Assistée à l’audience par Me Brigitte BILLARD-SEROR, substituant Me Evelyne BARBIER, avocat au barreau de PARIS, toque : B330

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 804, 805 et 905 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 06 Septembre 2023, en audience publique, les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Laurent NAJEM, Conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre,

Michèle CHOPIN, Conseillère,

Laurent NAJEM, Conseiller,

Qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– rendu publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et par Saveria MAUREL, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

*****

EXPOSÉ DU LITIGE

Par acte sous seing privé du 26 mai 2020, la société Alta Qwartz a donné à bail commercial à la société Delizioso Al Taglio des locaux commerciaux (local n°R 409 et emplacement T 409 terrasse), situés au niveau 1 du centre commercial Qwartz [Adresse 1] à [Localité 5] à destination de restaurant, moyennant un loyer annuel de base de 70.000 euros HT/HC et un loyer variable additionnel de 7% sur le chiffre d’affaires.

La date de livraison des locaux est intervenue le 30 novembre 2020.

Le preneur a effectué des travaux, une franchise de loyers et une franchise des charges et impôts ayant été prévues.

En raison de la crise sanitaire et de l’obligation de fermeture des commerces non essentiels, le preneur n’a pu débuter son exploitation qu’à la date du 22 mai 2021.

Le 23 février 2022, la bailleresse a fait délivrer au preneur un commandement visant la clause résolutoire contractuelle d’avoir à payer la somme de 183 630,12 euros représentant un arriéré de loyers et charges.

Par acte du 9 juin 2022, la société Alta Qwartz a fait assigner la société Delizioso Al Taglio, devant le juges des référés du tribunal judiciaire de Paris, aux fins de voir :

constater l’acquisition de la clause résolutoire,

ordonner l’expulsion de la société locataire ainsi que celle de tous occupants de son chef des lieux loués au besoin avec le concours de la force publique,

ordonner le transport et la séquestration des meubles garnissant les lieux loués dans un garde meubles, aux frais, risques et périls du preneur,

condamner la société Delizioso Al Taglio à lui payer la somme de 184.978,07 euros à titre de provision augmentée des intérêts contractuels au taux appliqué de la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de dix points de pourcentage en vigueur à la date d’exigibilité du règlement, à compter de l’échéance de chaque facture,

fixer le montant de l’indemnité d’occupation due par la société Delizioso Al Taglio à compter de la date de résiliation du bail, au montant du dernier loyer contractuel augmenté des charges et accessoires, et condamner la défenderesse au paiement à titre de provision de la somme fixée jusqu’à libération des locaux,

condamner la société Delizioso Al Taglio au paiement de la somme de 2.500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

Par ordonnance contradictoire du 14 décembre 2022, le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris, a :

– constaté l’acquisition de la clause résolutoire et la résiliation de plein droit du bail liant les parties à la date du 23 mars 2022 ;

– ordonné l’expulsion de la société Delizioso Al Taglio et de tous occupants de son chef des locaux donnés à bail local n°R409 et emplacement T 409, situés au niveau 1 du centre commercial Qwartz [Adresse 1] à [Localité 5] avec, le cas échéant, le concours d’un serrurier et de la force publique ;

– rappelé que le sort des meubles et objets mobiliers se trouvant sur place est régi par les dispositions des articles L. 433-1 et R. 433-1 du code des procédures civiles d’exécution ;

– condamné la société Delizioso Al Taglio à payer, à titre de provision, à la société Alta Qwartz la somme de 150.000 euros à valoir sur l’arriéré de loyers et charges et indemnités d’occupation arrêté au 2 novembre 2022, quatrième trimestre 2022 inclus ;

– dit n’y avoir lieu à référé sur la demande au titre des intérêts contractuels majorés ;

– condamné la société Delizioso Al Taglio à payer à la société Alta Qwartz une indemnité d’occupation mensuelle, à titre provisionnel, égale au montant du loyer contractuel, augmenté des charges et taxes, jusqu’à la libération effective des lieux et la remise des clés ;

– condamné la société Delizioso Al Taglio à payer à la société Alta Qwartz la somme de 1.500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné la société Delizioso Al Taglio aux dépens ;

– dit n’y avoir lieu à référé sur toute autre demande ;

– rappelé que la présente décision bénéficie de l’exécution provisoire de plein droit.

Par déclaration du 27 janvier 2023, la société Delizioso Al Taglio a interjeté appel de la décision.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 04 juillet 2023, la société Delizioso Al Taglio demande à la cour, au visa de l’article 835-2 du code de procédure civil, de l’article 1103, 1218, 1219, 1220, 1343-5 et 1719 du code civil, de :

– déclarer celle-ci recevable et fondée dans son appel ;

– réformer l’ordonnance déférée en toutes ses dispositions ;

– dire et juger que les demandes se heurtent à des contestations sérieuses et que l’existence d’un trouble manifestement illicite n’est pas démontrée ;

Statuant à nouveau,

A titre principal,

– débouter la société Alta Qwartz de ses demandes, fins et conclusions ;

– recevoir la société Delizioso Al Taglio en ses demandes, fins et conclusions, et y faisant droit ;

– prononcer l’annulation des charges émises depuis la signature de la convention ;

– juger que les sommes dues par la société Delizioso Al Taglio s’élèvent à la somme de 91.246,96 euros, arrêtée au mois d’avril 2022 à actualiser à la date de la présente audience à l’appui du décompte mis à jour et des sommes déjà versées ;

– déclarer bien fondée la société Delizioso Al Taglio à opposer une exception d’inexécution ;

– déclarer recevable et bien fondée la société Delizioso Al Taglio à solliciter des délais de paiement pour s’acquitter de l’arriéré de loyers ;

– accorder à la société Delizioso Al Taglio les plus larges délais – 24 mois – pour s’acquitter de l’arriéré de loyers, charges, taxes et accessoires ;

A titre subsidiaire,

– débouter la société Alta Qwartz de ses demandes, fins et conclusions ;

– recevoir la société Delizioso Al Taglio en ses demandes, fins et conclusions, et y faisant droit ;

– juger que les sommes dues par la société Delizioso Al Taglio s’élèvent à la somme de 170.648,15 euros correspondant aux totaux des loyers TTC et TCC depuis le 23 mai 2021 arrêtée au 14 décembre 2022 dont a été soustrait les sommes déjà versées ;

– déclarer bien fondée la société Delizioso Al Taglio à opposer une exception d’inexécution ;

– déclarer recevable et bien fondée la société Delizioso Al Taglio à solliciter des délais de paiement pour s’acquitter de l’arriéré de loyers ;

– accorder à la société Delizioso Al Taglio les plus larges délais – 24 mois – pour s’acquitter de l’arriéré de loyers, charges, taxes et accessoires ;

En tout état de cause,

– condamner la société Alta Qwartz à la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner la société Alta Qwartz aux entiers dépens de l’instance.

Elle fait état d’une contestation sérieuse.

Elle estime que le commandement de payer n’est pas clair et qu’elle n’est pas en mesure de le comprendre. Elle allègue que, dès le début du bail, le bailleur a commis des erreurs de prélèvement. Elle considère que le commandement de payer n’a pas été délivré de bonne foi, au regard de la franchise de loyers et de charges dont elle bénéficiait, jusqu’à l’ouverture au public du local, soit le 22 mai 2021 et elle relève que le décompte ne fait pas état des sommes qu’elle a versées. Elle fait valoir que la contribution au fond marketing fait partie des charges. Elle conteste que le commandement de payer puisse dès lors servir de fondement à la présente procédure.

Elle évoque une contestation sérieuse sur les sommes dues compte tenu de ladite franchise et énumère les conséquences de la crise sanitaire sur son activité, alors que le bailleur la prive de la possibilité de consommation pour ses clients en terrasse après 20 h 30. Elle relève que le Centre commercial dans lequel se trouve le restaurant n’a plus aucune attractivité. Elle s’estime fondée à solliciter l’annulation des charges émises depuis le 23 mai 2021 et de la garantie à première demande prélevée deux fois.

Elle fait état de ses difficultés dues à la crise sanitaire et aux manquements du bailleur, pour solliciter des délais de paiement.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 20 juillet 2023, la société Alta Qwartz demande à la cour, de :

– déclarer la société Delizioso Al Taglio mal fondée en son appel ;

En conséquence,

– débouter la société Delizioso Al Taglio de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

– confirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a :

constaté l’acquisition de la clause résolutoire et la résiliation de plein droit du bail liant les parties à la date du 23 mars 2022 ;

ordonné l’expulsion de la société Delizioso Al Taglio et de tous occupants de son chef des locaux donnés à bail local n°R 409 et emplacement T 409, situés au niveau 1 du centre commercial Qwartz [Adresse 1] à [Localité 5] avec, le cas échéant le concous d’un serrurier et de la force publique,

rappelé que le sort des meubles et objets mobiliers se trouvant sur place est régi par les dispositions des articles L. 433-1 et R. 433-1 du code des procédures civiles d’exécution,

condamné la société Delizioso Al Taglio au paiement, d’une provision à valoir sur l’arriéré de loyers et charges et indemnités d’occupation,

condamné la société Delizioso Al Taglio à payer à la sociét Alta Qwartz une indemnité d’occupation mensuelle, à titre provisionnel, égale au montant du loyer contractuel, augmenté des charges et taxes, jusqu’à la libération effective des lieux et la remise des clés,

condamné la société Delizioso Al Taglio à payer à la société Alta Qwartz la somme de 1.500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

condamné la société Delizioso Al Taglio à payer à la société Alta Qwartz aux dépens,

déclarer la société Alta Qwartz recevable et bien fondée en son appel incident,

infirmer l’ordonnance en ce qu’elle a :

– limité à la somme de 150.000 euros le montant de la provision allouée à la société Alta Qwartz,

– dit n’y avoir lieu à référé sur la demande au titre des intérêts contractuels majorés,

Statuant à nouveau,

A titre principal,

– condamner la société Delizioso Al Taglio à payer à la société Alta Qwartz la somme de 252.658,71 euros à titre de provision, augmentée des intérêts contractuels au taux appliqué par la Banque Centrale Européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de dix points de pourcentage en vigueur à la date d’exihibilité du règlement, à compter de l’échéance de chaque facture ;

A titre subsidiaire,

– condamner la société Delizioso Al Taglio à payer à la société Alta Qwartz la somme de 203.442,33 euros à titre de provision, augmentée des intérêts contractuels au taux appliqué par la Banque centrale Européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de dis points de pourcentage en vigueur à la date d’exigibilité du règlement, à compter de l’échéance de chaque facture ;

En tout état de cause,

– condamner la société Delizioso Al Taglio à lui payer la somme de 3.000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner la société Delizioso Al Taglio en tous les dépens.

Elle fait état d’une dette locative actualisée, terme du 3ème trimestre 2023 inclus, à hauteur de 252.658,71 euros.

Elle soutient que les franchises correspondent à la période de réalisation par le preneur de travaux d’aménagement du local ; que la livraison étant intervenue le 30 novembre 2020, les franchises ont pris fin le 29 janvier 2021 ; que lesdites franchises sont en outre plafonnées à deux mois.

Elle allègue que le preneur a été destinataire de plusieurs propositions compte tenu du contexte sanitaire ; qu’elles n’ont pas été acceptées.

Elle rappelle qu’un commandement de payer notifié pour un montant supérieur à la dette locative réelle reste valable jusqu’à concurrence des sommes dues. Elle allègue qu’en l’espèce, le commandement de payer détaille chaque somme facturée ; que les deux chèques relatifs au dépôt de garantie et à la garantie autonome à première demande ont été rejetés.

Elle considère qu’il n’est pas justifié des manquements allégués au titre de la commercialité, en l’absence en tout état de cause de clause particulière au bail. Elle précise que les charges de participation au fond marketing sont prévues par le bail et que le montant de la garantie à première demande a été prélevé sur le compte du bailleur avec son accord.

Elle souligne que la locataire n’a pas repris le paiement des échéances courantes en totalité et que les bilan et compte d’exploitation mettent en exergue une situation obérée.

Pour un plus ample exposé des moyens des parties, il est renvoyé à leurs conclusions susvisées conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 6 septembre 2023, avant l’ouverture des débats ce même jour.

SUR CE,

L’article L.145-41 du code de commerce dispose que toute clause insérée dans le bail commercial prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu’un mois après un commandement de payer demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.

L’expulsion d’un locataire commercial devenu occupant sans droit ni titre en vertu du jeu d’une clause résolutoire de plein droit peut être demandée au juge des référés du tribunal judiciaire en application des dispositions de l’article 835 du code de procédure civile, dès lors que le maintien dans les lieux de cet occupant constitue un trouble manifestement illicite ou qu’à tout le moins l’obligation de libérer les lieux correspond dans cette hypothèse à une obligation non sérieusement contestable.

Il sera rappelé à cet égard :

– qu’un commandement de payer visant la clause résolutoire délivré pour une somme supérieure à la dette véritable reste valable pour la partie des sommes réclamées effectivement due ;

– qu’il n’appartient pas à la cour, statuant comme juge des référés, de prononcer la nullité d’un commandement de payer, sachant qu’il n’entre pas dans les pouvoirs du magistrat des référés de prononcer une telle nullité ; que le juge des référés ne peut que déterminer si les éventuelles irrégularités, invoquées à l’encontre du commandement, sont susceptibles de constituer un moyen de contestation sérieuse l’empêchant de constater la résolution du bail.

L’article 835 alinéa 2 du code de procédure civile dispose que, dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours accorder en référé une provision au créancier ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.

Le montant de la provision en référé n’a d’autre limite que le montant non sérieusement contestable de la dette alléguée.

Une contestation sérieuse est caractérisée lorsque l’un des moyens de défense opposés aux

prétentions du demandeur n’apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.

A l’appui de ses demandes, le bailleur produit un commandement de payer visant la clause résolutoire délivré le 23 février 2022 pour un montant de 151.751, 55 euros au titre des loyers et charges, arrêtés au 21 février 2022.

Est annexé le décompte qui détaille les impayés réclamés au titre des loyers, provisions sur charges, fonds de roulement, outre les pénalités et frais de retard.

Ce décompte énumère avec la précision et clarté requises, comme l’a relevé le premier juge, la nature de chacune des sommes facturées. La société Délizioso Al Taglio n’indique d’ailleurs pas quels sont les montants qu’elle ne serait pas en mesure de comprendre.

Il existe en outre une différence de nature entre le relevé de compte, chronologique, qui reprend tous les mouvements du compte, en débit comme en crédit, et le décompte locataire, annexé au commandement qui ne reprend que le montant des sommes dues, sans qu’aucune irrégularité n’en résulte.

L’article 2.13.1 du contrat de bail commercial prévoit ‘à titre exceptionnel et purement personnel, une franchise de Charges et impôts communs définis à l’article 9 pour une période prenant fin à la première des deux dates entre :

– l’ouverture au public du Local,

– et l’expiration d’un délai de deux (2) mois suivant la date de prise d’effet du Bail. (…)’.

L’article 10 du contrat prévoit que le preneur est redevable dès la prise d’effet du bail de ses charges privatives et des charges et impôts propres au local.

Les parties s’opposent sur la durée de la franchise : le preneur considère qu’elle est due jusqu’à l’ouverture du local au public, soit jusqu’au 22 mai 2021. Il fait état d’un accord résultant d’un courriel en date du 27 mai 2021 (sa pièce 6) aux termes duquel il est indiqué :

‘Comme discuté vous trouverez ci-joint votre décompte tenant compte de l’accompagnement mis en place par le bailleur c’est-à-dire jusqu’à votre ouverture le 22 mai 2021.’

Le bailleur conteste l’existence d’un accord, considérant que la franchise a pris fin le 29 janvier 2021, faisant valoir que cette ‘proposition’ n’a pas été acceptée et qu’elle aurait dû faire l’objet d’un écrit permettant qu’il soit dérogé au bail.

C’est à bon droit que le premier juge a considéré qu’il existait une contestation sérieuse s’agissant de paiement des loyers et charges jusqu’à la date d’ouverture du centre commercial, le 22 mai 2021, dans le contexte spécifique de la crise sanitaire qui explique les discussions renouvelées des parties et les propositions du bailleur sur ce point – le bail a été signé le 26 mai 2020.

C’est également à bon droit, par des motifs que la cour adopte, que le premier juge a considéré qu’il existait une contestation sérieuse s’agissant du fond marketing (article 16) durant la période de fermeture administrative du centre commercial, ces contributions étant mentionnées dans la liste des charges et impôts de l’article 9, et donc susceptibles d’être intégrées à la franchise temporaire accordée au preneur jusqu’à la réouverture, les parties étant par ailleurs en désaccord sur les montants facturés au regard des stipulations du bail.

Il résulte de l’article 1719 du code civil que le bailleur est obligé, par la nature même du contrat de délivrer au preneur la chose louée et d’entretenir cette chose en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée, sans être tenu, en l’absence de clause particulière, d’en assurer la commercialité. Dès lors, le preneur n’est pas fondé à se prévaloir de la modification des facteurs de commercialité, comme il le fait en l’espèce. La seule attestation produite – et difficilement lisible – d’un autre commerçant se plaignant de ce que de nombreuses boutiques sont fermées dans le centre commercial, est insuffisante pour démontrer une quelconque inexécution du bailleur à ce titre.

S’agissant de la garantie à première demande, le preneur fait valoir que le montant a été facturé deux fois et il réclame le retranchement de la somme de 17.500 euros.

Cependant, il résulte d’un courriel du 7 mai 2021 (pièce 23 du bailleur), soit près d’un an après la signature du bail, que la société Delizioso al Taglio a invité son bailleur à prélever les montants de 17.500 euros au titre de la caution et 17.500 euros s’agissant de la garantie à première demande, démontrant suffisamment que ces sommes n’avaient pas été réglées lors de l’entrée dans les lieux.

La décision sera confirmée en ce qu’elle a constaté que le commandement de payer était fondé au moins partiellement, et que la mauvaise foi alléguée du bailleur n’apparaissait pas sérieuse, alors même que le locataire n’avait effectué que des paiements très partiels depuis l’entrée dans les lieux.

Comme en première instance, pour réclamer des délais, le preneur invoque les difficultés liées à la crise sanitaire ainsi que les conditions d’exercice de son activité, le centre commercial éteignant les lumières des couloirs et terrasses à partir de 20 h 30, l’empêchant d’accueillir des clients jusqu’à 23 h 00.

Il sera relevé que la signature du bail est intervenue le 26 mai 2020 alors que la crise sanitaire avait déjà débuté depuis plus trois mois. La société Delizioso Al Taglio avait connaissance de ce contexte très particulier au moment de l’entrée dans les lieux et des mesures susceptibles d’entraver son activité, y compris une fermeture. En outre, si elle a effectué un virement de 50.000 euros lors de l’instance devant le premier juge, les échéances courantes ne sont toujours pas réglées en totalité, de sorte qu’elle n’apparaît pas en mesure de régler l’arriéré tout en s’acquittant du loyer courant.

La décision déférée sera confirmée en ce qu’elle a rejeté la demande de délais de paiement.

Si le juge des référés peut entrer en voie de condamnation provisionnelle en application de clauses pénales claires et précises, nonobstant le pouvoir modérateur des juges du fond, c’est à la condition que leur application ne procure pas un avantage disproportionné pour le créancier. 

La décision sera également confirmée en ce qu’elle a rejeté la demande au titre des intérêts contractuels majorés qui s’analyse en une clause pénale susceptible d’être soumise à l’appréciation du juge du fond en ce qu’elle est, en l’espèce, susceptible de procurer un avantage excessif au créancier.

Selon le décompte versé en première instance, le bailleur réclamait la somme de 250.614,86 euros, arrêtée au 2 novembre 2022, 4ème trimestre 2022 inclus.

Le premier juge a limité l’arriéré à la somme non sérieusement contestable de 200.000 euros, dont il a déduit un versement de 50.000 euros, soit une condamnation provisionnelle de 150.000 euros.

A hauteur d’appel, le bailleur produit un décompte arrêté au 4 juillet 2023 pour un montant TTC de 252.658,71 euros. Le relevé des comptes justifie de la déduction du virement de 50.000 euros.

Compte tenu des sommes faisant l’objet d’une contestation sérieuse, la demande de provision sera accueillie à hauteur de la somme de 200.000 euros, au 4 juillet 2023, terme de juillet 2023 inclus.

Sur les demandes accessoires

Le sens de la présente décision conduit à confirmer les dispositions de l’ordonnance déférée au titre des dépens et des frais irrépétibles.

A hauteur d’appel, la société Delizioso Al Taglio sera condamnée aux dépens, ainsi qu’au paiement de la somme de 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Confirme en toutes ses dispositions l’ordonnance entreprise, sauf à actualiser le montant de la provision due par la société Delizioso Al Taglio au titre des loyers, charges et indemnités d’occupation, à la somme de 200.000 euros arrêtée au 4 juillet 2023 ;

Y ajoutant,

Condamne la société Delizioso Al Taglio à payer à la société Alta Quartz la somme de 1.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Delizioso Al Taglio aux dépens d’appel.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

 


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