Examen des obligations contractuelles en matière d’assurance face à un sinistre d’origine contestée

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Examen des obligations contractuelles en matière d’assurance face à un sinistre d’origine contestée

La commune de [Localité 6] a engagé des travaux de rénovation de son église avec la société Les artisans de la façade, pour un montant de 53 916 euros TTC. Le 22 novembre 2014, un incendie a endommagé l’église et les travaux en cours, alors que 80% du montant du marché avait déjà été réglé. Un constat a évalué les dommages à 38 010 euros TTC, montant accepté par la société, qui a signé un protocole d’accord stipulant qu’elle reverserait cette somme à la commune après indemnisation par son assureur, Gan.

En mars 2019, la société a assigné Gan Assurances et la commune en indemnisation. Le tribunal de Pontoise a débouté toutes les parties en septembre 2021. La société Les artisans de la façade a interjeté appel, demandant l’infirmation du jugement et des indemnités. La cour a condamné Gan à verser un total de 93 548 euros, dont 55 538,16 euros à la société et 38 010 euros à la commune, ainsi que 4 000 euros pour les frais de justice.

La commune a également interjeté appel pour obtenir l’indemnisation de 38 010 euros. Gan a contesté la responsabilité de la société et a demandé la confirmation du jugement de première instance. La cour a clos les débats le 7 mars 2024.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

5 septembre 2024
Cour d’appel de Versailles
RG
21/06227
COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 58E

Chambre civile 1-3

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 05 SEPTEMBRE 2024

N° RG 21/06227

N° Portalis DBV3-V-B7F-UY7E

AFFAIRE :

S.A.R.L. LES ARTISANS DE LA FACADE – ILE DE FRANCE NORD

C/

COMMUNE DE [Localité 6]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 07 Septembre 2021 par le TJ de PONTOISE

N° Chambre : 1

N° RG : 19/01730

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Mélina PEDROLETTI

Me Katell FERCHAUX-

LALLEMENT de la SELARL BDL AVOCATS

Me Marie-laure ABELLA

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE CINQ SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

S.A.R.L. LES ARTISANS DE LA FACADE – ILE DE FRANCE NORD

N° SIRET : 440 988 178

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentant : Me Mélina PEDROLETTI, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 626

Représentant : Me Chloé VAN EXTERGHEM, Plaidant, avocat au barreau de VAL D’OISE, vestiaire : 50

APPELANTE

COMMUNE DE [Localité 6]

[Adresse 3]

[Localité 6]

Représentant : Me Katell FERCHAUX-LALLEMENT de la SELARL BDL AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 629

INTIMEE

S.A. GAN ASSURANCES, assureur de la SARL LES ARTISANS DE LA FACADE

N° SIRET : 542 063 797

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentant : Me Marie-laure ABELLA, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 443

INTIMEE

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 21 mars 2024 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Florence PERRET, Président, chargé du rapport et Madame Charlotte GIRAULT, Conseiller.

Ces magistrat ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Florence PERRET, Président,

Madame Charlotte GIRAULT, Conseiller

Monsieur Bertrand MAUMONT, Conseiller

Greffier, lors des débats : Mme FOULON

FAITS ET PROCEDURE :

La commune de [Localité 6] a fait procéder à des travaux de rénovation de son église selon un marché confié à la société Les artisans de la façade après établissement d’un devis en date du 24 juillet 2014 d’un montant de 53 916 euros TTC.

Le 22 novembre 2014, alors que les travaux n’étaient pas achevés et que l’échafaudage mis en place par l’entreprise était encore présent, un incendie s’est déclaré dans l’église qui a affecté à la fois les ouvrages existants, mais également les travaux en cours de réalisation par la société précitée.

Le jour de l’incendie, la commune avait déjà réglé à la société Les artisans de la façade une facture de situation de travaux intermédiaire pour un montant de 43 123,80 euros TTC correspondant à 80% du montant du marché.

L’étendue des dommages occasionnés aux travaux déjà réalisés ainsi que leur chiffrage ont fait l’objet d’un procès-verbal contradictoire de constatation, qui a été signé, entre autres, par la commune de [Localité 6] et la société Les artisans de la façade d’où il ressortait que les travaux non réceptionnés réalisés par cette société avaient pour l’essentiel été détruits. Le montant des travaux perdus devait s’élever à 38 010 euros TTC aux termes d’une évaluation commune.

Cette évaluation a été acceptée par la société Les artisans de la façade et un protocole d’accord a été établi, signé par la société et par la commune de [Localité 6], le 29 juin 2015 dont l’article 2 stipule que :

« La Mairie, les experts de son assurance, Mr [Z] gérant de la SARL « Les Artisans de la façade » et son expert Protection Juridique, ont signé un procès-verbal du coût des travaux de réparation des ouvrages non réceptionnés à 38 010 euros TTC. » alors que l’article 3 précise que « La SARL « Les Artisans de la façade » qui est assurée auprès du Gan par polices n°D199 30 091 272 378 et 131 205 595 s’engage à reverser à la Mairie la somme de 38 010 euros TTC dès qu’il [elle] aura été indemnisé par la Gan. La SARL s’engage à retirer son échafaudage avant fin juillet 2015. »

Par acte d’huissier de justice délivré le 5 et 6 mars 2019, la société Les artisans de la façade a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Pontoise la société Gan Assurances et la commune de Génicourt en indemnisation.

Par jugement du 7 septembre 2021 signifié le 14 septembre suivant, le tribunal judiciaire de Pontoise a :

-débouté la société Les artisans de la façade de l’ensemble de ses demandes ;

-débouté la commune de [Localité 6] de l’ensemble de ses demandes ;

-rejeté la demande de la société Gan Assurances sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile

-condamné la société Les artisans de la façade aux dépens ;

-ordonné l’exécution provisoire de la décision déférée.

Par acte du 12 octobre 2021, la société Les artisans de la façade ont interjeté appel et prie la cour, par dernières écritures du 7 février 2024, de :

-infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,

En conséquence, et statuant à nouveau :

-la dire recevable en ses conclusions et son appel et la déclarer bien fondée en ses demandes,

-condamner la société Gan Assurances à verser la somme d’un montant total de 93 548 euros répartie de la manière suivante :

* à la société Les artisans de la façade, au titre de ses dommages matériels et immatériels directs  » » »’………………………………………………………………………………55 538,16 euros

* à la commune de [Localité 6], au titre de son préjudice chiffré et déterminé lors de l’expertise qui s’est tenue du 29 juin 2015 et en exécution du protocole d’accord signé par les parties en date du 29 juin 2015 ………………………………………………………… ……… 38010 euros

En tout état de cause,

-condamner la société Gan Assurances à verser la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

-condamner la société Gan Assurances aux entiers dépens par application de l’article 699 du code de procédure civile, dont le montant sera recouvré directement.

Par dernières écritures du 7 avril 2022, la commune de [Localité 6] prie la cour de :

-infirmer le jugement déféré en ce qu’il l’a déboutée de l’ensemble de ses demandes,

Statuant à nouveau :

-condamner la société Gan Assurances, en tant qu’assureur de responsabilité de la société Les artisans de la façade à lui payer une somme de 38 010 euros,

-condamner solidairement tout succombant à lui payer une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Par dernières écritures du 28 février 2024, la société Gan Assurances prie la cour de :

À titre principal,

– constater que la société Les artisans de la façade n’a pas entrepris de travaux de réparation des dommages causés par l’incendie ayant atteint l’église qu’elle était en train de rénover,

– déclarer que la condition de mobilisation de la garantie « Dommages avant réception » fait défaut,

– débouter la société Les artisans de la façade de toutes ses demandes, fins et conclusions au titre de la police d’assurance,

– déclarer que la société Les artisans de la façade ne démontre pas qu’elle aurait commis une faute contractuelle de nature à engager sa responsabilité,

– débouter la société Les artisans de la façade de toutes ses demandes, fins et conclusions au titre de sa responsabilité contractuelle,

– débouter toute autre partie de toutes ses demandes, fins et conclusions dirigées contre elle à quelque titre que ce soit,

En conséquence,

-confirmer le jugement de première instance en toutes ses dispositions,

À titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour infirmait le jugement entrepris,

– prendre en compte les franchises contractuelles pour fixer le montant final de la condamnation susceptible d’être prononcée à son encontre,

En toute hypothèse,

– débouter toute partie de ses demandes dirigées contre elle au titre des frais irrépétibles et des dépens,

-condamner toute partie succombante, et notamment la société Les artisans de la façade, à lui payer à la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens tant de première instance que d’appel, dont distraction directe.

La cour renvoie aux écritures des parties en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile pour un exposé complet de leur argumentation.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 7 mars 2024.

SUR QUOI :

La société Les artisans de la façade fait valoir au soutien de son appel que le Gan qui invoque une exclusion de garantie eu égard au caractère criminel de l’incendie n’a jamais fait procéder à une expertise et ne lui a jamais adressé un courrier de refus de garantie alors que la compagnie a mobilisé immédiatement son agence Gan de [Localité 7] dès le lendemain du sinistre.

Elle souligne que tant l’expertise amiable initiée par la protection juridique de la société, la compagnie Groupama PJ et réalisée par le cabinet Labouze Experts, que l’enquête de gendarmerie ont démontré qu’elle n’avait commis aucune faute et que si l’origine criminelle de l’incendie est possible, elle n’est pas intégralement prouvée et que les responsabilités sont restées inconnues. Il a été invoqué par le cabinet d’expertise la possibilité d’une cause électrique.

La société appelante invoque la nouvelle expertise ordonnée à la demande de la compagnie Groupama Paris Val de Loire, ès qualités d’assureur de la commune de [Localité 6] par laquelle le cabinet d’experts Vering a convoqué l’ensemble des parties et leurs assureurs respectifs à de nouvelles opérations d’expertise qui se sont tenues le 29 juin 2015 en l’absence du Gan pourtant régulièrement avisé. L’origine criminelle n’a pas été plus établie par cette nouvelle mesure.

La société appelante évalue son préjudice ainsi :

– coût salarial de l’arrêt de quatre salariés durant cinq jours consécutifs ……………… 3 638,28 euros

– location d’un nouvel échafaudage…………………………………………………………………. 7.356,00 euros

– pertes des aménagements et investissements spécifiques préalables au chantier de l’église de [Localité 6] détruits par l’incendie …………………………………………………………………3.540,00 euros

– montant des patines de finition dont la teinte est spécifique à l’église de [Localité 6] et qui ne pourront plus être utilisées : ………………………………………………………………………..5.003,88 euros

– remplacement de l’échafaudage détruit par l’incendie : …………………………………..36.000,07 euros

Soit un préjudice total pour la société Les artisans de la façade de :

– préjudice personnel SARL ………………………………………………………………………..55.538,16 euros

– coût des travaux de réparation des ouvrages non réceptionnés……………………38.010,00 euros

TOTAL : 93.548,00 euros,

Elle s’insurge contre le fait que le Gan Assurances n’a jamais répondu à ses demandes d’indemnisation au titre de la garantie « Dommages matériels survenus avant réception » contenue dans les deux polices d’assurance contractées et a refusé de participer à la 2e expertise. Elle y voit une faute contractuelle.

Elle précise que la commune a fait appel à une autre société pour procéder à la remise en état après incendie.

La commune de [Localité 6], soutenant en cela la position de la société de contruction, affirme son droit à exercer une action directe sur le fondement de l’article L 124-3 du code des assurances à l’encontre du Gan Assurance pour demander sa condamnation à lui payer la somme de 38 010 euros telle que mentionnée dans le protocole d’accord .

Le Gan Assurance soutient l ‘impossible mobilisation du volet  » Dommages matériels survenus avant réception  » aux motifs que la police prévoit à la fois :

– une condition de mobilisation de la garantie :  » Nous garantissons le remboursement des réparations réalisées par vous des dommages matériels « ,

– une clause d’exclusion de la garantie :  » sont toujours exclus des garanties : les dommages causés par des actes de vandalisme « ,

et qu’il ressort des termes de la police que la mobilisation de la garantie n’est possible que si les dommages ont déjà été réparés par l’assuré lui-même et si l’incendie n’est pas de nature criminelle, ces deux circonstances n’étant pas remplies selon l’assureur.

Sur ce,

La société Les artisans de la façade ne conteste pas dans le principe son obligation de verser à la commune de [Localité 6] la somme de 38 010 euros mais considère qu’elle doit être garantie de cette dette par le Gan Assurance. Elle réclame par ailleurs l’indemnisation de ses propres dommages sur le fondement de la garantie souscrite.

Aux termes de l’article 19, chapitre 4 page 26 « Dommages matériels survenus avant réception  » des conditions générales du contrat du 28 décembre 2012 souscrit auprès du Gan, il est expressément stipulé que : « Nous garantissons également la réparation par vous des dommages matériels survenus lors de la construction d’un ouvrage avant réception, résultant des évènements suivants :

* Incendie, explosion, chute de la foudre, et ce, par dérogation aux exclusions communes (…)

Et atteignant :

* Les ouvrages ou parties d’ouvrages exécutés par vous, ou vos sous-traitants,

* Les fournitures et matériaux vous appartenant présents sur le chantier et avant leur mise en ‘uvre (…)

Les termes de la clause « la réparation par vous » ne souffrent pas d’interprétation, ils sont dénués d’ambiguïté et dans la mesure où la société appelante ne prouve nullement avoir procédé à de quelconques réparations, quelle qu’en soit la raison, elle ne peut invoquer la garantie ainsi conditionnée par la police, loi des parties. Ce refus de garantie par l’assureur n’est pas incompatible avec le fait que les dommages matériels avant réception, dans le principe, auraient pu être couverts par la police mais c’est à condition qu’ils aient été réparés par l’assuré qui pourrait alors demander le remboursement de ses frais et dommages engagés pour ladite réparation.

Si aux termes du protocole du 29 juin 2015, la commune, les experts de son assurance, M. [Z], gérant de la SARL  » Les artisans de la façade  » et son expert protection juridique ont convenu que le coût des travaux de réparation des ouvrages non réceptionnés s’élevait à 38.010 euros TTC et qu’une fois indemnisée par son assureur, la société s’engageait à reverser à la commune cette même somme, ce protocole n’engage pas le Gan qui n’y a pas été partie et qui peut faire valoir les termes de la garantie qu’il doit accorder aux termes des polices souscrites.

Il ne relève pas d’une faute de l’assureur de ce que les parties ont souscrit un protocole fondé sur le postulat erroné de l’application d’une garantie issue d’un contrat dont un des cocontractants n’était même pas signataire. En ne répondant pas aux demandes de l’entrepreneur sur lequel pesait la charge du risque en vertu de l’article 1788 du code civil, en ne participant pas à la 2e expertise et en ne s’engageant pas à indemniser l’appelante, le Gan Assurance n’a commis aucune faute en lien avec le préjudice invoqué par l’appelante pouvant justifier l’engagement de sa responsabilité contractuelle sur le fondement invoqué de l’article 1104 du code civil.

Peu importe l’origine criminelle ou non de l’incendie pour établir l’existence ou non d’une exclusion de garantie dans la mesure où les conditions de la garantie elle-même ne sont pas remplies.

Enfin, il n’est pas contesté que la société appelante a souscrit une assurance responsabilité civile mais pas une assurance dommage-ouvrages de sorte qu’elle ne peut utilement invoquer les dispositions des articles L 242-1 et L 243-1 du code des assurances .

C’est pour ces motifs ainsi que ceux développés par les premiers juges que la cour adopte que le jugement doit être confirmé en toutes ses dispositions.

L’ensemble des demandes formées par la société Les artisans de la façade et la commune de [Localité 6] doit être rejeté.

Il n’est pas inéquitable que chaque partie conserve les frais irrépétibles engagés pour la présente instance.

La société Les artisans de la façade supportera les dépens avec recouvrement direct.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Rejette l’ensemble des demandes formées par la société Les artisans de la façade et la commune de [Localité 6],

Dit que chaque partie conservera à sa charge les frais irrépétibles engendrés par la procédure d’appel,

Condamne la société Les artisans de la façade aux dépens d’appel avec recouvrement direct par Me Abella selon les dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Charlotte GIRAULT, Conseiller pour la présidente empêchée et par Madame K. FOULON, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, P/La présidente empêchée ,


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