Acquisition de la cargaison de rizLa société LES SILOS DE [Adresse 6] a acheté 300 tonnes de riz en provenance du Myanmar via le courtier MARIUS BRUN & fils, selon un acte sous seing privé daté du 14 décembre 2018. Le contrat de transport maritime a été conclu le 16 janvier 2019 avec COSCO SHIPPING LINES CO., et le connaissement maritime a été établi le même jour, indiquant le port de [Localité 4] comme destination finale. Le navire a quitté le port de [Localité 7] le 22 janvier 2019 et est arrivé à [Localité 4] le 23 février 2019. Enquête douanièreLe Service Régional d’Enquête (SRE) de [Localité 5] a ouvert une enquête le 3 mars 2021 sur les déclarations de valeur en douane et d’espèce tarifaire concernant le riz importé par la société entre mars 2016 et mars 2021, incluant la cargaison achetée en décembre 2018. Le 18 mai 2022, le SRE a notifié à la société des conclusions indiquant une fausse déclaration d’espèce et le rejet de l’exemption de la mesure de sauvegarde sur le riz « Indica », entraînant des droits de douane et des taxes totalisant 58.999 €. Avis de mise en recouvrementLe 28 juillet 2022, la Direction interrégionale des douanes a émis un avis de mise en recouvrement à l’encontre de la société pour un montant total de 59.149 €, comprenant les droits de douane, la TVA et les intérêts de retard. Suite à l’annulation du règlement d’exécution UE n° 2019/67 par le Tribunal de l’Union européenne, la société a contesté cet avis en janvier 2023, arguant d’un défaut de base légale. Rejet de la contestationLe 21 février 2023, la Direction des douanes a rejeté la demande de la société, affirmant que l’exemption de droits reposait sur la date de départ du navire et que l’annulation du règlement par le Tribunal de l’UE impliquait de garantir les droits dus sur les importations litigieuses. La société a alors assigné le directeur régional des Douanes et le receveur interrégional des Douanes. Demandes de la sociétéDans ses conclusions du 14 juin 2024, la société a demandé l’annulation de l’avis de mise en recouvrement et la restitution de la somme de 59.149 €, avec intérêts, ainsi qu’une indemnité de 5.000 € en vertu de l’article 700 du code de procédure civile. Elle a soutenu que la créance douanière était dépourvue de base légale en raison de l’annulation du règlement européen. Réponse de l’administration des DouanesL’administration des Douanes a conclu au rejet des demandes de la société, affirmant que le règlement annulé était en vigueur au moment de la notification d’infraction. Elle a également précisé que le règlement 2024/842 a rétabli le tarif douanier sur les importations de riz Indica et interdit tout remboursement des droits perçus. Décision du tribunalLe tribunal a annulé l’avis de mise en recouvrement et la décision de rejet de la contestation, ordonnant la restitution de 59.149 € à la société avec intérêts. Il a également condamné l’administration des Douanes à payer 3.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile et a statué que les dépens seraient à la charge de l’administration. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
DE MARSEILLE
PREMIERE CHAMBRE CIVILE
JUGEMENT N° 24/ DU 05 Novembre 2024
Enrôlement : N° RG 23/04082 – N° Portalis DBW3-W-B7H-3I4V
AFFAIRE : Société LES SILOS DE [Adresse 6] (SCP STREAM)
C/ L’ADMINISTRATION DES DOUANES
DÉBATS : A l’audience Publique du 01 Octobre 2024
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Président : SPATERI Thomas, Vice-Président
Greffier lors des débats : ALLIONE Bernadette, Greffier
Vu le rapport fait à l’audience
A l’issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 05 Novembre 2024
Jugement signé par SPATERI Thomas, Vice-Président et par ALLIONE Bernadette, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
NATURE DU JUGEMENT
contradictoire et en premier ressort
NOM DES PARTIES
DEMANDERESSE
Société LES SILOS DE [Adresse 6]
dont le siège social est sis [Adresse 6] – [Localité 2], prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
représentée par Maître Fabien D’HAUSSY de la SCP STREAM, avocat postulant au barreau de MARSEILLE et par Maître Freddy DESPLANQUES, avocat plaidant au barreau du HAVRE
C O N T R E
DEFENDERESSE
L’ADMINISTRATION DES DOUANES ET DROITS INDIRECTS
représentée par le Directeur régional des douanes de [Localité 5] et le Receveur interrégional des douanes de [Localité 5]
tous deux sis [Adresse 3] – [Localité 1], représentés par Madame [F] [D], agent poursuivant, munie de pouvoirs spéciaux
Faits et procédure :
La société LES SILOS DE [Adresse 6] a acquis par l’intermédiaire du courtier français MARIUS BRUN & fils une cargaison de 300 tonnes de riz en provenance du Myanmar auprès de la société singapourienne EXPORT TRADING COMMODITIES PTE LTD selon acte sous seing privé du 14 décembre 2018.
Le producteur a, pour le compte du vendeur, conclu le 16 janvier 2019 le contrat de transport maritime avec la compagnie COSCO SHIPPING LINES CO. L’acte de connaissement maritime a été établi le 16 janvier 2019, indiquant comme destination finale le port de [Localité 4]. Le navire a quitté le port de [Localité 7] le 22 janvier 2019 et est arrivé à [Localité 4] le 23 février 2019.
La marchandise a fait l’objet d’une déclaration d’importation IMA n° 1901592088 en date du 26 février 2019 mentionnant en case 44 la disposition tarifaire d’exemption « Y223 ».
Le Service Régional d’Enquête (SRE) de [Localité 5] a ouvert suivant procès-verbal du 3 mars 2021, une enquête portant sur le contrôle des déclarations de valeur en douane et d’espèce tarifaire, du riz importé du Myanmar, par la société LES SILOS DE [Adresse 6] entre mars 2016 et mars 2021, en ce inclus la cargaison achetée le 14 décembre 2018.
Le 18 mai 2022, le SRE de [Localité 5] a notifié les conclusions de son enquête à la société LES SILOS DE [Adresse 6], à savoir :
Une fausse déclaration d’espèce concernant le riz Japonica déclaré sous le code douanier 1006 30 65 90 alors qu’il relevait de la position 1006 30 63 90, et ce sans aucune incidence sur l’application des droits et taxes,Le rejet de l’exemption de la mesure de sauvegarde sur le riz « Indica » concernant la déclaration d’importation n° IMA 1901592088 du 26 février 2019, se basant sur la date de chargement présumée de la marchandise sur le navire GSS YANGON comme preuve que la marchandise aurait été en route vers l’UE à compter de cette date.De ce fait, le SRE a appliqué les droits de douanes à hauteur de 175 € par tonne à cette importation, soit un montant de 52.500 € de droits de douanes, 2.888 € de TVA au taux de 5,5%, majoré des intérêts de retard depuis 2019, pour un total de 58.999 €.
Le 28 juillet 2022, la Direction, interrégionale des douanes de Provence Alpes Côte d’Azur Corse a émis un avis de mise en recouvrement à l’encontre de la société LES SILOS DE [Adresse 6], de payer la somme totale de 59.149,00 €, correspondant à :
52.500 € au titre des droits de douanes (175 €/Tonne)2.888 € au titre de la TVA (5,5%)3.761 € au titre des intérêts de retard.
Le Tribunal de l’Union européenne ayant annulé le règlement d’exécution UE n° 2019/67, le conseil de la société LES SILOS DE [Adresse 6] a contacté par courrier du 27 janvier 2023, Monsieur le Receveur interrégional des douanes indiquant le défaut de base légale entachant l’avis de mise en recouvrement et a demandé la dispense des deux dernières échéances de paiement.
Le 21 février 2023, la Direction des douanes a rejeté cette demande aux motifs d’une part, que l’exemption de droits en vertu de la clause d���expédition reposait uniquement sur la date de départ du navire et d’autre part, que l’annulation par le Tribunal de l’UE « a pour effet de rouvrir la procédure de sauvegarde (avis 2023/C 18/05 de la Commission) et implique donc de garantir les droits dus sur les importations litigieuses, effectuées entre le 18/01/2019 et le 18/01/2022. »
Par acte de commissaire de justice en date du 11 avril 2023 la société LES SILOS DE [Adresse 6] a fait assigner le directeur régional des Douanes de [Localité 5] et le receveur interrégional des Douanes de [Localité 5].
Demandes et moyens des parties :
Aux termes de ses dernières conclusions en date du 14 juin 2024 la société LES SILOS DE [Adresse 6] demande au tribunal d’annuler l’avis de mise en recouvrement n° 0898/22-0819 du 28 juillet 2022 et la décision du 21 février 2023 de rejet de la contestation de créance, de condamner l’administration des Douanes à lui restituer la somme de 59.149 € avec intérêts au taux légal depuis son versement, outre 5.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses demandes la société LES SILOS DE [Adresse 6] fait valoir que la créance douanière est dépourvue de base légale dès lors que le règlement européen UE 2019 /67 en vertu duquel les droits ont été réclamés a été annulé par le tribunal de l’Union Européenne le 9 novembre 2022. Elle ajoute que l’article 2 du règlement UE 2024/842 ne se réfère qu’à une demande de remboursement ou de remise des droits, alors que la présente instance a pour objet une contestation de créance.
La société LES SILOS DE [Adresse 6] expose encore qu’elle était fondée à se prévaloir de la mesure d’exemption des droits prévue à la clause d’expédition prévue à l’article 2 et visée par le considérant 97 du Règlement 2019/67 dès lors que la marchandise avait, au jour de l’entrée en vigueur de ce règlement été remise au transporteur en vertu du contrat de vente FOB du 14 décembre 2018, et donc en cours d’expédition.
L’administration des Douanes a conclu le 26 août 2024 au rejet des demandes de la société LES SILOS DE [Adresse 6] et à sa condamnation à lui payer la somme de 3.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile aux motifs que l’article 1er du règlement (UE) 2023/132 du 18 janvier 2023 exclut tout remboursement ou remise des droits perçus en vertu du règlement européen UE 2019 /67 annulé, de sorte que la décision de refus du 21 février 2023 est fondée, rappelant qu’au moment de la notification d’infraction le 6 juillet 2022 le règlement de 2019 était encore en vigueur. Elle ajoute que le règlement (UE) 2024/842 du 11 mars 2024 a rétabli le tarif douanier sur les importations de riz Indica en provenance du Cambodge et du Myanmar, et qu’il précise qu’aucun droit perçu en vertu de l’article 1er du règlement européen UE 2019/67 ne sera remboursé ou remis, et qu’il importe peu que la société LES SILOS DE [Adresse 6] ne demande pas de remboursement, dès lors que sa demande d’annulation de l’avis de mise en recouvrement vise à obtenir la restitution des sommes versées.
Sur le bien-fondé de sa créance que l’article 2 du règlement européen UE 2019/67 vise les produits déjà en route vers l’Union Européenne dont la destination des produits ne peut pas être modifiée et que l’article 87 assimile cette situation à une clause d’expédition. Elle en déduit que le terme « expédition » se réfère au transport maritime et donc à la date d’embarquement des marchandises, soit en l’espèce le 18 janvier 2019 qui correspond au jour du départ du navire, deux jours après l’entrée en vigueur du règlement le 16 janvier 2019. Elle considère à ce titre la date du connaissement comme non probante eu égard à sa trop grande antériorité par rapport à la date de départ effectif, que le contrat de vente FOB est sans incidence sur l’application des droits douaniers dans la mesure où il ne vise qu’à une répartition des risques entre l’acheteur et le vendeur, et que le principe de sécurité juridique n’a pas été violé dans la mesure où l’accord commercial passé par la société LES SILOS DE [Adresse 6] a été conclu à une époque où la mise en place des mesures de sauvegarde apparaissait probable.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 3 septembre 2024.
Sur l’absence de base légale de l’avis de mise en recouvrement :
Le règlement européen d’exécution UE 2019/67 a été annulé par un arrêt du 9 novembre 2022 du tribunal de l’Union Européenne.
Par avis du 18 janvier 2023 la Commission a décidé de rouvrir l’enquête de sauvegarde qui a abouti à l’adoption de ce règlement afin de remédier aux erreurs relevées par le tribunal. Le même jour elle a publié un règlement d’exécution (UE) 2023/132, dont l’article 1er impose aux autorités douanières d’attendre la publication du règlement d’exécution pertinent concluant l’enquête relative aux importations de riz Indica avant de de prononcer sur les demandes de remboursement et de remise des droits.
L’article 2 du règlement (UE) 2024/842 du 11 mars 2024 dispose enfin qu’aucun droit perçu en vertu de l’article 1er du règlement européen d’exécution UE 2019/67 ne sera remboursé ou remis.
Il en résulte qu’à la date d’émission de lavis de mise en recouvrement le 28 juillet 2022 le règlement UE 2019/67 n’était pas annulé, de sorte que cet avis reposait sur une base légale certaine. Le 21 février 2023, date du rejet de la demande gracieuse d’annulation de cet avis, le règlement (UE) 2023/132, entré en vigueur depuis le 18 janvier, interdisait aux autorités douanières tout remboursement ou remise des droits.
Il importe peu à ce titre que la société LES SILOS DE [Adresse 6] n’ait pas formé une demande de remboursement ou de remise des droits au sens de l’article 345 du code des douanes national, dès lors que la contestation de l’avis de mise en recouvrement vise bien à obtenir un tel remboursement, lequel est d’ailleurs expressément sollicité dans le cadre de la présente instance.
L’article 2 du règlement (UE) 2024/842 du 11 mars 2024 interdit pour sa part tout remboursement ou remise, sans distinction de la base juridique sur laquelle une telle demande pourrait être présentée. Ces consignes ont vocation à être appliquées par l’ensemble des États membres de l’Union, quelles que soient les spécificités des modes de recouvrement nationaux des droits et de leur modes de contestation.
Il n’y a donc pas lieu de distinguer selon les moyens invoqués à l’appui d’une demande ayant pour objet d’obtenir la restitution des droits perçus en application du règlement européen d’exécution UE 2019/67.
Tant l’avis de mise en recouvrement que la lettre de refus ont donc été émis en vertu de règlements européens en vigueur au moment où ces actes ont été pris. Ils n’encourent donc aucun chef de nullité pour défaut de base légale.
Sur le bien-fondé de la créance douanière :
L’article 2 du règlement d’exécution UE 2019/67 dispose que sont exemptées des mesures de sauvegarde les importations des produits visés à l’article 1er qui sont déjà en route à la date d’entrée en vigueur du présent règlement (le 18 janvier 2019), à condition que la destination de ces produits ne puisse pas être modifiée.
Le considérant n°87 expose que «pour garantir la sécurité juridique à l’intention des importateurs des produits concernés, diverses parties intéressées ont demandé qui sont déjà en route vers l’Union Européenne ne soient pas soumis aux mesures susmentionnées. Conformément à sa pratique actuelle dans les affaires de sauvegarde, la Commission considère qu’une telle clause d’expédition est effectivement justifiée en l’espèce ».
Il convient de rechercher à quelle date la marchandise est sortie du territoire du pays d’origine à destination de l’Union Européenne, dans des conditions telles que la destination n’en pouvait plus être modifiée.
Le contrat de vente FOB du 14 décembre 2018 emporte obligation pour le vendeur de livrer la marchandise à l’armateur avec lequel l’acheteur a contracté. Il emporte donc transfert de propriété et des risques, mais ne démontre pas la délivrance effective de la chose vendue et donc la sortie de la marchandise du territoire du Myanmar.
L’acte de connaissement maritime a été établi le 16 janvier 2019, indiquant comme destination finale le port de [Localité 4]. Ce document concrétise le contrat de transport maritime, et constitue une preuve de la réception des marchandises par le transporteur maritime. Il indique en outre comme date d’embarquement à bord du navire le 16 janvier 2019.
Il convient donc de retenir cette date comme étant celle du début des opérations de transport dès lors qu’il correspond à celle à laquelle la marchandise a été placée dans le navire en partance pour l’Union Européenne, dans ces conditions telles que sa destination n’en pouvait plus être modifiée. Le fait que le navire n’ait effectivement quitté le port que le 22 janvier 2019 n’est pas en soi de nature à remettre en cause la date du connaissement.
La marchandise étant déjà en route le 18 janvier 2019, date de l’entrée en vigueur du règlement, l’exemption de l’article 2 était applicable.
Il convient en conséquence d’annuler l’avis de mise en recouvrement n° 0898/22-0819 du 28 juillet 2022 et la décision du 21 février 2023, et de condamner l’administration des Douanes à restituer à la société LES SILOS DE [Adresse 6] la somme de 59.149 € avec intérêts au taux légal depuis son versement.
Sur les autres demandes :
L’administration des Douanes, qui succombe à l’instance, en supportera les dépens.
Elle sera encore condamnée à payer à la société LES SILOS DE [Adresse 6] la somme de 3.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Le tribunal, statuant par jugement contradictoire et en premier ressort :
Annule l’avis de mise en recouvrement n° 0898/22-0819 du 28 juillet 2022 et la décision du 21 février 2023 ;
Condamne l’administration des Douanes à restituer à la société LES SILOS DE [Adresse 6] la somme de 59.149 € avec intérêts au taux légal depuis son versement ;
Condamne l’administration des Douanes à payer à la société LES SILOS DE [Adresse 6] la somme de 3.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne l’administration des Douanes aux dépens.
AINSI JUGÉ, PRONONCÉ ET MIS À DISPOSITION AU GREFFE DE LA PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MARSEILLE LE CINQ NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,