Sommaire Contexte de la ventePar acte notarié en date du 31 mai 2018, [K] [B] et M. [P] [O], exploitant agricole, ont conclu un compromis de vente concernant plusieurs parcelles agricoles, dont trois terrains spécifiques. La société d’aménagement foncier et d’établissement rural d’AUVERGNE RHONE ALPES (SAFER) a été notifiée du compromis le même jour. Exercice du droit de préemptionLa SAFER a exercé un droit de préemption partielle sur les trois parcelles le 24 juillet 2018, acquérant les biens par acte authentique le 25 octobre 2018. Suite à cela, un processus de rétrocession a été initié, avec des candidatures notifiées, dont celle de M. [O] et de sa fille, Mme [F] [O]. Litige sur la rétrocessionM. [O] a contesté la validité de la rétrocession des parcelles à M. [Z] et a assigné ce dernier, la SAFER, ainsi que [K] [B] devant le tribunal judiciaire de CLERMONT-FERRAND en février 2020. Après le décès de [K] [B], l’instance a continué avec l’intervention de Mme [C] [V], héritière. Décision du juge de la mise en étatLe 6 juin 2023, le juge de la mise en état a rejeté la demande de M. [O] concernant la production forcée de la décision de préemption de la SAFER. La clôture de l’affaire a eu lieu le 14 octobre 2024. Prétentions de M. [O]Dans ses conclusions, M. [O] a demandé l’annulation de la rétrocession à M. [Z], la reconnaissance de son bail avec [K] [B] comme opposable à la SAFER, et des dommages et intérêts pour préjudice. Il a soutenu que la rétrocession était entachée de nullités pour vice de forme et défaut de compétence. Arguments de la SAFERLa SAFER a demandé le rejet des demandes de M. [O], affirmant que l’acte de vente à M. [Z] matérialisait la décision de rétrocession. Elle a également contesté la validité du bail à ferme invoqué par M. [O], arguant de l’absence de preuve d’exploitation des parcelles. Intervention de Mme [C] [V]Mme [C] [V], en tant qu’ayant droit de [K] [B], a demandé la recevabilité de son intervention et a soutenu la bonne foi de [K] [B]. Elle a également demandé que la partie perdante soit condamnée à lui verser une somme pour frais. Motifs de la décisionLe tribunal a constaté que la SAFER n’avait pas respecté les exigences de motivation pour la rétrocession, entraînant l’annulation de la décision de rétrocession à M. [Z]. La demande d’opposabilité du bail à ferme de M. [O] a été rejetée en raison de l’absence de preuve de son existence. Demande d’indemnisation de M. [O]La demande de M. [O] pour dommages et intérêts a été rejetée, le tribunal estimant qu’il n’avait pas démontré la perte d’une chance réelle de consolider son exploitation. Frais de procèsLa SAFER a été condamnée aux dépens de l’instance et à verser des indemnités à M. [O] et à Mme [C] [V] pour les frais exposés non compris dans les dépens. |
Questions / Réponses juridiques :
Quelle est la validité de la décision de rétrocession prise par la SAFER AURA au profit de M. [Z] ?La décision de rétrocession prise par la SAFER AURA au profit de M. [Z] est entachée de nullité en raison de l’insuffisance de la motivation. Selon l’article L. 143-3 du Code rural et de la pêche maritime, la SAFER doit justifier sa décision de préemption par référence explicite et motivée à l’un ou plusieurs des objectifs définis à l’article L. 143-2. Cet article énonce que l’exercice du droit de préemption a pour objet, entre autres, l’installation des agriculteurs, la Jonction des exploitations, et la préservation de l’équilibre des exploitations. La motivation de la rétrocession doit se suffire à elle-même et comporter des données concrètes permettant au candidat non retenu de vérifier la réalité des objectifs poursuivis. En l’espèce, la notification de la décision de rétrocession mentionne des motifs vagues tels que la « protection durable des espaces agricoles » et le « développement de l’agriculture », sans préciser comment ces objectifs se rapportent à la situation de M. [Z] ou à la nature des parcelles concernées. Ainsi, la motivation fournie ne permet pas de déterminer quel objectif légal était poursuivi par la SAFER AURA dans le choix du rétrocessionnaire, rendant la décision de rétrocession nulle. Quelles sont les conditions de validité d’un bail à ferme selon le Code rural et de la pêche maritime ?Le bail à ferme est régi par l’article L. 411-1 du Code rural et de la pêche maritime, qui stipule que ce contrat consiste en la mise à disposition à titre onéreux d’un immeuble à usage agricole en vue de l’exploiter pour y exercer une activité agricole. Pour qu’un bail soit opposable, il doit être prouvé qu’il existe un contrat écrit, que le fermage a été convenu et que le preneur a effectivement exploité le bien. En l’espèce, M. [O] a produit un bail écrit daté du 1er juin 2017, mais la preuve du paiement du fermage n’est pas établie. L’acte authentique du 25 octobre 2018 mentionne que le bien est « entièrement libre de location ou d’occupation », ce qui contredit l’existence d’un bail. De plus, l’absence de preuve de l’exploitation effective des parcelles depuis la date du bail remet en question la validité de celui-ci. Ainsi, en l’absence de preuves suffisantes concernant l’existence et l’exécution du bail, la demande d’opposabilité du bail à ferme formulée par M. [O] est rejetée. Quelles sont les conditions pour obtenir des dommages et intérêts en cas de perte de chance ?Selon l’article 1240 du Code civil, tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. La perte de chance est définie comme la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable. Pour qu’une demande de dommages et intérêts pour perte de chance soit recevable, il faut prouver que la chance perdue était réelle et non simplement hypothétique. Il doit également exister un lien de causalité direct entre la faute et la disparition de cette chance. Dans le cas présent, M. [O] soutient que l’illégalité de la décision de rétrocession a causé une perte de chance de consolider son exploitation, étant le seul autre candidat à la rétrocession. Cependant, l’annulation de la décision de rétrocession ne substitue pas automatiquement la candidature de M. [O] à celle de M. [Z]. De plus, M. [O] ne démontre pas qu’il aurait été empêché de participer à un nouveau processus de candidature. Par conséquent, même si l’irrégularité de la décision de rétrocession est établie, cela ne prouve pas que M. [O] aurait eu une chance réelle d’obtenir les parcelles. Ainsi, la demande de dommages et intérêts pour perte de chance est rejetée, car M. [O] ne démontre ni l’existence d’une chance perdue ni un lien de causalité entre l’irrégularité de la rétrocession et la perte alléguée. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Jugement N°
du 13 DECEMBRE 2024
AFFAIRE N° :
N° RG 20/00865 – N° Portalis DBZ5-W-B7E-HQXI / Ch1c1
DU RÔLE GÉNÉRAL
[P] [O]
Contre :
Madame [C] [V] veuve [Y]
S.A. SAFER AUVERGNE RHONE ALPES
[G] [Z]
Grosse :
Me Frédéric DELAHAYE
la SCP JAFFEUX-LHERITIER-DAUNAT
la SCP TEILLOT & ASSOCIES
Copies :
Me Frédéric DELAHAYE
la SCP JAFFEUX-LHERITIER-DAUNAT
la SCP TEILLOT & ASSOCIES
Dossier
Me Frédéric DELAHAYE
la SCP JAFFEUX-LHERITIER-DAUNAT
la SCP TEILLOT & ASSOCIES
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE CLERMONT-FERRAND
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
LE TREIZE DECEMBRE DEUX MIL VINGT QUATRE,
dans le litige opposant :
Monsieur [P] [O]
[Adresse 14]
[Localité 3]
Représentée par la SCP TEILLOT & ASSOCIES, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
DEMANDEUR
ET :
Madame [C] [V] veuve [Y], intervenant ès-qualité d’ayant droit de M. [K] [B], né le 30 décembre 1947 et décédé le 11 novembre 2020
EHPAD [11]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par l’UDAF [Localité 13] DU [Localité 13] en qualité de tutrice
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Partielle numéro 2022/000510 du 18/02/2022 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de CLERMONT-FERRAND)
Représentée par Me Paul JAFFEUX de la SCP JAFFEUX-LHERITIER, avocats au barreau de CLERMONT-FERRAND
S.A. SAFER AUVERGNE RHONE ALPES
AGRAPOLE
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Frédéric DELAHAYE, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
Monsieur [G] [Z]
[Adresse 8]
[Localité 3]
N’ayant pas constitué avocat
DÉFENDEURS
Lors de l’audience de plaidoirie du 14 Octobre 2024 :
Après avoir constaté l’absence d’opposition des avocats, le tribunal a tenu l’audience en juges rapporteurs, composé de :
Madame Virginie THEUIL-DIF, Vice-Présidente,
Madame Géraldine BRUN, Vice-Présidente,
En présence de Madame [U] [L], auditrice de justice,
assistées, lors de l’appel des causes de Madame Charlotte TRIBOUT, Greffier.
Lors du délibéré le tribunal composé de :
Madame Virginie THEUIL-DIF, Vice-Présidente,
Madame Géraldine BRUN, Vice-Présidente,
Madame Marie-Elisabeth DE MOURA, Vice-Présidente à laquelle il a été rendu compte conformément aux dispositions de l’article 786 du code de procédure civile
assistées, lors du délibéré de Madame Charlotte TRIBOUT, Greffier.
Après avoir entendu en audience publique du 14 Octobre 2024 un magistrat en son rapport et les avocats en leurs plaidoiries et les avoir avisés que le jugement serait rendu ce jour par mise à disposition au greffe, le tribunal prononce le jugement suivant :
Par acte notarié en date du 31 mai 2018, [K] [B] et M. [P] [O], exploitant agricole, ont conclu un compromis de vente portant sur différentes parcelles agricoles dont les trois terrains cadastrés comme suit :
Sur la commune d’[Localité 5], lieu-dit [Localité 10], les parcelles n° [Cadastre 6] et [Cadastre 7], Sur la commune d’[Localité 12], lieu-dit [Localité 9], la parcelle n° [Cadastre 4], Le même jour, la société d’aménagement foncier et d’établissement rural d’AUVERGNE RHONE ALPES (ci-après la SAFER), s’est vue notifier le compromis par le notaire en charge de la vente.
Entendant exercer un droit de préemption partielle sur les trois parcelles citées en vue de leur rétrocession en application des articles L. 143-1 et suivants du code rural et de la pêche maritime, la SAFER a notifié aux parties sa décision de préemption le 24 juillet 2018 et a acquis les biens en question par acte authentique du 25 octobre 2018.
A l’issue du processus de rétrocession de ces terres à des exploitants, pour laquelle M. [O] et sa fille, Mme [F] [O], avaient notifié leur candidature le 8 octobre 2018, il a été procédé à la régularisation des ventes suivantes à l’initiative de la SAFER :
Les deux parcelles situées à AUZELLES au profit de M. [G] [Z], selon acte authentique du 25 juillet 2019, La parcelle située à ORBEIL au profit de M. [O], selon acte authentique du 3 juillet 2019.Contestant la validité de la décision de rétrocession prise au profit de M. [Z], M. [O] a fait assigner ce dernier, la SAFER ainsi que [K] [B] devant le tribunal judiciaire de CLERMONT-FERRAND par actes d’huissier de justice en date du 19 février 2020.
A la suite du décès de [K] [B] le 11 novembre 2020, l’instance a repris par l’intervention de Mme [C] [V], seule héritière qui a constitué avocat le 14 janvier 2022.
Par ordonnance du 6 juin 2023, le juge de la mise en état a rejeté la demande de M. [O] en production forcée de la décision de préemption prise par le directeur général de la SAFER.
La clôture est intervenue le 14 octobre 2024.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 15 février 2024, M. [O] demande au tribunal de :
Annuler la décision de rétrocession de la SAFER AURA au profit de [G] [Z] Déclarer le bail conclu le 1er juin 2017 entre M. [O] et [K] [B] opposable à la SAFER AURA ainsi qu’à [K] [B] et à sa succession, Débouter la SAFER AURA de l’ensemble de ses demandes, Condamner la SAFER AURA à payer à [P] [O] la somme de 5. 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice, Condamner la SAFER AURA à payer à [P] [O] la somme de 3. 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile, Condamner la SAFER AURA aux entiers dépensAu soutien de sa demande tendant à l’annulation de la rétrocession des parcelles à M. [Z], M. [O] fait valoir que l’acte est entaché de nullités pour vice de forme.
En premier lieu, il soutient la nullité de la rétrocession à raison du défaut de décision de rétrocession, la SAFER indiquant elle-même que la notification du 20 août 2019 qui lui a été faite ne constitue pas la décision de rétrocession et l’acte de vente à M. [Z] du 25 juillet 2019 ne constituant pas non plus, à son sens, la décision de rétrocession ; selon lui, les explications de la SAFER constitueraient un aveu judiciaire de l’absence de décision de rétrocession.
En second lieu, M. [O] fait valoir que la rétrocession est nulle à défaut de compétence du signataire de la notification de la décision de rétrocession ; sur le fondement des articles L. 111-2 du code des relations entre le public et l’Administration et L. 100-3 du même code qu’il soutient être applicables à la SAFER, en qualité d’organisme de droit privé chargé, sous le contrôle de l’Administration de la gestion d’un service public administratif en vue de l’amélioration des structures agricoles, il affirme qu’à défaut de connaître la qualité de Mme [A] ayant signé la notification, la mention « chef de service » étant insuffisante pour ce faire, la décision de rétrocession doit être annulée. Il estime que l’irrégularité de la notification entache de nullité la décision de rétrocession elle-même. Outre cette insuffisance de la qualité du signataire de la notification de rétrocession, il fait valoir que la SAFER ne justifie pas d’une délégation de pouvoir par le président directeur général ou le directeur général délégué de la SAFER à Mme [A] lui permettant de signer un acte de rétrocession, celle finalement versée aux débats par la SAFER ne donnant délégation de pouvoir que pour procéder à des ventes de gré à gré de sorte qu’il n’est pas justifié de la compétence de celle-ci.
En troisième lieu, il fait valoir le défaut d’avis des Commissaires du gouvernement à la décision de rétrocession, comme cause de nullité.
Enfin, sur le fondement des articles L. 143-3 du code rural et de la pêche maritime et R.142-4 et R. 143-11 du même code, il soutient que la publicité de la décision de rétrocession, prescrite à peine de nullité, n’a pas été faite par la SAFER.
M. [O] fait également valoir que la rétrocession est entachée d’une nullité de fond, sur le fondement de l’article L. 141-1 du Code rural et de la pêche maritime, le juge devant non seulement apprécier si l’opération critiquée est de nature à atteindre l’objectif invoqué pour motiver la rétrocession, mais également vérifier que la SAFER ne contrevient pas à la mission qui lui a été confiée par le législateur. Il soutient que la notification individuelle comporte une motivation générale outre qu’elle fait référence à une mission au regard de l’article L. 143-2 du même code que celui-ci ne contient pas de sorte que cette motivation lacunaire ne lui a pas permis de savoir quel objectif la SAFER poursuivait lorsqu’elle a rétrocédé les parcelles à M. [Z].
Au soutien de sa demande de voir opposable le bail à ferme conclu avec M. [B] le 1er juin 2017 à la SAFER et à [K] [B] et sa succession, M. [O] soutient avoir signé un bail écrit avec M. [B] le 1er juin 2017 concernant les parcelles litigieuses, lesquelles ont fait l’objet d’une mise à disposition au profit du GAEC [O] frères, le bailleur ayant encaissé un fermage (pièce 11). Il ajoute qu’il importe peu que le bulletin de mutation ait été établi pour le 31 janvier 2018 dès lors que les parties sont libres de fixer les conditions d’exécution du bail, cet élément ne démontrant donc pas le caractère fictif du bail à ferme conclu. En outre, il rappelle que la notification du notaire à la SAFER de la vente des parcelles en vue de l’exercice du droit de préemption par celle-ci ne portait aucune mention sur le caractère libre ou non des parcelles de sorte qu’il ne peut être déduit que celles-ci étaient nécessairement libres.
En outre, il soutient qu’en raison de l’existence d’un bail écrit comportant une date, le débat sur l’existence d’une date certaine, qui a trait à des baux verbaux, ne se pose pas. Il rappelle que le statut du fermage est d’ordre public et qu’il appartient à la SAFER de démontrer que le bail écrit produit n’est pas valable.
Enfin, au soutien de sa demande d’indemnisation formée contre la SAFER, M. [O] fait valoir qu’eu égard à l’irrégularité de la décision de rétrocession à M. [Z], étant le seul autre candidat à cette rétrocession, il a subi une perte de chance de consolider son exploitation et réclame à ce titre la somme de 5 000 euros de dommages et intérêts.
Dans ses dernières conclusions, notifiées le 9 octobre 2024, la SAFER AURA demande au tribunal de :
Débouter M. [O] des demandes dirigées contre elle, Condamner M. [O] à lui payer la somme de 4. 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile, Condamner M. [O] aux entiers dépens.
Au soutien de sa demande tendant au rejet de l’annulation de la rétrocession des parcelles de M. [Z], la SAFER AURA soutient que l’acte authentique de vente des parcelles à M. [Z] du 25 juillet 2019 matérialise la décision de rétrocession.
S’agissant de la signature de la notification de rétrocession, elle affirme que les articles du code des relations entre le public et l’Administration ne lui sont pas applicables dès lors qu’elle ne prend pas des actes administratifs et que l’article L. 100-1 de ce code indique régir les relations entre le public et l’Administration en l’absence de dispositions spéciales, ses activités étant régies par les dispositions spéciales du code rural et de la pêche maritime. A titre subsidiaire, elle soutient que M. [O] disposait de toutes les informations nécessaires quant à la qualité et l’identité du signataire de cette notification. Elle ajoute que la notification de la rétrocession constitue une simple mesure de publicité et non une décision en elle-même.
La SAFER AURA fait en outre valoir qu’aucune disposition légale n’impose de mentionner l’avis des commissaires du gouvernement dans la notification de la décision de rétrocession à l’acquéreur évincé.
Enfin, s’agissant de la publicité de la décision de rétrocession, elle soutient que toutes les formalités de publicité ont été réalisées conformément aux prescriptions légales, nonobstant l’erreur de plume sur la date du certificat d’affichage en mairie produit.
Quant à la motivation de la rétrocession, la SAFER AURA indique avoir précisé les motifs de la rétrocession, lesquels sont conformes aux objectifs légaux définis à l’article L. 143-2 du CRPM, peuvent être généraux selon la jurisprudence en la matière, M. [O] ne démontrant pas en quoi la rétrocession des parcelles à M. [Z] ne serait pas de nature à respecter cet objectif défini.
Au soutien du rejet de la demande d’opposabilité du bail à ferme, la SAFER conteste, sur le fondement de l’article L. 411-1 du code rural et de la pêche maritime, l’existence du bail rural dont se prévaut M. [O], faute d’exploitation réelle des trois parcelles litigieuses depuis le 1er juin 2017 et la preuve d’un paiement effectif du fermage fixé à 70 euros payable en novembre de chaque année.
Elle ajoute que ce bail n’a pas été mentionné dans la notification de la vente des parcelles en vue de l’exercice du droit de préemption par le notaire, le bien ayant été, dans l’acte de vente, déclaré comme libre de toute occupation.
Enfin, elle soutient, sur le fondement des articles 1743 et 1328 du code civil que le bail produit n’a pas date certaine faute d’avoir été enregistré.
A titre subsidiaire, elle rappelle que le preneur, en application de l’article L. 143-6, alinéa 2, du code rural et de la pêche, ne bénéficie d’une priorité sur le droit de préemption de la SAFER que s’il exploite depuis plus de trois ans le bien, objet de la vente, M. [O] ne démontrant pas une telle durée d’exploitation.
Au soutien du rejet de la demande de dommages et intérêts, la SAFER AURA rappelle que la contestation de la rétrocession ne donne pas droit à l’attribution des parcelles litigieuses puisqu’une nouvelle procédure d’attribution sera ouverte. L’unique candidature au côté de celle de M. [O], lors de la rétrocession des parcelles à M. [Z], ne démontre donc pas qu’il obtiendra cette rétrocession.
Dans ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 9 octobre 2024, Mme [C] [V] Veuve [Y], es-qualité d’ayant droit de [K] [B], représentée par l’UDAF [Localité 13] [Localité 13] sa tutrice, demande au tribunal de :
Déclarer recevable l’intervention de Mme [V], veuve [Y], es-qualité d’ayant droit de [K] [B],
Déclarer recevable l’intervention de l’UDAF [Localité 13], mandataire judiciaire représentant Mme [C] [V] Veuve [Y], es-qualité d’ayant droit de [K] [B],
Statuer ce que de droit quant aux prétentions de M. [O] et de la SAFER AURA,
Condamner la partie perdante à payer à la concluante la somme de 1. 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile,
Statuer ce que de droit quant aux dépens.
Mme [Y] affirme la bonne foi de [K] [B] et s’en rapporte à l’appréciation du Tribunal quant à la recevabilité et au bien-fondé des prétentions de M. [O] à l’encontre de la SAFER, mais aussi de la demande de débouté de la SAFER.
Sur la recevabilité de l’intervention de Mme [V], veuve [Y], es-qualité d’ayant droit de M. [K] [B], représentée par l’UDAF [Localité 13], sa tutrice
Il ressort de l’acte de notoriété versé par Mme [V] que celle-ci, en sa qualité de légataire universelle dispose de la qualité d’ayant droit de [K] [B]. En outre, par jugement de tutelle du 12 février 2024, Madame [V] bénéficie d’une mesure de protection confiée à l’UDAF [Localité 13].
En conséquence, Mme [V], veuve [Y], es-qualité d’ayant droit de M. [K] [B], représentée par l’UDAF [Localité 13], sa tutrice est recevable à intervenir à l’instance, dans le cadre de l’action patrimoniale intentée par M. [O], conformément aux articles 370 et suivants du code de procédure civile.
Sur la demande d’annulation de la décision de rétrocession des parcelles à M. [Z]
Aux termes de l’article L. 143-3 du code rural et de la pêche maritime, à peine de nullité, la société d’aménagement foncier et d’établissement rural doit justifier sa décision de préemption par référence explicite et motivée à l’un ou à plusieurs des objectifs ci-dessus définis, et la porter à la connaissance des intéressés. Elle doit également motiver et publier la décision de rétrocession et annoncer préalablement à toute rétrocession son intention de mettre en vente les fonds acquis par préemption ou à l’amiable.
L’article L. 143-2 du même code énonce que l’exercice [du droit de préemption] a pour objet, dans le cadre des objectifs définis à l’article L. 1 :
1° L’installation, la réinstallation ou le maintien des agriculteurs ;
2° La Jonction d’exploitations afin de permettre à celles-ci d’atteindre une dimension économique viable au regard des critères du schéma directeur régional des exploitations agricoles et l’amélioration de la répartition parcellaire des exploitations existantes, dans les conditions prévues à l’article L. 331-2 ;
3° La préservation de l’équilibre des exploitations lorsqu’il est compromis par l’emprise de travaux d’intérêt public ;
4° La sauvegarde du caractère familial de l’exploitation ;
5° La lutte contre la spéculation foncière ;
6° La conservation d’exploitations viables existantes lorsqu’elle est compromise par la cession séparée des terres et de bâtiments d’habitation ou d’exploitation ;
7° La mise en valeur et la protection de la forêt ainsi que l’amélioration des structures sylvicoles dans le cadre des conventions passées avec l’Etat ;
8° La protection de l’environnement, principalement par la mise en œuvre de pratiques agricoles adaptées, dans le cadre de stratégies définies par l’Etat, les collectivités territoriales ou leurs établissements publics ou approuvées par ces personnes publiques en application du présent code ou du code de l’environnement ;
9° Dans les conditions prévues par la section 3 du chapitre III du titre Ier du livre Ier du code de l’urbanisme, la protection et la mise en valeur des espaces agricoles et naturels périurbains.
Et nulle la décision de préemption de la SAFER qui ne fait pas référence de manière explicite et circonstanciée à l’un des objectifs de l’article L. 143-2 du code rural et de la pêche maritime (3ème Civ, 15 juin 2005, pourvoi n°04-13.002). En application de l’article L. 143-3 précité, il en est de même s’agissant de la décision de rétrocession après préemption.
En outre, la motivation de rétrocession doit se suffire à elle-même et comporter des données concrètes permettant au candidat non retenu de vérifier la réalité des objectifs poursuivis, conformément aux exigences légales.
En l’espèce, la SAFER AURA a notifié à M. [O] et à [K] [B] sa décision de préemption le 24 juillet 2018 et acquis les biens concernés par acte authentique du 25 octobre 2018. Elle a procédé à un appel à candidature en vue de la rétrocession des parcelles et, par acte authentique du 25 juillet 2019, a été réalisée la vente de deux des parcelles préemptées au profit de M. [Z]. La SAFER AURA a notifié sa décision de rétrocession à M. [O], candidat non retenu par acte du 20 août 2019.
La notification de la décision de rétrocession, adressée à M. [O], mentionne le motif suivant « Attribution, dans le cadre de l’article L143-2 du Code rural et de la pêche maritime, en vue de la protection durable des espaces agricoles et du développement de l’agriculture, d’une surface de 2 ha 56 a 17 ca à un agriculteur âgé de 54 ans, exploitant à titre individuel bovin viande ». La notification comporte également la référence des parcelles concernées, ainsi que leur prix de rétrocession.
Si cette notification vise effectivement l’article L. 143-2 du Code rural et de la pêche maritime, la notion de protection durable des espaces agricole n’est pas expressément visée par l’article précité, mais constitue l’un des premiers objectifs poursuivis par l’article L. 141-1, lequel définit les missions de la SAFER. Or la SAFER, dans sa décision de rétrocession, doit faire référence aux objectifs visés dans l’article L. 143-2 précité.
Ainsi, le seul motif tiré de la « protection durable des espaces agricoles », sans qu’il soit apporté plus de précision sur la nature de cette protection, ne peut être considéré comme une référence explicite à l’un des objectifs visés par l’article L. 143-2. De même, le fait que l’avis d’attribution mentionne le « développement de l’agriculture » est insuffisamment précis et ne permet pas d’identifier de manière univoque les objectifs légaux visés par la rétrocession. En effet, il n’est pas fait référence à la notion d’installation de l’exploitation, ni à l’enjeu économique d’une Jonction de son exploitation. Il n’est pas plus fait mention d’une situation particulière de l’exploitation, tel que son caractère familial, ou de la particularité des parcelles en cause, notamment au regard de leur emplacement ou de leur nature.
Les éléments de motivation concrets apportés par la SAFER, à savoir la mention selon laquelle le rétrocessionnaire est un exploitant âgé de 54 ans à titre individuel en bovins viande, ne sont pas de nature à apporter des explications sur les objectifs légaux poursuivis, lesquels ne sont pas clairement identifiables.
En outre, la seule mention de ces éléments précités sur l’exploitant bénéficiaire de la rétrocession ne permet pas d’apporter des explications concrètes sur les objectifs légaux poursuivis par la SAFER AURA, lesquels demeurent imprécis.
Dès lors, cette seule motivation ne permet pas de déterminer quel objectif légal était poursuivi par la SAFER AURA dans le choix du rétrocessionnaire. Ainsi, il y a lieu de considérer qu’au regard de son caractère imprécis, la motivation ne se suffisait pas en elle-même, en ce qu’elle ne permettait pas à M. [O] de vérifier la réalité des objectifs poursuivis au regard des exigences légales.
Il y a donc lieu, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens soulevés, de prononcer l’annulation de la décision de rétrocession prise par la SAFER AURA au profit de M. [Z] concernant les parcelles situées à [Localité 5], cadastrées [Cadastre 6] et [Cadastre 7].
Sur la demande d’opposabilité du bail à ferme invoqué par M. [O]
Il résulte des dispositions de l’article L. 411-1 du Code rural et de la pêche maritime que le bail à ferme consiste en la mise à disposition à titre onéreux d’un immeuble à usage agricole en vue de l’exploiter pour y exercer une activité agricole.
En l’espèce, l’acte signé le 1er juin 2017 entre [K] [B] et M. [O], fixe le fermage à la somme de 70 euros, payable en novembre de chaque année. La seule attestation émanant de [K] [B], datée du 12 novembre 2018 ne permet pas d’établir l’existence du paiement du fermage, d’autant que la somme évoquée de 300 euros ne correspond pas au montant du fermage déterminé en 2017. En outre, aucun autre élément ne vient soutenir l’existence de paiement ultérieurs.
Plus encore, l’acte authentique du 25 octobre 2018 régularisé par [K] [B] au profit de M. [O], s’agissant des caractéristiques de la propriété, mentionne que le bien vendu est « entièrement libre de location ou d’occupation ». Cet élément est postérieurement corroboré par le mail du notaire, en date du 24 avril 2019, selon lequel aucun fermage n’avait été porté à sa connaissance par [K] [B] ou M. [O] lors de sa notification à la SAFER de l’acte de vente.
Dès lors, l’existence d’un bail à ferme, au vu de l’absence de preuve s’agissant du paiement des fermages et de l’incertitude relative à l’exploitation effective du bien, n’est pas démontrée.
Dès lors, il y a lieu de rejeter la demande d’opposabilité formée par M. [O].
Sur la demande d’indemnisation de M. [O]
L’article 1240 du Code civil dispose que tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
La perte de chance constitue la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable. La chance perdue n’est pas simplement virtuelle ou hypothétique, mais réelle, la victime devant démontrer qu’elle avait une chance de voir se réaliser l’évènement favorable. Il doit en outre exister un lien de causalité directe entre la faute et la disparition.
En l’espèce, M. [O] fait valoir que l’illégalité de la décision a causé une perte de chance de consolider son exploitation, puisqu’il était le seul autre candidat à la rétrocession.
Or, en ce que l’illégalité de la décision et son annulation n’ont pas pour conséquence de substituer la candidature de M. [O] à celle de M. [Z] et mettent seulement la SAFER dans l’obligation d’ouvrir un nouveau processus de candidature pour procéder à la rétrocession et en ce que M. [O] ne justifie pas d’un empêchement quelconque de participer à nouveau à ce processus de candidature, il ne démontre pas la disparition d’une éventualité favorable.
Ainsi, même à considérer que M. [O] démontre l’existence de la disparition d’une éventualité favorable, à savoir la possibilité de consolider son exploitation par le biais de la rétrocession, c’est le choix de M. [Z] comme rétrocessionnaire qui en est la cause, et non la décision de rétrocession irrégulière.
En outre, le contrôle de la régularité de la rétrocession ne porte pas sur la question de son opportunité, mais sur celle de sa légalité et M. [O] ne démontre pas le caractère inopportun du choix de M. [Z] par la SAFER AURA.
Dès lors, la faute alléguée, à savoir la motivation lacunaire de la rétrocession de la SAFER, ne permettant pas à M. [O] de vérifier la réalité des objectifs poursuivis au regard des exigences légales, n’a pas privé le requérant de sa chance d’être sélectionné comme rétrocessionnaire en lieu et place de M. [Z].
En ce que M. [O] ne démontre ni l’existence de la disparition d’une éventualité favorable, ni l’existence d’un lien de causalité entre l’irrégularité de la rétrocession de la SAFER AURA et la perte de chance alléguée, sa demande de dommages et intérêt sera rejetée.
Sur les frais du procès
Sur les dépens
Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.
La SAFER AURA, qui succombe partiellement à l’instance, sera condamnée aux dépens.
Sur les demandes au titre des frais irrépétibles
Aux termes de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer (1°) à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations.
La SAFER AURA, condamnée aux dépens, devra payer à M. [O], au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens, une somme qu’il est équitable de fixer à 2 000 euros et sera déboutée de sa propre demande de ce chef.
En outre, la SAFER AURA, condamnée aux dépens, devra payer à Mme [V] Veuve [Y], au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens, une somme qu’il est équitable de fixer à 500 euros.
Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire, en premier ressort et par mise à disposition au greffe :
DECLARE recevable l’intervention de Mme [C] [V], veuve [Y], représentée par sa tutrice l’UDAF [Localité 13],
PRONONCE l’annulation de la décision de rétrocession intervenue entre la SA SAFER AUVERGNE RHONE ALPES et M. [Z], concernant les parcelles n° [Cadastre 6] et [Cadastre 7], situées sur la commune d’[Localité 5], et des décisions subséquentes,
DEBOUTE M. [P] [O] de sa demande d’opposabilité du bail à ferme invoqué, à la SA SAFER AUVERGNE RHONE ALPES ainsi qu’à [K] [B] et à sa succession
DEBOUTE M. [P] [O] de sa demande en dommages et intérêts,
CONDAMNE la SA SAFER AUVERGNE RHONE ALPES aux dépens de l’instance,
CONDAMNE la SA SAFER AUVERGNE RHONE ALPES à payer à M. [P] [O] une indemnité de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la SA SAFER AUVERGNE RHONE ALPES à payer à Mme [C] [V], veuve [Y], représentée par sa tutrice l’UDAF [Localité 13], une indemnité de 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Le Greffier Le Président