Accident de travail et prise en chargeM. [S] [K], employé de la SA [3], a subi un accident du travail le 10 janvier 2018, entraînant une réimplantation des 3ème et 4ème doigts de sa main droite. La CPAM des Bouches-du-Rhône a pris en charge cet accident au titre de la législation sur les risques professionnels, avec un certificat médical initial attestant de la gravité des blessures. Évaluation de l’incapacité permanente partielleUn certificat médical de prolongation, daté du 14 février 2018, a confirmé l’amputation des 3ème et 4ème doigts droits. La CPAM a fixé la date de consolidation au 31 mai 2019 et a attribué un taux d’incapacité permanente partielle (IPP) de 10 % à M. [K] pour des séquelles fonctionnelles notables. Ce taux a été notifié le 1er juillet 2019. Recours de la SA [3]Le 7 février 2020, la SA [3] a contesté la décision de la CPAM en saisissant le tribunal judiciaire de Marseille, suite à un rejet implicite de son recours. Le tribunal a ordonné une expertise médicale pour évaluer le taux d’IPP à la date de consolidation. Jugement du tribunalLe rapport d’expertise a été déposé le 12 juillet 2022. Par jugement du 8 décembre 2022, le tribunal a déclaré le recours de la SA [3] recevable, mais a maintenu le taux d’IPP à 10 %, considérant qu’il correspondait au barème indicatif d’invalidité, malgré une proposition d’un taux de 8 % par l’expert. Appel de la SA [3]La SA [3] a interjeté appel du jugement le 18 janvier 2023, demandant l’infirmation de la décision et la fixation du taux d’IPP à 8 %. Elle a également sollicité une nouvelle expertise médicale et le remboursement des frais d’expertise. Prétentions de l’intiméeL’intimée, M. [K], a demandé la confirmation du jugement et du taux d’IPP de 10 %. Elle a également sollicité une expertise médicale subsidiaire, tout en critiquant les arguments de la SA [3] comme étant non fondés. Motivation de la courLa cour a rappelé que le taux d’incapacité permanente est déterminé selon divers critères, y compris l’état de santé de la victime et les séquelles. Elle a souligné que le taux d’IPP doit être évalué à la date de consolidation et que les décisions de la CPAM ne s’imposent pas à l’employeur. Conclusion de la courLa cour a confirmé le jugement du tribunal, rejeté les demandes subsidiaires d’expertise, et a ordonné à la CNAM de rembourser la SA [3] pour les frais d’expertise. La SA [3] a été condamnée aux dépens. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Chambre 4-8a
ARRÊT AU FOND
DU 29 OCTOBRE 2024
N°2024/370
Rôle N° RG 23/01439 – N° Portalis DBVB-V-B7H-BKV5E
S.A. [3]
C/
CPAM 13
Copie exécutoire délivrée
le : 29 octobre 2024
à :
– Me Olivia COLMET DAAGE, avocat au barreau de PARIS
– CPAM 13
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Pole social du Tribunal Judiciaire de Marseille en date du 08 Décembre 2022,enregistré au répertoire général sous le n° 20/668.
APPELANTE
S.A. [3], demeurant [Adresse 2]
ayant Me Olivia COLMET DAAGE, avocat au barreau de PARIS, dispensée en application des dispositions de l’article 946 alinéa 2 du code de procédure civile d’être représentée à l’audience
INTIMEE
CPAM 13, demeurant [Localité 1]
représenté par Mme [D] [O] en vertu d’un pouvoir spécial
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 10 Septembre 2024, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Emmanuelle TRIOL, Présidente, chargée d’instruire l’affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame Emmanuelle TRIOL, Présidente
Madame Audrey BOITAUD DERIEUX, Conseiller
Monsieur Benjamin FAURE, Conseiller
Greffier lors des débats : Mme Séverine HOUSSARD.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 29 Octobre 2024.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 29 Octobre 2024
Signé par Mme Emmanuelle TRIOL, Présidente et Mme Séverine HOUSSARD, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
M. [S] [K], employé de la SA [3], a été victime d’un accident qui a été pris en charge par la CPAM des Bouches-du-Rhône au titre de la législation sur les risques professionnels, selon un certificat médical initial, du 10 janvier 2018, faisant état d’une ‘réimplantation section doigts 3 + 4 main droite’.
Un certificat médical de prolongation du 14 février 2018 a mentionné ‘amputation 3ème et 4ème doigts droits’.
La CPAM a notifié, le 20 mai 2019, à M. [K] une date de consolidation fixée au 31 mai 2019.
Suivant décision notifiée le 1er juillet 2019, la CPAM a fixé le taux d’incapacité permanente partielle (IPP) de [S] [K] à 10 % au titre de ‘séquelles à type de limitation de flexion des 3ème et 4ème doigts, diminution sévère de l’empaumement et de la force de préhension de la main droite et anesthésie des bouts des 3ème et 4ème doigts – gêne fonctionnelle notable’ .
Le 7 février 2020, la SA [3] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Marseille, suite à la décision implicite de rejet de son recours portant sur le taux d’IPP retenu de la commission de recours amiable de la CPAM.
Le tribunal a décidé, avant dire droit, d’ordonner une expertise médicale aux fins d’évaluation du taux d’IPP de M. [K] à la date de consolidation du 31 mai 2019.
Le rapport d’expertise a été déposé au greffe, le 12 juillet 2022, et notifié aux parties.
Par jugement contradictoire du 8 décembre 2022, le pôle social a :
– déclaré le recours de la société recevable,
– dit que le taux d’IPP opposable à la SA [3] et attribué à M. [S] [K] est maintenu à 10 % à la date de consolidation du 31 mai 2019,
– condamné la SA [3] aux dépens.
Le tribunal a, en effet, considéré, en dépit des conclusions de l’expertise proposant un taux d’IPP de 8 %, que le taux de 10 % correspond strictement au barème indicatif d’invalidité.
Par lettre recommandée avec avis de réception expédiée le 18 janvier 2023, la SA [3] a relevé appel du jugement qui lui a été notifié le 23 décembre 2022.
EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Dispensée de comparaître en vertu de l’article 946 du code de procédure civile, par conclusions dûment notifiées à la partie adverse, l’appelante demande à la cour d’infirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau, de :
– entériner le rapport d’expertise médicale,
– en conséquence, fixer le taux d’IPPqui lui est opposable à 8 %.
A titre subsidiaire, elle sollicite de la cour une nouvelle expertise médicale aux frais avancés de la CPAM remboursés par la CNAM ou aux frais de la CNAM.
En tout état de cause, elle demande le remboursement par la CPAM de la somme de 1 000 euros avancée au titre de la consignation des frais d’expertise et la condamnation de la caisse aux entiers dépens.
Au soutien de ses prétentions, l’appelante reprend les termes de l’expertise judiciaire en ce qu’elle a critiqué l’absence d’évaluation quantitative des séquelles de la part de la caisse et le fait qu’il n’est pas question d’une amputation complète. Elle soutient qu’il faut distinguer l’amputation de l’amputation-réimplantation, la seconde ne pouvant se référer au barème relatif aux amputations. Elle affirme enfin que la caisse n’a pas étudié la valeur fonctionnelle de la main.
Par conclusions visées à l’audience, dûment notifiées à la partie adverse et auxquelles elle s’est expressément référée, l’intimée demande à la cour de confirmer le jugement entrepris, en conséquence de confirmer le taux d’IPP de 10 % attribué à M. [K] et le déclarer opposable à l’appelante.
A titre subsidiaire, elle sollicite une expertise médicale.
L’intimée réplique que le barème indicatif évalue de la même façon la perte fonctionnelle de la phalange et la perte de la sensibilité de la pulpe digitale. Elle critique les conclusions de l’expert, estimées peu claires et contradictoires quant à l’amputation. Elle souligne que la société ne développe pas d’argument nouveau en cause d’appel.
Aux termes de l’article L. 434-2 du code de la sécurité sociale, le taux d’incapacité permanente est déterminé d’après la nature de l’infirmité, l’état général, l’âge, les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que d’après ses aptitudes et sa qualification professionnelle compte tenu du barème indicatif d’invalidité.
Il résulte des articles R.434-31 et R.434-32 du même code que la décision fixant le taux de l’incapacité est prise par la caisse primaire d’assurance maladie.
La détermination de l’importance respective des éléments d’appréciation visés à cet article relève du pouvoir souverain des juges du fond qui doivent se prononcer sur l’ensemble des éléments concourant à l’appréciation du taux d’IPP. Ils ne peuvent refuser de prendre en compte l’existence de séquelles au motif qu’aucune décision de la caisse ne reconnaît leur imputabilité à l’accident du travail ou à la maladie professionnelle.
Le taux d’incapacité permanente partielle doit s’apprécier à la date de la consolidation, soit le 31 mai 2019 en l’espèce, et les situations postérieures ne peuvent être prises en considération.
Il est en outre établi que le taux d’IPP tel que notifié par la CPAM au salarié victime de l’accident du travail ne s’impose pas à son employeur, la relation caisse/employeur et celle caisse/salarié étant indépendantes l’une de l’autre.
Le barème indicatif d’invalidité accident du travail prévoit, s’agissant de la main:
‘L’examen soigné et complet d’une main doit comporter d’abord un bilan des lésions anatomiques (amputation, atteinte motrice, atteinte sensitive, anesthésie, douleurs).
L’addition des invalidités partielles ne suffit pas à établir l’invalidité globale de la main.
Une correction doit être effectuée grâce à une étude dynamique fonctionnelle. En effet, la main n’est pas seulement un segment de membre, lui-même additionné de segments digitaux, mais un organe global unique, organe de la préhension et du tact.
Cette étude dynamique se fait par un bilan de la valeur des diverses prises : pinces, empaumement, crochet.
On se fondera, au départ, sur le bilan anatomique et on le modulera grâce à un bilan fonctionnel’.
Ce même barème indique, s’agissant de l’amputation des doigts:
‘Il ne faut pas perdre de vue que la phalange la plus importante est la phalange unguéale, support essentiel du sens du tact. Son amputation entraîne la perte de la moitié de la fonction du doigt. Pour le pouce, et l’index, cette amputation revêt une importance accrue. La première et la deuxième phalanges, simples supports, ont une importance beaucoup moindre.
On tiendra compte, pour l’évaluation de l’I.P.P., de l’état du moignon, de l’existence éventuelle de névromes, de la mobilité des articulations sus-jacentes.
Rappelons qu’en cas d’amputations multiples des doigts, il sera également tenu compte de la synergie sans que la somme des pourcentages puisse dépasser le taux d’I.P.P. prévu pour la perte de la main entière.
La perte de sensibilité de la pulpe digitale équivaut à la perte fonctionnelle de la phalange, et sera donc évaluée comme celle-ci’.
S’agissant des doigts de la main dominante concernés en l’espèce, le barème fixe en cas de perte totale ou partielle de segments de doigts
– Index ou Médius : Deux phalanges ou la phalange unguéale seule: 7 %,
– Annulaire :- Deux phalanges ou la phalange unguéale: 3 %’
Le débat que la cour doit trancher est de savoir s’il convient de fixer le taux d’IPP de M. [K] et opposable à la SA [3] à 8 ou à 10 %.
Le médecin conseil de la CPAM, suivi par le tribunal, a fixé le taux d’IPP à 10 % en mettant en exergue que la perte de la sensibilité de la pulpe digitale équivaut à la perte fonctionnelle de la phalange et est évaluée comme celle-ci.
L’expert judiciaire et le médecin conseil de l’employeur reprochent au médecin conseil de la caisse un examen incomplet des aptitudes de la main droite de M. [K] qui aurait permis une analyse plus fine de la valeur fonctionnelle de la main.
Certes, le médecin conseil de la CPAM n’a pas suivi les préconisations du barème sus rappelé par la quantification de chaque épreuve demandée au patient pour évaluer la valeur fonctionnelle de la main. Cependant, il ne peut lui être reproché un examen sommaire au regard de ses conclusions: ‘ pas de lésion unguéale, extension de la main droite normale, flexion des doigts incomplète empêchant une fermeture complète du poing droit, pince pulpo-pulpaire assurée et sans force de résistance, force de préhension de la main faible, empaumement impossible car n’utilise pas les 3ème et 4ème rayons, anesthésie totale des bouts des 3ème et 4ème doigts, gêne fonctionnelle notable’.
Au regard des séquelles incontestables mises en avant, et particulièrement l’anesthésie du bout des 3ème et 4ème doigts et l’impossibilité d’empaumement, les critiques faites par l’expert judiciaire, qui s’est contenté d’un examen des pièces médicales à la demande du tribunal, et le médecin conseil de l’employeur ne permettent pas à la cour de considérer que le taux fixé par la caisse, et validé par le tribunal, doit être minoré. De fait, la question de savoir s’il y a eu amputation ou simple section des doigts, ou si la réimplantation empêche d’appliquer le barème en matière d’amputation, est secondaire et le débat doit être recentré sur les séquelles existantes. Il sera, de plus, souligné que le barème visé n’est qu’indicatif.
Comme rappelé plus haut, la fixation du taux d’incapacité est fonction de différents facteurs et non l’application sèche d’un barème. M. [K], né en 1969, employé en qualité de conducteur de machines et d’installations fixes, subit des séquelles importantes de l’accident du travail survenu le 10 janvier 2018 qui atteignent sa main dominante et peuvent se résumer en la perte de la sensibilité des phalanges unguéales du majeur et de l’annulaire, une flexion incomplète de ces doigts, une force de préhension faible et un empaumement presque impossible.
L’ensemble de ces éléments permettent à la cour de confirmer le jugement entrepris.
Les demandes subsidiaires d’expertise sont rejetées, les données médicales n’étant pas sérieusement
discutées et la juridiction ayant pu se forger une conviction à la lecture attentive de l’ensemble des avis des différents médecins consultés.
Les frais d’expertise médicales restant à la charge de la CNAM, la cour fait droit à la demande de
remboursement de la société de la somme de 1 000 euros, mise à sa charge dans le jugement avant
dire droit du 19 janvier 2022 et condamne la CNAM à son paiement.
La SA [3] est condamnée aux dépens.
La cour
Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour
Y ajoutant
Déboute les parties de leurs demandes subsidiaires d’expertise,
Dit que la CNAM remboursera à la SA [3] la somme de 1 000 euros, versée à titre de consignation conformément aux dispositions du jugement avant dire droit du 19 janvier 2022,
Condamne la SA [3] aux dépens
La greffière La présidente