Le 31 mars 2017, M. [C] a signé un contrat de maîtrise d’œuvre avec M. [W] et la société Rhône Alpes Concept pour la construction d’une villa, avec des honoraires de 42 000 euros TTC et un budget prévisionnel de 450 000 euros TTC, basé sur des plans du cabinet Arthur Architecture. La réception des travaux a eu lieu le 7 décembre 2018 avec réserves. Le 21 avril 2020, M. [C] a assigné M. [W] et la société en justice pour un montant de 412 144,82 euros. Une expertise a été ordonnée, et le 8 février 2024, le tribunal a condamné M. [W] et la société à verser à M. [C] un total de 388 644,42 euros pour divers dépassements et travaux de reprise. M. [W] et la société ont fait appel du jugement le 19 mars 2024 et ont demandé l’arrêt de l’exécution provisoire, arguant que M. [C] avait signé des devis pour un montant supérieur et avait engagé des travaux supplémentaires sans leur implication. Ils ont également souligné des difficultés financières récentes. M. [C] a contesté la demande, affirmant qu’elle était irrecevable et que les fautes de M. [W] et de la société étaient établies, notamment un dépassement de budget de 80 %.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
N° Minute :
Copies délivrées le
délivrée le
à
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
C O U R D ‘ A P P E L D E G R E N O B L E
JURIDICTION DU PREMIER PRESIDENT
ORDONNANCE DE REFERE DU 18 SEPTEMBRE 2024
ENTRE :
DEMANDEURS suivant assignation du 19 juin 2024
Monsieur [V] [W]
né le 03 juin 1987 à [Localité 5]
de nationalité française
[Adresse 1]
[Localité 6]
représenté par Me Marie CROZIER de la SELARL FORTEM AVOCATS, avocat au barreau de LYON
S.A.R.L. RHONE ALPES CONCEPT immatriculée au RCS de Vienne sous le n° 819 068 842, représentée par son gérant en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 5]
représentée par Me Marie CROZIER de la SELARL FORTEM AVOCATS, avocat au barreau de LYON
ET :
DEFENDEUR
Monsieur [E] [C]
né le 16 janvier 1981 à [Localité 5]
de nationalité française
[Adresse 4]
[Localité 2]
représenté par Me Anna BORCHTCH, avocat au barreau de LYON
DEBATS : A l’audience publique du 24 juillet 2024 tenue par Marie-Pierre FIGUET, présidente de chambre déléguée par le premier président de la cour d’appel de Grenoble par ordonnance du 6 juin 2024, assistée de Marie-Ange BARTHALAY, greffier
ORDONNANCE : contradictoire
prononcée publiquement le 18 SEPTEMBRE 2024 par mise à disposition de l’ordonnance au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile
signée par Marie-Pierre FIGUET, présidente de chambre déléguée par le premier président, et par Marie-Ange BARTHALAY, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La réception a été prononcée avec réserves le 7 décembre 2018.
Par acte du 21 avril 2020, M. [C] a assigné M. [W] et la société Rhône Alpes Concept devant le tribunal judiciaire de Bourgoin-Jallieu en paiement de la somme de 412 144,82 euros.
Par ordonnance du 25 mai 2021, le juge de la mise en état a confié une expertise à M. [P].
Suite au dépôt du rapport le 16 novembre 2022, le tribunal judiciaire de Bourgoin-Jallieu a, par jugement du 8 février 2024, dit n’y avoir lieu à mettre hors de cause M. [W] et condamné in solidum M. [W] et la société Rhône Alpes Concept à payer à M. [C] :
– 355 646,42 euros au titre du dépassement du budget prévisionnel de travaux ;
– 7488 euros TTC au titre des travaux de reprise des désordres réservés à la réception ;
– 25 410 euros au titre des travaux de reprise du muret de clôture nord-ouest ;
– 3500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration du 19 mars 2024, M. [W] et la société Rhône Alpes Concept ont relevé appel du jugement.
Par acte du 19 juin 2024, ils ont assigné en référé devant le premier président de la cour d’appel de Grenoble M. [C], aux fins de voir arrêter l’exécution provisoire du jugement déféré et en paiement de 1500 euros au titre des frais visés à l’article 700 du code de procédure civile, faisant valoir à l’audience que :
– M. [C] a signé des devis de travaux pour un montant de 592 389,63 euros, soit avec la maîtrise d’oeuvre, un budget initial de 634 389,63 euros ;
– il a ensuite fait effectuer des travaux supplémentaires (agrandissement de la maison, modification des façades, du local piscine, climatisation, deuxième cuisine, aménagement des combles, isolation du garage, plancher chauffant) ;
– c’est M. [C] qui a contracté directement avec les entreprises ;
– il a contracté non avec M. [W] pris personnellement mais avec la société Rhône Alpes Concept ;
– le surcoût des travaux ne peut être imputé au maître d’oeuvre ;
– ils justifient ainsi de moyens sérieux de réformation ;
– si aucune observation n’a été faite quant à l’exécution provisoire devant le premier juge, des éléments postérieurs font que l’exécution de la décision présente un risque de conséquences manifestement excessives ;
– depuis cette date, les revenus de M. [W] ont fortement baissé, son épouse a perdu son emploi, et la société Rhône Alpes Concept présente des pertes.
A titre subsidiaire, ils demandent qu’une garantie soit donnée par M. [C].
Dans ses conclusions responsives, soutenues oralement à l’audience, M. [C], pour conclure à l’irrecevabilité de la demande, à titre subsidiaire, à son rejet, et enfin à la consignation des sommes dues sur le compte Carpa de son conseil, et réclamer reconventionnellement 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, réplique que :
– la demande est irrecevable comme faisant état de conséquences manifestement excessives apparues antérieurement à la décision déférée ;
– M. [W] a contracté à titre personnel aux côtés de la société Rhône Alpes Concept ;
– leurs fautes sont établies, à savoir un dépassement du budget annoncé de 80 % ;
– M. [W] n’a ni suivi le chantier ni justifié d’une assurance décennale ;
– le couple [W] est propriétaire d’un bien immobilier, et Mme [W] dirige la société North Star, marchand de biens ;
– l’exécution de la décision ne présente pas de conséquences manifestement excessives.
Aux termes de l’article 514-3 du code de procédure civile, ‘en cas d’appel, le premier président peut être saisi afin d’arrêter l’exécution provisoire de la décision lorsqu’il existe un moyen sérieux d’annulation ou de réformation et que l’exécution risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives. La demande de la partie qui a comparu en première instance sans faire valoir d’observations sur l’exécution provisoire n’est recevable que si, outre l’existence d’un moyen sérieux d’annulation ou de réformation, l’exécution provisoire risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives qui se sont révélées postérieurement à la décision de première instance’.
Sur l’existence de moyens sérieux de réformation
* la responsabilité personnelle de M. [W]
Le contrat de maîtrise d’oeuvre a été signé par M. [W] ‘contractant sous l’entreprise Rhône Alpes Concept’.
Au vu de l’extrait du registre du commerce et des sociétés Kbis versé aux débats, il s’agit d’une société à responsabilité limitée à associé unique, avec pour gérant M. [W].
Par ailleurs :
– l’ensemble des factures d’honoraires (13/04, 29/06, 30/11, 23/12/2017, 28/02, 31/05 et 25/09/2018) ont été établies à l’en-tête de la société Rhône Alpes Concept ;
– les comptes-rendus de chantier n° 1 et n° 3 portent la même mention en cartouche ;
– le constat de pré-réception et de réserves du 07 novembre 2018 a été aussi dressé au nom de la société.
Il apparaît ainsi que M. [C] a contracté, non avec M. [W] pris personnellement, mais ès qualités de représentant de la société Rhône Alpes Concept. Dès lors, le fait que le tribunal a retenu la responsabilité personnelle de M. [W] et l’a condamné à ce titre au paiement de sommes constitue un premier moyen sérieux de réformation.
* la responsabilité de la société Rhône Alpes Concept
En l’espèce :
– le contrat indique : ‘nota 3 : budget annoncé par le maître d’ouvrage pour l’ensemble de l’opération : 450.000 euros TTC’, sans pour autant que le maître d’oeuvre se soit engagé sur ce prix ;
– la mission conférée à la société Rhône Alpes Concept est une maîtrise d’oeuvre classique : plans d’exécution, assistance pour la passation des marchés, direction du chantier, comptabilité, réception de l’ouvrage, surveillance de la levée des réserves ;
– c’est M. [C] qui a signé l’ensemble des marchés de travaux et qui est donc le contractant des différents locateurs d’ouvrage.
La société Rhône Alpes Concept n’a ainsi agi qu’en seule qualité de maître d’oeuvre. Mais, pour rendre responsable le maître d’oeuvre du surcoût du prix de la construction, le premier juge s’est borné à calculer la différence entre le prix final et le budget initial et à l’imputer au maître d’oeuvre. En celà, il a considéré tacitement qu’on était en présence du contrat de promotion immobilière de l’article 1831-1 du code civil, qui s’analyse en un mandat d’intérêt commun où le promoteur s’oblige envers le maître d’ouvrage à construire un édifice pour un prix convenu au moyen de contrats de louage d’ouvrage.
Or :
– le budget indiqué par le client n’était qu’indicatif et le contrat est muet sur les sanctions en cas de dépassement ;
– en signant les marchés, M. [C] était nécessairement conscient de l’évolution du coût de la construction, et en en réglant le montant, il a donné son accord ;
– il n’a pas résilié pour autant le contrat de maîtrise d’oeuvre ;
– un maître d’oeuvre n’est débiteur que d’une obligation de moyens contrairement aux entreprises ; dès lors, pour que lui soit imputée la responsabilité du surcoût de la construction, doit être démontrée l’existence d’erreurs ou de manquements commis par le technicien, ayant eu une influence sur le maître d’ouvrage. Néanmoins, le jugement déféré ne comporte aucune motivation de nature à caractériser une faute de la société Rhône Alpes Concept.
Par ailleurs, la levée des réserves n’incombe pas au maître d’oeuvre, mais aux entreprises, seules débitrices de la garantie de parfait achèvement.
Enfin, il n’est pas indiqué dans le jugement en quoi les fissures d’un muret affectent la solidité de l’ouvrage ou le rendent impropre à sa destination, critères de la garantie décennale.
La société Rhône Alpes Concept justifie elle aussi de moyens sérieux de réformation.
Sur le risque de conséquences manifestement excessives
Les requérants n’ont formé aucune observation quant à l’exécution provisoire devant le premier juge. Ils ne peuvent donc faire état que d’éléments postérieurs à l’ordonnance de clôture du 6 novembre 2023, puisque après cette date, il n’était plus possible pour les parties de conclure.
A cette date :
– le chiffre d’affaires 2023 n’était pas encore connu, mais son évolution ne pouvait être ignorée de son gérant ; il a atteint à la fin de l’exercice 134 968 euros pour 114 738 euros en 2022 ;
– le résultat d’exploitation est resté négatif (passant de – 67 302 euros en 2022 à
– 16 423 euros en 2023) ;
– le résultat fiscal est passé de 16 423 euros en 2022 à 314 euros en 2023 ;
– Mme [W] avait été licenciée le 22 décembre 2022 par la société Cuisine Plus France ;
– les époux [W] avaient contracté un emprunt immobilier avec des échéances mensuelles de 1 996 euros pour l’acquisition de leur villa de [Localité 6] à compter de mars 2022 ;
– la société North Star a été créée le 16 novembre 2022.
Mais depuis :
– la situation du secteur de la construction s’est dégradée en France ; ainsi, le chiffre d’affaires de la société Rhône Alpes Concept a subi une baisse de 20 % au cours du 1er semestre 2024 ;
– la rémunération annuelle de M. [W] a été ramenée de 30 000 à 24 000 euros ;
– la salariée de l’entreprise a été licenciée le 7 février 2024 ;
– la société North Star n’a pas eu d’activité depuis sa création.
Dès lors, la situation économique et financière de M. [W] et de la société Rhône Alpes Concept s’est notablement aggravée depuis l’ordonnance de clôture, rendant impossible le paiement du montant des condamnations.
Les requérants justifient ainsi d’un risque sérieux de conséquences manifestement excessives en cas d’exécution de la décision entreprise.
Les conditions fixées par le texte sus-rappelé étant réunies, l’arrêt de l’exécution provisoire sera ordonné.
Enfin, au stade de la procédure de référé, il n’y a pas lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile.
Nous, Marie-Pierre Figuet, présidente de chambre déléguée par le premier président, statuant en référé, publiquement, par ordonnance contradictoire, mise à disposition au greffe :
Ordonnons l’arrêt de l’exécution provisoire attachée au jugement du tribunal judiciaire de Bourgoin-Jallieu du 8 février 2024 ;
Disons n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamnons M. [C] aux dépens.
Le greffier La présidente de chambre déléguée
M.A. BARTHALAY M.P. FIGUET