Contexte de l’affairePar un arrêt rendu le 19 mai 2021, la cour d’appel de Versailles a condamné la société Renault à verser diverses sommes à M. [F] en raison d’une discrimination syndicale. Cet arrêt a été signifié le 26 janvier 2024. Saisie attributionLe 6 février 2024, M. [F] a effectué une saisie attribution sur le compte de Renault à la BNP Paribas pour un montant total de 7 117,02 euros, en exécution de l’arrêt de la cour d’appel. Cette saisie a été dénoncée le 12 février 2024. Assignation de RenaultLe 12 mars 2024, la société Renault a assigné M. [F] devant le juge de l’exécution de Nanterre, demandant la mainlevée de la saisie attribution et d’autres mesures, y compris le remboursement des frais d’huissiers. Arguments de M. [F]En réponse, M. [F] a demandé la déclaration d’irrecevabilité de la contestation de Renault, ainsi que des dommages-intérêts pour préjudice moral, tout en sollicitant le rejet des demandes de Renault. Recevabilité de la contestationLe juge a examiné la recevabilité de la contestation de Renault, notant que des erreurs matérielles dans l’assignation n’affectaient pas la validité de l’acte. Ainsi, la société Renault a été jugée recevable dans sa contestation. Demande de mainlevéeConcernant la demande de mainlevée de la saisie, Renault a soutenu avoir respecté les obligations de l’arrêt de la cour d’appel. M. [F] a contesté cette affirmation, arguant que les sommes allouées étaient de nature indemnitaire et ne devaient pas être soumises à cotisations sociales. Analyse des indemnitésLe juge a déterminé que certaines indemnités, notamment celles liées aux rappels de salaires, étaient soumises à cotisations sociales, tandis que d’autres, comme celles pour perte de droits, ne l’étaient pas. En conséquence, la demande de Renault pour la mainlevée totale de la saisie a été rejetée. Cantonnement de la saisie-attributionLe juge a décidé de cantonner la saisie-attribution à la somme de 4 280,75 euros, après avoir recalculé les montants dus en tenant compte des cotisations sociales et des prélèvements. Demande de dommages et intérêtsM. [F] a également demandé des dommages-intérêts pour l’exécution fautive de l’arrêt. Cependant, le juge a estimé que la contestation de Renault ne constituait pas un abus de droit, et M. [F] a été débouté de sa demande. Décision finaleLe juge a déclaré Renault recevable dans son action, a cantonné la saisie-attribution, a débouté les parties du surplus de leurs demandes, et a condamné Renault à verser 2 500 euros à M. [F] au titre des frais irrépétibles, ainsi qu’aux dépens. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
AFFAIRE : La société RENAULT SAS / [T] [F]
Minute n°
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE NANTERRE
LE JUGE DE L’EXECUTION
JUGEMENT DU 05 NOVEMBRE 2024
COMPOSITION DU TRIBUNAL
PRESIDENT : Cécile CROCHET
GREFFIER : Marie-Christine YATIM
DEMANDERESSE
La société RENAULT SAS
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Maître Christophe PLAGNIOL de la SELAFA CMS FRANCIS LEFEBVRE AVOCATS, avocats au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 1701
DEFENDEUR
Monsieur [T] [F]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représenté par Maître Bertrand REPOLT de l’AARPI BOURDON & ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : R143
Le Tribunal après avoir entendu les parties et/ou leurs avocats en leurs conclusions à l’audience du 01 Octobre 2024 a mis l’affaire en délibéré et indiqué que le jugement serait rendu le 05 Novembre 2024, par mise à disposition au Greffe.
Par arrêt contradictoire du 19 mai 2021, signifié le 26 janvier 2024, la cour d’appel de Versailles a condamné la société Renault à payer à M. [F] diverses sommes au titre de la discrimination syndicale jugée établie.
Par acte d’huissier du 6 février 2024, dénoncé le 12 février 2024, M. [F] a fait pratiquer une saisie attribution sur le compte de la société Renault dans les livres de la Bnp Paribas pour paiement de la somme totale de 7 117,02 en exécution dudit arrêt.
Par acte d’huissier du 12 mars 2024, la société Renault a assigné M. [F] devant le juge de l’exécution de Nanterre.
L’affaire a été appelée et plaidée à l’audience du 1er octobre 2024.
La société Renault demande au juge de :
– ordonner la mainlevée de la saisie attribution,
– mettre à la charge de M. [F] les frais d’huissiers y afférents,
– cantonner subsidiairement la saisie attribution à de plus justes proportions,
– condamner en tout état de cause M. [F] à lui verser la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
En défense, M. [F], sollicite de :
– déclarer la société Renault irrecevable en sa contestation et en toutes ses demandes formées par l’assignation en date du 12 mars 2024,
– condamner la société Renault à lui payer la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral résultant de l’exécution fautive de l’arrêt de la cour d’appel de Paris en date du 19 mai 2021,
– débouter la société Renault de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
– condamner la société Renault à lui payer la somme de 4 200 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la société Renault aux entiers dépens, en ce compris les frais de saisie-attribution.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, il convient de se reporter aux conclusions des parties visées à l’audience.
Sur la recevabilité de la contestation
Aux termes de l’article R.211-11 du code des procédures civiles d’exécution, à peine d’irrecevabilité, la contestation est formée dans le délai d’un mois à compter de la dénonciation de la saisie-attribution au débiteur. Sous la même sanction, elle est dénoncée le même jour ou, au plus tard, le premier jour ouvrable suivant, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, au commissaire de justice qui a procédé à la saisie.
En l’espèce, la société Renault a saisi le juge de l’exécution par assignation du 12 mars 2024 et a procédé à sa dénonciation au commissaire de justice poursuivant selon les formalités requises.
M. [F] soutient que la contestation de la société Renault est irrecevable du fait des erreurs figurant au dispositif de l’assignation délivrée le 12 mars 2024. Il allègue par ailleurs de l’impossibilité de régulariser lesdites mentions erronées par voie de conclusions postérieurement au délai d’un mois.
La société Renault s’y oppose faisant valoir qu’il s’agit d’erreurs de plume sans incidence sur la validité de l’acte et régularisées aux termes de conclusions rectifiées.
Il résulte de l’assignation du 12 mars 2024 que le dispositif comporte en effet des mentions erronées relatives à la date de la saisie pratiquée (3 novembre 2021), au tiers saisi (Natixis et Bnp Paribas) et au prénom du défendeur ([E]).
Néanmoins, il y a lieu de considérer ces mentions comme des erreurs purement matérielles, l’assignation comportant au titre de l’objet de la demande, la contestation sans équivoque de la saisie attribution pratiquée dans les livres de la Bnp Paribas le 6 février 2024 et dénoncée le 12 février 2024.
Par ailleurs, aucune erreur dans la désignation du destinataire ne figure à l’exploit introductif d’instance de sorte que M. [F], régulièrement constitué suite à cette assignation, est mal fondé à invoquer une quelconque irrégularité formelle quant à sa personne
.
Il s’ensuit que le moyen tiré de l’impossibilité de régulariser les mentions erronées postérieurement à l’expiration du délai d’un mois est inopérant, la nullité de l’acte introductif d’instance n’étant par ailleurs pas soulevée.
La société Renault est donc recevable en sa contestation.
Sur la demande de mainlevée de la saisie-attribution
Conformément aux dispositions du premier alinéa de l’article L. 242-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable à la date d’exigibilité des cotisations litigieuses, les sommes versées au salarié lors de la rupture du contrat de travail autres que les indemnités mentionnées au deuxième alinéa, sont comprises dans l’assiette de cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales, à moins que la preuve ne soit rapportée qu’elles concourent, pour tout ou partie de leur montant, à l’indemnisation d’un préjudice (Cass. 2e civ. 15 mars 2018 n°17-11.336 ; Cass. 2e civ. 15 mars 2018 n°17-10.325 ; Cass. 2e civ. 22 octobre 2020, n°19-21.932 ; ).
Si l’article L1134-5 alinéa 3 du code du travail prévoit effectivement que les dommages et intérêts réparent l’entier préjudice résultant de la discrimination, pendant toute sa durée, il y a lieu de rechercher si les montants alloués l’ont été globalement ou concourent, en totalité, ou partiellement, à l’indemnisation d’un préjudice afin de déterminer leur assujettissement éventuel à des cotisations sociales.
Aux termes de l’article R.121-1 alinéa 2 du code des procédures civiles d’exécution, le juge de l’exécution ne peut ni modifier le dispositif de la décision de justice qui sert de fondement aux poursuites, ni en suspendre l’exécution.
Il en résulte que s’il appartient au juge de l’exécution d’interpréter une décision de justice lorsqu’une question se pose de façon incidente à l’occasion d’une difficulté d’exécution, notamment celle de déterminer si des condamnations prononcées devaient être considérées comme des sommes brutes ou nettes (Cass. 2e Civ., 7 juin 2006, n°04-18.445). Lorsque la décision ne s’est pas prononcée sur l’imputation des cotisations sociales, les condamnations doivent être considérées comme portant sur des sommes brutes et l’employeur doit procéder au précompte des sommes dues par le salarié (Cass. Soc., 3 juillet 2019, n°18-12.149, Cass. Soc., 3 juillet 2019, 18-14.074).
Au soutien de sa demande de mainlevée de la saisie attribution, la société Renault prétend avoir acquitté l’ensemble des causes de l’arrêt de la cour d’appel de Versailles du 19 mai 2021. Elle fait valoir que l’indemnité allouée en réparation du préjudice matériel, de nature salariale, revêt un caractère brut de sorte qu’elle a régulièrement procédé au précompte des sommes dues par le salarié sur la condamnation prononcée.
M. [F] prétend quant à lui que les dommages et intérêts litigieux, alloués en réparation de son préjudice subie du fait de la discrimination établie, présentent une nature indemnitaire excluant toutes cotisations sociales.
En l’espèce, l’arrêt de la cour d’appel de Versailles du 19 mai 2021, qui a jugé la discrimination syndicale établie, n’a pas alloué d’indemnité globale mais a condamné la société Renault au paiement de diverses sommes, ventilées par postes de préjudices. Plus particulièrement, l’indemnisation au titre du préjudice matériel chiffré à 17 628,10 euros était décomposé :
“Il lui sera donc alloué à titre de rappel de salaires la somme de 10 590,11 euros outre au titre dela perte des droits à la retraite la somme de 3 177 euros, soit un montant total de 13 767,10 euros. La perte des droits qui en est résulté sur son indemnité de départ volontaire sera réparé par l’allocation d’une somme de 3 861 euros”.
Il s’ensuit que l’indemnité litigieuse comprend de manière certaine et incontestable les sommes de 10 590,11 euros à titre de rappel de salaires et 3 961 euros au titre de la perte des droits sur son indemnité de départ, lesquelles constituent des éléments de rémunération susceptibles d’être soumis à cotisations sociales.
Aucune mention de l’arrêt rendu le 19 mai 2021 par la cour d’appel de Versailles ne permet d’établir que les sommes étaient allouées nettes de cotisations sociales, le rappel de salaires ayant été établi par comparaison des coefficients sans précision du caractère net ou brut des rémunérations.
Dès lors, la somme de 10 590,11 euros allouée à titre de rappel de salaires s’entend brute et soumise à cotisations sociales. C’est donc à juste titre que la société Renault a procédé au précomptes des sommes dues par le salarié sur cette somme.
En revanche, la somme de 3 861 euros octroyée au titre de la perte de droits afférant à l’indemnité de départ volontaire, inférieur au double du montant du plafond annuel de la sécurité sociale fixé en 2021 à 41 136 euros, est exclue de l’assiette des cotisations sociales. L’indemnité de 3 177 euros allouée au titre de la perte des droits à la retraite, destinée à réparer un préjudice de perte de chance, ne constitue pas un élément de rémunération soumis à cotisations sociales.
C’est donc à juste titre que M. [F] soutient que la société Renault était infondée à procéder au précompte des sommes dues par le salarié sur l’intégralité de la condamnation prononcée au titre du préjudice matériel.
La société Renault sera par conséquent déboutée de sa demande de mainlevée totale de la saisie attribution et aux fins de condamnation de M. [F] au paiement des frais d’huissier y afférents.
Sur la demande de cantonnement de la saisie-attribution
Il résulte des dispositions de l’article 1231-7 du code civil, qu’en toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l’absence de demande ou de disposition spéciale du jugement. Sauf disposition contraire de la loi, ces intérêts courent à compter du prononcé du jugement à moins que le juge n’en décide autrement.
En cas de confirmation pure et simple par le juge d’appel d’une décision allouant une indemnité en réparation d’un dommage, celle-ci porte de plein droit intérêt au taux légal à compter du jugement de première instance. Dans les autres cas, l’indemnité allouée en appel porte intérêt à compter de la décision d’appel. Le juge d’appel peut toujours déroger aux dispositions du présent alinéa.
L’employeur devant procéder, sur les condamnations prononcées, au précompte des sommes dues par le salarié au titre des contributions et cotisations sociales et au prélèvement à la source des impôts sur le revenu dus par celui-ci, les intérêts au taux légal ne peuvent courir que sur le montant des condamnations que l’employeur doit effectivement payer au salarié, soit le montant des condamnations après déduction des contributions et cotisations sociales et du prélèvement effectué au titre de la retenue à la source de l’impôt sur le revenu.
Au regard de l’ensemble de ce qui précède, il y a lieu de cantonner la saisie-attribution du 6 février 2024 dénoncée le 12 février 2024 à la somme de 4 280,75 euros.
Restant dû : condamnation – précompte recalculé – prélèvement à la source – paiement
= 28 128,10 – (1 750,51*10 590,11 / 17 628,10) – 5 405,35 – 18 472,24
= 3 198,89 euros
Période Base Jours Taux Int. période Int. cumulés
19/05/2021-30/06/2021 21671.13 43 3.14 80.17 80.17
01/07/2021-05/08/2021 21671.13 36 3.12 66.69 146.86
06/08/2021-31/12/2021 3198.89 148 3.12 40.47 40.47
01/01/2022-30/06/2022 3198.89 181 3.13 49.65 90.12
01/07/2022-31/12/2022 3198.89 184 3.15 50.8 140.92
01/01/2023-30/06/2023 3198.89 181 4.47 70.91 211.83
01/07/2023-31/12/2023 3198.89 184 6.82 109.98 321.81
01/01/2024-06/02/2024 3198.89 37 8.01 25.97 347.78
Montant des intérêts 494.64
Frais 587,22 euros (incluant frais de procédure, dénonciation, mainlevée, coût provisoire et prestationde recouvrement à l’exclusion du certificat de non contestation et sa signification)
Sur la demande de dommages et intérêts pour inexécution fautive de l’arrêt
A titre reconventionnel, M. [F] sollicite la condamnation de la société Renault à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait de l’exécution fautive de l’arrêt du 19 mai 2021 de la cour d’appel de Versailles.
Il fait valoir que d’autres salariés bénéficiant de décisions similaires ont reçu le règlement deleurs indemnités sans retenues si bien qu’en procédant à un précompte à son égard, en refusant d’acquiescer à la saisie-attribution pratiquée et en saisissant le juge de l’exécution d’une contestation, la société Renault a commis une faute lui causant un préjudice moral qu’il y a lieu de réparer.
Cette demande, fondée sur les dispositions de l’article L213-6 du code de l’organisation judiciaire s’analyse en une demande de dommages et intérêts pour résistance abusive.
Selon les dispositions de l’article L.121-3 du code des procédures civiles d’exécution, le juge de l’exécution a le pouvoir de condamner le débiteur à des dommages-intérêts en cas de résistance abusive.
En vertu des dispositions de l’article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer.
L’exercice d’une action en justice constitue en principe un droit qui ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d’erreur grossière équipollente au dol. La condamnation à des dommages et intérêts pour procédure abusive suppose que soit caractérisée la faute de la partie demanderesse faisant dégénérer en abus l’exercice du droit d’ester en justice.
En l’espèce, les prétentions de la société Renault ayant été partiellement accueillies, sa contestation ne constitue pas un abus de son droit d’ester en justice.
Le moyen tiré d’une exécution discriminatoire au regard de décisions distinctes, est par ailleurs inopérant.
M. [F] sera en conséquence débouté de sa demande à ce titre.
Sur les demandes accessoires
La société Renault succombant partiellement, elle sera condamnée au dépens.
L’équité commande condamner la société Renault à payer à M. [F] la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Le juge de l’exécution, statuant par jugement contradictoire rendu en premier ressort,
DÉCLARE la société Renault recevable en son action ;
CANTONNE les effets de la saisie-attribution pratiquée le 6 février 2024 à la somme de 4.280,75 euros ;
DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes ;
CONDAMNE la société Renault à payer à M. [F] la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles ;
CONDAMNE la société Renault aux dépens.
Ainsi jugé et ont signé
Le Greffier Le Juge de l’Exécution