Contexte de l’affaireMonsieur [E] [S], employé de la société [5], a signalé le 22 mars 2021 une rupture de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite à la Caisse primaire d’assurance maladie des Yvelines (CPAM). Un certificat médical du docteur [J] a été joint à sa déclaration. Cette affection a été reconnue comme maladie professionnelle, et la CPAM a fixé la date de consolidation au 15 juin 2022, attribuant un taux d’incapacité permanente partielle (IPP) de 12%. Contestation de la décisionLe 3 août 2022, la société [5] a contesté la décision de la CPAM en saisissant la Commission médicale de recours amiable (CMRA). Par la suite, le 27 janvier 2023, la société a formé un recours devant le tribunal judiciaire de Versailles suite à un rejet implicite de la CMRA. Le 7 avril 2023, la CMRA a maintenu le taux d’IPP à 12%. Expertise médicaleLe juge a ordonné une consultation médicale sur pièces, confiée à l’expert Mme [P] [I], pour évaluer le taux d’IPP à la date de consolidation. Dans son rapport du 1er mai 2024, l’expert a confirmé le taux de 12%. Lors de l’audience du 3 septembre 2024, la société [5] a demandé une réduction du taux à 8% et a contesté le rapport d’expertise. Arguments des partiesLa société [5] a soutenu que l’état antérieur de l’assuré, mentionné dans sa déclaration, justifiait une réduction du taux d’IPP. Elle a également contesté la compétence de l’expert, arguant que le taux de 12% était surévalué. De son côté, la CPAM a défendu le maintien du taux de 12%, rejetant l’existence d’un état antérieur et soutenant que les limitations de mouvement justifiaient ce taux. Décision du tribunalLe tribunal a confirmé le taux d’IPP de 12% fixé par la CPAM, rejetant la demande de la société [5] de le ramener à 8%. Il a également décidé qu’aucune nouvelle expertise n’était nécessaire, considérant que tous les éléments étaient disponibles pour statuer. La société [5] a été condamnée aux dépens et déboutée de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. ConclusionLe tribunal a statué que tout appel de cette décision devait être interjeté dans le mois suivant la notification de la décision. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Copies certifiées conformes délivrées,
le :
à :
– S.A.S. [5]
– CPAM DES YVELINES
– Me Adrien ROUX DIT BUISSON
N° de minute :
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES
POLE SOCIAL
CONTENTIEUX MEDICAL DE LA SECURITE SOCIALE
JUGEMENT RENDU LE MARDI 05 NOVEMBRE 2024
N° RG 23/00126 – N° Portalis DB22-W-B7H-RD3J
Code NAC : 89E
DEMANDEUR :
S.A.S. [5]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Adrien ROUX DIT BUISSON, avocat au barreau de LYON,
substitué par MaîtreAntony VANHAECKE, avocat au barreau de LYON
DÉFENDEUR :
CPAM DES YVELINES
Département juridique
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Madame [D] [W], suivant pouvoir régulier
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Madame Marie-Sophie CARRIERE, Vice-présidente
Madame Marion MORVAN, Représentant des employeurs et des travailleurs indépendants
M. [L] [Y], Représentant des salariés
Madame Marie-Bernadette MELOT, Greffière
DEBATS : A l’audience publique tenue le 03 Septembre 2024, l’affaire a été mise en délibéré au 05 Novembre 2024.
Monsieur [E] [S], salarié de la société [5], a déclaré le 22 mars 2021 auprès de la Caisse primaire d’assurance maladie des Yvelines (ci-après CPAM ou Caisse) être atteint d’une affection, à savoir une rupture de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite, annexant à sa déclaration un certificat médical du docteur [J] daté du 4 mars 2021.
Cette affection a été prise en charge au titre de la législation sur les risques professionnels dans le cadre du tableau n°57A des maladies professionnelles.
La CPAM des Yvelines a fixé la date de consolidation de l’assuré au 15 juin 2022 et lui a attribué, par décision en date du 22 juillet 2022, notifié à Monsieur [E] [S] et à son employeur, un taux d’incapacité permanente partielle (IPP) de 12%.
Par courrier recommandé avec accusé de réception daté du 03 août 2022, la Société [5] a, par l’intermédiaire de son conseil, saisi la Commission médicale de recours amiable (CMRA) de la région [Localité 6] Île-de-France, aux fins de contester la décision de la Caisse du 22 juillet 2022 et demander la transmission au médecin mandaté de l’intégralité du rapport médical ayant servi de base à la décision contestée.
Par lettre recommandée avec accusé de réception expédiée le 27 janvier 2023, la Société [5] a, par l’intermédiaire de son conseil, formé un recours devant le pôle social du tribunal judiciaire de Versailles, spécialement désigné en application de l’article L.211-16 du code de l’organisation judiciaire, suite à la décision implicite de rejet de la Commission médicale de recours amiable qu’elle avait saisie.
Postérieurement à la saisine du juge, la Commission médicale de recours amiable (CMRA) de la région [Localité 6] Île-de-France a, par décision prise lors de sa séance du 07 avril 2023, maintenu – dans les rapports Caisse-employeur – à 12% le taux d’IPP attribué à Monsieur [E] [S] au titre de sa maladie professionnelle du 07 février 2020.
Le juge de la mise en état, après avoir informé les parties qu’elle envisageait une mesure d’instruction et leur avoir laissé un délai pour formuler leurs observations, a ordonné suivant une décision en date du 8 mars 2024 une consultation médicale sur pièces confiée à l’expert Mme [P] [I], avec pour mission, en se plaçant à la date de la consolidation, le 15 juin 2022, et par référence au barème indicatif d’invalidité, de fixer le taux d’incapacité permanente partielle de M. [E] [S].
L’expert a déposé son rapport le 1er mai 2024. Au terme de ses conclusions, il confirme le taux de 12% accordé par la CPAM.
Les parties ont été régulièrement convoquées à l’audience du 3 septembre 2024.
A cette date, la SAS [5], absente, représentée par son conseil, a soutenu oralement les conclusions déposées et visées par le greffe aux termes desquelles elle sollicite:
– à titre principal de réduire le taux d’IPP attribué à Monsieur [S] à 8% dans le cadre des rapports entre l’employeur et la CPAM des Yvelines,
– à titre subsidiaire,
* rejeter l’avis de Mme [I],
* ordonner une mesure d’expertise médicale judiciaire,
* condamner la CPAM à faire l’avance des frais liés à cette mesure,
– en tout état de cause,
* condamner la CPAM des Yvelines à lui payer la somme de 1500 € au titre de l’article 700 du CPC outre les entiers dépens,
* et ordonner l’exécution provisioire.
Elle expose que le rapport d’expertise judiciaire écarte l’état antérieur alors même que l’assuré lui même mentionne dans sa déclaration que les premières constatations de la maladie remontent au 2/9/2009, soit à une date antérieure à son embauche par la SAS [5]. Elle précise que cet état antérieur est également démontré par les échographies des 7/2/2020 et 15/1/2021. Elle indique que l’expert désigné n’étant pas médecin, il n’est pas en capacité de calculer et fixer un taux d’IPP. Elle ajoute que le taux retenu de 12% est sur évalué par rapport aux réelles limitations de mouvements de l’épaule qui associé à l’existence d’un état antérieur doit conduire à retenir un taux de 8% conformément aux observations de son médecin conseil. Elle sollicite enfin subsidiarement une expertise confiée à un médecin.
La CPAM des Yvelines, absente, représentée par son mandataire, a soutenu oralement les conclusions déposées et visées à l’audience aux termes desquelles elle sollicite :
– d’entériner le rapport d’expertise de Mme [I] qui estime à 12% le taux d’IPP de M. [S],
– de confirmer la décision de la CMRA maintenant à 12% le taux d’IPP de Monsieur [S] opposable à la SAS [5],
– rejeter la demande sur le fondement de l’article 700 présentée par la SAS [5],
– et débouter la SAS [5] de toutes ses demandes.
Elle conteste tout état antérieur de l’assuré, précisant qu’aucune pièce médicale ne vient étayer la mention du 2/9/2009, les examens invoqués par le médecin conseil de l’employeur étant daté de 2020 et 2021. Elle précise que l’arthropathie acromio-claviculaire et la tendinopathie sont liées aux gestes répétés et ne constituent pas un état antérieur indépendant. Elle ajoute que le médecin conseil et les deux médecins composants la CMRA concluent de façon identique à l’exclusion de tout état antérieur et à la fixation d’un taux d’IPP de 12% au regard des douleurs et de la limitation de l’élévation, le barème indicatif préconisant un taux d’IPP supérieur de 15 % lorsque l’ensemble des mouvements sont limités.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il convient de se reporter à leurs écritures et leurs observations orales conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
À l’issue des débats, les parties ont été avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile que le délibéré sera rendu publiquement par mise à disposition au greffe le 4 novembre 2024.
Sur le taux d’incapacité permanente partielle de Monsieur [S] :
Aux termes de l’article L. 434-2 alinéa 1 du code de la sécurité sociale, le taux de l’incapacité permanente est déterminé d’après la nature de l’infirmité, l’état général, l’âge, les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que d’après ses aptitudes et sa qualification professionnelle, compte tenu d’un barème indicatif d’invalidité.
Aux termes de l’article R. 434-32 alinéas 1 et 2 du même code, au vu de tous les renseignements recueillis, la caisse primaire se prononce sur l’existence d’une incapacité permanente et, le cas échéant, sur le taux de celle-ci et sur le montant de la rente due à la victime ou à ses ayants droit. Les barèmes indicatifs d’invalidité dont il est tenu compte pour la détermination du taux d’incapacité permanente d’une part en matière d’accidents du travail et d’autre part en matière de maladies professionnelles sont annexés au livre IV de la partie réglementaire du code de la sécurité sociale (annexes 1 et 2 du code).
Le taux d’incapacité permanente partielle doit être fixé en fonction de l’état séquellaire au jour de la consolidation de l’état de la victime sans que puissent être pris en considération des éléments postérieurs à ladite consolidation et relève de l’appréciation souveraine et motivée des juges du fond.
Pôle social – N° RG 23/00126 – N° Portalis DB22-W-B7H-RD3J
Le paragraphe 1.1.2 du barème des accidents du travail est ainsi rédigé :
“1.1.2 ATTEINTE DES FONCTIONS ARTICULAIRES.
Blocage et limitation des mouvements des articulations du membre supérieur, quelle qu’en soit la cause.
Epaule :
La mobilité de l’ensemble scapulo-huméro thoracique s’estime, le malade étant debout ou assis, en empaumant le bras d’une main, l’autre main palpant l’omoplate pour en apprécier la mobilité:
– Normalement, élévation latérale : 170° ;
– Adduction : 20° ;
– Antépulsion : 180° ;
– Rétropulsion : 40° ;
– Rotation interne : 80° ;
– Rotation externe : 60°.
La main doit se porter avec aisance au sommet de la tête et derrière les lombes, et la circumduction doit s’effectuer sans aucune gêne.
Les mouvements du côté blessé seront toujours estimés par comparaison avec ceux du côté sain. On notera d’éventuels ressauts au cours du relâchement brusque de la position d’adduction du membre supérieur, pouvant indiquer une lésion du sus-épineux, l’amyotrophie deltoïdienne (par mensuration des périmètres auxilaires vertical et horizontal), les craquements articulaires. Enfin, il sera tenu compte des examens radiologiques.
DOMINANT
NON DOMINANT
Blocage de l’épaule, omoplate bloquée
55
45
Blocage de l’épaule, avec omoplate mobile
40
30
Limitation moyenne de tous les mouvements
20
15
Limitation légère de tous les mouvements
10 à 15
8 à 10
Périarthrite douloureuse :
Aux chiffrs indiqués ci-dessus, selon la limitation des mouvements, on ajoutera
5
5
En l’espèce, la CPAM des Yvelines a retenu un taux d’incapacité permanente partielle de 12% lors de la consolidation de l’état de santé de Monsieur [E] [S] en relevant “séquelles type de douleur de l’épaule droite avec limitation modérée de l’élévation notamment de plus de 20° mais atteignant au moins 90° avec impotence fonctionnelle”.
Pôle social – N° RG 23/00126 – N° Portalis DB22-W-B7H-RD3J
L’expert judiciaire dans son rapport en date du 1er mai 2024 écarte l’existence d’un état antérieur interférant et conclut que le taux de 12% accordé à Monsieur [S] apparait justifié par rapport au barème et au regard des pièces jointes au dossier.
Le docteur [U], médecin conseil de la SAS [5], conclut à un taux d’IPP de 8 %, au triple motif que tous les mouvements de l’épaule ne sont pas limités, qu’il n’existe pas d’amyotrophie de l’épaule et que M. [S] présente un état antérieur arthrosique.
A l’appui d’un état antérieur, la SAS [5] et son médecin conseil retiennent que M. [S] a mentionné sur sa déclaration de maladie professionnelle comme date de première constatation le 2/9/2009.
Cependant cette date procède d’une erreur et n’est étayée par aucune pièce médicale qui permettrait de la retenir. Cette mention ne peut donc à elle seule démontrer un quelconque état antérieur.
Concernant l’arthropathie acromio-claviculaire avec bursite qui apparait sur les échographies de 2020 et 2021, le docteur [U] affirme qu’il s’agit d’une pathologie indépendante de la rupture de la coiffe des rotateurs.
Or, cette affirmation qui n’est pas étayée, est contredite par le docteur [H] et par l’expert, Mme [I] qui exposent qu’il s’agit d’un épiphénomène (phénomène qui accompagne un autre sans l’influencer) de la tendinopathie chronique dont “la pathologie principale clinique et radiologique est la rupture de la coiffe qui explique entièrement les séquelles retrouvés à l’examen”, concluant que “l’existence et le retentissement de cette arthropathie acromio-claviculaire ne peut être considérée comme un état antérieur indépendant”.
Dès lors au regard de ces observations médicales concordantes qui n’ont pas conduit le docteur [U] à faire valoir d’arguments contraires, il convient d’exclure tout état antérieur interférant dans la maladie professionnelle.
L’examen réalisé le 25 mai 2022 par le médecin conseil de la CPAM laisse apparaitre que :
– la mobilité des mouvements complexes main-tête, main-nuque et main-épaule opposée est “un peu difficile”,
– Elévation latérale : 100° en actif et passif (guide barème 170 °), donc une limitation;
– Antépulsion 160° en actif et passif (guide barème 180°), donc une limitation;
– Rétropulsion : 20° en actif et passif (guide barème 40 °) donc une limitation;
– Rotation interne : 80° (guide barème 80 °);
– Rotation externe : 60° (guide barème 60 °);
– présence d’un conflit sous acromial à droite
– et absence d’amyotrophie notable.
La CMRA au regard de ces constatations retient “que l’examen retrouve au niveau de l’épaule droite dominante une limitation modérée de plusieurs mouvements sans amyotrophie notable associée” qui justifie chez un travailleur manuel droitier opéré, le maintien d’un taux d’IPP de 12%.
Le barème indicatif propose un taux compris entre 10 et 15 % pour une limitation légère de l’ensemble des mouvements de l’épaule dominante, de sorte que le taux de 12 % est justifié au regard des difficultés rencontrées dans les mouvements complexes et de la limitation de trois des mouvements sur cinq de l’épaule.
En conséquence la décision de la CMRA sera confirmée et le taux d’IPP dans les rapports employeur/caisse fixé à 12%, le recours de la société étant rejeté.
Il n’y a pas lieu de faire droit à la demande subsidiaire de consultation ou d’expertise dès lors que le tribunal dispose de l’ensemble des éléments lui permettant de statuer.
Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens :
Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.
La SAS [5], succombant en ses demandes, sera tenue aux entiers dépens, étant rappelé que les frais d’expertise sont à la charge de la caisse nationale d’assurance maladie par application de l’article L.142-11 du code de la sécurité sociale.
La SAS [5] sera également déboutée de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Le Tribunal, statuant publiquement, en premier ressort et par jugement contradictoire, mis à disposition au greffe le 4 novembre 2024 ;
Rejette le recours de la SAS [5] visant à ramener, dans les rapports caisse-employeur, à 8% le taux d’incapacité permanente partielle octroyé à son salarié Monsieur [E] [S] suite à la maladie professionnelle du 7 février 2020;
Dit opposable à la SAS [5] le taux de 12% fixé par la CPAM des Yvelines;
Dit n’y avoir lieu à ordonner une nouvelle mesure de consultation ou d’expertise ;
Rappelle que les frais de l’expertise sont pris en charge par la caisse nationale d’assurance maladie ;
Déboute la SAS [5]de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SAS [5] aux dépens.
Dit que tout appel de la présente décision doit, à peine de forclusion, être interjeté dans le mois de la réception de la notification de la présente décision.
La Greffière La Présidente
Madame Marie-Bernadette MELOT Madame Marie-Sophie CARRIERE