Contexte de l’affaireLe 21 juillet 2021, Monsieur [I] [D], employé de la SA [5], a signalé une lombalgie aiguë et une discopathie dégénérative à la Caisse primaire d’assurance maladie de l’Aveyron (CPAM). Cette affection a été reconnue comme maladie professionnelle. La CPAM a fixé la date de consolidation de l’affection au 07 octobre 2022 et a attribué un taux d’incapacité permanente partielle (IPP) de 25% à Monsieur [D] le 27 octobre 2022. Recours de l’employeurL’employeur a contesté ce taux en adressant un recours à la Commission médicale de recours amiable (CMRA) le 27 décembre 2022. La CMRA a confirmé le taux d’IPP de 25% lors de sa séance du 23 mai 2023. En réponse, la SA [5] a formé un recours devant le tribunal judiciaire de Versailles le 14 juin 2023. Consultation médicale ordonnéeLe tribunal a ordonné une consultation médicale sur pièces le 8 mars 2024, désignant Monsieur [A] [G] comme expert. Sa mission était d’évaluer le taux d’IPP de Monsieur [D] à la date de consolidation. Cependant, l’expert a déposé un rapport de carence le 15 avril 2024, n’ayant pas reçu le dossier médical de Monsieur [D] de la part de la CPAM. Arguments des partiesLors de l’audience du 3 septembre 2024, la SA [5] a demandé la déclaration d’inopposabilité du taux de 25% et a proposé un taux de 15%. La CPAM a demandé l’écartement du rapport de carence et a soutenu que le taux de 25% était correctement évalué. Elle a également souligné l’absence de communication des pièces médicales à l’expert. Décision du tribunalLe tribunal a rejeté la demande de nouvelle consultation, notant que la CPAM n’avait pas respecté le délai de communication des pièces. Il a également fixé le taux d’IPP à 15%, en raison de l’absence de communication des éléments médicaux nécessaires à l’expert. La CPAM a été condamnée à supporter les frais de la procédure. ConclusionLe tribunal a statué que le taux d’incapacité permanente de Monsieur [I] [D] est fixé à 15% et a invité la CPAM à en tirer les conséquences. Les demandes supplémentaires des parties ont été rejetées, et la CPAM a été condamnée aux dépens. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Copies certifiées conformes délivrées,
le :
à :
– Société [5]
– CPAM DE L’AVEYRON
– Me Bruno LASSERI
N° de minute :
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES
POLE SOCIAL
CONTENTIEUX MEDICAL DE LA SECURITE SOCIALE
JUGEMENT RENDU LE MARDI 05 NOVEMBRE 2024
N° RG 23/00808 – N° Portalis DB22-W-B7H-RMZA
Code NAC : 88L
DEMANDEUR :
Société [5]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Bruno LASSERI, avocat au barreau de PARIS,
substitué par Maître Emilie SEILLON, avocat au barreau de PARIS
DÉFENDEUR :
CPAM DE L’AVEYRON
[Adresse 4]
[Localité 1]
représentant par madame [H] [J], suivant pouvoir spécial
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Madame Marie-Sophie CARRIERE, Vice-présidente
Madame Marion MORVAN, représentante des employeurs et des salariés indépendants
M. Paul CHEVALLIER, représentant des salariés
Madame Marie-Bernadette MELOT, greffière
en présence de Madame Valentine SOUCHON, greffière
DEBATS : A l’audience publique tenue le 03 Septembre 2024, l’affaire a été mise en délibéré au 05 Novembre 2024.
Le 21 juillet 2021, Monsieur [I] [D], salarié de la SA [5], a déclaré une affection auprès de la Caisse primaire d’assurance maladie de l’Aveyron (ci-après CPAM ou Caisse), à savoir une lombalgie aiguë associée à une discopathie dégénérative, laquelle a été prise en charge au titre de la législation sur les risques professionnels.
La CPAM de l’Aveyron a fixé au 07 octobre 2022 la date de consolidation de l’affection de Monsieur [I] [D], puis, par décision en date du 27 octobre 2022, a notifié à l’intéressé et à son employeur, un taux d’incapacité permanente partielle (IPP) de 25%.
Saisie par l’employeur suivant un courrier recommandé en date du 27 décembre 2022, la Commission médicale de recours amiable (CMRA) de la région Occitanie a, par décision prise lors de sa séance du 23 mai 2023, confirmé le taux d’IPP fixé à 25% à compter du 07 octobre 2022.
Par lettre recommandée expédiée le 14 juin 2023, la SA [5] a, par l’intermédiaire de son conseil, formé un recours devant le pôle social du tribunal judiciaire de Versailles, spécialement désigné en application de l’article L.211-16 du code de l’organisation judiciaire.
Par ordonnance avant dire droit en date du 8 mars 2024, le tribunal a ordonné une consultation médicale sur pièces, désignant en qualité d’expert Monsieur [A] [G], avec pour mission, en se plaçant à la date de consolidation à savoir le 07 octobre 2022, notamment, de proposer – par référence au barème indicatif d’invalidité – le taux d’incapacité permanente partielle de Monsieur [I] [D] imputable à la maladie professionnelle déclarée le 26 juillet 2021.
L’expert a déposé son rapport de carence daté du 15 avril 2024, lequel a été notifié par le greffe aux parties, par lettre recommandée avec accusé de réception du 21 mai 2024, ne formulant aucune proposition en l’absence de transmission du dossier médical de Monsieur [I] [D] par la CPAM de l’Aveyron.
L’affaire a été appelée à l’audience de plaidoirie du 3 septembre 2024.
À cette date, la SA [5], représentée par son conseil, a soutenu oralement ses conclusions après expertise visées à l’audience et demande au Tribunal de :
– à titre liminaire, la déclarer recevable et bien fondée dans son recours,
– à titre principal,
* prononcer l’inopposabilité du taux de 25 % attribué par la CPAM à M. [D],
* dire que la CPAM devra communiquer à la CARSAT compétente l’ensemble des informations nécessaires à la rectification des taux de cotisations AT/MP;
* dire que les frais d’expertise seront réglés par la Caisse nationale compétente;
– à titre subsidiaire,
* dire que le taux d’IPP de 25 % attribué à M. [D] n’a pas été correctement évalué,
* fixer le taux d’IPP de M. [D] à 15% à son égard dans le cadre des rapports caisse/employeur,
– et à titre infiniment subsidiaire, ordonner avant dire droit une nouvelle consultation.
Elle expose que la CPAM de l’Aveyon n’ayant pas transmis les éléments médicaux à l’expert désigné par le tribunal et notamment le rapport d’évaluation des séquelles, il convient d’en tirer les conséquences et de déclarer inopposable le taux d’IPP à l’employeur ou subsidiairement de le fixer conformément aux conclusions du docteur [E] à 15%. Elle ajoute que la nullité du rapport de carence soutenue à l’écrit par la CPAM doit être écartée, la communication des pièces par les parties et les délais pour leur envoi à l’expert étant mentionnés dans l’ordonnance rendue le 8 mars 2024, peu importe l’affirmation de l’absence de réception par la CPAM des courriers de relance.
La CPAM de l’Ayveron, représentée par Mme [J] [H], dument munie d’un pouvoir, a sollicité oralement à l’audience :
– à titre principal, d’écarter le rapport de carence et de désigner à nouveau un expert pour réaliser une consultation, n’étant pas opposée à la communication du dossier médical, ce qui a été fait mais postérieurement au dépôt prématuré du rapport de carence par l’expert,
– à titre subsidiaire,
* de dire que le taux d’incapacité permanente de 25 % a été justement évalué,
* de confirmer la décision de la CMRA,
* et de débouter la SA [5] de l’ensemble de ses demandes.
Elle relève l’incohérence entre la date de dépôt du rapport de carence et la lettre de relance adressé par l’expert qu’elle n’a par ailleurs pas reçu. Elle fustige le caractère précipité du dépôt du rapport de carence intervenu dès le 15 avril 2024, alors que l’ordonnance a été notifiée le 25 mars 2024, l’expert disposant d’un délai jusqu’au 20 mai 2024 pour réaliser sa mission. Elle souligne que les pièces ont été adressées à l’expert, la caisse n’étant aucunement opposée à la désignation de M. [G]. Elle sollicite donc une nouvelle consultation et à défaut que le taux retenu par la CMRA soit entériné.
L’affaire a été mise en délibéré au 5 novembre 2024 par mise à disposition au greffe.
Sur la demande de nouvelle consultation :
L’ordonnance en date du 8 mars 2024, qui ordonne une consultation confiée à Monsieur [A] [G], stipule les pièces à communiquer par la CPAM et les délais de cette communication , à savoir 10 jours à compter de sa notification.
En l’espèce l’ordonnance a été notifiée le 25 mars 2024 à la CPAM de l’Aveyron qui disposait d’un délai jusqu’au 4 avril 2024 pour communiquer à l’expert les pièces visées à l’article L142-6 du code de la sécurité social.
Il n’est pas contesté par la CPAM de l’Aveyron qu’elle n’a pas procédé à cette communication dans le délai qui lui a été imparti, sans justifier d’un évenement insurmontable et soudain, étant rappelé que le respect du délai de 10 jours par la CPAM pour la communication des pièces est nécessaire pour permettre à l’employeur ou son médecin conseil de faire parvenir ses propres observations à l’expert dans un délai de 20 jours, en laissant à la personne désignée, un délai suffisant pour mener à bien sa mission.
Le délai de communication des pièces par la CPAM s’inscrit donc dans une relation tripartite et a pour finalité l’observance par l’expert de la date butoire de dépôt du rapport.
Ainsi il ne peut être sérieusement reproché à l’expert sa “précipitation” alors même qu’il a laissé à la CPAM, en déposant son rapport de carence le 15 avril 2024, le double du délai initial pour l’envoi de ses pièces, ne se laissant de fait si la CPAM avait adressé ces pièces, déduction du délai octoyé à l’employeur, que deux semaines pour rédiger son rapport.
Dès lors, il sera tiré les conséquences de la carence de la CPAM de l’Aveyron et sa demande de nouvelle expertise sera rejetée.
Sur la demande d’inopposabilité à l’employeur du taux d’IPP fixé par la Caisse :
En application de l’article L.434-2 du Code de la sécurité sociale et par référence à un guide barème indicatif d’invalidité, le taux d’incapacité permanente partielle est apprécié d’après la nature de l’infirmité, l’état général, l’âge, les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que d’après ses aptitudes et sa qualification professionnelle.
Aux termes de l’article R.434-32 alinéas 1 et 2 du même code, au vu de tous les renseignements recueillis, la Caisse primaire se prononce sur l’existence d’une incapacité permanente et, le cas échéant, sur le taux de celle-ci et sur le montant de la rente due à la victime ou à ses ayants droit. Les barèmes indicatifs d’invalidité dont il est tenu compte pour la détermination du taux d’incapacité permanente d’une part en matière d’accidents du travail et d’autre part en matière de maladies professionnelles sont annexés au livre IV de la partie réglementaire du code de la sécurité sociale (annexes 1 et 2 du code).
Le taux d’incapacité permanente partielle doit être fixé en fonction de l’état séquellaire au jour de la consolidation de l’état de la victime sans que puissent être pris en considération des éléments postérieurs à ladite consolidation et relève de l’appréciation souveraine et motivée des juges du fond.
La communication des éléments médicaux en possession de la Caisse est prévu à deux stades de la procédure :
– soit lors de la saisine de la Commission médicale de recours amiable, par l’article R.142-8-3 du code de la sécurité sociale qui dispose que, lorsque le recours préalable est formé par l’employeur, le secrétariat de la Commission médicale de recours amiable notifie, dans un délai de dix jours à compter de l’introduction du recours, par tout moyen conférant date certaine, le rapport mentionné à l’article L.142-6 accompagné de l’avis au médecin mandaté par l’employeur à cet effet ;
– soit lors de la mesure d’instruction ordonnée par la juridiction, par l’article R.142-16-3 du code de la sécurité sociale, qui dispose que le greffe demande par tous moyens, à la Caisse, de transmettre à l’expert ou au consultant désigné l’intégralité du rapport médical mentionné à l’article L.142-6 et du rapport mentionné au premier alinéa de l’article L.142-10 ou l’ensemble des éléments ou informations à caractère secret au sens du deuxième alinéa de l’article L.142-10 ayant fondé sa décision. Dans le délai de dix jours à compter de la notification, à l’employeur de la victime de l’accident du travail ou de la maladie professionnelle, lorsque ce dernier est partie à l’instance, de la décision désignant l’expert, celui-ci peut demander, par tous moyens conférant date certaine, à l’organisme de sécurité sociale, de notifier au médecin, qu’il mandate à cet effet, l’intégralité des rapports précités. S’il n’a pas déjà notifié ces rapports au médecin ainsi mandaté, l’organisme de sécurité sociale procède à cette notification, dans le délai de vingt jours à compter de la réception de la demande de l’employeur.
En l’espèce, il ressort du rapport de carence que l’expert n’a eu connaissance d’aucune pièce, et ce, alors même que la décision du 8 mars 2024 prévoyait les modalités de communication entre les parties et le consultant, notamment en demandant à la caisse de transmettre les pièces médicales au consultant dans un délai de 10 jours.
Cette absence de communication de la Caisse a empêché le consultant de mener à bien sa mission.
En application des articles 11 et 275 du code de procédure civile, il appartient au juge de tirer toute conséquence de l’abstention ou du refus d’une partie d’apporter son concours aux mesures d’instruction ordonnées par ses soins.
En l’occurrence le tribunal ne peut, sans consultation médicale, apprécier la pertinence des éléments médicaux apportés par la société demanderesse, par l’intermédiaire de son médecin conseil, le Docteur [E], qui proposait un taux de 15% en relevant que “les séquelles sont essentiellement algiques”, “le traitement ayant été uniquement médical” et notant “la persistance d’un syndrome rachidien sans syndrome radiculaire objectif”.
La sanction de la non-communication par la Caisse au consultant des éléments médicaux n’est pas l’inopposabilité de la décision, puisqu’au jour où la décision sur le taux d’IPP a été rendue par la Caisse, aucun manquement procédural n’était alors caractérisé.
Il convient en réalité, faute d’éléments supplémentaires, de tirer toute conséquence de l’abstention de la CPAM de l’Aveyron et de retenir le taux médical proposé par l’employeur, à savoir 15%.
Sur les demandes accessoires :
Par application des dispositions de l’article L. 142-11 du code de la sécurité sociale, les frais résultant des consultations ordonnées par les juridictions compétentes en application notamment de l’article L.142-1-5° sont pris en charge par la Caisse nationale de l’assurance maladie.
Par application de l’article 696 du code de procédure civile, la caisse restera tenue aux entiers dépens de l’instance.
Le Tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire, rendu en premier ressort et mis à disposition au greffe le 05 novembre 2024 :
Vu l’ordonnance du juge de la mise en état du 8 mars 2024,
Vu le rapport de carence du consultant, Monsieur [A] [G], déposé le 15 avril 2024,
FIXE, dans les rapports Caisse-employeur, à 15% le taux d’incapacité permanente de Monsieur [I] [D] à la suite de la maladie professionnelle déclarée le 21 juillet 2021 ;
INVITE la Caisse primaire d’assurance maladie de l’Aveyron à en tirer toutes conséquences ;
DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
RAPPELLE que les frais de consultation sont supportés par la Caisse nationale de l’assurance maladie;
CONDAMNE la Caisse primaire d’assurance maladie de l’Aveyron aux entiers dépens.
DIT que tout appel de la présente décision doit, à peine de forclusion, être interjeté dans le mois de la réception de la notification de la présente décision.
Le Greffier La Présidente
Madame Marie-Bernadette MELOT Madame Marie-Sophie CARRIERE