Engagement de Mme [W] [F]A compter du 1er janvier 2016, Mme [W] [F] a été engagée par contrat de travail à durée indéterminée en tant que responsable juridique pour un salaire brut annuel de 56 800 euros par la société Groupe AVNS, composée de deux associés, M.[A] [P] et M.[T]. La société, spécialisée dans le domaine du marchand de biens, a été immatriculée le 11 décembre 2015 et relevait de la convention collective des prestataires de services dans le secteur tertiaire. Signalement et liquidation judiciaireLe 23 octobre 2017, les activités de la société Groupe AVNS ont été signalées à la cellule TRACFIN pour des faits de faux, escroquerie et blanchiment. Par jugement du 7 novembre 2019, la société a été placée en liquidation judiciaire en raison d’une créance de cotisations sociales de 517 000 euros, avec une cessation des paiements fixée au 8 mai 2018. Mme [W] [F] a été licenciée à titre conservatoire le 21 novembre 2019 pour motif économique. Contestations des créances salarialesLes créances salariales de Mme [W] [F] ont été contestées par l’AGS en raison de l’absence d’effectivité de son contrat de travail et des malversations au sein de la société. Le 9 décembre 2019, Mme [W] [F] a saisi le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt pour faire reconnaître son statut de salariée et garantir ses créances par l’AGS CGEA. Jugement du conseil de prud’hommesLe 1er octobre 2020, le conseil de prud’hommes a jugé que Mme [W] [F] était salariée du Groupe AVNS du 1er janvier 2016 au 21 novembre 2019 et a fixé les sommes dues au passif de la société. Le jugement a été déclaré opposable à l’AGS CGEA, qui a relevé appel de cette décision le 21 octobre 2020. Appel et procédures subséquentesL’instruction a été clôturée le 5 octobre 2022, et une comparution personnelle de Mme [W] [F] a été ordonnée pour le 28 mars 2023. Lors de cette audition, des éléments ont été présentés par les parties. L’AGS a demandé l’infirmation du jugement du 1er octobre 2020, tandis que Mme [W] [F] a demandé la confirmation de ce jugement. Conclusions des partiesLes dernières conclusions de l’AGS CGEA et de Me [X], mandataire liquidateur, ont demandé l’infirmation du jugement et le déboutement de Mme [W] [F] de toutes ses demandes. En revanche, Mme [W] [F] a demandé la confirmation du jugement de première instance et l’infirmation du jugement pour le surplus, en réclamant des sommes supplémentaires. Décision de la courLa cour a confirmé le jugement du conseil des prud’hommes en ce qui concerne le déboutement de Mme [W] [F] pour ses demandes de congés payés et de dommages-intérêts pour résistance abusive. Cependant, elle a infirmé le surplus, constaté le caractère fictif du contrat de travail de Mme [W] [F], et l’a déboutée de l’intégralité de ses demandes salariales et indemnitaires. La cour a également condamné Mme [W] [F] aux dépens. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
DE
VERSAILLES
Code nac : 80B
Chambre sociale 4-6
ARRET N° /2024
CONTRADICTOIRE
DU 07 NOVEMBRE 2024
N° RG 20/02346 – N° Portalis DBV3-V-B7E-UDRA
AFFAIRE :
ASSOCIATION AGS / CGEA ILE DE FRANCE OUEST
C/
[W] [F]
…
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 01 Octobre 2020 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT
N° Section : E
N° RG : 19/01589
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Laure SERFATI
Me Nathalie CHEVALIER
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE SEPT NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
ASSOCIATION AGS / CGEA ILE DE FRANCE OUEST
[Adresse 2]
[Localité 7]
Représentant : Me Laure SERFATI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C2348 –
APPELANTE
****************
Madame [W] [F]
née le 08 Novembre 1980 à [Localité 8]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représentant : Me Nathalie CHEVALIER, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, vestiaire : 143 –
Maître [B] [X] es qualité de Mandataire liquidateur de la société GROUPE
[Adresse 4]
[Localité 5]
Représentant : Me Laure SERFATI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C2348 –
INTIMES
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 10 Septembre 2024 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Nathalie COURTOIS, Présidente chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Nathalie COURTOIS, Présidente,
Madame Véronique PITE, Conseillère,
Madame Odile CRIQ, Conseillère,
Greffière : lors des débats : Madame Isabelle FIORE,
A compter du 1er janvier 2016, Mme [W] [F] a été engagée par contrat de travail à durée indéterminée, en qualité de responsable juridique, pour un salaire brut annuel de 56 800 euros, par la société Groupe AVNS, immatriculée le 11 décembre 2015, composée de deux associés, M.[A] [P] et M.[T] (ce dernier vendant le 1er décembre 2016 toutes ses parts à Mme [I], épouse de M.[A] [P], nommée gérante), dont l’activité était une activité de marchand de biens, relevant de la convention collective des prestataires de services dans le domaine du secteur tertiaire.
La société comptait en 4 (en 2016) à 5 (en 2017) salariés selon les périodes dont:
– M.[A] [P], associé majoritaire et époux de la gérante de droit, en qualité de directeur commercial et développement, moyennant une rémunération brute annuelle de 155 884 euros, ce dernier ayant fait l’objet d’une interdiction de gérer de 7 ans après la liquidation judiciaire en date du 14 février 2002 de sa société Les Bâtisseurs, clôturée pour insuffisance d’actifs le 31 mai 2017
– M.[T] [D], gérant
– M.[N] [J], en qualité de directeur administratif et financier (DAF), moyennant une rémunération annuelle de 88 560 euros bruts
– Mme [W] [F] en qualité de responsable juridique, moyennant une rémunération annuelle de 56 800 euros bruts
– M.[H] [L], commercial non cadre ou M.[C] [M], commercial.
Le 23 octobre 2017, les activités de marchand de biens de la société Groupe AVNS ont fait l’objet d’un signalement de la cellule TRACFIN au procureur de la République de Poitiers pour des faits de « faux et usage de faux, escroquerie, blanchiment» et de la désignation d’acteurs des possibles infractions dont M.[A] [P] et Maître [G], notaire.
Par jugement du 7 novembre 2019, la société Groupe AVNS a été placée en liquidation judiciaire, au titre d’une créance de cotisations sociales de 517 000 euros, la date de cessation des paiements étant fixée au 8 mai 2018. Maître [X] a été nommé en qualité de mandataire liquidateur.
Par lettre datée du 21 novembre 2019, Mme [W] [F] a été licenciée ‘à titre conservatoire’ énonçant un motif économique par Me [X], ès qualités de mandataire liquidateur de la société Groupe AVNS.
Le 5 décembre 2019, Me [X], ès qualités, a fait un signalement de faits délictueux auprès du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nanterre conformément aux dispositions de l’article L814-12 du code de commerce visant notamment les salariés et la fictivité de leurs emplois et leurs fonctions.
Les créances salariales de Mme [W] [F] ont été contestées par l’AGS en raison de l’absence d’effectivité de son contrat de travail et des malversations au sein de la société Groupe AVNS.
Le 9 décembre 2019, Mme [W] [F] a saisi le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt afin que soit constatée l’existence d’un statut de salarié et que ses créances de nature salariale et indemnitaire soient garanties par l’AGS CGEA.
Par jugement rendu le 1er octobre 2020, notifié le même jour, le conseil a statué comme suit :
rejette la demande de sursis à statuer formée par les AGS
juge que Mme [W] [F] était salariée du Groupe AVNS du 1er janvier 2016 au 21 novembre 2019
fixe au passif de la société Groupe AVNS les sommes suivantes :
15 522,12 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 1 552,21 euros bruts au titre des congés payés afférents
5 174,04 euros bruts au titre du salaire du mois d’octobre 2019
3 689,85 euros bruts au titre du salaire du 1er au 21 novembre 2019
5 066,24 euros bruts au titre de l’indemnité légale de licenciement
déboute Mme [W] [F] de ses autres demandes
ordonne à Me [X], ès qualités de liquidateur du Groupe AVNS, de remettre à Mme [W] [F] un certificat de travail, un solde de tous comptes et une attestation Pôle Emploi conformes au présent jugement
dit que leurs dépens restent à la charge de chacune des parties
déclare opposable à l’AGS CGEA IDF Ouest le présent jugement
rappelle que l’AGS apportera sa garantie dans le cadre des articles L3253-8, L3253-17, L3253-20, L3253-21 et D3253-5 du code du travail
rappelle que l’article R1458-28 du code du travail réserve l’exécution provisoire au paiement des sommes dues au titre des rémunérations et indemnités mentionnées à l’article R1454-14 du même code
rappelle que les sommes allouées en justice, quelles qu’elles soient, sont soumises au traitement social et fiscal résultant de la loi en vigueur; que les dispositions résultant de la loi de sécurité sociale, qui assujettissent les sommes allouées, y compris indemnitaires, à cotisations salariales et patronales, sont d’ordre public et qu’il appartient, en conséquence, à chacune des parties de s’acquitter des cotisations pouvant lui incomber
dit que chacune des parties conservera la charge de ses dépens.
Le 21 octobre 2020, l’AGS CGEA d’Ile de France Ouest a relevé appel de cette décision par voie électronique.
Par ordonnance rendue le 5 octobre 2022, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 15 novembre 2022.
Par arrêt avant dire-droit rendu le 26 janvier 2023, la cour d’appel de Versailles a statué comme suit:
ordonne le rabat de la clôture et le renvoi de l’affaire à la mise en état
ordonne la comparution personnelle de Mme [F] devant M. Le Monnyer, président de la 21ème chambre, le mardi 28 mars 2023 à 16 H 30, salle 3 de la cour d’appel
réserve tous chefs de demande.
L’audition du 28 mars 2023 de Mme [W] [F] en présence du conseil de l’AGS CGEA d’Ile de France Ouest a donné lieu à un procès verbal, notifié aux parties le 29 mars 2023.
Selon ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 10 mai 2024, l’AGS CGEA d’Ile de France Ouest demande à la cour de :
dire et juger l’AGS CGEA recevable et bien fondée en son appel
infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Boulogne Billancourt du 1er octobre 2020 ayant fixé les créances de Mme [W] [F] aux sommes suivantes :
– 15 522,12 euros à titre de l’indemnité compensatrice de préavis
– 1 552,21 euros au titre des congés-payés afférents
– 5 174,04 euros au titre du salaire du mois d’octobre 2019
– 3 689,85 euros au titre du salaire du 1er au 21 novembre 2019
– 5 066,24 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement
et déclaré le jugement opposable à l’AGS CGEA.
débouter Mme [W] [F] de toutes ses demandes, fins et conclusions
subsidiairement, surseoir à statuer dans l’attente des enquêtes en cours et des conclusions de Monsieur le procureur de la République sur le signalement diligenté par Me [X]
sur la garantie, dire et juger que la garantie due par l’AGS ne s’exercera qu’à titre subsidiaire, en l’absence de fonds disponibles
dire et juger que la garantie due par l’AGS est limitée aux plafonds fixés par les articles L3253-17 et D3253-5 du code du travail
statuer ce que de droit, s’agissant des demandes relatives à l’article 700 du code de procédure civile sans que les condamnations prononcées puissent être mises à la charge de l’AGS ni rendues opposables à celle-ci
dire et juger que la garantie due par l’AGS ne couvre pas les dommages-intérêts réclamés à raison des fautes délictuelles ou quasi-délictuelles commises par l’employeur.
Aux termes de ses dernières conclusions, notifiées par RPVA le 10 mai 2024, Me [X], ès qualités de mandataire liquidateur de la société Groupe AVNS demande à la cour de :
dire et juger qu’il est recevable et bien fondé en son appel incident
infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Boulogne Billancourt du 1er octobre 2020 ayant fixé les créances de Mme [W] [F] aux sommes suivantes.
– 15 522,12 euros à titre de l’indemnité compensatrice de préavis
– 1 552,21 euros au titre des congés-payés afférents
– 5 174,04 euros au titre du salaire du mois d’octobre 2019
– 3 689,85 euros au titre du salaire du 1er au 21 novembre 2019
– 5 066,24 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement
et déclaré le jugement opposable à l’AGS CGEA
débouter Mme [W] [F] de toutes ses demandes, fins et conclusions
subsidiairement, surseoir à statuer dans l’attente des enquêtes en cours et des conclusions de Monsieur le procureur de la République sur le signalement diligenté par Me [X]
sur la garantie, dire et juger que la garantie due par l’AGS ne s’exercera qu’à titre subsidiaire, en l’absence de fonds disponibles
dire et juger que la garantie due par l’AGS est limitée aux plafonds fixés par les articles L3253-17 et D3253-5 du code du travail
statuer ce que de droit, s’agissant des demandes relatives à l’article 700 du code de procédure civile sans que les condamnations prononcées puissent être mises à la charge de l’AGS ni rendues opposables à celle-ci
dire et juger que la garantie due par l’AGS ne couvre pas les dommages-intérêts réclamés à raison des fautes délictuelles ou quasi-délictuelles commises par l’employeur.
Aux termes de ses dernières conclusions, notifiées par RPVA le 7 novembre 2023, Mme [W] [F] demande à la cour de :
dire et juger qu’elle est recevable et bien fondée en l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions
confirmer le jugement de première instance en ce qu’il a :
rejeté la demande de sursis à statuer de l’AGS
jugé qu’elle était salariée du Groupe AVNS du 1er janvier 2016 au 21 novembre 2019
fixé au passif de la société Groupe AVNS les sommes suivantes :
– 15 522,12 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 1 552,21 bruts au titre des congés payés afférents
– 5 174,04 euros bruts au titre du salaire du mois d’octobre 2019
– 3 689,85 euros bruts au titre du salaire du 1er au 21 novembre 2019
– 5 066,24 euros bruts au titre de l’indemnité légale de licenciement
– ordonné à Me [X], es qualité de liquidateur du Groupe AVNS de lui remettre un certificat de travail, un solde de tous comptes et une attestation Pôle Emploi conformes au présent jugement
– déclaré opposable à l’AGS CGEA IDF Ouest le présent jugement
– rappelé que l’AGS apportera sa garantie dans le cadre des art. L3253-8, L3253-17 L3253-20, L3253-21 et D3253-5 du code du travail
infirmer le jugement pour le surplus
et statuant à nouveau, constater, dire et juger qu’elle a été salariée de la société Groupe AVNS du 2 janvier 2016 au 21 novembre 2019
en conséquence, débouter Me [X], ès qualités de liquidateur de la société Groupe AVNS et l’AGS CGE IDF Ouest de l’ensemble de leurs demandes
fixer au passif de la société Groupe AVNS les sommes de :
– 15 522,12 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis (3 mois), outre la somme de 1 552,21 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés y afférent
– 5 174,04 euros bruts à titre du salaire du mois d’octobre 2019
– 3 880,53 euros bruts à titre du salaire du 1er au 21 novembre 2019
– 15 378,40 euros au titre d’indemnité de congés payés acquis mais non pris (53,5 jours)
– 5 066,24 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement
– 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive au paiement de sommes incontestablement dues
ordonner à Me [X] de lui remettre un certificat de travail, une attestation Pôle Emploi et un bulletin de salaire de solde de tous comptes conformes à l’arrêt à intervenir
déclarer opposable à l’AGS CGEA IDF Ouest le présent jugement et ordonner la garantie de l’AGS sur l’ensemble des fixations
ordonner l’emploi des dépens en frais privilégiés de procédure.
Par ordonnance rendue le 12 juin 2024, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 10 septembre 2024.
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.
Sur le contrat de travail
Le contrat de travail est celui par lequel une personne s’engage à travailler pour le compte et sous la subordination d’une autre moyennant rémunération. Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.
L’existence ou non d’une relation professionnelle salariée dépend essentiellement des conditions de fait dans lesquelles s’exerce l’activité du travailleur. Peu importe la dénomination donnée au contrat, peu importe l’intention des parties : « l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs » (Cass. soc., 19 déc. 2000, no 04-47.379).
En présence d’un contrat de travail apparent, il appartient à celui qui invoque son caractère fictif d’en justifier.
L’AGS CGEA IDF Ouest soulève l’absence d’effectivité du contrat de travail de Mme [W] [F], relevant d’une part, que cette dernière était antérieurement salariée en qualité de directrice juridique de la société OFF, mise en liquidation judiciaire, pour laquelle les AGS ont déjà garanti les créances de Mme [W] [F] à hauteur de 55 846 euros, que par jugement du 6 novembre 2018 le dirigeant de la société OFF a été condamné à une sanction de faillite personnelle pour une durée de 15 ans et était poursuivi dans le cadre d’un contentieux pénal suite à la faillite de plusieurs sociétés dont la société OFF, dans lesquelles il a été mis en lumière en 2015 des flux financiers anormaux donnant lieu à un renvoi devant le tribunal correctionnel du 8 mars 2019
d’autre part, que la société Groupe AVNS a également été impliquée dans des procédures et enquêtes ayant révélé de graves malversations donnant lieu notamment à un signalement de la cellule TRACFIN le 23 octobre 2017 et un signalement le 5 décembre 2019 de faits délictueux auprès du procureur de la République du tribunal de grande instance de Nanterre par le mandataire liquidateur.
Le mandataire liquidateur s’associe aux observations de l’AGS CGEA IDF Ouest, relevant les anomalies suivantes:
– au 31/12/16, la société a réalisé un chiffre d’affaires de 400K€ alors que le poste de rémunération représentait 511 K€ ( 376 000€/salaires + 135 000 charges sociales), de sorte que le chiffre d’affaires de la société ne couvrait pas la masse salariale
– des dépenses manifestement sans lien avec l’activité, notamment de nombreux frais de transports et de restauration sur la Côte d’Azur alors même qu’aucune opération immobilière n’y a été constatée
– l’absence d’actif mobilier, de matériel d’exploitation, de véhicule et de stock en pleine propriété, et l’absence d’actif en location, en leasing, en crédit
– le montant des rémunérations et les intitulés des postes occupés disproportionnés au vu de la taille, de l’activité et du chiffre d’affaire de la société, l’activité de la société ne justifiant pas la présence, en plus de la gérante, d’un directeur commercial, d’un directeur administratif et d’une directrice juridique
– l’absence de justification d’une activité salariée réelle
– la cessation de paiement fixée au 8 mai 2018.
Il produit au soutien de ses observations les pièces suivantes :
– les liasses fiscales 2016 et 2017
– l’alerte de la cellule TRACFIN du 22 octobre 2017
– le jugement du tribunal de commerce du 7 novembre 2019
– son signalement de faits délictueux par courrier du 5 décembre 2019 au procureur de la République de Nanterre
– le jugement du tribunal correctionnel de Tours du 10 janvier 2019 portant poursuite de Maître [S] [G], notaire, pour ‘transactions immobilières suspectes’ pour le compte de la société Groupe AVNS et condamnation de la notaire.
Si en réponse, Mme [W] [F] produit notamment son contrat de travail signé le 15 décembre 2015 par elle et la société Groupe AVNS représentée par M.[T], gérant et co-associé de M.[A] [P], à effet au 1er janvier 2016, sa déclaration préalable à l’embauche du 2 janvier 2016, des bulletins de paie de septembre à décembre 2018 et de janvier à octobre 2019, et des attestations, pour autant cela est très insuffisant pour démontrer l’effectivité de sa fonction au regard des éléments développés et produits par les intimées.
En préambule, il convient de rappeler que les missions essentielles d’un directeur juridique est la défense des intérêts de la société, le conseil et l’information des collaborateurs sur tous les aspects juridiques, un médiateur privilégié avec le monde judiciaire en dehors de l’entreprise, le suivi des dossiers de contentieux judiciaires et la gestion des risques et projets juridiques.
Il ne résulte pas de l’analyse des liasses fiscales 2016 et 2017 que Mme [W] [F] ait réellement assumé les fonctions juridiques qui lui étaient pourtant dévolues dès lors qu’en 2016, les capitaux propres ( 362 452 euros) étaient très largement négatifs et inférieurs de plus de la moitié au capital social de 60 000 euros, ce qui aurait nécessité de décider, dans les quatre mois qui suivent l’approbation des comptes ayant fait apparaître cette perte, soit la poursuite de l’activité avec engagement à reconstituer les capitaux soit la dissolution de la société conformément à l’ancien article L223-42 du code de commerce. Or, elle ne justifie par aucun rapport, ni courriel ni courrier que cette situation financière ait fait l’objet d’échanges entre elle et M.[J], alors même que M.[J] laisse entendre devant le président de la 21ème chambre sociale que la surcharge salariale posait problème et que M.[A] [P] n’en avait pas tenu compte ‘malgré ce que nous en pensions’. Elle reconnaît également devant le président de la 21ème chambre sociale qu’elle n’avait aucun accès au chiffre d’affaires alors que les deux fonctions support, directeur administratif et financier et directeur juridique travaillent nécessairement ensemble notamment lors de la préparation des différents rendez vous relatifs à la gouvernance type assemblée générale, conseil d’administration etc…et travaillent sur des sujets de nature plus technique comme la communication financière, les opération de financement ou encore le contrôle et la gestion des principaux risques de la société.
Elle ne justifie d’aucun document d’alerte ou de conseil juridique à l’attention du gérant ou des associés de la société alors même qu’elle déclare au président de la 21 ème chambre sociale lors de son audition du 28 mars 2023 ‘ Lorsque j’ai été embauchée il [ M.[A] [P] ] m’a dit que j’allais gérer la partie juridique car il s’occupait de rechercher les biens ainsi que des acheteurs et leur proposer un accompagnement pour souscrire des prêts. Je gérais toute la partie juridique ( formalité juridique, modification, création de société rédaction de contrat également la partie fiscale’ ajoutant ‘ j’ai suivi les rendez-vous de vérifications de comptabilité et avec l’expert comptable avec lequel on a répondu au notification de redressement’.
Il paraît étonnant qu’en sa qualité de ‘directrice juridique’ elle déclare lors de son audition par le président de chambre ‘ il paraissait dégager un chiffre car il ne paraissait pas dans le besoin’ et ce alors même que la société ne devait sa survie qu’au non paiement des dettes fiscales et sociales et qu’elle souscrivait des emprunts non bancaires à un taux d’intérêt de 30% (pièce 21) très largement supérieur au taux d’usure auquel les organismes bancaires sont soumis.
Mme [W] [F] ne produit aucun document, aucune note, aucun rapport signé de sa main durant ses plus de trois années de fonctions.
L’attestation de Mme [I], co-associée et gérante, dans laquelle elle écrit ‘atteste que Mme [W] [F] travaillait au sein de la société Groupe AVNS à compter du 2 janvier 2016 conformément à son contrat de travail. Elle était soumise à des horaires de bureau et exerçait sa fonction sous ma direction. Pour faire valoir ce que de droit’ ne dit absolument rien des fonctions de directrice juridique et de la façon dont elles étaient exercées par Mme [W] [F].
Il en est de même de :
– l’attestation de M.[E] (pièce 18) qui atteste ‘avoir été en relation avec M.[N] [J], employé de la société Groupe AVNS, dans le cadre de la location de bureaux situés au [Adresse 3]’, précisant que ‘ M.[J] occupait régulièrement un des bureaux loués et était mon interlocuteur pour l’ensemble des aspects financiers et administratifs du contrat nous liant à la société Groupe AVNS’ sans aucun justificatif ni de la qualité du rédacteur, ni du contrat qu’il évoque, sans aucune précision ni de la période concernée ni de la nature même des actes réalisés par M.[N] [J], la formule ‘ aspects financiers et administratifs’ ne disant rien de la nature et de la fréquence des actes réalisés par l’appelant.
– de l’attestation de M.[U] (pièce 11) se présentant comme ancien client et responsable commercial du groupe DFM, qui atteste ‘ avoir traité avec Mme [W] [F], ‘responsable juridique’ de la société Groupe AVNS, un contrat de location et de maintenance d’un photocopieur CANON JR 2020″. Sont jointes à cette attestation, des documents à l’entête de DFM office pour le contrat de maintenance datés du 24 février 2016, portant pour certains le cachet de la société Groupe AVNS avec une signature ne correspondant pas à celle de Mme [W] [F] ou ne portant aucun cachet ni signature de la société Groupe AVNS et des documents à l’entête de Solubail, pour le contrat de location du matériel, datés pour l’un du 24 février 2016 et signé par M.[T], ancien gérant, et pour un autre, signé par M.[N] [J] daté du 11 septembre 2015 alors que l’appelant n’était pas encore recruté par la société Groupe AVNS et que ce document signé par lui est à relier au bon de livraison produit à l’entête de DFM en date du 11 septembre 2015 mais dont le client livré est ‘groupe EVENS’ et non la société Groupe AVNS.
Les copies de conventions d’honoraires, de procès-verbaux d’assemblée générale, d’actes notariés …. ne disent rien de l’activité de Mme [W] [F], celle-ci ne justifiant être ni la rédactrice ni la contrôleuse ni même la signataire de ces actes.
Mme [W] [F] produit des courriels adressés par l’inspecteur de la DGFIP à l’occasion du contrôle fiscal de la société dans lesquels ce dernier relève un certain nombre d’anomalies comptables. Il convient de relever que ces courriels sont adressés à Mme [I] gérante, M.[N] [J], Mme [F] et font apparaître que les interventions de l’inspecteur ont eu lieu au cabinet GH consulting, à la demande de la gérante, en présence de l’expert comptable, M.[O] [Y], et non dans les locaux de la société Groupe AVNS. Il ressort de l’un de ces courriels que la comptabilité est tenue en interne puis ensuite transmise au cabinet ADEXFI dont l’adresse est la même que celle du cabinet GH consulting où des copies de documents comptables, de procès verbaux d’assemblées générales, des statuts de l’entreprise (etc) seront remis à l’inspecteur. Mme [W] [F] ne produit à aucun moment les réponses qu’elle aurait adressées à l’inspecteur, ne permettant pas de confirmer ce qu’elle déclarait au président de la 21ème chambre sociale à savoir au président de la 21ème chambre sociale lors de son audition du 28 mars 2023 ‘ j’ai suivi les rendez-vous de vérifications de comptabilité et avec l’expert comptable avec lequel on a répondu au notification de redressement’ tout en indiquant de façon contradictoire que durant son activité elle n’avait pas accès au chiffre d’affaires, ce qui signifie nécessairement à la situation financière de la société, de sorte que cela interroge sur l’effectivité de son intervention.
Les échanges avec le cabinet comptable Adexfi (pièces 42-43) démontrent que les documents comptables se trouvaient entre les mains du cabinet comptable GH CONSULTING, obligeant M.[N] [J] à en demander la communication notamment le livre des cotisations, le journal des personnels … pour l’inspecteur de la DGFIP.
L’attestation de M.[O], expert comptable de la société Groupe AVNS qui ‘atteste avoir entretenu des relations professionnelles et ce depuis janvier 2016 avec Mme [W] [F]. En effet, cette dernière était chargée au sein de la société Groupe AVNS de la gestion des formalités juridiques. Mme [W] [F] a donc suivi le contrôle fiscal en assistant à toutes les interventions et en rédigeant les éléments de réponses à l’administration fiscale. Mme [W] [F] agissait en qualité de salariée’ est en totale contradiction avec l’absence de justification de la part de Mme [W] [F] de son rôle durant le contrôle fiscal, outre le fait que M.[J] revendique aussi le même rôle auprès de l’inspecteur de la DGFIP.
Les quelques autres courriels produits par Mme [W] [F] ne renseignent pas plus sur le rôle de Mme [W] [F] s’agissant d’extraits de mails succincts, dont le contenu est soit inexistant car limité aux seules adresses mails de l’expéditeur et du destinataire soit ne se rapporte pas au rôle tenu par une directrice juridique.
Enfin, il ressort d’une part, du jugement correctionnel du tribunal de Tours du 10 janvier 2019 qu’au moins trois ventes AVNS auraient dû faire l’objet par le notaire d’une déclaration de soupçon selon le service TRACFIN et la chambre régionale des notaires et d’autre part, du signalement de la cellule TRACFIN du 22 octobre 2017 que des anomalies financières et juridiques ressortaient de certaines opérations de vente et d’achat de la société. Mme [W] [F] se contente de relever qu’elle n’est mentionnée ni dans le jugement correctionnel ni dans le signalement TRACFIN sans pour autant s’expliquer sur les anomalies précitées alors que tous ces dossiers litigieux avaient dû être expertisés préalablement par elle si elle avait exercé véritablement ses fonctions de directrice juridique.
Il ressort des éléments financiers précités que l’activité quasi inexistante de la société ne justifiait nullement 4 voire 5 salariés selon la période, les quelques éléments produits aux débats par Mme [W] [F] ne démontrant ni l’effectivité des fonctions pour lesquelles elle était rémunérée par la société Groupe AVNS ni leur spécificité par rapport aux activités des autres salariés, Mme [W] [F] évoquant d’une part, des opérations purement commerciales alors même que M.[A] [P] était supposé être le directeur commercial et développement et que M.[H] [L] était supposé être un agent commercial (pièce 20) tout comme M.[C] [M] (pièce 2) d’autre part, des opérations comptables et financières alors que M.[J] était supposé être le directeur financier.
En conséquence, au vu des éléments ci-dessus développés, les intimées démontrent le caractère fictif du contrat de travail de Mme [W] [F], de sorte que cette dernière ne peut se prévaloir de la qualité de salariée de la société Groupe AVNS et sera déboutée de l’ensemble de ses demandes salariales et indemnitaires par infirmation du jugement.
Sur la demande en paiement des congés payés acquis et non pris
Au vu de ce qui précède, Mme [W] [F] sera déboutée de sa demande par confirmation du jugement.
Sur la demande de dommages-intérêts pour résistance abusive
Mme [W] [F] soutient que le liquidateur a abusivement bloqué ses créances salariales, l’empêchant de percevoir les allocations de retour à l’emploi de pôle emploi faute de lui avoir transmis le moindre document social et la privant ainsi de toute ressource depuis octobre 2019.
Selon l’article 1240 du code civil, ‘ Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer’.
Selon l’article L814-12 du code du commerce, ‘Tout administrateur judiciaire ou mandataire judiciaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs’.
Selon l’article L621-9 alinéa 1 du code précité, ‘Le juge-commissaire est chargé de veiller au déroulement rapide de la procédure et à la protection des intérêts en présence’.
La Cour ayant retenu la fictivité de son emploi, il convient de débouter Mme [W] [F] de sa demande par confirmation du jugement.
Sur les dépens
Il convient de condamner Mme [W] [F] aux dépens.
La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement du conseil des prud’hommes de Boulogne Billancourt du 1er octobre 2020 en ce qu’il a débouté Mme [W] [F] de ses demandes au titre des congés payés et de dommages-intérêts pour résistance abusive;
Infirme le surplus;
Statuant à nouveau et y ajoutant;
Constate le caractère fictif du contrat de travail de Mme [W] [F] ;
Dit que Mme [W] [F] n’a pas la qualité de salariée de la société Groupe AVNS ;
La déboute de l’intégralité de ses demandes salariales et indemnitaires;
Dit l’arrêt opposable à l’AGS CGEA IDF Ouest ;
Condamne Mme [W] [F] aux dépens.
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Nathalie COURTOIS, Présidente et par Madame Isabelle FIORE, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente