Évaluation de la proportionnalité d’un engagement de cautionnement en fonction des biens et revenus de la caution.

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Évaluation de la proportionnalité d’un engagement de cautionnement en fonction des biens et revenus de la caution.

Le 24 décembre 2013, M. [E] a signé un cautionnement solidaire pour un prêt de 50.000 euros accordé à la société Tech-Drive par la Caisse d’épargne, avec une durée de remboursement de 120 mois. La société a été placée en liquidation judiciaire le 22 juin 2017, et la Caisse d’épargne a déclaré sa créance. Après avoir mis en demeure M. [E] de respecter son engagement, la Caisse d’épargne l’a assigné en paiement le 5 juin 2020. Le tribunal de commerce de Nantes a prononcé, le 16 mars 2023, la nullité du cautionnement et a débouté la Caisse d’épargne de ses demandes, tout en condamnant celle-ci à verser 1.500 euros à M. [E]. La Caisse d’épargne a interjeté appel le 13 octobre 2023, et a déposé ses conclusions le 30 janvier 2024. M. [E] n’a pas constitué avocat. Le 16 mai 2024, l’ordonnance de clôture a été rendue. La cour a infirmé le jugement concernant la nullité du cautionnement, tout en confirmant le reste, et a statué que la Caisse d’épargne ne pouvait pas se prévaloir de l’engagement de caution de M. [E].

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

10 septembre 2024
Cour d’appel de Rennes
RG
23/05904
3ème Chambre Commerciale

ARRÊT N°313

N° RG 23/05904 – N° Portalis DBVL-V-B7H-UFVX

(Réf 1ère instance : 2020006227)

CAISSE D’EPARGNE ET DE PRÉVOYANCE CENTRE LOIRE

C/

M. [R] [E]

Copie exécutoire délivrée

le :

à : Me DUBREIL

Copie certifiée conforme délivrée

le :

à : TC de NANTES

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 10 SEPTEMBRE 2024

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de chambre, rapporteur

Assesseur : Madame Fabienne CLÉMENT, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Conseillère,

GREFFIERS :

Madame Julie ROUET, lors des débats, et Madame Frédérique HABARE , lors du prononcé,

DÉBATS :

A l’audience publique du 27 Mai 2024

devant Monsieur Alexis CONTAMINE, magistrat rapporteur, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial

ARRÊT :

Rendu par défaut prononcé publiquement le 10 Septembre 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats

****

APPELANTE :

S.A CAISSE D’EPARGNE ET DE PRÉVOYANCE CENTRE LOIRE, immatriculée au RCS de Orléans sous le n° 383 952 470, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Cyril DUBREIL de la SCP OUEST AVOCATS CONSEILS, Postulant, avocat au barreau de NANTES

Représentée par Me Pierrick SALLE de la SCP SOREL, Plaidant, avocat au barreau de BOURGES

INTIMÉ :

Monsieur [R] [E]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Non constitué bien que régulièrement destinataire de la déclaration d’appel et des conclusions de l’appelant par acte de commissaire de justice en date du 10.01.2024 converti en Procès-verbal de recherches infructueuses relevant de l’article 659 du code de procédure civile.

FAITS ET PROCÉDURE :

Le 24 décembre 2013, M. [E], gérant de la société Tech-Drive, s’est porté caution solidaire au profit de la société Caisse d’épargne et de prévoyance Loire-Centre (la Caisse d’épargne) au titre du prêt n°4206459 dans la limite de la somme de 32.500 euros, couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour une durée de 120 mois.

Le 4 janvier 2014, la société Tech-Drive a souscrit auprès de la Caisse d’épargne, le contrat de prêt n°4206459, d’un montant principal de 50.000 euros, remboursable en 84 mensualités au taux effectif global de 4,66 % prêt professionnel, n°4206459.

Le 22 juin 2017, la société Tech-Drive a été placée en liquidation judiciaire.

Le 17 août 2017, la Caisse d’épargne a déclaré sa créance entre les mains du liquidateur.

Le 24 août 2017, la Caisse d’épargne a prononcé la déchéance du terme et mis en demeure M. [E] d’honorer son engagement de caution.

Le 5 juin 2020, la Caisse d’épargne a assigné M. [E] en paiement.

Le 19 juin 2020, la Caisse d’épargne a de nouveau mis en demeure M. [E] d’honorer son engagement de caution.

Par jugement du 16 mars 2023, le tribunal de commerce de Nantes a :

– Jugé la Caisse d’épargne recevable en ses demandes et les a dites non fondées,

– Prononcé la nullité du cautionnement souscrit le 24 décembre 2013,

– Débouté la Caisse d’épargne de l’ensemble de ses demandes fins et conclusions,

– Débouté M. [E] du surplus de ses demandes,

– Condamné la Caisse d’épargne à régler à M. [E] la somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– Rappelé que l’exécution provisoire est de droit,

– Condamné la Caisse d’épargne à supporter les entiers dépens d’instance.

La Caisse d’épargne a interjeté appel le 13 octobre 2023.

La Caisse d’épargne a déposé ses dernières conclusions le 30 janvier 2024.

M. [E] n’a pas constitué avocat devant la cour.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 16 mai 2024.

PRÉTENTIONS ET MOYENS :

La Caisse d’épargne demande à la cour de :

– Déclarer recevable et biens fondée la Caisse d’épargne en son appel,

– Infirmer le jugement entrepris,

– Condamner M. [E], en sa qualité de caution de la société Tech-Drive à payer et porter à la Caisse d’épargne la somme de 28.816,09 euros au titre du prêt n°4206459, outre intérêts au taux de 5,92% à compter du 5 juin 2020,

– Ordonner la capitalisation des intérêts,

– En tout état de cause :

– Condamner M. [E] aux dépens,

– Condamner M. [E] au paiement de 3.500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– Rejeter toutes demandes plus amples et contraires.

DISCUSSION :

M. [E] n’a pas constitué avocat devant la cour. Il est réputé adopter les motifs du jugement.

Sur la disproportion manifeste :

La Caisse d’épargne fait valoir que l’engagement de M. [E] ne peut être considéré comme disproportionné à ses biens et revenus.

L’article L 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction en vigueur du 5 août 2003 au 1er juillet 2016 et applicable en l’espèce, prévoit que le créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un cautionnement manifestement disproportionné :

Un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses bien et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.

C’est sur la caution que pèse la charge d’établir cette éventuelle disproportion manifeste. Ce n’est que lorsque le cautionnement est considéré comme manifestement disproportionné au moment de sa conclusion qu’il revient au créancier professionnel d’établir qu’au moment où il appelle la caution, le patrimoine de celle-ci lui permet à nouveau de faire face à son obligation.

Concernant la disproportion au moment de la conclusion de l’engagement :

Pour apprécier le caractère disproportionné d’un cautionnement au moment de sa conclusion, les juges doivent prendre en considération l’endettement global de la caution, ce qui inclut les cautionnements qu’elle a précédemment souscrits par ailleurs, bien qu’ils ne correspondent qu’à des dettes éventuelles, à condition qu’ils aient été souscrits avant celui contesté.

Le tribunal a retenu qu’il résultait de l’avis d’imposition produit par M. [E] qu’il ne déclarait aucun revenu en 2014. La Caisse d’Epargne ne justifie pas que la pièce produit par M. [E] en première instance à ce titre, non produite devant la cour, ait été incomplète.

Il résulte des statuts de la SCI Du Prieuré en date du 22 avril 2011 qu’elle avait un capital social de 1.500 euros et qu’elle était détenue à hauteur de 4% par M. [E]. Cette SCI avait acquis un ensemble immobilier pour la somme de 307.000 euros, financée pour 337.000 euros par un prêt.

Il en résulte qu’à la date de son engagement de caution, la valeur des parts de la société Du Prieuré détenues par M. [E] n’était pas significative, voire était nulle.

Il résulte de tous ces éléments que le cautionnement souscrit par M. [E] auprès de la Caisse d’épargne le 24 décembre 2013 était, au jour de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus. En effet, ses biens et revenus ne lui permettaient manifestement pas de faire face à un engagement de caution souscrit dans la limite de la somme de 32.500 euros.

Concernant la disproportion au moment de l’assignation :

Pour apprécier si le patrimoine de la caution lui permet de faire face à son obligation au moment où elle est appelée, le juge doit se placer au jour où la caution est assignée.

La Caisse d’épargne fait valoir que M. [E] serait en mesure de faire face à son engagement de caution.

Pour autant, la Caisse d’épargne ne justifie cependant pas de ce que le patrimoine de M. [E], au moment où celui-ci est appelé, lui permette de faire face à son obligation. Il ne peut donc pas se prévaloir de cet engagement de caution. Elle ne justifie notamment pas de la valeur des parts de la société Du Prieuré que pouvait détenir M. [E] à la date de l’assignation.

Le patrimoine de la caution à la date à laquelle elle est appelée ne s’apprécie pas par rapport aux biens et revenus mais uniquement par rapport à son patrimoine, sauf à travestir la notion de patrimoine et à faire dire au texte légal ce qu’il ne dit pas. En tout état de cause, la Caisse d’Epargne ne justifie pas des revenus de M. [E] à la date de l’assignation.

L’engagement de M. [E] était donc manifestement disproportionné et la Caisse d’Epargne ne peut donc pas s’en prévaloir. Le jugement sera cependant infirmé en ce qu’il a prononcé la nullité de l’engagement et non pas dit que la Caisse d’Epargne ne pouvait pas s’en prévaloir.

Sur les frais et dépens :

Il y a lieu de condamner la Caisse d’épargne, partie succombante, aux dépens d’appel et de rejeter les demandes formées au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour :

– Infirme le jugement en ce qu’il a prononcé la nullité du cautionnement souscrit le 24 décembre 2013,

– Confirme le jugement pour le surplus,

Statuant à nouveau et y ajoutant :

– Dit que la société Caisse d’Epargne et de prévoyance Loire-Centre ne peut pas se prévaloir de l’engagement de caution de M. [E] en date du 24 décembre 2013,

– Rejette les autres demandes des parties,

– Condamne la société Caisse d’épargne et de prévoyance Loire-Centre aux dépens d’appel.

Le greffier Le président


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