La SASU EAH, présidée par M. [I] [N], a été créée le 17 novembre 2017 et a contracté un prêt de 850 000 euros auprès de la Caisse d’épargne et de prévoyance Hauts de France, avec un cautionnement solidaire de M. [N]. La SASU Crazy Foot, également présidée par M. [N], a obtenu une facilité de caisse de 40 000 euros, également garantie par M. [N]. Le 10 juin 2020, les deux sociétés ont été placées en liquidation judiciaire. La banque a mis en demeure M. [N] de régler ses engagements de caution le 29 septembre 2020. Par un jugement du 23 novembre 2022, le tribunal a débouté la banque de ses demandes contre M. [N]. La banque a interjeté appel le 2 janvier 2023, demandant l’infirmation du jugement et le paiement des sommes dues par M. [N]. M. [N] a demandé la confirmation du jugement en appel et a sollicité des dommages-intérêts. L’instruction a été clôturée le 15 mai 2024, et l’affaire est renvoyée à l’audience de plaidoiries du 5 juin 2024.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 1
ARRÊT DU 26/09/2024
N° de MINUTE :
N° RG 23/00052 – N° Portalis DBVT-V-B7H-UVNY
Jugement n° 2020/1987 rendu le 23 novembre 2022 par le tribunal de commerce d’Arras
APPELANTE
SAS Caisse d’Epargne et de Prévoyance Hauts de France prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
ayant son siège social [Adresse 3]
représentée par Me François-Xavier Wibault, avocat au barreau d’Arras, avocat constitué
INTIMÉ
Monsieur [I] [N]
né le [Date naissance 1] 1977 à [Localité 5] (02),de nationalité française
demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Thomas Demessines, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
assisté de Me Aurélien Aucher, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant
DÉBATS à l’audience publique du 05 juin 2024 tenue par Aude Bubbe magistrat chargé d’instruire le dossier qui, après rapport oral de l’affaire, a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Valérie Roelofs
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Dominique Gilles, président de chambre
Pauline Mimiague, conseiller
Aude Bubbe, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 26 septembre 2024 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Dominique Gilles, président et Valérie Roelofs, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 15 mai 2024
La SASU EAH, présidée par M. [I] [N], est une société de holding, créée le 17 novembre 2017.
Le 18 janvier 2018, elle a souscrit auprès de la Caisse d’épargne et de prévoyance Hauts de France un prêt d’un montant de 850 000 euros, garanti par le cautionnement solidaire de M. [N], à hauteur de 50% de l’encours, dans la limite de 552 500 euros, donné par acte séparé du même jour, étant précisé que Mme [N] est intervenue à l’acte.
La SASU Crazy Foot, également présidée par M. [N], a une activité de revente d’équipements sportifs.
Le 3 février 2018, elle s’est vue accorder, par la Caisse d’épargne et de prévoyance Hauts de France (la banque) une facilité de caisse d’un montant de 40 000 euros, garantie par le cautionnement solidaire de M. [N], donné par acte séparé du même jour.
Le 10 juin 2020, le tribunal de commerce d’Arras a ouvert une procédure de liquidation judiciaire au bénéfice de la société EAH et de la société Crazy Foot.
Le 29 septembre 2020, après avoir déclaré ses créances, la banque a mis en demeure M. [N] de régler les sommes dues au titre de ses engagements de caution.
Par jugement contradictoire du 23 novembre 2022, sur assignation de la banque du 12 novembre 2020, le tribunal de commerce d’Arras a :
– débouté la banque de sa demande de condamnation de M. [N] en qualité de caution au titre du prêt n°5233566 d’un montant de 339 837,18 euros outre intérêts postérieurs au taux de 0,90%,
– débouté la banque de sa demande de condamnation de M. [N] en qualité de caution au titre du solde débiteur du compte n°[XXXXXXXXXX04] d’un montant de 23 326,70 euros outre intérêts au taux conventionnel,
– laissé à chaque partie le soin de s’acquitter de ses propres frais,
– condamné la banque aux dépens.
Par déclaration reçue au greffe de la cour le 2 janvier 2023, la banque a relevé appel de l’ensemble des chefs de ce jugement.
Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 16 juin 2023, la banque demande à la cour de :
– infirmer le jugement en l’ensemble de ses dispositions,
Statuant à nouveau,
– condamner M. [N], ès qualités de caution personnelle et solidaire de la société EAH, au titre du prêt n°5233566, au paiement de la somme de 339 837,18 euros outre intérêts postérieurs au taux de 0,90% à compter de la mise en demeure du 29 septembre 2020 et ce, jusqu’à parfait paiement,
– condamner M. [N], ès qualités de caution personnelle et solidaire de la société Crazy Foot, au titre du solde débiteur du compte n°[XXXXXXXXXX04], au paiement de la somme de 23 326,70 € outre intérêts au taux conventionnel à compter de la mise en demeure du 29 septembre 2020 jusqu’à parfait règlement,
– ordonner la capitalisation des intérêts en application de l’article 1343-2 du code civil,
– condamner M. [N] au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner M. [N] aux entiers frais et dépens engagés dans le cadre de la présente instance ainsi qu’en première instance.
Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 27 novembre 2023, M. [N] demande à la cour de :
– confirmer le jugement en l’ensemble de ses dispositions,
– débouter la banque de toutes ses demandes, fins et conclusions,
– condamner la banque à lui verser la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens d’appel et d’instance.
En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties pour l’exposé de leurs moyens.
La clôture de l’instruction est intervenue le 15 mai 2024 et l’affaire a été renvoyée à l’audience de plaidoiries du 5 juin 2024.
Sur la disproportion du premier cautionnement
Pour débouter la banque de sa demande au titre du premier cautionnement, au visa des articles L.332-1 et L.331-1 du code de la consommation et 12 du code de procédure civile, le tribunal a retenu que le montant du cautionnement était manifestement disproportionné avec les revenus et biens de M. [N], alors que son taux d’endettement lors de la signature du contrat était supérieur à 33%, que la fiche de renseignements était très antérieure au contrat et que les banques ont l’obligation de rechercher si l’engagement de la caution est proportionné à ses revenus et son patrimoine.
La banque expose que la date de la fiche de renseignements importe peu alors que la situation de M. [N] était identique lors de la conclusion du contrat et que le patrimoine du couple était supérieur au montant de l’engagement de caution de M. [N]. Elle en conclut que le montant de l’engagement de M. [N] à titre de caution n’était pas disproportionné.
M. [N] souligne que la fiche de renseignements a été établie le 5 avril 2017 alors que le cautionnement a été donné le 18 janvier 2018 et que ses revenus avaient été beaucoup plus réduits en 2017, même si le montant de ses placements mobiliers et immobiliers était resté inchangé, pour un montant de 656 000 euros. Il expose que la banque avait connaissance de l’évolution de ses revenus, puisqu’il avait du domicilier ses comptes en ses livres. Il souligne que l’engagement de caution est manifestement disproportionné alors qu’il s’élève à 57% de son patrimoine, sur le fondement de la fiche de renseignements, et à 84% de son patrimoine réel au moment de la conclusion du contrat.
Aux termes de l’article L.332-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure au 1er janvier 2022, applicable au contrat, ‘un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.’
Pour l’application de ce texte, la disproportion manifeste du cautionnement aux biens et revenus de la caution suppose que cette dernière se trouve, lorsqu’elle s’engage, dans l’impossibilité manifeste de faire face, avec ses biens et revenus, non à l’obligation garantie, selon les modalités de paiement propres à celle-ci, mais à son propre engagement.
En l’espèce, il ressort tant de la fiche de renseignements du 5 avril 2017 que des dernières conclusions de M. [N], que ce dernier disposait de biens, mobiliers et immobiliers, d’un montant total de 656 000 euros, lors de la conclusion du contrat de cautionnement du 18 janvier 2018, étant précisé qu’il était tenu à ce titre au montant maximum de 552 500 euros.
En outre, la cour constate que ce montant de 656 000 euros tient compte du solde des prêts immobiliers restant dus pour l’acquisition du logement familial et de celui de l’immeuble de rapport, qui ont été déduits de la valeur des immeubles.
Enfin, si les revenus du couple étaient de 80 000 euros en 2016 et qu’ils ont connu une forte baisse en 2017, alors que les époux [N] ont reporté un déficit de 54 000 euros au titre de la déclaration fiscale pour cette année, il convient de relever que le montant total des revenus et biens du couple permettait à M. [N] de faire face à son engagement de caution, lors de la signature de l’acte.
Dès lors, aucun élément ne permet de retenir que M. [N] se soit trouvé dans l’impossibilité manifeste de faire face, avec ses biens et revenus, à son propre engagement, limité à 552 500 euros, lors de la conclusion du contrat.
Ainsi, le jugement sera infirmé et M. [N] sera au paiement de la somme de 339 837,18 euros, avec intérêts au taux de 0,90% à compter du 29 septembre 2020, qui seront capitalisés conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil.
Sur la nullité du second cautionnement
Pour débouter la banque de sa demande au titre du second cautionnement, le tribunal retient la disproportion de l’acte avec le montant des revenus et des biens de M. [N] ainsi que le non-respect du formalisme contractuel.
Au visa de l’article 1181 du code civil, la banque rappelle que l’absence de mention manuscrite, prévue aux articles L.341-2 et L.341-3 du code de la consommation, n’est sanctionnée que d’une nullité relative, susceptible de confirmation. Elle expose que M. [N] ne pouvait ignorer le vice entachant ce cautionnement, tiré de l’absence de mention manuscrite, alors qu’il a signé le second cautionnement quelques jours après le premier et qu’en qualité d’ancien agent d’assurance et de président de deux sociétés commerciales, il avait connaissance des règles applicables. Elle souligne qu’en ne contestant pas sa qualité de caution, à l’occasion de la réception des lettres d’information annuelle et de la lettre l’informant de la défaillance de la société Crazy Foot, il a entendu confirmer tacitement l’acte. Elle fait valoir enfin que M. [N] s’est délibérément abstenu de porter la mention manuscrite dans l’intention d’échapper à ses obligations et ne peut dès lors invoquer la nullité du cautionnement.
M. [N] indique qu’en l’absence de mention manuscrite, l’acte de cautionnement est nul. Il souligne que la formation d’agent d’assurance, distincte de celle de banquier, ne porte pas sur les règles des garanties bancaires. Il fait valoir que des actes d’abstention ne peuvent valoir confirmation.
Aux termes de l’article L.331-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure au 1er janvier 2022, applicable au contrat, ‘toute personne physique qui s’engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel fait précéder sa signature de la mention manuscrite suivante et uniquement de celle-ci:
« En me portant caution de X…, dans la limite de la somme de … couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de …, je m’engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X… n’y satisfait pas lui-même. »‘
La violation du formalisme prévu par ce texte est sanctionnée par une nullité relative, à laquelle la caution peut renoncer par une exécution volontaire de son engagement irrégulier, en connaissance du vice l’affectant.
En l’espèce, il est constant que le cautionnement souscrit le 3 février 2018 ne comporte que la signature de M. [N] sans qu’elle ne soit précédée par la mention légale.
La cour relève en outre que le rappel de cette mention est réalisé à l’aide d’un astérisque situé à coté de l’emplacement prévu pour la signature, renvoyant à une note située en bas de page alors qu’aucune zone de texte ou ligne spécifiques, permettant à la caution de rédiger la mention légale, n’apparaissent avant celle prévue pour la signature de la caution.
Par ailleurs, la circonstance que M. [N] ait exercé les fonctions d’agent d’assurance et de gérant de société commerciales ou qu’il ait signé un cautionnement quelques jours auparavant, ne permet pas de retenir qu’il avait connaissance des règles spécifiques applicables aux contrats de cautionnement et donc du vice affectant le second cautionnement.
En outre, il convient de relever que M. [N] n’a versé aucune somme au titre de ce contrat, interdisant de retenir qu’il ait manifesté l’intention de réparer ce vice au sens de l’article 1182 du code civil, la seule abstention ne pouvant constituer une exécution volontaire du contrat.
Enfin, la banque n’apporte aucun élément justifiant que M. [N] ait pu délibérément s’abstenir de porter la mention manuscrite afin de bénéficier de la nullité de son engagement de caution, étant observé, au surplus, que l’absence de la mention est apparente et que la banque, professionnel du crédit, n’a pas pu manquer de constater cette absence lors de la signature de l’acte.
Dès lors, le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté la banque de sa demande en paiement au titre du second contrat de cautionnement.
Sur les demandes accessoires
En application de l’article 700 du code de procédure civile, M. [N] sera condamné à verser la somme de 3 000 euros, en cause d’appel.
En application de l’article 696 du code de procédure civile, M. [N] sera condamné aux dépens.
La cour,
Réforme partiellement le jugement en ce qu’il a débouté la banque de sa demande au titre du premier contrat de cautionnement ;
Confirme le jugement pour le surplus ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne M. [I] [N] à verser à la Caisse d’Epargne des Hauts de France la somme de 339 837,18 euros avec intérêts au taux de 0,90% à compter du 29 septembre 2020 ;
Dit que les intérêts seront capitalisés selon les dispositions de l’article 1343-2 du code civil ;
Condamne M. [I] [N] à verser à la Caisse d’Epargne des Hauts de France la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Rejette les demandes plus amples ou contraires ;
Condamne M. [I] [N] aux dépens.
Le greffier
Valérie Roelofs
Le président
Dominique Gilles