Évaluation de la Proportionnalité dans la Liquidation d’Astreinte : Entre Obligation d’Exécution et Protection des Droits de Propriété

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Évaluation de la Proportionnalité dans la Liquidation d’Astreinte : Entre Obligation d’Exécution et Protection des Droits de Propriété

Le tribunal judiciaire de Metz a, par jugement du 30 juin 2021, condamné la SAS Icade Promotion à réaliser des travaux de couverture de la terrasse de M. [J] selon un devis accepté, sous astreinte de 500 euros par jour de retard après un délai de quatre mois. Ce jugement a été signifié à la SAS Icade Promotion le 22 février 2022. La SAS a fait appel et a vu sa demande de sursis à l’exécution provisoire rejetée par ordonnance du 18 novembre 2021. M. [J] a ensuite assigné la SAS pour obtenir le paiement de 39.500 euros au titre de l’astreinte, ce qui a conduit à un jugement du 7 juillet 2023 liquidant l’astreinte à 30.700 euros et condamnant la SAS à verser cette somme ainsi qu’une indemnité de 1.500 euros. La SAS a interjeté appel de ce jugement le 13 juillet 2023, demandant un sursis à statuer en attendant l’arrêt sur son appel précédent, tout en contestant le montant de l’astreinte et en soutenant que le retard était dû à des difficultés d’obtention d’autorisations. M. [J] a, de son côté, demandé la confirmation du jugement et une liquidation supplémentaire de l’astreinte. Les deux parties ont présenté leurs arguments respectifs concernant les retards et les montants dus, avec une ordonnance de clôture rendue le 3 juin 2024.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

26 septembre 2024
Cour d’appel de Metz
RG
23/01483
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

J.E.X. N° RG 23/01483 – N° Portalis DBVS-V-B7H-F76N

Minute n° 24/00248

S.A.S. ICADE PROMOTION

C/

[J]

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Juge de l’exécution de METZ

07 Juillet 2023

22/00942

————————-

COUR D’APPEL DE METZ

3ème CHAMBRE

J.E.X.

ARRÊT DU 26 SEPTEMBRE 2024

APPELANTE :

S.A.S. ICADE PROMOTION

[Adresse 1]

Représentée par Me Yves ROULLEAUX, avocat au barreau de METZ

INTIMÉ :

Monsieur [F] [J]

[Adresse 2]

Représenté par Me Jean-Luc HENAFF, avocat postulant au barreau de METZ et par Me Julien SCHAEFFER, avocat plaidant au barreau de STRASBOURG

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 04 Juin 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés devant M. KOEHL, Président de Chambre, qui a fait un rapport oral de l’affaire avant les plaidoiries.

A l’issue des débats, les parties ont été informées que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 26 Septembre 2024, en application du deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :

PRÉSIDENT : Mme GUIOT-MLYNARCZYK, Président de Chambre

ASSESSEURS : M. MICHEL, Conseiller

M. KOEHL, Conseiller

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme Hélène BAJEUX, Greffier

ARRÊT :

Contradictoire

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Mme GUIOT-MLYNARCZYK, Présidente de Chambre, et par Mme Hélène BAJEUX, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE’:

Par jugement du 30 juin 2021, assorti de l’exécution provisoire, le tribunal judiciaire de Metz a notamment condamné la SAS Icade Promotion à réaliser les travaux de couverture de la terrasse de M. [F] [J] conformément au devis EBI du 8 juin 2015- réalisation d’une toiture panneaux sandwich avec étanchéité ayant recueilli l’assentiment du demandeur, sous astreinte de 500 euros par jour de retard passé un délai de quatre mois suivant la signification du jugement. Le jugement a été signifié à la SAS Icade Promotion par acte d’huissier remis le 22 février 2022 à personne habilitée.

La SAS Icade Promotion a formé appel de ce jugement et par ordonnance de référé du 18 novembre 2021, le premier président de la cour d’appel de Metz a rejeté sa demande de sursis à l’exécution provisoire.

Par acte d’huissier du 28 septembre 2022, M. [J] a fait assigner la SAS Icade Promotion devant le juge de l’exécution de Metz aux fins de la voir condamner à lui verser la somme de 39.500 euros au titre de la liquidation de l’astreinte outre une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La SAS Icade Promotion a sollicité un sursis à statuer, à titre subsidiaire le rejet des demandes, plus subsidiairement la réduction de la somme et une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 7 juillet 2023, le juge de l’exécution de Metz a’:

– rejeté la demande de sursis à statuer

– liquidé l’astreinte prononcée par le tribunal judiciaire de Metz dans un jugement n° 16/01712 du 30 juin 2021 à hauteur de 30.700 euros au 25 avril 2023

– condamné la SAS Icade Promotion à régler la somme de 30.700 euros à M. [J] au titre de l’astreinte et la somme de 1.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens

– débouté les parties de toute autre demande.

Par déclaration d’appel déposée au greffe de la cour le 13 juillet 2023, la SAS Icade Promotion a interjeté appel du jugement en toutes ses dispositions.

Aux termes de ses dernières conclusions du 27 mai 2024, elle demande à la cour d’infirmer le jugement et de :

– in limine litis et à titre principal, ordonner le sursis à statuer dans l’attente de l’arrêt à intervenir dans la procédure RG 21/01838 dans le cadre de l’appel formé contre le jugement du 30 juin 2021 et dire que l’affaire sera retirée du rôle

– subsidiairement rejeter la demande de M. [J]

– à titre infiniment subsidiaire liquider l’astreinte à un montant symbolique

– plus subsidiairement rejeter l’appel incident

– confirmer le jugement entrepris

– débouter M. [J] de sa demande d’une somme de 153.000 euros à titre de liquidation d’astreinte

– le condamner en tous les frais et dépens.

L’appelante soutient qu’il doit être sursis à statuer dans l’attente de l’arrêt au fond à intervenir sur son appel, qui est susceptible d’influer sur la liquidation d’astreinte. Sur le fond, elle soutient que le jugement a été exécuté en cours de procédure ainsi qu’il résulte de l’attestation de la société Ebi, que le retard des travaux est dû au fait qu’elle a rencontré des difficultés pour obtenir l’autorisation d’urbanisme auprès de l’architecte qui ne lui a transmis les documents nécessaires que le 15 novembre 2022 et que l’autorisation des travaux n’a été donnée par l’assemblée générale des copropriétaires que le 6 janvier 2023. Elle ajoute que M. [J] a discuté les travaux, que la société Ebi a dû actualiser son devis pour tenir compte des travaux supplémentaires sollicités par l’intimé, que les plans d’exécution ont été validés le 30 mars 2023 et qu’il y a eu des délais d’approvisionnement et d’intervention liés à des difficultés de la société Ebi. Elle estime que le retard d’exécution des travaux ne lui est pas imputable mais provient d’une cause étrangère, due à des éléments extérieurs du fait de M. [J] et la société Ebi.

Subsidiairement, elle demande que l’astreinte soit liquidée à un montant purement symbolique puisque les travaux ont été réalisés. Plus subsidiairement, elle demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu’il a liquidé l’astreinte sur la base d’une indemnité journalière de 100 euros et rejeter l’appel incident puisqu’il existe une disproportion manifeste entre l’enjeu du litige et la demande de l’intimé, qui sollicite le prix d’achat de l’appartement qu’il occupe depuis la livraison.

Aux termes de ses dernières conclusions du 23 mai 2024, M. [J] demande à la cour de

– confirmer le jugement

– sur appel incident, ajoutant à la condamnation de première instance, liquider l’astreinte provisoire prononcée par le tribunal judiciaire de Metz à la somme supplémentaire de 122.800 euros et condamner la SAS Icade Promotion à lui régler cette somme supplémentaire au titre de l’astreinte liquidée

– en toute hypothèse la condamner à lui payer une indemnité de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens d’appel

– rejeter toutes conclusions plus amples ou contraires.

Il expose que le juge de l’exécution ne peut revenir sur la condamnation prononcée par le juge du fond, que l’astreinte ne pourra être supprimée qu’à compter du 23 septembre 2023, date de réalisation des travaux et que la procédure a pour seul objet de statuer sur la liquidation de l’astreinte du jugement du 30 juin 2021 au 25 avril 2023, de sorte que la demande de sursis à statuer doit être rejetée.

Sur le fond, il fait valoir que l’appelante a tardé à obtenir l’autorisation d’urbanisme puisqu’elle a réagi seulement après l’assignation du 18 septembre 2022 devant le juge de l’exécution, qu’elle a tardé à solliciter l’autorisation de l’assemblée générale des copropriétaires et a attendu neuf mois entre cette autorisation et la réalisation des travaux, que les difficultés alléguées ne sont pas prouvées et qu’il n’a pas sollicité de travaux supplémentaires non prévus au devis initial. Sur la liquidation de l’astreinte, il soutient que le montant journalier de 500 euros n’est pas disproportionné compte tenu de l’impossibilité de jouir d’une terrasse couverte et des délais injustifiés pour réaliser les travaux, sollicitant 500 euros par jour du 23 juin 2022 au 25 avril 2023 soit la somme de 153.000 euros

L’ordonnance de clôture a été rendue le 3 juin 2024.

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur le sursis à statuer

Il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de sursis à statuer dans l’attente de la décision sur le fond rendue en appel, étant rappelé qu’en cas d’infirmation du jugement et suppression de l’astreinte, le débiteur de l’obligation pourra obtenir le remboursement des sommes versées au titre de la liquidation de l’astreinte. En conséquence le jugement ayant rejeté la demande de sursis à statuer est confirmé.

Sur la liquidation de l’astreinte

Selon l’article L.131-2 du code des procédures civiles d’exécution, l’astreinte est considérée comme provisoire à moins que le juge n’ait précisé son caractère définitif.

L’article L.131-3 du même code dispose que l’astreinte même définitive est liquidée par le juge de l’exécution sauf si le juge qui l’a ordonnée reste saisi de l’affaire ou s’en est expressément réservé le pouvoir. Selon l’article L.131-4, le montant de l’astreinte provisoire est liquidé en tenant compte du comportement de celui à qui l’injonction a été adressée et des difficultés qu’il a rencontrées pour l’exécuter et l’astreinte provisoire ou définitive est supprimée en tout ou partie s’il est établi que l’inexécution ou le retard dans l’exécution de l’injonction provient en tout ou partie d’une cause étrangère.

S’agissant d’une obligation de faire, il incombe au débiteur de prouver qu’il a respecté son obligation.

En l’espèce, le juge de l’exécution a exactement dit que le jugement du 30 juin 2021 ayant prononcé l’astreinte, a été signifié à la SAS Icade Promotion le 22 février 2022, que l’astreinte a commencé à courir à compter du 23 juin 2022 et que l’appelante n’allègue ni ne démontre avoir exécuté l’obligation mise à sa charge de réalisation de travaux de couverture de la terrasse de M. [J] avant cette date, étant rappelé que tout retard dans l’exécution d’une injonction assortie d’astreinte peut justifier la liquidation de celle-ci.

Si elle soutient avoir été dans l’impossibilité de réaliser les obligations mises à sa charge, le premier juge a pour de justes motifs considéré que l’appelante n’en rapportait pas la preuve, alors qu’elle ne justifie d’aucune cause étrangère avant l’assignation en liquidation de l’astreinte, qu’il ressort des échanges de mails qu’il n’y a pas d’obstruction de l’intimé à la réalisation des travaux et qu’elle n’a été confrontée qu’à des difficultés classiques dans les relations avec une entreprise sous traitante (retard dans les interventions, problèmes de personnel ou de matériel) et qu’il n’est démontré aucune difficulté technique ni nécessité de reprendre le devis initial, outre le fait qu’elle ne pouvait ignorer que l’autorisation de la copropriété était nécessaire et qu’il lui appartenait de la solliciter rapidement sans attendre plusieurs mois pour ce faire. Il est précisé que les attestations du gérant de la société Ebi, chargée par la SAS Icade Promotion de la réalisation des travaux, sont d’une valeur probante insuffisante pour rapporter la preuve d’une résistance de l’intimé à la réalisation des travaux pouvant expliquer le retard pris, l’absence de coopération et la méfiance de celui-ci ne ressortant d’aucune autre pièce et notamment pas des échanges de mails versés aux débats. En conséquence il n’y a pas lieu de rejeter la demande de liquidation d’astreinte.

Sur le montant de l’astreinte, il est rappelé que le juge saisi d’une demande de liquidation ne peut se déterminer qu’au regard des seuls critères prévus à l’article L. 131-4 du code des procédures civiles d’exécution et qu’il ne peut limiter le montant de l’astreinte liquidée au motif que le montant sollicité par le créancier de l’astreinte serait excessif ou trop élevé au regard des circonstances de la cause ou de la nature du litige.

Cependant, l’astreinte, en ce qu’elle impose, au stade de sa liquidation, une condamnation pécuniaire au débiteur de l’obligation, est de nature à porter atteinte à un intérêt substantiel de celui-ci. Elle entre ainsi dans le champ d’application de la protection des biens garantie par le protocole n°1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Il en résulte que le juge qui statue sur la liquidation d’une astreinte provisoire doit apprécier le caractère proportionné de l’atteinte qu’elle porte au droit de propriété du débiteur au regard du but légitime qu’elle poursuit.

Dès lors, si l’astreinte ne constitue pas, en elle-même, une mesure contraire aux exigences du protocole en ce que, prévue par la loi, elle tend, dans l’objectif d’une bonne administration de la justice, à assurer l’exécution effective des décisions de justice dans un délai raisonnable, tout en imposant au juge appelé à liquider l’astreinte, en cas d’inexécution totale ou partielle de l’obligation, de tenir compte des difficultés rencontrées par le débiteur pour l’exécuter et de sa volonté de se conformer à l’injonction, il appartient au juge saisi d’apprécier, de manière concrète, s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre le montant auquel il liquide l’astreinte et l’enjeu du litige.

En l’espèce, le premier juge a justement dit que la liquidation de l’astreinte à la somme de 30.700 euros présentait un rapport raisonnable de proportionnalité entre ce montant et l’enjeu du litige, s’agissant de la réalisation de travaux de couverture d’une terrasse dans le cadre d’une vente d’un immeuble qui a été livré et qui est occupé par l’intimé, étant précisé que ces travaux ont été réalisés par la société Ebi le 23 septembre 2023 ainsi qu’il ressort de l’attestation non contestée du gérant de cette société et des propres conclusions de l’intimé. En conséquence, le jugement est confirmé en ce qu’il a liquidé l’astreinte à la somme de 30.700 euros pour la période échue du 23 juin 2022 au 25 avril 2023 (307 jours x 100 euros) et condamné l’appelante à verser cette somme à l’intimé.

Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens

Les dispositions du jugement sur les frais irrépétibles et les dépens sont confirmées.

La SAS Icade Promotion, partie perdante, devra supporter les dépens d’appel et il est équitable qu’elle soit condamnée à verser à M. [J] la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, en sus de la somme déjà allouée en première instance.

PAR CES MOTIFS :

LA COUR, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

CONDAMNE la SAS Icade Promotion aux dépens d’appel ;

CONDAMNE la SAS Icade Promotion à verser à M. [F] [J] la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


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