Exposé du litigeLa société LUCOFLO PLAGE a cédé son fonds de commerce de brasserie à la société EDENA pour un montant de 1 130 000 euros. L’administration fiscale a jugé ce prix sous-évalué et a proposé une rectification en matière de droits d’enregistrement. Malgré les contestations de la société EDENA, l’administration a maintenu ses rectifications, entraînant des impositions supplémentaires. Procédure judiciaireLa société EDENA a assigné l’administration fiscale devant le tribunal judiciaire de Marseille, demandant un dégrèvement des impôts supplémentaires. L’audience a eu lieu le 1er octobre 2024, et l’affaire a été mise en délibéré pour décision le 5 novembre 2024. Prétentions de la société EDENALa société EDENA a demandé un dégrèvement total des impositions, arguant que l’administration fiscale n’avait pas prouvé l’insuffisance du prix de cession. Elle a contesté la pertinence des termes de comparaison utilisés par l’administration, soulignant des différences significatives entre les établissements comparés. Arguments de l’administration fiscaleL’administration fiscale a soutenu que les cessions de référence étaient pertinentes et que les différences alléguées par la société EDENA n’affectaient pas la validité des comparaisons. Elle a également justifié la majoration de 40 % pour manquement délibéré, en raison de la relation familiale entre les parties et de la connaissance présumée de la valeur réelle du fonds. Motifs de la décisionLe tribunal a conclu que l’administration fiscale avait apporté la preuve de l’insuffisance du prix de cession en utilisant des comparaisons appropriées. Les différences entre les établissements n’étaient pas suffisantes pour remettre en cause la pertinence des termes de comparaison. La majoration de 40 % a été jugée justifiée en raison des manquements délibérés. Décision du tribunalLe tribunal a débouté la société EDENA de toutes ses demandes, l’a condamnée aux dépens et a confirmé l’exécution provisoire de la décision. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
DE MARSEILLE
PREMIERE CHAMBRE CIVILE
JUGEMENT N° 24/ DU 05 Novembre 2024
Enrôlement : N° RG 23/11556 – N° Portalis DBW3-W-B7H-4C25
AFFAIRE : S.A.S.U. EDENA (Me Alain BOFFARD)
C/ DIRECTION GENERALE DES FINANCES PUBLIQUES
DÉBATS : A l’audience Publique du 01 Octobre 2024
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Président : SPATERI Thomas, Vice-Président, assisté de Mme Coline RAMON, auditrice de justice, qui a participé avec voix consultative au délibéré
Greffier lors des débats : ALLIONE Bernadette, Greffier
Vu le rapport fait à l’audience
A l’issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 05 Novembre 2024
Jugement signé par SPATERI Thomas, Vice-Président et par ALLIONE Bernadette, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
NATURE DU JUGEMENT
contradictoire et en premier ressort
NOM DES PARTIES
DEMANDERESSE
Société EDENA
SAS au capital de 1.000 €, immatriculée au RCS de MARSEILLE sous le n° 853 512 218, dont le siège social est sis [Adresse 1], agissant en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
représentée par Maître Alain BOFFARD, avocat au barreau de MARSEILLE
C O N T R E
DEFENDERESSE
LA DIRECTION GENERALE DES FINANCES PUBLIQUES
poursuites et diligences de la Directrice Régionale des Finances Publiques de PACA et des Bouches-du-Rhône
qui élit domicile en ses bureaux sis [Adresse 4]
dispensée du ministère d’avocat
Faits et procédure :
Par acte rédigé le 6 février 2020 et enregistré le 20 février 2020, la société LUCOFLO PLAGE a cédé son fonds de commerce de brasserie ([6]) sis [Adresse 2] à [Localité 7], à la société EDENA au prix de 1 130 000 euros.
Estimant le prix de vente sous-évalué au regard de la valeur vénale du fonds, l’administration fiscale a entendu rectifier cette minoration en matière de droits d’enregistrement par proposition de rectification du 8 décembre 2021 adressée à la société EDENA.
Par une réponse du 20 juillet 2022 faite aux observations du contribuable formulées le 28 janvier 2022, lequel contestait la valorisation envisagée ainsi que la majoration pour manquement délibéré aux obligations mises à sa charge, l’administration a maintenu les rectifications envisagées.
Saisie par l’administration fiscale à la demande de la société EDENA, la commission départementale de conciliation des Bouches-du-Rhône a émis un avis le 5 décembre 2022 aux termes duquel elle a proposé le maintien des rectifications opérées par l’administration fiscale.
Les impositions supplémentaires ont été mises en recouvrement par un avis du 15 mars 2023, pour un montant de 54 250 euros en complément de droits d’enregistrement, assortie d’une majoration de 40% pour manquement délibéré à hauteur de 21 980 euros et d’intérêts de retard à hauteur de 1 209 euros soit une somme totale de 78 139 euros.
En l’absence de réponse à sa réclamation dans le délai réglementaire de six mois, la société EDENA a assigné l’administration fiscale devant le tribunal judiciaire de Marseille par acte de commissaire de justice en date du 13 novembre 2023 en dégrèvement des impôts supplémentaires mises à sa charge par l’administration fiscale.
La clôture est intervenue le 17 septembre 2024 par ordonnance du même jour.
L’audience a eu lieu le 1er octobre 2024 et l’affaire a été mise en délibéré au 5 novembre 2024.
Prétentions et moyens des parties :
Dans ses dernières conclusions, signifiées par voie de commissaire de justice le 5 juin 2024, la SASU EDENA sollicite :
Un dégrèvement total des impositions supplémentaires mises à sa charge en ce compris la majoration de 40 %. La condamnation de la DGFIP au versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens. Au soutien de sa demande, la société EDENA fait valoir que l’administration fiscale ne rapporte pas la preuve de l’insuffisance du prix de la cession litigieuse. Elle invoque l’article 17 du livre des procédures fiscales qui impose à l’administration fiscale, la charge de la preuve de l’insuffisance des prix exprimés pour lesquelles elle demande une rectification et soutient qu’il est de jurisprudence constante que l’administration fiscale doit pour cela recourir à des éléments de comparaison sur des biens ou des situations intrinsèquement similaires. Elle indique également que le siège de cette motivation doit être énoncée dans la proposition de rectification et argue qu’en l’espèce, en se contentant dans la proposition de rectification en date du 8 décembre 2021 de trois fonds de comparaison cédés entre 2015 et 2017 et situés en bords de mer à [Localité 7] sans préciser les critères selon lesquels ceux-ci sont intrinsèquement similaires, l’administration fiscale ne fait pas la démonstration requise par l’article précité. La société EDENA souligne par ailleurs que l’administration fiscale n’use pas des analyses préconisées dans le guide d’évaluation des entreprises.
La société EDENA soutient principalement que les termes de comparaison retenus par l’administration fiscale au soutien de sa démonstration ne sont pas pertinents et ce pour plusieurs raisons :
En premier lieu, les dates de cessions retenues ne permettent pas une comparaison pertinente en raison de l’évolution défavorable des conditions d’exploitations. Elle souligne ainsi que les cessions de référence retenues ont été effectuées entre 2015 et 2017 soit à une période où il ne pouvait être envisagé la survenance d’une crise sanitaire quand la cession litigieuse a été opérée en février 2020 alors qu’il était établi, malgré l’absence de mesures réglementaires restrictives, un sentiment général selon lequel il existait au moins en germe des conditions très défavorables à l’exploitation des bars-restaurants. En outre, les biens ne peuvent être considérés comme intrinsèquement similaires dès lors que leur clientèle et leur emplacement diffère. En effet, s’agissant de la clientèle, la société EDENA précise que la brasserie [6] bénéficie d’une clientèle à la fois locale, touristique et d’affaire tandis que [5], la [9] et [8] ont des clientèles essentiellement touristiques. En outre s’agissant de leur emplacement, la société EDENA fait valoir que si l’ensemble de ses établissements se trouvent effectivement à [Localité 7] en bord de mer, [6] est la seule brasserie se trouvant au niveau des plages du PRADO dont les conditions de sécurité se sont largement dégradées. La société EDENA fait également valoir que la brasserie [6] présente des contraintes d’exploitation particulières. Elle indique ainsi que d’une part, la cession du fonds a généré le transfert de 26 contrats de travail et que d’autre part, son unité commerciale repose sur le fonctionnement de trois baux commerciaux distincts. La SASU EDENA critique par ailleurs les prix de référence retenus par l’administration fiscale. Elle souligne, d’une part qu’ils ne sont pas différenciés entre le prix des éléments incorporels et des éléments corporels, et d’autre part, qu’ils sont obtenus en application d’un pourcentage appliqué à la moyenne du chiffre d’affaires réalisé sur les deux derniers exercices pour chaque établissement alors même qu’il ne peut être considéré que le prix d’un fonds de commerce est directement proportionnel à son chiffre d’affaires. Elle ajoute que d’ailleurs plus un bien est important en chiffres d’affaires, moins le prix est directement proportionnel ce qui justifie de retenir pour la brasserie [6] un prix de cession proche de celui fixé par les parties à savoir celui de 1 232 864 €.Elle soutient de surcroît que la proposition de rectification en date du 8 décembre 2021 repose sur un contrôle de la comptabilité de la société LUFLOPLAGE lequel n’est pas opposable à la société EDENA qui n’a pas été mise en mesure de répondre à l’argument tenant au redressement du chiffre d’affaires de la société LUCOFLOPLAGE, de sorte que ledit avis n’est pas suffisamment motivé au regard de l’article L.57 du livre des procédures fiscales. Enfin, la société EDENA conclut que les termes de comparaison ne peuvent être considérés comme intrinsèquement similaires à la brasserie [6] car chaque établissement présente des caractéristiques particulières. Ainsi [8] a été cédé par une indivision. Par ailleurs, avant sa cession [5] était gérée dans le cadre d’une location gérance, et qu’il s’agit d’un fonds agencé de façon luxueuse ce qui rend sa cession atypique. Enfin s’agissant de la [9], le chiffres d’affaires de ladite société à hauteur de 2 996 115 euros comprennent l’exploitation de la [9] et du restaurant [3]. En outre, leur activité diffère en ce que les activités de pizzeria permettent des marges plus importantes que les brasseries. La société EDENA en conclut que la valeur de 1 130 000 euros est bien la valeur du fonds au regard des circonstances tenant au COVID et aux circonstances particulières d’exploitation du fonds.
Par ailleurs, s’agissant de la majoration de 40 %, la société EDENA, au regard de l’article 1729 du code général des impôts que la société EDENA ne sautait être débitrice de telles pénalités dès lors qu’il n’est pas démontré dans la proposition de rectification du 8 décembre 2021 que la sous-évaluation alléguée trouve son origine dans un cadre familial. Elle souligne par ailleurs que la jurisprudence mentionnée par l’administration fiscale n’est pas applicable à ce cas particulier dès lors qu’il s’agit d’un arrêt de l’ordre administratif et qu’il est relatif à d’autres natures d’impositions. Enfin, la SASU EDENA soutient qu’aucune disposition légale ou réglementaire ne fait obligation à l’acquéreur de vérifier les énonciations du vendeur en termes de bénéfices et de chiffres d’affaires.
***
Dans ses dernières conclusions, signifiées par voie de commissaire de justice le 23 avril 2024, l’administration fiscale sollicite de voir :
Confirmer la décision de rejet implicite de l’administration Confirmer le bien-fondé des impositions mises à la charge de la société EDENA Confirmer le bien-fondé de la majoration de 40% et des intérêts de retard mises à la charge de la société EDENA En conséquence :
Débouter la société EDENA de l’ensemble de ses demandes La condamner aux dépens Au soutien de sa demande visant à voir confirmer le bien-fondé des impositions mises à la charge de la société EDENA, l’administration fiscale fait valoir, dans un premier temps, des arguments relatifs aux termes de comparaison litigieux :
Les cessions intervenues entre 2015 et 2017 sont intervenues à des dates proches et pertinentes. L’administration fiscale indique en effet qu’à la date de la cession aucune mesure coercitive n’était prononcée par le gouvernement de sorte que la pandémie de COVID-19 n’apparaissait pas encore comme un risque avéré susceptible d’impacter l’exploitation d’un établissement de restauration et ce d’autant plus que si l’acte a été enregistré le 20 février 2020 l’acte de cession a été signé et imprimé le 6 février 2020.Les trois termes de comparaison concernent des cessions de fonds de commerce situés dans la même ville, sur un même secteur géographique à savoir en bord de mer avec une activité identique celle de brasserie et l’ensemble de ces cessions ont été conclues à une période antérieure. En outre, les différences tenant à l’emplacement ou à la clientèle est nécessairement pris en compte dès lors que ces derniers n’ont d’influence que sur le chiffre d’affaires de l’établissement, base sur laquelle l’évaluation a justement été faite. La poursuite des contrats de travail est une obligation légale à laquelle est confrontée tout cessionnaire de fonds de commerce. De même, l’argument tenant à la division en trois baux commerciaux n’est pas opérant puisque la résiliation d’un bail commercial est compensée financièrement. L’administration fiscale ajoute qu’en tout état de cause, le nombre important de salarié, la superficie exploitée d’un total de 194 m² attestent de conditions favorables illustrées de surcroît par un chiffre d’affaires constant bien supérieur à 2 millions d’euros entre 2016 et 2019 ne militent pas dans le sens d’un prix de cession inférieur au prix du marché. Le conseil d’état a déjà pu juger que l’évaluation de la valeur d’un fonds faite par l’administration en fonction du chiffre d’affaires annuel moyen était suffisamment justifiée. Au cas présent, l’administration fiscale a déterminé un ratio de référence calculé en établissant la moyenne du ratio le prix de cession de l’établissement et la moyenne du chiffre d’affaires des deux années qui précédaient cette cession. L’écart de chiffre d’affaires entre les trois termes de comparaison n’a pas d’incidence dès lors que le ratio concernant l’établissement ayant le chiffre d’affaires le moins élevé celui ayant le plus élevé sont sensiblement identiques. La requérante ne démontre pas en quoi l’absence de distinction entre les éléments incorporels et corporels aurait une influence sur le prix de cession. La proposition de rectification en date du 8 décembre 2021 est conforme aux exigences légales prévues par l’article L.57 du livre des procédures fiscales en ce qu’il est motivé par des éléments de faits. L’avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires intervenu le 19 septembre 2023 dans le cadre du dossier LUCOFLO a validé les rehaussements notifiés à la société en matière d’omissions de recettes, validant par là même le montant des chiffres d’affaires rectifiés utilisés par l’administration fiscale. Elle présente dans un second temps des arguments concernant la méthode d’évaluation utilisée :
Elle soutient que la société EDENA ne propose aucune autre méthode d’évaluation de nature à valider ses analyses. Surtout, les différences soulevées concernant les différents termes de comparaison, notamment s’agissant de la détention en indivision de l’établissement [8], ou de la location-gérance de [5], ne sont pas pertinentes dès lors qu’il n’est pas justifié en quoi celles-ci pourraient influer sur le prix de cession du fonds. Enfin, les cartes des établissements [9] et [6] sont sensiblement similaires dès lors que le premier propose également des plats de brasserie tandis que [6] propose également des pizzas. L’absence de d’indication du numéro SIREN du cédant s’agissant de l’établissement [9] n’a pas fait obstacle à l’obtention de l’acte cession, une recherche ayant pu être faite à partir du cessionnaire. Au soutien de sa demande relative au bien-fondé de la majoration de 40 % mise à la charge de la société EDENA, l’administration fiscale fait valoir les éléments suivants. Elle se fonde sur l’article 1729 du code général des impôts qui prévoit l’application d’une majoration de 40 % en cas de manquement délibéré en cas d’inexactitudes ou d’omission relevées dans une déclaration ou un acte comportant l’indication d’éléments à retenir pour l’assiette ou la liquidation de l’impôt et allègue qu’en l’espèce, les circonstances particulières de la cession contestée constitue un faisceau d’indices grave et concordant d’une volonté délibérée d’éluder une partie conséquente des droits d’enregistrement dont la société cessionnaire était redevable. Elle justifie des circonstances suivantes :
Le gérant et détenteur à 90 % de la société cédante LUCOFLOPLAGE est le père de la détentrice de société cessionnaire, la SASU EDENA. La SASU EDENA a été créée à la suite de la procédure de vérification de la comptabilité de la SARL LUCOFLO PLAGE. [R] [F] la représentante légale de la société SAS EDENA ne pouvait ignorer la valeur réelle du fond racheté dès lors qu’elle était également salariée et associée de la société LUCOFLO PLAGE et qu’elle était ainsi en mesure d’évaluer le niveau d’activité de l’établissement qu’elle entendait reprendre. En tout état de cause, le fonds de commerce a été acquis à un prix anormalement bas eu égard au chiffre d’affaires réellement réalisé par la société cédante.
Sur le redressement :
Aux termes de l’article L.17 du livre des procédures fiscales : « En ce qui concerne les droits d’enregistrement […], l’administration des impôts peut rectifier le prix ou l’évaluation d’un bien ayant servi de base à la perception d’une imposition lorsque ce prix ou cette évaluation paraît inférieur à la valeur vénale réelle des biens transmis ou désignés dans les actes ou déclarations. La rectification correspondante est effectuée suivant la procédure de rectification contradictoire prévue à l’article L. 55, l’administration étant tenue d’apporter la preuve de l’insuffisance des prix exprimés et des évaluations fournies dans les actes ou déclarations ».
En outre, l’article L.57 du livre des procédures fiscales dispose que : « Lorsque, pour rectifier le prix ou l’évaluation d’un fonds de commerce ou d’une clientèle, en application de l’article L.17, l’administration se fonde sur la comparaison avec la cession d’autres biens, l’obligation de motivation en fait est remplie par l’indication :
1° Des dates des mutations considérées ;
2° De l’adresse des fonds ou lieux d’exercice des professions ;
3° De la nature des activités exercées ;
4° Et des prix de cession, chiffres d’affaires ou bénéfices, si ces informations sont soumises à une obligation de publicité ou, dans le cas contraire, des moyennes de ces données chiffrées concernant les entreprises pour lesquelles sont fournis les éléments mentionnés aux 1°, 2° et 3°».
La valeur vénale réelle d’un bien sur la base de laquelle l’administration des impôts est en droit, en application de ces dispositions, de rectifier le prix ayant servi de base à la perception d’une imposition, lorsque ce prix parait inférieur à cette valeur, correspond au prix que le jeu normal de l’offre et de la demande permettrait de retirer de la vente du bien en cause à la date du fait générateur de l’impôt. Cette valeur peut être déterminée par comparaison avec les prix constatés pour des cessions de biens qui, sans être parfaitement identiques au bien en cause, lui sont intrinsèquement similaires, cette similitude portant sur l’état de fait et l’état de droit des biens.
En l’espèce, l’administration fiscale entend prouver l’insuffisance du prix en comparant celui-ci avec ceux de trois autres cessions de fonds de commerce de restauration situés à [Localité 7], intervenues entre 2015/2017 en calculant le ratio de leurs chiffre d’affaires sur les deux dernières années.
Le contribuable conteste la pertinence des termes de comparaison utilisés par l’administration fiscale à savoir le caractère de similarité des biens cités ainsi que les critères retenus pour parvenir à l’évaluation fixée par celle-ci.
Pour autant, il ressort des éléments du dossier que les termes de comparaison proposés par l’administration fiscale sont effectivement des fonds de commerce de restauration situés à [Localité 7] en bord de mer. Si le contribuable souligne concernant la situation géographique de sa brasserie la dégradation des conditions de sécurité sur des plages du Prado auxquelles elle fait face, il n’est pas démontré que cela ait eu un impact particulier sur leur clientèle ou leur chiffre d’affaires. Il argue par ailleurs avoir des clientèles qui diffèrent, alors même qu’il admet avoir une clientèle pour partie touristique à l’instar des autres établissements. Dès lors, les différences alléguées s’agissant de l’emplacement géographique ou de la clientèle n’apparaissent pas suffisamment conséquentes pour remettre en cause la pertinence des termes de comparaison qui demeurent intrinsèquement similaires.
En outre, les dates des cessions proposées par l’administration fiscale à titre de comparaison apparaissent pleinement pertinentes dès lors que ces dernières sont suffisamment proches et que l’impact de la crise sanitaire sur l’évaluation du prix de cession n’est pas établi puisque l’existence de la connaissance d’un risque particulier sur l’exploitation des bars-brasseries avant l’adoption du décret du 16 mars 2020 ne ressort pas des pièces du dossier. En effet, l’article de l’AFP relatif au confinement de Codogno est publié le 23 février 2020 soit postérieurement tant à la rédaction de l’acte de cession en date du 6 février 2020 qu’à son enregistrement le 20 février 2020. De plus, il ressort de la chronologie de l’action de l’OMS qu’au mois de janvier et février 2020 leur considération portait principalement sur la prise en charge et la détection des cas de maladie et non sur des mesures de confinement ou des restrictions concernant l’exploitation des restaurants. Enfin, l’article en date du 31 janvier 2020 ne mentionne pas de risque de fermeture des fonds de commerce de brasserie.
Par ailleurs, s’agissant des particularités d’exploitation invoquées par le contribuable, il convient de souligner que le transfert des contrats de travail est une obligation légale avec laquelle doit composer tout cessionnaire de fonds de commerce. Si en revanche, la division en trois baux commerciaux peut constituer une contrainte de gestion, il ressort des conclusions du contribuable que cette question a été abordée dans le cadre de la procédure de vérification de la comptabilité des exercices 2018 et 2019 du cédant du fonds de commerce qui a eu pour effet de rehausser le chiffre d’affaires ayant servi de base au calcul de revalorisation effectué par l’administration fiscale dans le cadre de cette affaire.
Le fait que les fonds de commerce présentent chacun des caractéristiques particulières est indifférent dès lors qu’il n’est pas établi que cela aurait un impact sur leurs chiffres d’affaires et partant sur leur valeur vénale alors même que si les termes de comparaison doivent être des biens intrinsèquement similaires il n’est pas nécessaire que ces derniers soient identiques.
Enfin, la méthode d’évaluation de l’administration fiscale ne peut être sérieusement contestée dès lors que la méthode par comparaison est une des méthodes légalement prévues par le livre des procédures fiscales à l’inverse de l’analyse financière issue du guide d’évaluation de l’entreprise que produit le demandeur qui n’est qu’une démarche préalable à une véritable évaluation.
Par conséquent, il convient de conclure que l’administration fiscale a effectivement rapporter la preuve de l’insuffisance du prix en déterminant par la méthode de la comparaison le prix que le jeu normal de l’offre et de la demande permettait de retirer de la vente du bien à la date du fait générateur de l’impôt.
Sur la majoration :
En application de l’article 1729 a du code général des impôts : Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l’indication d’éléments à retenir pour l’assiette ou la liquidation de l’impôt ainsi que la restitution d’une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l’Etat entraînent l’application d’une majoration de 40 % en cas de manquement délibéré ;
La charge de la preuve du manquement délibéré repose sur l’Administration, la bonne foi du contribuable étant présumée. Le manquement délibéré s’apprécie au moment de la déclaration en fonction des éléments d’information et d’appréciation réunis par l’administration fiscale et résulte du fait que le contribuable ne pouvait ignorer à cette date les insuffisances, inexactitudes ou omissions reprochées.
En l’espèce, l’administration fiscale se prévaut d’un rehaussement important dans le cadre d’une cession intervenues dans un cadre familial dans le contexte d’un contrôle fiscal des comptes de la société cédante. De surcroît, il n’est pas contesté que le cessionnaire était à la fois salarié et associé au sein de la société cessionnaire dès lors celle-ci ne pouvait ignorer le chiffre d’affaires réalisé par le fonds de commerce et donc la réelle valeur vénale du fonds cédé qui constitue l’assiette des droits d’enregistrement litigieux.
Dès lors l’application de la majoration de 40% pour manquements délibérés est justifié.
Sur les autres demandes :
Sur les dépens Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.
La société EDENA, partie perdante au procès, sera condamnée aux dépens de l’instance.
Sur les frais irrépétibles Aux termes de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations.
En l’espèce, l’administration fiscale n’a pas perdu le présent procès ni été condamnée aux dépens ainsi la société EDENA sera déboutée de sa demande formée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Sur l’exécution provisoire Conformément à l’article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoire à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement.
En l’espèce, ni la loi ni les circonstances de l’espèce ne justifient que l’exécution provisoire soit écartée. En conséquence, l’exécution provisoire est de droit.
Le tribunal, statuant par jugement contradictoire, en premier ressort, par mise à disposition au greffe,
Déboute la société EDENA de l’ensemble de ses demandes.
Condamne la société EDENA aux dépens.
Dit n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire.
AINSI JUGÉ, PRONONCÉ ET MIS À DISPOSITION AU GREFFE DE LA PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MARSEILLE LE CINQ NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,