Établissement de preuves préalables à un litige potentiel : conditions et implications

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Établissement de preuves préalables à un litige potentiel : conditions et implications

Le 22 novembre 2019, Madame [O] [E] et Monsieur [B] [J] ont acquis un terrain à Fontenay-sous-Bois et ont engagé plusieurs entreprises pour des travaux de construction. Les travaux ont été réceptionnés en juillet 2022, mais des désordres sont apparus par la suite. En juillet 2024, ils ont assigné plusieurs parties, y compris des assureurs, devant le tribunal judiciaire de Créteil pour obtenir la désignation d’un expert judiciaire. Lors de l’audience du 30 juillet 2024, les demandeurs ont maintenu leurs demandes, tandis que la SA SMA, assureur de la SARL LC2 HABITAT, a demandé le rejet de la demande d’expertise et sa mise hors de cause. Malgré l’assignation, certaines parties n’ont pas constitué avocat, entraînant une décision réputée contradictoire. Le tribunal a ordonné une mesure d’expertise, désignant un expert pour évaluer les désordres et déterminer les responsabilités. Une provision de 3 000 € a été fixée pour les frais d’expertise, à consigner par les demandeurs. Les dépens resteront à leur charge, et l’ordonnance bénéficie de l’exécution provisoire.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

9 septembre 2024
Tribunal judiciaire de Créteil
RG
24/00995
MINUTE N° :
ORDONNANCE DU : 09 Septembre 2024
DOSSIER N° : N° RG 24/00995 – N° Portalis DB3T-W-B7I-VDKT
CODE NAC : 54G – 0A
AFFAIRE : [O] [E], [B] [J] C/ S.A.R.L. LC2 HABITAT, S.A. SMA SA es qualité d’assureur de LC HABITAT, S.A.S. DSM, S.A. MAAF ASSURANCES, E.U.R.L. ESPACE COMBLES AMENAGEMENTS (ECA), AXA FRANCE IARD ès-qualités d’assureur de la société ESPACES COMBLES AMENAGEMENT

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE CRETEIL

Section des Référés

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ

LE JUGE DES REFERES : Madame Elise POURON, Juge

LE GREFFIER : Madame Stéphanie GEULIN, Greffier

PARTIES :

DEMANDEURS

Madame [O] [E] née le 07 Juin 1975 à OULLINS (69), demeurant 4 rue de Chambertin – 75012 PARIS

et Monsieur [B] [J] né le 17 Février 1981 à CHARENTON LE PONT (94), demeurant 4 rue de Chambertin – 75012 PARIS

représentés par Me Manuel QUESNOT-FILIPPI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0205

DEFENDERESSES

S.A.R.L. LC2 HABITAT, immatriculée au RCS sous le n° 848 505 681, dont le siège social est sis 144 rue des Chênes – 45160 OLIVET

non représentée

S.A. SMA SA, nouvelle dénomination de la SAGENA, immatriculée au RCS de PARIS sous le n° B 332 789 296, dont le siège social est sis 8 rue Louis Armand – 75015 PARIS

représentée par Me Christelle NEYRET, avocate au barreau de PARIS, vestiaire : D0066

S.A.S. DSM, immatriculée au RCS sous le n° 849 574 777, dont le siège social est sis chez ELG CONSEIL – 20 Avenue Clément Ader – ZA du Ponroy – 94420 LE PLESSIS TREVISE

S.A. MAAF ASSURANCES, immatriculée au RCS sous le n° 542 073 580? dont le siège social est sis Chaban – 79180 CHAURAY

et E.U.R.L. ESPACE COMBLES AMENAGEMENTS (ECA), IMMATRICUL2E AU rcs sous le n° 381 546 605, dont le siège social est sis ZA Le Vallier – 8 rue Georges Charpak – 28300 MAINVILLIERS

non représentées

Compagnie AXA FRANCE IARD ès-qualités d’assureur de la Société ESPACES COMBLES AMENAGEMENT, immatriculée au RCS sous le n° 214 799 030, dont le siège social est sis 313 Terrasses de l’Arche – 92000 NANTERRE

représentée par Me Catherine BONNEAU, avocate au barreau de PARIS, vestiaire : C 800

Débats tenus à l’audience du : 30 Juillet 2024
Date de délibéré indiquée par le Président : 09 Septembre 2024
Ordonnance rendue par mise à disposition au greffe le 09 Septembre 2024

EXPOSE DU LITIGE

Le 22 novembre 2019, Madame [O] [E] et Monsieur [B] [J] ont acquis un terrain situé 38 rue des Rosettes 94120 FONTENAY SOUS BOIS.

Ils ont confié des travaux à :
– la SARL LC2 HABITAT, en qualité de maître d’oeuvre, assurée après de la SA SMA,
– la SAS DSM, pour les lots couverture, charpente, étanchéité, assurée auprès de la SA MAAF ASSURANCES,
– la société ESPACE COMBLES AMENAGEMENTS, pour la structure bois, assurée auprès de la SA AXA FRANCE IARD.

Les travaux ont été réceptionnés en juillet 2022 et des désordres sont apparus.

Par actes de commissaire de justice des 4 et 8 juillet 2024, Madame [O] [E] et Monsieur [B] [J] ont fait assigner la SA SMA ès qualité d’assureur de la SARL LC HABITAT, la SA AXA FRANCE IARD ès qualité d’assureur de la société ESPACE COMBLES AMENAGEMENTS, la SARL LC2 HABITAT, la SAS DSM, la SA MAAF ASSURANCES ès qualité d’assureur de la SAS DSM, la société ESPACE COMBLES AMENAGEMENTS devant la juridiction des référés du tribunal judiciaire de Créteil aux fins d’obtenir la désignation d’un expert judiciaire. Par ailleurs, Madame [O] [E] et Monsieur [B] [J] demandent que les dépens soient réservés.

Le dossier a été évoqué à l’audience du 30 juillet 2024, au cours de laquelle Madame [O] [E] et Monsieur [B] [J] ont maintenu leurs demandes.

Aux termes de ses écritures déposées et soutenues à l’audience du 30 juillet 2024, la SA SMA ès qualité d’assureur de la SARL LC2 HABITAT demande au juge des référés de :
– rejeter la demande d’expertise,
– la mettre hors de cause,

– à titre subsidiaire : prendre acte, sous les plus expresses réserves de responsabilité, de droits et de garantie, de ses protestations et réserves,
– en tout état de cause : condamner les demandeurs aux entiers dépens.

Elle soutient que les demandeurs ne font état d’aucune faute de la SARL LC2 HABITAT, tenue d’une simple obligation de moyens.

Par message RPVA du 29 juillet 2024, la SA AXA FRANCE IARD ès qualité d’assureur de la société ESPACE COMBLES AMENAGEMENTS a émis les plus vives protestations et réserves.

Il est renvoyé à l’acte introductif d’instance et aux écritures des parties pour un plus ample exposé des moyens qui y sont contenus.

Bien que régulièrement assignées, la SARL LC2 HABITAT, la SAS DSM, la SA MAAF ASSURANCES ès qualité d’assureur de la SAS DSM, la société ESPACE COMBLES AMENAGEMENTS n’ont pas constitué avocat, de sorte qu’il est statué par décision réputée contradictoire.

A l’audience du 30 juillet 2024, l’affaire a été mise en délibéré, les parties étant informées que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la demande d’expertise :

Aux termes de l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

Il est acquis que l’article 145 du code de procédure civile est un texte autonome auquel les conditions habituelles du référé ne sont pas applicables. Il n’est ainsi pas soumis à la condition d’urgence ou à la condition d’absence de contestation sérieuse.

Ce texte suppose l’existence d’un motif légitime c’est à dire un fait crédible et plausible, ne relevant pas de la simple hypothèse qui présente un lien utile avec un litige potentiel futur dont l’objet et le fondement juridique sont suffisamment déterminés et dont la solution peut dépendre de la mesure d’instruction sollicitée à condition que cette mesure ne porte pas une atteinte illégitime aux droits d’autrui. Elle doit être pertinente et utile.

Ainsi, si le demandeur à la mesure d’instruction n’a pas à démontrer l’existence des faits qu’il invoque puisque cette mesure in futurum est justement destinée à les établir, il doit néanmoins justifier d’éléments rendant crédibles ses suppositions et justifier que le litige potentiel n’est pas manifestement voué à l’échec et que la mesure est de nature à améliorer la situation probatoire du demandeur.

La faculté prévue à l’article 145 du code de procédure civile ne saurait, en outre, être exercée à l’encontre d’un défendeur qui, manifestement, et en dehors même de toute discussion au fond, ne serait pas susceptible d’être mis en cause dans une action principale.

De plus, si la partie demanderesse dispose d’ores et déjà de moyens de preuves suffisants pour conserver ou établir la preuve des faits litigieux, la mesure d’instruction demandée est dépourvue de toute utilité et doit être rejetée.

Enfin, l’application de cet article n’implique aucun préjugé sur la responsabilité des parties appelées à la procédure, ni sur les chances de succès du procès susceptible d’être ultérieurement engagé.

En l’espèce, Madame [O] [E] et Monsieur [B] [J] n’ont pas à démontrer l’existence de désordres ou fautes qu’ils invoquent puisque cette mesure in futurum est justement destinée à les établir. Ils doivent seulement justifier d’éléments rendant crédibles leurs suppositions.

Or, tel est le cas au vu notamment :
– du compte-rendu de chantier portant sur les travaux de la SAS DSM du 22 juillet 2022,
– du courrier de la SARL LC2 HABITAT à la SAS DSM en date du 7 décembre 2022,
– du compte-rendu de visite de la SARL LC2 HABITAT du 14 février 2023,
– du procès-verbal de constat dressé par commissaire de justice en date du 2 avril 2024, lequel fait état de nombreuses malfaçons, inachèvements et infiltrations d’eau au sein du bien de Madame [O] [E] et Monsieur [B] [J].

Il importe peu à ce stade que ces éléments n’aient pas été contradictoirement débattus, la mesure d’instruction sollicitée ayant précisément pour objet de rendre les constatations de l’expert contradictoires.

Au regard de ces éléments, et alors que le débat sur la teneur et l’imputabilité des désordres relève du juge du fond, Madame [O] [E] et Monsieur [B] [J] disposent d’un motif légitime à faire établir les désordres qu’ils allèguent, un procès éventuel n’étant pas manifestement voué à l’échec.

En outre, il est prématuré de mettre hors de cause la SA SMA ès qualité d’assureur de la SARL LC2 HABITAT. En effet, à ce stade de la procédure, seule l’expertise permettra de connaître l’origine et la cause des désordres et donc des garanties y afférentes.

Du tout, il résulte que les conditions d’application des dispositions de l’article 145 du code de procédure civile sont réunies et qu’il convient d’ordonner la mesure d’expertise requise, dans les termes du dispositif, en mettant à la charge de Madame [O] [E] et Monsieur [B] [J] le paiement de la provision initiale.

Les protestations et réserves ont été mentionnées dans la présente décision, de sorte qu’un donner-acte formel dans le dispositif ci-après, qui serait dépourvu de toute portée décisoire, est inutile.

Sur les demandes accessoires :

L’article 491, alinéa 2 du code de procédure civile précise que la juridiction des référés statue sur les dépens. L’article 696 dudit code dispose que la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.
Il n’y a donc pas lieu de réserver les dépens : en effet, la juridiction des référés est autonome et la présente ordonnance vide la saisine du juge.

A la lumière de ce qui précède, l’expertise étant ordonnée à la demande et dans l’intérêt de Madame [O] [E] et Monsieur [B] [J], pour leur permettre ultérieurement et éventuellement d’engager une instance judiciaire, les dépens doivent provisoirement demeurer à leur charge.

PAR CES MOTIFS

Statuant par mise à disposition de la présente ordonnance au greffe le jour du délibéré après débats en audience publique, par décision réputée contradictoire, en premier ressort et en matière de référé,

ORDONNONS une mesure d’expertise,

DÉSIGNONS pour y procéder :

[M] [G] (1968)
Diplôme d’ingénieur (ENSM)
73 Boulevard de la Marne
Bâtiment A 5ème gauche
94210 LA VARENNE ST HILAIRE
Tél : 01.80.51.27.79
Port. : 06.76.40.90.40
Email : [email protected]

expert inscrit sur les listes de la Cour d’appel de PARIS, lequel pourra prendre l’initiative de recueillir l’avis d’un autre technicien, mais seulement dans une spécialité distincte de la sienne, avec mission de :

– se faire préciser les liens contractuels entre les divers intervenants ;
– relever et décrire les désordres et malfaçons allégués expressément dans l’assignation et les pièces visées et affectant l’immeuble litigieux, ainsi que les non-conformités et/ou inachèvements allégués au regard des documents contractuels liant les parties ;
– en détailler l’origine, les causes et l’étendue, et fournir tous éléments permettant à la juridiction de déterminer à quels intervenants ces désordres, malfaçons, non conformités et/ou inachèvements sont imputables, et dans quelles proportions ;
– donner son avis sur les conséquences de ces désordres, malfaçons, non conformités et/ou inachèvements quant à la solidité, l’habitabilité, l’esthétique du bâtiment, et, plus généralement quant à l’usage qui peut en être attendu ou quant à la conformité à sa destination ;
– dire si les travaux ont été conduits conformément aux documents contractuels et aux règles de l’art ;
– à partir de devis d’entreprises fournis par les parties, sur proposition, le cas échéant du maître d’œuvre de leur choix, donner un avis sur la ou les solutions appropriées pour remédier aux désordres entachant l’ouvrage et sur le coût des travaux utiles ;
– donner son avis sur les préjudices et coûts induits par ces désordres, malfaçons, inachèvements ou non conformités et sur leur évaluation, dès lors que ces demandes sont présentées de manière motivée ;
– rapporter toutes autres constatations utiles à l’examen des prétentions des parties ;
– donner, le cas échéant, son avis sur les comptes entre les parties ;

DÉSIGNONS le magistrat chargé du contrôle des expertises pour contrôler les opérations d’expertise,

DISONS que pour procéder à sa mission l’expert devra :
– convoquer et entendre les parties, assistées, le cas échéant, de leurs conseils, et recueillir leurs observations à l’occasion de l’exécution des opérations ou de la tenue des réunions d’expertise ;
– se faire remettre toutes pièces utiles à l’accomplissement de sa mission,
– se rendre sur les lieux, 38 rue des Rosettes 94120 FONTENAY SOUS BOIS et si nécessaire en faire la description, au besoin en constituant un album photographique et en dressant des croquis ;
– à l’issue de la première réunion d’expertise, ou dès que cela lui semble possible, et en concertation avec les parties, définir un calendrier prévisionnel de ses opérations ; l’actualiser ensuite dans le meilleur délai :
* en faisant définir une enveloppe financière pour les investigations à réaliser, de manière à permettre aux parties de préparer le budget nécessaire à la poursuite de ses opérations;
* en indiquant les mises en cause, les interventions volontaires ou forcées qui lui paraissent nécessaires et en invitant les parties à procéder auxdites mises en cause dans le délai qu’il fixera ;
* en les informant de l’évolution de l’estimation du montant prévisible de ses frais et honoraires et en les avisant de la saisine du juge du contrôle des demandes de consignation complémentaire qui s’en déduisent ;
* en les informant, le moment venu, de la date à laquelle il prévoit de leur adresser son document de synthèse ;

– au terme de ses opérations, adresser aux parties un document de synthèse, sauf exception dont il s’expliquera dans son rapport (par ex. : réunion de synthèse; communication d’un projet de rapport), et y arrêter le calendrier de la phase conclusive de ses opérations :
* fixant, sauf circonstances particulières, la date ultime de dépôt des dernières observations des parties sur le document de synthèse,
* rappelant aux parties, au visa de l’article 276 alinéa 2 du code de procédure civile, qu’il n’est pas tenu de prendre en compte les observations transmises au-delà de ce délai.

FIXONS à la somme de 3 000 € la provision concernant les frais d’expertise qui devra être consignée par Madame [O] [E] et Monsieur [B] [J] à la régie du tribunal judiciaire de Créteil dans le mois qui suit la demande de consignation adressée par le greffe,

DISONS que faute de consignation de la provision dans ce délai impératif, ou demande de prorogation sollicitée en temps utile, la désignation de l’expert sera caduque et de nul effet,

DISONS que l’expert sera saisi et effectuera sa mission conformément aux dispositions des articles 232 à 248, 263 à 284-1 du code de procédure civile et qu’il déposera l’original de son rapport au greffe du tribunal (service du contrôle des expertises), dans les six mois de la réception de l’avis de consignation, sauf prorogation de ce délai, dûment sollicitée en temps utile auprès du juge du contrôle, ainsi qu’une copie du rapport à chaque partie (ou à son avocat pour celles étant assistées),

DISONS que l’exécution de la mesure d’instruction sera suivie par le juge du service du contrôle des mesures d’instruction de ce tribunal, spécialement désigné à cette fin en application des articles 155 et 155-1 du même code,

RAPPELONS aux parties les dispositions de l’article 2239 du code civil :

« La prescription est également suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès.

Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée »,

DISONS que les dépens resteront à la charge de Madame [O] [E] et Monsieur [B] [J],

RAPPELONS que la présente ordonnance bénéficie de plein droit de l’exécution provisoire.

FAIT AU PALAIS DE JUSTICE DE CRETEIL, le 9 septembre 2024.

LE GREFFIER LE JUGE DES REFERES


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