Établissement de la preuve préalable en cas de nuisances sonores : conditions et implications

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Établissement de la preuve préalable en cas de nuisances sonores : conditions et implications

Les époux [K] ont engagé la SARL ELEO pour l’installation d’une pompe à chaleur, mais celle-ci a généré des nuisances sonores, entraînant des plaintes de voisins et de la mairie. Malgré une intervention de la SARL ELEO et une expertise concluant à l’absence de désordre, le bruit persiste. Les époux ont assigné la SARL ELEO en référé, demandant une expertise judiciaire et arguant d’un manquement à l’obligation de conseil. La SARL ELEO a contesté la demande d’expertise, affirmant qu’aucun désordre n’était prouvé. Parallèlement, elle a assigné la SAS HYDECLIM pour une intervention forcée, en cas de constatation de désordres imputables à un défaut du produit. Les deux affaires ont été jointes lors de l’audience.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

25 septembre 2024
Tribunal judiciaire d’Évreux
RG
24/00178
Minute N°2024/360
N° RG 24/00178 – N° Portalis DBXU-W-B7I-HVRZ

Le

1 CCC à
Me LEMAITRE-NICOLAS – 32

1 CCC à Me BEVERAGGI – 38

1 CCC à Me HUBERT – 10

2 CCC au service des expertises

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

TRIBUNAL JUDICIAIRE D’ EVREUX

JURIDICTION DES RÉFÉRÉS

ORDONNANCE DU 25 SEPTEMBRE 2024

DEMANDEURS :

Monsieur [I] [C] [H] [K]
né le 13 Juin 1990 à [Localité 11] (76)
Profession : Responsable produit
de nationalité Française, demeurant [Adresse 3] – [Localité 8]

Madame [W] [M] [B] [T] épouse [K]
née le 09 Décembre 1992 à [Localité 11] (76)
de nationalité Française, demeurant [Adresse 3] – [Localité 8]

représentés par Me Valérie LEMAITRE-NICOLAS, avocat au barreau de l’EURE, substitué par Me Pauline BROSSEAU, avocat au barreau de l’EURE

DÉFENDERESSES :

S.A.R.L. ELEO,
Immatriculée au RCS d’EVREUX sous le numéro 853 972 586
dont le siège social est sis [Adresse 4] – [Localité 6]

représentée par Me Marie-Ange BEVERAGGI, avocat au barreau de l’EURE,

APPELÉE EN CAUSE :

S.A.S. HYDECLIM
dont le siège social est sis [Adresse 2] – [Localité 9]

représentée par Me Xavier HUBERT, avocat au barreau de l’EURE, substitué par Me Deplhine ABRY-LEMAÎTRE, avocat au barreau de l’EURE

PRÉSIDENT : Sabine ORSEL

GREFFIER : Christelle HENRY

DÉBATS : en audience publique du 28 août 2024

N° RG 24/00178 – N° Portalis DBXU-W-B7I-HVRZ – ordonnance du 25 septembre 2024

ORDONNANCE :

– contradictoire, rendue publiquement et en premier ressort,
– mise à disposition au greffe le 25 septembre 2024
– signée par Sabine ORSEL, Présidente du Tribunal Judiciaire et Christelle HENRY, greffier

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

[W] [T] épouse [K] et [I] [K] sont propriétaires d’une maison située [Adresse 3] à [Localité 8]. Selon devis du 15 juillet 2022, ils ont confié à la SARL ELEO l’installation d’une pompe à chaleur air/eau, ainsi que sa mise en service moyennant la somme de 16 034 euros TTC.

Depuis la mise en route de la pompe à chaleur, un voisin se plaint du bruit qu’elle produit.

A la demande des époux [K], la SARL ELEO est intervenue sur la pompe à chaleur, sans réussir à ce que le bruit qu’elle émet ne gêne plus les voisins.

Une expertise a été réalisée le 25 août 2023, concluant qu’un diagnostic devait être effectué par un technicien de la marque LG. Lors de sa venue, ce dernier n’a constaté aucune anormalité affectant la pompe à chaleur. Malgré cela, les époux [K] ont reçu une plainte de la mairie de la commune en raison du bruit de leur pompe à chaleur.

Se plaignant que la SARL ELEO ne souhaite plus intervenir pour réparer le désordre affectant la pompe à chaleur, [W] [T] épouse [K] et [I] [K] ont, par acte du 22 avril 2024, fait assigner la SARL ELEO devant le président de ce tribunal, statuant en référé. Dans leurs dernières conclusions, signifiées électroniquement le 8 août 2024, ils lui demandent de :
ordonner une expertise au visa de l’article 145 du code de procédure civile ;débouter la SARL ELEO de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;statuer ce que de droit sur les dépens.
Ils font valoir que :
il appartenait à la SARL ELEO, en tant que professionnel, de les avertir que la pompe à chaleur n’était pas adaptée et, le cas échéant, leur proposer une alternative fonctionnelle ;en l’état, la SARL ELEO n’a pas satisfait à son obligation de conseil et de résultat ;puisque la pompe est inefficiente, ne permettant pas de chauffer l’habitation, et qu’elle est en outre énergivore et bruyante ;ils disposent d’un motif légitime puisque le bruit anormal a été constaté par les plaintes du voisinage et de la mairie ainsi que par un procès-verbal de constat de commissaire de justice du 18 décembre 2023 ;l’expertise a été réalisée alors que la pompe à chaleur était éteinte, en plein été, ne permettant ainsi pas de détecter la nuisance.
Dans ses dernières conclusions, signifiées électroniquement le 25 juin 2024, la SARL ELEO demande au président de ce tribunal, statuant en référé, de ;
A titre principal,
débouter [W] [T] épouse [K] et [I] [K] de leur demande d’expertise judiciaire ;A titre subsidiaire,
donner acte qu’elle formule des protestations et réserves ;dire que la consignation à valoir sur la rémunération de l’expert judiciaire à désigner sera mise à la charge de [W] [T] épouse [K] et [I] [K], ainsi que les compléments éventuels de provision, susceptibles d’être réclamés par l’expert judiciaire dans le cadre de sa mission d’expertise ;En tout état de cause,
condamner [W] [T] épouse [K] et [I] [K] aux dépens.
Elle fait valoir que :
pour qu’une expertise soit ordonnée, il est nécessaire que les époux [K] rapporte la preuve d’un désordre ;or, aucune des pièces versées au dossier ne le permet ;l’expertise et le diagnostic de l’expert LG ont conclu en l’absence de désordre ;la fiche technique du fabricant indique que la puissance sonore de la pompe est de 63 décibels ;dès lors, les valeurs relevés par le commissaire de justice oscillants entre 60,3 et 64,7 décibels ne sont pas anormales ni ne caractérisent un désordre ;concernant la consommation électrique, le rapport d’expertise ne fait état d’aucune anomalie ni que le coût est excessif ;les époux [K] sont donc dépourvus de motif légitime.
Par acte du 10 juillet 2024, la SARL ELEO a fait assigner la SAS HYDECLIM devant le président de ce tribunal, statuant en référé, aux fins de :
juger recevable la présente intervention forcée ;prononcer la jonction de la présente avec l’instance n°RG24/00178 ;déclarer commune et opposable à la SAS HYDECLIM l’ordonnance à venir dans le cadre de l’instance n° RG 24/00178 ;réserver les dépens.
Elle fait valoir que si une mesure d’expertise est ordonnée et que des désordres sont constatés par l’expert et imputable à un défaut intrinsèque du produit, l’intervention du fournisseur aux mesures d’expertises est essentielle.

Dans ses dernières conclusions, signifiées électroniquement le 27 août 2024, la SAS HYDECLIM formule des protestations et réserves et demande au président de ce tribunal, statuant en référé, de condamner la SARL ELEO aux dépens.

A l’audience du 28 août 2024, les instances n°RG24/00178 et n°RG24/00315 ont été jointes.

MOTIFS DE LA DECISION
Sur la demande d’expertise
L’article 145 du code de procédure civile dispose que « s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ».
Le motif légitime est un fait crédible et plausible, ne relevant pas de la simple hypothèse, qui présente un lien utile avec un litige potentiel futur dont l’objet et le fondement juridique sont suffisamment déterminés et dont la solution peut dépendre de la mesure d’instruction sollicitée, à condition que cette mesure, qui doit être pertinente et utile, ne porte pas une atteinte illégitime aux droits d’autrui.
Ainsi, si le demandeur à la mesure d’instruction n’a pas à démontrer l’existence des faits qu’il invoque puisque cette mesure in futurum est justement destinée à les établir, il doit néanmoins justifier d’éléments rendant crédibles ses suppositions et justifier que le litige potentiel n’est pas manifestement voué à l’échec et que la mesure est de nature à améliorer la situation probatoire du demandeur.

En l’espèce les demandeurs produisent un constat d’huissier relevant une production sonore supérieure à certains moments à 63 dB et justifient de plaintes du voisinage relayées par le maire de la commune. Si l’expertise amiable diligentée par leur assureur conclut qu’il n’est pas démontré d’anomalie de fonctionnement, il est néanmoins préconisé un diagnostic de la pompe à chaleur et de son installation, qui ont été réalisés par le fabricant qui n’a pas constaté de fonctionnement ou bruit anormal lors des essais. Ils allèguent également, sans apporter cependant d’éléments probants, une hausse de leur consommation d’énergie malgré une baisse de la performance du système de chauffage. Il en ressort que la pompe à chaleur est à l’origine de nuisances sans que l’origine ait pu en être déterminée contradictoirement.
Au regard de ces éléments, il est caractérisé un motif légitime de faire établir contradictoirement l’origine des nuisances et à tout le moins l’adaptation de l’installation recommandée par le professionnel à leurs besoins. Il sera fait droit à la demande.

Sur les frais du procès
[W] [T] épouse [K] et [I] [K], qui succombent, seront tenus aux dépens.

PAR CES MOTIFS

Le président du tribunal judiciaire,

ORDONNE une mission d’expertise confiée à
[Z] [P]
[Adresse 5] [Localité 7]
Port. : [XXXXXXXX01] Mèl : [Courriel 12]
expert inscrit sur la liste de la cour d’appel de ROUEN

DIT que l’expert aura pour mission de :

Prendre connaissance des documents contractuels et pré-contractuels et examiner l’installation en cause, le parties dûment convoquéesDécrire succinctement les travaux réalisés en identifiant chaque partie intervenue et son rôle ;Examiner et recueillir tous éléments sur les désordres allégués ; décrire chacun d’eux, en indiquer la nature, l’importance, la date d’apparition ;Donner tous éléments motivés sur les causes et origines des désordres dont s’agit en précisant s’ils sont imputables : 
– à la conception,
– à l’exécution,
– aux conditions d’utilisation ou d’entretien,
– à une cause extérieure,
– à des travaux réalisés postérieurement,
et, dans le cas de causes multiples, évaluer les proportions relevant de chacune d’elles, en nommant les intervenants concernés ;Dire si l’installation réalisée était conforme et adaptée aux besoins exprimés par les maîtres de l’ouvrageDonner toutes observations sur la nature des travaux propres à remédier aux désordres ; les décrire ; indiquer leur durée prévisible et décrire la gêne qu’ils peuvent occasionner pour le ou les occupants de l’immeuble ; les chiffrer, à partir des devis fournis par les parties, éventuellement assistées d’un maître d’œuvre, le coût de ces travaux ;
Évaluer les moins-values résultat des dommages non réparables techniquement ;Fournir tous éléments de nature à permettre ultérieurement à la juridiction saisie d’évaluer les préjudices de toute nature, directs ou indirects, matériels ou immatériels résultant des désordres, notamment le préjudice de jouissance subi ou pouvant résulter des travaux de remise en état ;Faire toutes observations utiles au règlement du litige ;
DIT que [W] [T] épouse [K] et [I] [K] devront consigner la somme de 2500 euros, à titre de provision à valoir sur la rémunération de l’expert, à la régie de ce tribunal dans le délai impératif de deux mois à compter de la notification de la présente décision, à peine de caducité de la désignation de l’expert ;

DIT que l’expert, en concertation avec les parties, définira un calendrier prévisionnel de ses opérations à l’issue de la première réunion d’expertise et qu’il actualisera le calendrier en tant que de besoin, notamment en fixant un délai aux parties pour procéder aux extensions de mission nécessaire, aux interventions forcées ;

DIT que dans les trois mois de sa saisine, l’expert indiquera aux parties et au juge chargé du contrôle des expertises le montant prévisible de sa rémunération définitive, notamment au regard de l’intérêt du litige, afin que soit éventuellement fixée une provision complémentaire dans les conditions de l’article 280 du code de procédure civile ;

DIT que préalablement au dépôt de son rapport, l’expert adressera aux parties, le cas échéant par voie électronique uniquement, un pré-rapport, répondant à tous les chefs de la mission et destiné à provoquer leurs observations ; qu’il devra fixer aux parties un délai d’au moins quatre semaines pour le dépôt de leurs dires éventuels, leur rappellera qu’il n’est pas tenu de répondre aux observations transmises après cette date limite et précisera la date de dépôt de son rapport ;

DIT que l’expert devra déposer son rapport au greffe de la juridiction, accompagné des pièces jointes (qui pourront être transmises sur un support numérique), dans le délai de 6  mois à compter de la date de réception de l’avis de consignation de la provision, sauf prorogation de ce délai dûment sollicité en temps utile de manière motivée auprès du juge chargé du contrôle des expertises ;

RAPPELLE que l’expert joindra au dépôt du rapport d’expertise sa demande de rémunération et que les parties disposeront alors de 15 jours pour formuler auprès du juge du contrôle des expertises leurs observations sur cette demande ;

RAPPELLE que l’expert pourra recueillir des informations orales, ou écrites, de toutes personnes susceptibles de l’éclairer ;

RAPPELLE qu’en vertu des dispositions de l’article 278 du code de procédure civile, l’expert peut prendre l’initiative de recueillir l’avis d’un technicien d’une spécialité distincte de la sienne, et DIT que, dans une telle éventualité, il devra présenter au magistrat chargé du contrôle des expertises une demande de consignation complémentaire correspondant à la rémunération possible du sapiteur ;

DIT que l’expert joindra au rapport d’expertise :
la liste exhaustive des pièces consultées ;le nom des personnes convoquées aux opérations d’expertise en précisant pour chacune d’elle la date d’envoi de la convocation la concernant et la forme de cette convocation ;le nom des personnes présentes à chacune des réunions d’expertise ;la date de chacune des réunions tenues ;les déclarations des tiers entendus par lui, en mentionnant leur identité complète, leur qualité et leurs liens éventuels avec les parties ;le cas échéant, l’identité du technicien dont il s’est adjoint le concours, ainsi que le document qu’il aura établi de ses constatations et avis – document qui devra également être joint à la note de synthèse ou au projet de rapport ;DÉSIGNE le juge chargé du contrôle des expertises de ce tribunal à effet de suivre l’exécution de cette mesure d’instruction ;

RAPPELLE qu’en application de l’article 275 du code de procédure civile, les parties doivent remettre sans délai à l’expert tous les documents que celui-ci estime nécessaires à l’accomplissement de sa mission ; qu’à défaut, la production sous astreinte de ces documents peut être ordonnée par le juge ;

RAPPELLE qu’en application de l’article 273 du code de procédure civile, les experts doivent informer le juge de l’avancement de leurs opérations et diligences ;

DIT qu’en cas de difficultés, l’expert ou les représentants des parties en référeront immédiatement au juge chargé du service du contrôle des expertises au besoin à l’adresse suivante : [Courriel 10] ;

DIT que si les parties viennent à se concilier, l’expert, conformément à l’article 281 du code de procédure civile, constatera que sa mission est devenue sans objet et en fera rapport au juge chargé du contrôle des expertises ;

CONDAMNE [W] [T] épouse [K] et [I] [K] aux entiers dépens ;

RAPPELLE que l’exécution provisoire est de droit.

La greffière La présidente
Christelle HENRY Sabine ORSEL


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