Escroquerie bancaire aux SMS : le client responsable

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Escroquerie bancaire aux SMS : le client responsable
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Les clients d’une banque commettent une négligence grave en communiquant, au téléphone, à la personne se disant conseiller bancaire, les codes de validation d’opérations qu’ils ont reçus par SMS.

Cette négligence grave du payeur dans la préservation des données de sécurité personnalisées fait obstacle à l’obligation de remboursement de la banque au sens de l’article L. 133-19 du code monétaire et financier.

Quand bien même l’escroc apparaissait particulièrement bien informé, en connaissant notamment le nom du conseiller bancaire des victimes et en faisant état de l’incident informatique de l’avant-veille pour accréditer la nécessité de faire obstacle à des opérations frauduleuses, les indices étaient suffisamment sérieux pour qu’une personne normalement attentive se rende compte de la manipulation dont elle était l’objet et qui était destinée à fournir à l’escroc l’élément de sécurité qui lui manquait, à savoir les codes de validation exigés dans le cadre d’une authentification forte.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

29 août 2024
Tribunal judiciaire de Rennes
RG n°
22/00502
Cour d’appel de Rennes
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE RENNES
[Adresse 7] – tél : [XXXXXXXX01]

29 Août 2024

1re chambre civile
38Z

N° RG 22/00502 – N° Portalis DBYC-W-B7F-JP4W

AFFAIRE :

[J] [X]
[R] [M]

C/

CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL RENNES BLOSNE POTERIE

copie exécutoire délivrée

le :

à :

COMPOSITION DU TRIBUNAL

PRESIDENT : Dominique FERALI, Première vice-présidente

ASSESSEUR : David LE MERCIER, Vice-Président

ASSESSEUR : Grégoire MARTINEZ, Juge

GREFFIER : Karen RICHARD

DÉBATS à l’audience publique du 17 Juin 2024
David LE MERCIER assistant en qualité de juge rapporteur sans opposition des avocats et des parties

JUGEMENT
En premier ressort, contradictoire,
prononcé par Madame Dominique FERALI ,
par sa mise à disposition au greffe le 29 Août 2024,
date indiquée à l’issue des débats.

Jugement rédigé par David LE MERCIER.

ENTRE DEMANDEURS :

Madame [J] [X]
[Adresse 2]
[Localité 6]

Monsieur [R] [M]
[Adresse 3]
[Localité 5]
représentés par Me Bruno SEVESTRE, avocat au barreau de RENNES,

ET DEFENDERESSE :

CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL RENNES BLOSNE POTERIE
[Adresse 4]
[Localité 5]

représentée par Me Armelle OMNES, barreau de RENNES, et assistée de Maître Marion GREGOIRE, barreau de Paris

Faits et procédure

Mme [X] et M. [M], son fils, sont chacun titulaire d’un compte de dépôt et d’un livret d’épargne auprès de la Caisse de crédit mutuel Rennes Blosne Poterie (la banque).

Le 1er août 2021, après avoir tenté de se connecter à l’application mobile de la banque, Mme [X] a été informée d’un problème technique affectant l’interface et de la nécessité d’attendre le lendemain pour se reconnecter.

Le 3 août 2021, elle a pu se connecter. Le même jour, quelques heures plus tard, elle a été contactée par un individu se présentant comme un conseiller bancaire qui, au prétexte d’annuler des opérations frauduleuses intervenues pendant le problème technique de l’avant-veille, lui a demandé, ainsi qu’à M. [M], de lui communiquer les codes qu’ils allaient recevoir par messages texte (sms), ce qu’ils ont fait.

Le lendemain, Mme [X] et Mme [M] constataient que des virements et des opérations d’achat avaient effectués.

Après dépôt de plainte du 6 août 2021 pour escroquerie, ils ont demandé à la banque de recréditer leurs comptes des sommes frauduleusement débitées, à hauteur de 4 482,06 pour Mme [X] et de 3 485,28 euros pour M. [M]. La banque s’y est refusée en invoquant leur négligence grave.

Par acte du 17 novembre 2021, réitéré le 11 février 2022, Mme [X] et M. [M] ont assigné la banque devant le tribunal judiciaire de Rennes en lui demandant de :
« Condamner la CAISSE DE CREDIT MUTUEL RENNES BLOSNE POTERIE à recréditer le compte de Madame [J] [X] de la somme de 7.982,06 euros sous astreinte de 1.000,00 euros par jour de retard à compter du 8 ème jour suivant la signification de la décision à intervenir et ce pendant 30 jours.
Condamner la CAISSE DE CREDIT MUTUEL RENNES BLOSNE POTERIE à recréditer le compte de Monsieur [R] [M] de la somme de 6.485,28 euros sous astreinte de 1.000,00 euros par jour de retard à compter du 8 ème jour suivant la signification de la décision à intervenir et ce pendant trente jours.
Condamner la CAISSE DE CREDIT MUTUEL RENNES BLOSNE POTERIE à payer à Madame [J] [X] la somme de 3.000,00 euros en réparation de son préjudice moral.
Condamner la CAISSE DE CREDIT MUTUEL RENNES BLOSNE POTERIE à payer à Monsieur [R] [M] la somme de 3.000,00 euros en réparation de son préjudice moral.
Condamner la CAISSE DE CREDIT MUTUEL RENNES BLOSNE POTERIE à payer à Madame [J] [X] et Monsieur [R] [M] la somme de 4.000,00 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile.
Condamner la CAISSE DE CREDIT MUTUEL RENNES BLOSNE POTERIE aux entiers dépens qui comprendront l’intégralité des droits proportionnels de recouvrement ou d’encaissement prévus à l’article L.111-8 du Code des Procédures Civiles d’Exécution,
conformément aux dispositions de l’article R.631-4 du Code de la Consommation et qui seront recouvrés par Maître Bruno SEVESTRE conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de Procédure Civile. »

Ils maintiennent cette demande dans leurs dernières conclusions notifiées le 25 avril 2023.

Par dernières conclusions notifiées le 9 janvier 2023, la banque demande au tribunal de :
« A titre principal,
Constater que Madame et Monsieur [M] ont autorisé les opérations de paiement aujourd’hui contestée pour un montant total de 4.482,06 € et 3.484,28 €;
A titre subsidiaire,
Constater que Madame et Monsieur [M] ont manqué à leur obligation de préserver la sécurité de leurs dispositifs de sécurité personnalisés et commis une négligence grave ;
En tout état de cause,
Constater que Madame et Monsieur [M] ne justifient pas de leurs demandes indemnitaires.
En conséquence,
Débouter Madame et Monsieur [M] de toutes demandes, fins et prétentions ;
Condamner Madame et Monsieur [M] au paiement de la somme de 4.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance. »

Il résulte de ce dispositif que la seule prétention de la banque consiste dans le rejet des prétentions adverses.

Le 3 juillet 2023, le juge de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et renvoyé l’affaire devant le tribunal pour plaidoiries, à une audience ultérieurement fixée au 12 février 2024 puis 17 juin 2024.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leurs moyens, en application de l’article 455 du code de procédure civile.

Motifs

Sur le principal

La banque, qui ne conteste pas que Mme [X] et M. [M] ont été victimes d’une escroquerie et qu’ils n’ont donc pas consenti aux opérations d’achat et aux virements dont ils dénoncent le caractère frauduleux, ne peut pas sérieusement soutenir que ces opérations ont été autorisées au sens des articles L. 133-6 et L. 133-18 du code monétaire et financier.

Il lui incombe donc, pour faire obstacle à l’obligation de remboursement prévue par ce dernier texte, de démontrer, comme l’y autorise l’article L. 133-19 du même code, une négligence grave du payeur dans la préservation des données de sécurité personnalisées.

Elle fait ainsi valoir que M. [X] et M. [M] ont commis une négligence grave en communiquant, au téléphone, à la personne se disant conseiller bancaire, les codes de validation d’opérations qu’ils ont reçus par SMS.

Elle soutient qu’elle avait avisé M. [X] et M. [M] des risques de fraude. Elle ne produit toutefois que des conditions générales postérieures à l’ouverture des comptes en cause et, si elle justifie avoir envoyé des messages en juin 2021 dont le sujet est « information sur la prévention des fraudes », elle n’en porte pas le contenu à la connaissance du tribunal.

Elle fait en revanche pertinement valoir que les codes reçus concernaient des opérations d’achat sur internet, ce qui était mentionné sur les SMS reçus et ce que Mme [X] a d’ailleurs reconnu lors de son dépôt de plainte (« j’ai ensuite reçu des codes par SMS afin de confirmer des achats sur internet »), ce qui devait sérieusement alerter Mme [X] et M. [M].

De même, le fait que le prétendu conseiller bancaire leur ait demandé de lui transmettre une copie de leurs pièces d’identité, au surplus à une adresse suspecte (« [Courriel 8] ») était un indice supplémentaire qu’il s’agissait d’une fraude.

Quand bien même l’escroc apparaissait particulièrement bien informé, en connaissant notamment le nom du conseiller bancaire des victimes et en faisant état de l’incident informatique de l’avant-veille pour accréditer la nécessité de faire obstacle à des opérations frauduleuses (les allégations des demandeurs sur ce point ne sont pas contestées), les indices qui viennent d’être rappelés étaient suffisamment sérieux pour qu’une personne normalement attentive se rende compte de la manipulation dont elle était l’objet et qui était destinée à fournir à l’escroc l’élément de sécurité qui lui manquait, à savoir les codes de validation exigés dans le cadre d’une authentification forte.

La preuve est donc suffisamment rapportée que, dans les circonstances de l’espèce, Mme [X] et M. [M] ont fait preuve d’une négligence grave justifiant qu’ils soient déboutés de leurs entière demande.

Au surplus, il est relevé que le préjudice matériel n’est pas de 7 982,06 euros et de 6 485,28 euros, mais de 4 482,06 euros et 3 484,28 euros. En effet, sans s’en expliquer, les demandeurs intégrent dans leur préjudice des virements qui ont été réalisés, certes frauduleusement, mais entre des comptes de Mme [X] et/ou de M. [M]. Tenir compte de ces virements « internes » et non à destination de tiers, nécessaires pour que les comptes de dépôt disposent d’une provision suffisante afin de procéder ensuite aux achats frauduleux sur internet, reviendrait à décompter doublement le même préjudice.

Sur les frais d’instance

En application de l’article 696 du code de procédure de civile, Mme [X] et M. [M] sont condamnés in solidum aux dépens.

En application de l’article 700 du même code, leur demande est rejetée et ils sont condamnés
à verser à la banque la somme de 1 500 euros.

En application de l’article 514 du même code, la présente décision est de droit exécutoire à titre provisoire.

Par ces motifs, le tribunal :

Rejette les prétentions de Mme [X] et de M. [M] ;

Les condamne in solidum aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette leur demande et les condamne à verser à la Caisse de crédit mutuel Rennes Blosne Poterie la somme de 1 500 euros.

Le greffier Le président


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