Escroquerie aux virements bancaires : une violation des Directives dites ‘anti blanchiment’ ?

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Escroquerie aux virements bancaires : une violation des Directives dites ‘anti blanchiment’ ?

M. [U] [V] et Mme [M] [V] ont assigné la société Banco BPI et leur banque ING Bank, se plaignant d’une escroquerie liée à des virements effectués entre février et août 2019 vers un compte au Portugal. Le tribunal judiciaire de Paris a rejeté l’exception d’incompétence et la prescription soulevées par Banco BPI, condamnant cette dernière à verser 1 000 euros aux demandeurs. Banco BPI a fait appel, arguant que la loi portugaise s’appliquait et que l’action était prescrite selon le droit portugais. Les époux [V] ont soutenu que le tribunal était compétent et que l’action n’était pas prescrite selon le droit français. En appel, la cour a infirmé la décision sur la prescription, déclarant l’action des époux [V] irrecevable et les condamnant aux dépens.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

9 octobre 2024
Cour d’appel de Paris
RG
23/19490
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 6

ARRET DU 09 OCTOBRE 2024

(n° , 5 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 23/19490 – N° Portalis 35L7-V-B7H-CIUEF

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 09 Novembre 2023 -juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris RG n° 23/00258

APPELANTE

Société BANCO BPI SA société de droit portugais

[Adresse 7]

[Localité 4] (Portugal)

agissant poursuite et diligences par ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Me Belgin PELIT-JUMEL de la SELEURL BELGIN PELIT-JUMEL AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : D1119

Ayant pour avocat plaidant Me Mari-Carmen GALLARDO ARDOUIN, avocat au barreau de PARIS, toque : D1981

INTIMÉS

Monsieur [U] [V]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Madame [M] [V]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentés par Me Emilie CHANDLER, avocat au barreau de PARIS, toque : A0215

S.A. ING BANK N.V

Siège social : [Adresse 8] [Localité 6]

[Adresse 1] [Localité 5]

agissant poursuite et diligences par ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité audit siège

non constituée (signification de la déclaration d’appel en date du 15 janvier 2024 / procès verbal de remise l’étude en date du 15 janvier 2024)

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 1er Juillet 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Marc BAILLY, président de chambre chargé du rapport

M. Vincent BRAUD, président

Mme Laurence CHAINTRON, conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie THOMAS

ARRET :

– par défaut

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Marc BAILLY, président de chambre et par Mélanie THOMAS, greffier, présent lors de la mise à disposition.

* * * * *

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Vu l’ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris du 9 novembre 2023 qui, ensuite de l’assignation délivrée le 29 novembre 2022 par M. [U] [V] et Mme [M] [V] – se plaignant d’une escroquerie dont ils ont été victimes ensuite de divers virements qu’ils ont effectués du 22 février au 7 août 2019 à partir de leur compte bancaire français vers un compte au Portugal-, à leur banque française, la société ING Bank ainsi qu’à la société de droit portugais Banco BPI, réceptionnaire des fonds et de l’exception d’incompétence ainsi que de la prescription de l’action soulevées par cette dernière, a rejeté l’exception d’incompétence et la fin de non recevoir tirée de la prescription et condamné la société BPI à payer aux demandeurs la somme de 1 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Vu la déclaration d’appel de la société Banco BPI du 5 décembre 2023 qui indique ne porter que sur le rejet de la fin de non recevoir tirée de la prescription ;

Vu les dernières conclusions en date du 31 mai 2024 de la société Banco BPI qui fait valoir :

– que c’est à tort que l’ordonnance entreprise a appliqué le droit français à la prescription dès lors qu’en vertu des articles 4.1 et 15 du Règlement dit Rome II, lus en cohérence avec les Règlements Bruxelles I et Bruxelles I bis, c’est la loi portugaise qui s’applique dès lors que le fait dommageable s’est produit au Portugal,

– que la loi portugaise prévoit, à l’article 498.1 du code civil une prescription de trois ans à compter de la date à laquelle la personne lésée a eu connaissance de son droit, qu’en l’espèce, les époux [V] ont effectué leur dernier virement le 1er août 2019 et ne justifient pas avoir porté plainte, de sorte que c’est à cette date qu’ils ont connu leur droit puisque le 2 août M. [V] a écrit à son interlocuteur ‘dans votre intérêt, rendez mon dû, sinon en plus de l’arnaque, vous aurez l’abus de faiblesse’, et que leur action, introduite par l’assignation du 29 novembre 2022 est tardive, si bien qu’elle demande à la cour d’infirmer l’ordonnance sur ce point ainsi que sur les mesures accessoires et de :

‘- Déclarer Monsieur [U] [V] et Madame [M] [V] irrecevables en leurs demandes fins et conclusions formulées à l’encontre de BANCO BPI SA au motif de prescription.

– Condamner solidairement Monsieur [U] [V] et Madame [M] [V] à payer à la société BANCO BPI SA une somme de 2 500,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel’.

Vu les dernières conclusions en date du 1er juin 2024 de M. [U] [V] et Mme [M] [V] qui poursuivent la confirmation de l’ordonnance entreprise et la condamnation de la société Banco BPI à leur payer la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles en faisant valoir :

– des moyens relatifs à la compétence du tribunal judiciaire de Paris pour connaître du litige,

– que l’action n’est pas prescrite en vertu du délai quinquennal en droit français de l’article 2224 du code civil,

– que la loi portugaise n’est pas applicable en vertu de l’article 4 du Règlement du 11 juillet 2007 qui désigne la loi applicable comme celle du pays où le dommage survient, qu’en l’espèce, il s’agit de la France, lieu de départ des fonds et non du Portugal, le lieu du fait générateur ne pouvant être confondu avec le lieu du pays où le dommage survient, qu’ils sont de nationalité française, demeurent en France, que l’infraction a été commise au moyen d’un site accessible en France, que le contrat a été signé en France, et que le compte dans les livres de la banque portugaise n’était en tout état de cause qu’un compte ‘de rebond’ ;

Vu l’absence de comparution de la société ING Bank à laquelle les conclusions ont été signifiées le 11 avril 2024 ;

MOTIFS

En dépit du rappel par message RPVA du 5 juillet 2024 de ce que la cour n’a pas été destinataire du dossier de plaidoirie des époux [V], ce dernier n’est pas parvenu dans le temps du délibéré.

Il est constant que les époux [V] ont ordonné treize virements de sommes au débit de leur compte français dans les livres de la société ING Bank sur une période s’étalant du 22 février au 7 août 2019, et notamment d’un montant de 47 000 euros le 1er août 2019 vers un compte tenu dans les livres de la banque portugaise Banco BPI et qu’ils se plaignent d’une appropriation indus des fonds, n’ayant pu en obtenir la restitution.

Les époux [V] reprochent, au moyen de l’assignation délivrée le 29 novembre 2022 à la société Banco BPI un manquement à son obligation de vigilance et une violation de Directives dites ‘anti blanchiment’, ‘applicables’ au litige.

L’article 4 du Règlement (CE) n°864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (Règlement Rome II) dispose que :

« 1. Sauf dispositions contraires du présent règlement, la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d’un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent.

2. Toutefois, lorsque la personne dont la responsabilité est invoquée et la personne lésée ont leur résidence habituelle dans le même pays au moment de la survenance du dommage, la loi de ce pays s’applique.

3. S’il résulte de l’ensemble des circonstances que le fait dommageable présente des liens manifestement plus étroits avec un pays autre que celui visé aux paragraphes 1 ou 2, la loi de cet autre pays s’applique. Un lien manifestement plus étroit avec un autre pays pourrait se fonder, notamment, sur une relation préexistante entre les parties, telle qu’un contrat, présentant un lien étroit avec le fait dommageable en question ».

C’est à juste titre que la société Banco BPI fait valoir que conformément au considérant n°7 du règlement Rome II selon lequel « le champ d’application matériel et les dispositions du présent règlement devraient être cohérents par rapport au règlement (CE) no 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (Bruxelles I) et les instruments relatifs à la loi applicable aux obligations contractuelles », il convient d’adopter une interprétation de la notion de « pays où le dommage survient » en cohérence avec ces textes.

Or, s’il est de jurisprudence que la CJUE a considéré que la notion de « juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit » devait être interprétée en ce sens qu’elle vise à la fois le lieu où le dommage est survenu et le lieu de l’événement causal qui est à l’origine de ce dommage, pour l’application du règlement Rome II, le critère du lieu de l’événement causal est expressément écarté par l’article 4.1.

Et il est de jurisprudence que l’expression ‘ tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit’, dans son acception du lieu de survenance du dommage, doit être interprétée en ce sens qu’elle ne vise pas le lieu où la victime prétend avoir subi un préjudice patrimonial consécutif à un dommage initial survenu et subi par elle dans un autre État contractant (CJCE, Antonio Marinari, 19 septembre 1995, C-364/93), ni le lieu du domicile du demandeur où serait localisé le centre de son patrimoine, au seul motif qu’il y aurait subi un préjudice financier résultant de la perte d’éléments de son patrimoine intervenue et subie dans un autre État contractant (CJCE, Rudolf Kronhofer, 10 juin 2004, C-168/02) et ce, sauf s’il existe d’autres points de rattachement avec le tribunal du lieu du domicile de la victime.

Etant observé que la compétence des juridictions françaises en l’espèce a été retenue non pas sur le fondement de l’article 7 du Règlement dit Bruxelles I bis qui désigne la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit mais sur celui de son article 8 consacrant la ‘connexité’ ou prorogation de compétence avec l’action à l’encontre de la banque française, c’est à juste titre que la société Banco BPI fait valoir qu’en l’espèce, le dommage s’est réalisé directement au lieu où l’appropriation des fonds s’est produite c’est à dire – en dépit de protestations non fondées des époux [V] qui soutiennent eux-mêmes qu’ils ne peuventt se les voir restituer – au Portugal puisqu’il est constant que les fonds, non récupérés par eux, y ont été virés.

Or, la circonstance que les fonds ont été virés à partir d’un compte en France par les époux [V] qui y demeurent ou encore leur nationalité française ne constituent pas un lien de rattachement manifestant des liens étroits de nature à concourir à la désignation de la loi française pour apprécier la responsabilité délictuelle d’une banque portugaise dans les livres de laquelle les fonds ont été reçus au regard de ses obligations d’établissement teneur de compte de son client ou réceptionnaire d’une prestation de services de paiement.

En conséquence de ce qui précède, c’est bien la loi portugaise qui est applicable à l’action des époux [V] à l’égard de la société Banco BPI, y compris à la fin de non recevoir tirée de la prescription comme elle le fait valoir en vertu de l’article 15 du Règlement dit Rome II qui dispose que ‘la loi applicable à une obligation non contractuelle en vertu du présent règlement régit notamment (…) le mode d’extinction des obligations ainsi que les règles de prescription et de déchéance fondées sur l’expiration d’un délai, y compris les règles relatives au point de départ, à l’interruption et à la suspension d’un délai de prescription ou de déchéance’.

Selon une traduction non contestée, l’article 489 du code civil portugais relatif à la prescription dispose que :

‘1. Le délai de prescription du droit à réparation est de trois ans à compter de la date à laquelle la personne lésée a eu connaissance de son droit même lorsqu’elle ne sait pas qui est la personne responsable ni l’extension totale des dommages, sans préjudice de la prescription ordinaire si son délai est écoulé depuis le fait dommageable.

2. Le délai de prescription du droit de répétition entre les responsables est également de trois ans à compter de l’exécution.

3. Si le fait dommageable est une infraction pénale pour laquelle la loi prévoit un délai de prescription plus long, ce dernier est applicable.

4. La prescription du droit à réparation n’emporte pas la prescription de l’action en revendication ni de l’action en répétition de l’indu, si l’une ou l’autre est engagée’.

Or, il résulte des écritures des époux [V] qu’ils avaient connaissance, dès sa réalisation, que le virement de 47 000 euros était reçus pour le compte d’une prétendue société dans les livres de la banque portugaise Banco BPI SA, que la lecture des courriels adressés par les époux [V] à leur interlocuteur et singulièrement celui du 2 octobre 2019 intitulé ‘téléphones ne fonctionnent plus’ permet d’établir qu’ils avaient conscience, à cette date, d’avoir été victime d’une escroquerie (‘dans votre intérêt rendez mon dû sinon en plus de l’arnaque, vous aurez l’abus de faiblesse’), de sorte qu’ils étaient en mesure d’exercer le droit qu’ils invoque en reprochant à faute à la banque portugaise son manque de vigilance et que, par application de la disposition ci-dessus rapportée, leur action introduite plus de trois années après est irrecevable comme prescrite.

Il y a lieu de réformer l’ordonnance entreprise en conséquence, de condamner M. [U] [V] et Mme [M] [V] aux dépens d’appel, l’équité commandant de ne pas prononcer de condamnation en application de l’article 700 du code de procédure civile, l’équité commandant de ne pas prononcer d’autre condamnation de ce chef.

PAR CES MOTIFS

Statuant dans les limites de l’appel,

INFIRME l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a rejeté la fin de non recevoir tirée de la prescription et la confirme pour le surplus, y compris du chef des frais irrépétibles et des dépens ;

Et, statuant à nouveau du chef de l’infirmation ;

DÉCLARE irrecevable comme prescrite l’action de M. [U] [V] et Mme [M] [V] à l’égard de la société Banco BPI ;

DIT n’y avoir lieu au prononcé d’une condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE M. [U] [V] et Mme [M] [V] aux dépens d’appel qui seront recouvrés comme il est disposé à l’article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


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