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Même si le client d’une banque française a été victime d’une escroquerie aux crypto-monnaies avec virements de fonds vers la Lithuanie, le juge français peut être compétent.
En effet, les actions en responsabilité formées contre les deux banques posent des questions communes, au regard, notamment de la portée de l’obligation de vigilance des banques en la matière, qui commandent des réponses coordonnées, tant sur la matérialité et l’étendue du préjudice, l’analyse des causes du dommage que la part de responsabilité de chacune des banques. Il s’en déduit qu’au regard de la connexité des demandes formées contre les deux banques, il est de l’intérêt d’une bonne justice qu’elles soient jugées ensemble pour éviter tout risque d’inconciliabilité des solutions. M. [X] ayant attrait une partie, en l’occurrence la société SNP qui est domiciliée dans un Etat membre de l’Union européenne, la Lituanie, les dispositions du règlement (UE), dit Règlement Bruxelles 1 bis, du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale prévalent sur les dispositions internes issues du code de procédure civile. Ainsi, la compétence de principe, posée par l’article 4 § 1 du Règlement précité, est celle de la juridiction du lieu du domicile du défendeur : ‘sous réserve du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un Etat membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet Etat membre’. Cependant, l’article 7 du règlement précité édicte des régles de compétence spéciales en matière de responsabilité délictuelle ou quasi délictuellle : ‘une personne domiciliée sur le territoire d’un Etat membre peut être attraite dans un autre Etat membre, 2), en matière délictuelle ou quasi délictuelle devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire’. Ce fait dommageable s’interprête en ce sens qu’il constitue à la fois le lieu où le dommage est survenu ou le lieu de l’évènement causal. En l’absence d’autres critères de rattachement, le fait dommageable ne vise pas le lieu du domicile du demandeur où serait localisé le centre de son patrimoine, en l’occurrence le siège de la banque émettrice des ordres de virements litigieux, situé dans le département du Var, ni le lieu situé dans un Etat membre où un préjudice est survenu, lorsque, comme en l’espèce, ce préjudice consiste exclusivement en une perte financière qui se matérialise directement sur le compte bancaire débité et qui résulte directement d’un acte illicite commis dans un autre Etat membre. En l’espèce, d’une part, le lieu de l’événement causal, à l’origine du dommage subi par M. [X] est celui du prétendu manquement de la banque SNP à ses obligations de vigilance, situé en Lituanie ; d’autre part, comme l’a relevé à bon droit le juge de la mise en état, le lieu où le dommage est survenu n’est pas le lieu où se situe le compte bancaire émetteur des virements litigieux mais celui où l’appropriation indue par le dépositaire des fonds, soit la société Cryptodiggers SRO, s’est produite, que ce soit par retraits ou prélèvements, soit à [Localité 6], lieu où étaient tenus matériellement les comptes de la société Cryptodiggers SRO, auteur des prétendus détournements de fonds. Cependant, en vertu de l’article 8.1 du Règlement du 12 décembre 2012, dit Bruxelles I Bis, en cas de pluralité de défendeurs, une personne domiciliée sur le territoire d’un Etat membre peut, par dérogation au principe énoncé à l’article 4, paragraphe 1, de ce réglement, être attraite devant la juridiction du domicile de l’un d’eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément. M. [X] a ouvert un compte à la Caisse d’Epargne et de Prévoyance Côte d’Azur et a été contacté en 2019 par la société Smoney LTD, spécialisée dans les crypto-monnaies, qui lui a promis des rendements élevés. Il a signé un mandat de gestion et investi 21 000 € en deux virements vers un compte de la société Secure Nordic Payments UAB en Lituanie. Après avoir perdu tout contact avec Smoney LTD et réalisé qu’il avait été escroqué, M. [X] a déposé une plainte pour escroquerie en juin 2019. En mai et juin 2022, il a assigné la Caisse et la société SNP en justice pour obtenir des dommages et intérêts. La société SNP a contesté la compétence territoriale du tribunal de Nice, qui a déclaré ce tribunal incompétent pour connaître de l’affaire contre SNP. M. [X] a fait appel de cette décision. En janvier 2024, il a été autorisé à assigner la société SNP pour une audience prévue en juin 2024. M. [X] a demandé à la cour d’infirmer l’ordonnance initiale et de déclarer le tribunal de Nice compétent, tandis que la société SNP a demandé la confirmation de l’ordonnance. La cour a finalement déclaré le tribunal judiciaire de Nice compétent pour le litige et a condamné la société SNP aux dépens. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Chambre 3-3
ARRÊT SUR COMPETENCE
DU 17 OCTOBRE 2024
N° 2024/123
N° RG 23/15680 – N° Portalis DBVB-V-B7H-BMKCD
[U] [X]
C/
Société SECURE NORDIC PAYMENTS UAB
Copie exécutoire délivrée le :
à :
Me Audrey MARIE
Me Jean-françois JOURDAN
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance du Juge de la mise en état de Nice en date du 07 Novembre 2023 enregistré (e) au répertoire général sous le n° 22/02858.
APPELANT
Monsieur [U] [X]
né le [Date naissance 1] 1996 à [Localité 5],
demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Audrey MARIE, avocat au barreau D’AIX-EN-PROVENCE
INTIMÉE
Société SECURE NORDIC PAYMENTS UAB, prise en la personne de son représentant légal
dont le siège social est sis [Adresse 4]
représentée par Me Jean-François JOURDAN de la SCP JF JOURDAN – PG WATTECAMPS ET ASSOCIÉS, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, assisté de Me Indy MAUPETIT, avocat au barreau de NICE, plaidant, substituant Me Nicolas BRAHIN, avocat au barreau de NICE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804, 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 25 Juin 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Philippe DELMOTTE, Président, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Philippe DELMOTTE, Président
Madame Françoise PETEL, Conseillère
Madame Gaëlle MARTIN, Conseillère
Greffier lors des débats : Madame Chantal DESSI.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe, après prorogation, le 17 Octobre 2024.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 17 Octobre 2024
Signé par Monsieur Philippe DELMOTTE, Président et Madame Laure METGE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
M. [X] est titulaire d’un compte ouvert dans les livres de la Caisse d’Epargne et de Prévoyance Côte d’Azur (agence de [Localité 3], ci-après dénommée la caisse).
Il expose
– avoir été contacté au début de l’année 2019 par la société Smoney LTD laquelle se présentait comme étant spécialisée dans l’acquisition et la gestion de crypto-monnaies et l’assurant de la forte rentabilité de ce placement permettant d’effectuer des plus values importantes.
– avoir signé un mandat de gestion avec cette société et avoir investi la somme totale de 21 000€ en cryptomonnaies en procédant à deux virements, les 25 janvier et 19 mars 2019, depuis son compte ouvert dans les livres de la caisse à destination d’un compte bancaire ouvert au nom de ‘Cryptodiggers SRO’ auprès de la banque lituanienne la société Secure Nordic Payments UAB (la société SNP)
– avoir été informé par la société Smoney LTD que les crypto-monnaies seraient acquises et négociées par ses soins et conservées sur un compte de dépôt.
La société Smoney LTD ayant interrompu tout contact avec lui, prenant conscience que les sommes investies étaient intégralement perdues et qu’il avait été victime d’une escroquerie, M. [X] a déposé, le 25 juin 2019, une plainte pour escroquerie, auprès du Procureur de la République près le tribunal judiciaire de Toulon.
Par actes d’huissier des 31 mai et 16 juin 2022, M. [X] a assigné la caisse et la société SNP devant le tribunal judiciaire de Nice à l’effet de les voir condamner in solidum au paiement de dommages et intérêts, notamment la somme de 21 000 € correspondant à la totalité de son investissement perdu, pour manquements des deux banques à leur obligation de vigilance.
La société SNP a soulevé l’incompétence territoriale du tribunal judiciaire de Nice.
Par ordonnance du 07 novembre 2023, le juge de la mise en état a
– déclaré le tribunal judiciaire de Nice territorialement incompétent pour connaître des demandes formées par M. [X] contre la société de droit lituanien SNP
– renvoyé M. [X] à mieux se pourvoir s’agissant de ses demandes dirigées à l’encontre de la SNP
– dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile.
– condamné M. [X] aux dépens de l’incident.
Par déclaration du 20 décembre 2023, M. [X] relevé appel de cette ordonnance.
Par ordonnance du 2 janvier 2024, le président de chambre, agissant sur délégation du Premier président de cette cour, a autorisé M. [X] assigner la société SNP pour l’audience du 25 juin 2024, à 14h.
La demande de notification de l’assignation délivrée le 12 janvier 2024 a été transmise le même jour par Me [S] et [Y], commissaires de justice, aux autorités judiciaires lituaniennes conformément à l’article 9-2 du réglement de l’Union européenne 2020/1784 relatif à la signification et à la notification dans les Etats membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale.
Vu les conclusions du 17 janvier 2024 de M. [X] demandant à la cour,
– d’infirmer l’ordonnance
– de juger le tribunal judiciaire de Nice compétent territorialement pour statuer sur le litige l’opposant à la société Secure Nordic Payements UAB au regard de la compétence des juridictions françaises à raison du lieu de la matérialisation du dommage (à titre principal) ou au regard de la compétence des juridictions françaises à raison de la pluralité de défendeurs (à titre subsidiaire)
– de renvoyer le dossier au tribunal judiciaire de Nice pour qu’il soit statué sur le fond du litige
– de débouter la société Secure Nordic Payements UAB de ses demandes
– de condamner la société Secure Nordic Payements UAB à lui payer la somme de 2000€ au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.
Vu les conclusions du 28 mai 2024 de la société SNP demandant à la cour
– de confirmer l’ordonnance déférée dans toutes ses dispositions
– de déclarer les juridictions françaises territorialement incompétentes
– de renvoyer les parties à mieux se prourvoir
– de condamner M. [X] à lui payer la somme de 4000€ en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Il convient de relever, en liminaire, que M. [X] ayant attrait une partie, en l’occurrence la société SNP qui est domiciliée dans un Etat membre de l’Union européenne, la Lituanie, les dispositions du règlement (UE), dit Règlement Bruxelles 1 bis, du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale prévalent sur les dispositions internes issues du code de procédure civile.
Ainsi, la compétence de principe, posée par l’article 4 § 1 du Règlement précité, est celle de la juridiction du lieu du domicile du défendeur : ‘sous réserve du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un Etat membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet Etat membre’.
Il sera observé que, de ce point de vue, la société SNP, banque lituanienne, a son siège social à [Localité 6], en Lituanie.
Cependant, l’article 7 du règlement précité édicte des régles de compétence spéciales en matière de responsabilité délictuelle ou quasi délictuellle : ‘une personne domiciliée sur le territoire d’un Etat membre peut être attraite dans un autre Etat membre, 2), en matière délictuelle ou quasi délictuelle devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire’. Ce fait dommageable s’interprête en ce sens qu’il constitue à la fois le lieu où le dommage est survenu ou le lieu de l’évènement causal.
En l’absence d’autres critères de rattachement, le fait dommageable ne vise pas le lieu du domicile du demandeur où serait localisé le centre de son patrimoine, en l’occurrence le siège de la banque émettrice des ordres de virements litigieux, situé dans le département du Var, ni le lieu situé dans un Etat membre où un préjudice est survenu, lorsque, comme en l’espèce, ce préjudice consiste exclusivement en une perte financière qui se matérialise directement sur le compte bancaire débité et qui résulte directement d’un acte illicite commis dans un autre Etat membre.
En l’espèce, d’une part, le lieu de l’événement causal, à l’origine du dommage subi par M. [X] est celui du prétendu manquement de la banque SNP à ses obligations de vigilance, situé en Lituanie ; d’autre part, comme l’a relevé à bon droit le juge de la mise en état, le lieu où le dommage est survenu n’est pas le lieu où se situe le compte bancaire émetteur des virements litigieux mais celui où l’appropriation indue par le dépositaire des fonds, soit la société Cryptodiggers SRO, s’est produite, que ce soit par retraits ou prélèvements, soit à [Localité 6], lieu où étaient tenus matériellement les comptes de la société Cryptodiggers SRO, auteur des prétendus détournements de fonds.
Cependant, en vertu de l’article 8.1 du Règlement du 12 décembre 2012, dit Bruxelles I Bis, en cas de pluralité de défendeurs, une personne domiciliée sur le territoire d’un Etat membre peut, par dérogation au principe énoncé à l’article 4, paragraphe 1, de ce réglement, être attraite devant la juridiction du domicile de l’un d’eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément.
En l’espèce, dans ses conclusions, M. [X] rappelle que les agissements reprochés à la société Cryptodiggers SRO ou la société Smoney LTD s’inscrivent dans des mécanismes d’escroquerie généralisés au plan européen et international, ayant fait l’objet de signalements répétés dans les rapports annuels d’activité de TRACFIN ou de l’ACPR et au sein du Parlement européen ; il invoque encore un manquement des deux banques à leur obligation de vigilance au regard du caractère atypique des placements financiers qui aurait dû renforcer leur contrôle et de la directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 octobre 2005 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme, laquelle ne peut être ignorée des deux établissements bancaires.
Contrairement à ce qu’énonce le juge de la mise en état, la connexité des demandes invoquée par M. [X] pour justifier la compétence de la juridiction française ne résulte pas seulement d’une demande de condamnation in solidum des deux banques ; en l’espèce, les demandes en dommages et intérêts formées contre les deux banques, procèdent des mêmes faits, les manquements des deux banques à une obligation de vigilance, invoqués par M. [X], ont concouru, selon lui, à la réalisation d’un même dommage, soit la perte des fonds investis en 2019, par des virements effectués sur le compte d’une société fraudeuse.
Les actions en responsabilité formées contre les deux banques posent des questions communes, au regard, notamment de la portée de l’obligation de vigilance des banques en la matière, qui commandent des réponses coordonnées, tant sur la matérialité et l’étendue du préjudice, l’analyse des causes du dommage que la part de responsabilité de chacune des banques.
Il s’en déduit qu’au regard de la connexité des demandes formées contre les deux banques, il est de l’intérêt d’une bonne justice qu’elles soient jugées ensemble pour éviter tout risque d’inconciliabilité des solutions.
Il y a lieu en conséquence d’infirmer l’ordonnance déférée, de déclarer le tribunal judiciaire de Nice compétent et de renvoyer la cause et les parties devant ce tribunal pour qu’il soit statué sur le fond du litige et les demandes formées par M. [X] contre la société SNP.
Infime l’ordonnance déférée dans toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau
Déclare le tribunal judiciaire de Nice compétent pour connaître du litige opposant M. [X] à la société Secure Nordic Payements UAB ;
Renvoie la cause et les parties devant ce tribunal pour qu’il soit statué sur le fond du litige ;
Condamne la société Secure Nordic Payements UAB aux entiers dépens d’incident de première instance et d’appel;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Secure Nordic Payements UAB, la condamne à payer à M. [X] la somme de 2000€.
LE GREFFIER LE PRESIDENT