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L’absence de vérification de l’identité du titulaire d’un compte bancaire (auteur d’une arnaque au Bitcoin) et de surveillance de son fonctionnement sont susceptibles de constituer une faute délictuelle de la banque en permettant ainsi d’ouvrir un compte frauduleux et la réalisation d’un dommage pour la victime.
Toutefois, le client victime d’une arnaque au Bitcoin doit former dans le dispositif de ses conclusions une demande de production des documents d’ouverture du compte et aux relevés dudit compte bénéficiaire des fonds. Le tribunal n’étant pas saisi d’une telle demande n’est pas tenu d’examiner les moyens des parties sur la production de ces documents, tenant au secret bancaire, en application de l’article 768 du code de procédure civile. Il appartient également à la victime de rapporter la preuve de l’anomalie de fonctionnement du compte réceptionnaire des fonds, la seule réception de la somme de 1 230 930 euros sur une période de huit mois, ne permettant pas de démontrer, en soi, ladite anomalie. A défaut de produire les éléments permettant de caractériser l’anomalie de fonctionnement dudit compte, la victime sur laquelle pèse la charge de la preuve, ne démontre pas la faute commise par la banque (la société Olky Payment). M. [Z] [F] a déposé une plainte le 20 septembre 2022, affirmant avoir été démarché pour des investissements financiers en 2020, ayant entraîné des virements totalisant 1 567 512 euros vers des bénéficiaires tels que « coinhouse », « binance », « stichting pay » et « zebitcoin » entre septembre 2021 et août 2022. Le 17 novembre 2022, il a informé la société Olkypay France, qu’il considère comme responsable de son préjudice, sans preuve d’envoi recommandé. Le 15 février 2023, il a assigné la société Olky Payment pour obtenir 1 230 930 euros, des intérêts et 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Dans ses conclusions du 24 mai 2023, M. [F] demande la condamnation de la société Olky Payment pour les virements reçus, la capitalisation des intérêts et le remboursement des frais. De son côté, la société Olky Payment, dans ses conclusions du 26 mai 2023, conteste toute faute de sa part et demande le déboutement de M. [F], ainsi que 5 000 euros pour ses frais. L’instruction a été close le 8 juin 2023, avec des plaidoiries prévues pour le 6 mai 2024 et un délibéré le 5 juillet 2024. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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PÔLE CIVIL
6ème Chambre
JUGEMENT RENDU LE
30 Août 2024
N° RG 23/01675 – N° Portalis DB3R-W-B7H-YHBD
N° Minute : 24/
AFFAIRE
[Z] [F]
C/
Société OLKY PAYMENT SERVICE PROVIDER
Copies délivrées le :
DEMANDEUR
Monsieur [Z] [F]
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 1]
représenté par Me Cécile TURON, avocat postulant au barreau des HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 306
et par Me Florian DESBOS de la SCP DESBOS BAROU, avocat plaidant au barreau de LYON
DEFENDERESSE
Société OLKY PAYMENT SERVICE PROVIDER
[Adresse 2]
[Localité 4]
[Localité 4] (LUXEMBOURG)
représentée par Maître Séverine RICATEAU de la SELARL SLRD AVOCATS, avocat postulant au barreau des HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 782
et par Maître Yann LE TARGAT de la SEP ARMANDET & LE TARGAT avocat plaidant au barreau de MONTPELLIER
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 06 Mai 2024 en audience publique devant :
Anne LECLERC, Juge, magistrat chargé du rapport, les avocats ne s’y étant pas opposés.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries au tribunal composé de :
François BEYLS, Premier Vice-Président Adjoint
Anne LECLERC, Juge
Quentin SIEGRIST, Vice-président
qui en ont délibéré.
Greffier lors du prononcé : Sylvie CHARRON, Greffier.
JUGEMENT
prononcé en premier ressort, par décision contradictoire et mise à disposition au greffe du tribunal conformément à l’avis donné à l’issue des débats au 5 juillet 2024 et prorogé au 30 août 2024.
M. [Z] [F] a déposé plainte, par la voix de son conseil, entre les mains de M. le Procureur de la République de Lyon le 20 septembre 2022, expliquant avoir été démarché téléphoniquement pour procéder à des investissements financiers en fin d’année 2020. Il indique aux termes de sa plainte avoir procédé à des virements et des paiements par carte bancaire au profit de différents bénéficiaires dénommés « coinhouse », « binance », « stichting pay » ou « zebitcoin » pour la somme totale de 1 567 512 euros entre le 20 septembre 2021 et le 19 août 2022.
Par lettre du 17 novembre 2022, dont il n’est pas justifié de l’envoi sous la forme recommandée avec avis de réception, M. [F], par la voix de son conseil, a fait savoir à la société Olkypay France, qu’il indique être la banque du destinataire des fonds virés, qu’il l’estimait responsable de son préjudice.
Par acte de commissaire de justice du 15 février 2023, M. [F] a fait assigner la société de droit luxembourgeois Olky Payment Service Provider (ci-après la société « Olky Payment ») devant ce tribunal aux fins de la voir condamnée à lui payer la somme de 1 230 930 euros outre les intérêts au taux légal à compter du 17 novembre 2022, de voir ordonnée la capitalisation des intérêts et de la voir condamnée à lui verser la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 24 mai 2023, M. [F] demande au tribunal de :
« Vu les articles 1240 et 1241 du code civil,
Vu la jurisprudence,
Vu les pièces versées aux débats,
– Condamner la société Olky Payment au paiement de la somme de 1 230 930 euros correspondant aux 23 virements reçus sur le compte n° [XXXXXXXXXX03] ouvert dans ses livres, outre intérêts au taux légal à compter du 30 novembre 2022 date de la réception de la mise en demeure,
– Ordonner la capitalisation des intérêts,
– Condamner la société Olky Payment au paiement de la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamner la société Olky Payment aux entiers dépens.»
Aux termes de ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 26 mai 2023, la société Olky Payment demande au tribunal de :
«- Juger qu’il n’est rapporté l’existence d’aucune faute incombant à la société Olky Payment dans le cadre de la réception des fonds objet des virements réalisés par M. [F],
– Débouter M. [F] de l’intégralité de ses demandes,
– Rejeter toutes demandes, fins et conclusions contraires comme injustes et, en toutes hypothèses, mal fondées,
– Condamner M. [F] au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l’art 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens. »
Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens de parties, il y a lieu de se référer à leurs dernières conclusions en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
L’instruction a été close par ordonnance du 8 juin 2023 et l’affaire renvoyée pour les plaidoiries au 6 mai 2024 puis mise en délibéré au 5 juillet 2024, prorogé ce jour.
A titre liminaire, le tribunal relève que la société Olky Payment ne soulève pas l’application de la loi luxembourgeoise à l’action formée par M. [F] à son encontre. Elle invoque uniquement les termes de ladite loi, produite en pièce n°2, comme ceux de la loi française, sur l’obligation au secret professionnel de la banque.
En outre, si M. [F] dans le corps de ses conclusions notifiées par voie électronique le 24 mai 2023 demande que la pièce n°2 de la société Olky Payment, intitulée « loi luxembourgeoise du 10 novembre 2009 » soit « écartée », il ne reprend pas cette demande aux termes du dispositif de ses écritures.
Or conformément à l’article 768 du code de procédure civile le tribunal ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif, de sorte que le tribunal n’est pas saisi de la demande « d’écarter » la pièce n°2 de la société Olky Payment.
Sur la responsabilité de la société Olky Payment
M. [F] fait valoir qu’il a procédé entre le 29 décembre 2021 et le 19 août 2022 à 23 virements sur un compte ouvert dans les livres de la société Olky Payment sous le numéro d’IBAN [XXXXXXXXXX03] pour la somme de 1 230 930 euros.
Il explique que la société Olky Payment, banque réceptrice des fonds, est tenue à un devoir de vigilance et doit relever les anomalies apparentes qui affectent une ou plusieurs opérations, qu’elles soient matérielles ou intellectuelles, le devoir de non-ingérence de la banque n’excluant pas l’exercice du devoir de vigilance.
M. [F] estime que le secret bancaire prévu à l’article L.522-19 du code monétaire et financier n’est pas absolu et qu’il peut être levé au profit d’un tiers qui engage la responsabilité d’un établissement bancaire.
Il expose que le compte portant l’IBAN [XXXXXXXXXX03] a reçu 23 virements entre le 29 décembre 2021 et le 19 août 2022 pour une somme de 1 230 930 euros qui représentent en moyenne la somme de 154 000 euros par mois en provenance d’un compte français détenu par un particulier et qui n’ont aucune justification économique, ainsi qu’il ressort de leur intitulé.
Indiquant que les opérations qu’il a effectuées constituaient des anomalies de fonctionnement du compte bénéficiaire desdits virements, il estime que la responsabilité de la société Olky Payment, dans les livres de laquelle a été ouvert ledit compte, est engagée.
Enfin, il reproche à la société Olky Payment de ne pas produire les documents du titulaire du compte lors de son ouverture et les relevés dudit compte entre septembre 2021 et août 2022.
En défense, la société Olky Payment indique que M. [F] ne produit pas les ordres de virement dont il fait état, lesquels ont été ordonnés et signés par lui.
Elle estime, se fondant sur les dispositions de l’article 1353 du code civil, que M. [F] ne rapporte pas la preuve du fonctionnement inhabituel du compte destinataire des fonds alors même qu’il n’est pas justifié de discussions qui ont pu avoir lieu entre M. [F] et la banque émettrice desdits virements, à savoir le Crédit Industriel et Commercial. Elle rappelle que la charge de la preuve de l’absence de justification économique invoquée par M. [F] lui incombe avant d’invoquer l’application du secret bancaire au compte réceptionnaire des fonds.
La société Olky Payment ajoute que la réception de la somme de 1 230 930 euros sur une période de huit mois ne constitue pas une anomalie de fonctionnement du compte bénéficiaire.
Elle fait valoir qu’elle n’est pas en mesure de fournir des informations concernant l’identification du client dont le compte a été ouvert dans ses livres qui a réceptionné les fonds virés par M. [F].
Elle conclut que M. [F] doit être débouté de ses demandes à défaut de rapporter la preuve d’une faute.
* * *
L’article 1240 du code civil dispose que « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »
L’article 1241 du même code ajoute que « chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. »
En l’espèce, M. [F] produit un courriel du 23 janvier 2023 aux termes duquel il demande à sa banque, le Crédit Industriel et Commercial, le nom de l’établissement bancaire détenant le compte bénéficiaire de six virements opérés les 29 et 30 décembre 2021, 5 et 14 janvier, 16 février et 19 mars 2022 pour la somme totale de 553 000 euros et la réponse de la banque le 27 janvier suivant qui mentionne le compte « [XXXXXXXXXX03] . BIC : [XXXXXXXXXX05] ».
M. [F] produit encore en pièce n°3 l’impression d’une liste de virements correspondant à « tous » les comptes pour une période du 11 avril au 8 octobre 2022 de laquelle il ressort 17 virements vers le compte précité pour la somme totale de 667 930 euros.
M. [F] ne produit pas les ordres de virement transmis à la banque émettrice, étant relevé que l’intitulé des virements sur la liste produite en pièce n°3 est « digital broker 19733 ».
Il explique que le compte « [XXXXXXXXXX03] » est ouvert dans les livres de la société Olky Payment ainsi qu’il ressort du code BIC dudit compte.
Il estime que la société Olky Payment a commis une faute susceptible d’engager sa responsabilité en ne demandant pas d’explications au titulaire du compte afin de s’assurer que les mouvements opérés ne nuisaient pas à un tiers.
La société Olky Payment oppose le fait que la réception de la somme de 1 230 930 euros sur une période de huit mois ne constitue pas une anomalie de fonctionnement du compte ouvert dans ses livres et dès lors qu’elle n’est tenue à aucune obligation de vigilance.
Elle oppose le secret bancaire quant à l’identité du titulaire du compte et son fonctionnement.
L’absence de vérification de l’identité du titulaire d’un compte bancaire et de surveillance de son fonctionnement sont susceptibles de constituer une faute délictuelle de la banque en permettant ainsi d’ouvrir un compte frauduleux et la réalisation d’un dommage pour la victime.
Toutefois, M. [F] n’a formé aucune demande dans le dispositif de ses conclusions à l’encontre de la société Olky Payment quant à la production des documents d’ouverture du compte et aux relevés dudit compte bénéficiaire des fonds.
Le tribunal n’est ainsi pas saisi d’une telle demande et dès lors n’est pas tenu d’examiner les moyens des parties sur la production de ces documents, tenant au secret bancaire, en application de l’article 768 du code de procédure civile.
Il appartient pourtant à M. [F] de rapporter la preuve de l’anomalie de fonctionnement du compte réceptionnaire des fonds, la seule réception de la somme de 1 230 930 euros sur une période de huit mois, ne permettant pas de démontrer, en soi, ladite anomalie. A défaut de produire les éléments permettant de caractériser l’anomalie de fonctionnement dudit compte, M. [F], sur lequel pèse la charge de la preuve, ne démontre pas la faute commise par la société Olky Payment.
En conséquence, M. [F] sera débouté de sa demande de dommages et intérêts dirigée à l’encontre de la société Olky Payment.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Compte tenu de l’issue du litige, il est équitable de laisser à la charge des parties les frais irrépétibles qu’elles ont respectivement engagés. Les demandes des parties à ce titre seront donc rejetées.
Partie succombante, M. [Z] [F] sera condamné aux entiers dépens de l’instance.
Il n’y a pas lieu en l’espèce d’écarter l’exécution provisoire de droit.
Le tribunal statuant publiquement, par jugement contradictoire, en premier ressort et mis à disposition au greffe,
DÉBOUTE M. [Z] [F] de ses demandes,
REJETTE les demandes de la société Olky Payment Service Provider et de M. [Z] [F] au titre des frais irrépétibles,
CONDAMNE M. [Z] [F] aux entiers dépens de l’instance,
RAPPELLE que l’exécution provisoire est de droit.
signé par François BEYLS, Premier Vice-Président Adjoint et par Sylvie CHARRON, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,