Escroquerie à l’achat de véhicule : la responsabilité bancaire

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Escroquerie à l’achat de véhicule : la responsabilité bancaire

Ouverture du compte et acquisition du véhicule

M. [X] [S] détient un compte bancaire n°[XXXXXXXXXX01] au Crédit lyonnais. Le 4 avril 2023, il achète un véhicule à la société Abdi & co en Belgique pour 34 000 euros, réglé par trois virements le 5 avril 2023 : 3 400 euros, 15 600 euros, et 15 000 euros avec effet différé au 11 avril 2023. Le Crédit lyonnais rejette le virement de 15 600 euros.

Demande d’annulation et dépôt de plainte

M. [S] se déclare victime d’une escroquerie et demande l’annulation des virements de 3 400 euros et 15 000 euros, tout en déposant une plainte. Le virement de 15 000 euros est exécuté le 18 avril 2023, mais le Crédit lyonnais informe M. [S] que le retour des fonds a été refusé par la banque bénéficiaire.

Assignation en justice

Le 2 octobre 2023, M. [S] assigne le Crédit lyonnais en justice, invoquant les articles du code civil pour engager sa responsabilité et obtenir réparation de son préjudice. La clôture de la procédure est prononcée le 1er juillet 2024.

Prétentions de M. [S]

Dans ses conclusions du 3 mai 2024, M. [S] demande 18 400 euros en dommages et intérêts, 2 000 euros pour préjudice moral, et 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Il soutient que le Crédit lyonnais a manqué à son obligation de vigilance en autorisant les virements malgré le rejet d’un précédent virement pour suspicion de fraude.

Prétentions du Crédit lyonnais

Le Crédit lyonnais, dans ses conclusions du 23 février 2024, demande le déboutement de M. [S] et limite le préjudice à une somme symbolique, arguant qu’il n’a commis aucune faute en exécutant les virements. Il souligne que M. [S] a fait preuve de négligence en effectuant des virements à un interlocuteur inconnu.

Responsabilité de la banque

Selon l’article 1231 du code civil, la banque est responsable si elle ne respecte pas ses obligations contractuelles. L’article L133-21 du code monétaire stipule que la banque n’est pas responsable si l’identifiant unique fourni est incorrect. Cependant, la banque doit faire preuve de vigilance en cas d’anomalies. En l’espèce, le Crédit lyonnais a annulé le virement de 15 600 euros sans explication, ce qui engage sa responsabilité pour le virement de 15 000 euros.

Préjudice subi par M. [S]

M. [S] subit un préjudice financier de 15 000 euros en raison de l’exécution fautive du virement par le Crédit lyonnais. De plus, il est indemnisé à hauteur de 500 euros pour le préjudice moral causé par les manquements de la banque.

Frais de procès et exécution provisoire

Le Crédit lyonnais est condamné aux dépens de l’instance et à verser 2 500 euros à M. [S] pour ses frais irrépétibles. L’exécution provisoire du jugement est ordonnée de droit.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

5 novembre 2024
Tribunal judiciaire d’Évreux
RG
23/03353
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

TRIBUNAL JUDICIAIRE D’ EVREUX

CHAMBRE CIVILE

MINUTE N° 2024/
N° RG 23/03353 – N° Portalis DBXU-W-B7H-HOE4
NAC : 38E Autres actions en responsabilité exercées contre un établissement de crédit
Le

1 CE + 1 CCC à Me EL ATMANI (66)

1 CCC à Me BEIGNET (56)
CIVIL – Chambre 1

JUGEMENT DU 05 NOVEMBRE 2024

DEMANDEUR :

Monsieur [X] [S]
né le [Date naissance 4] 1973 à [Localité 5]
Profession : Fonctionnaire, demeurant [Adresse 2]
Représentée par Me Nour edine EL ATMANI, avocat au barreau de l’EURE

DEFENDERESSE :

S.A. CREDIT LYONNAIS
Immatriculée au RCS de Lyon, sous le numéro 954 509 741
Dont le siège social se situe au [Adresse 3] / FRANCE
Représentée par Me Marie-christine BEIGNET, avocat au barreau de l’EURE

JUGE UNIQUE : Marie LEFORT Président

Statuant conformément aux articles 801 et suivants du code de procédure civile.

GREFFIER : Christelle HENRY

AUDIENCE :

En application de l’article 779 al 3 du code de procédure civile, le dépôt du dossier au greffe a été autorisé et fixé au 03 Septembre 2024

Conformément à l’article 786-1 du code de procédure civile, l’avocat a été avisé du nom du juge amené à délibérer et de la date à laquelle le jugement sera rendu, soit le 05 Novembre 2024

JUGEMENT :

– au fond,
– contradictoire, rendu publiquement et en premier ressort,
– mis à disposition au greffe
– rédigé par Marie LEFORT
– signé par Marie LEFORT, première-vice présidente et Christelle HENRY, greffier

RG N° : N° RG 23/03353 – N° Portalis DBXU-W-B7H-HOE4 jugement du 05 novembre 2024

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

M.[X] [S] est titulaire d’un compte bancaire n°[XXXXXXXXXX01] ouvert auprès de la banque Le Crédit lyonnais (ci-après Le Crédit lyonnais).

Le 4 avril 2023, M. [S] a acquis de la société Abdi & co située en Belgique un véhicule au prix de 34 000 euros qu’il a réglé au moyen de trois virements :

3 400 euros le 5 avril 2023,15 600 euros le 5 avril 2023,15 000 euros le 5 avril 2023 avec effet différé au 11 avril 2023.
Le Crédit lyonnais a rejeté le virement de 15 600 euros.

Faisant valoir qu’il avait été victime d’une escroquerie, M. [S] a sollicité auprès de la banque l’annulation des virements de 3 400 euros et de 15 000 euros et a déposé une plainte auprès des services de police.

Le virement de 15 000 euros a été exécuté le 18 avril 2023 et le Crédit lyonnais a indiqué à M. [S] que le retour des fonds qu’il avait sollicité auprès de la banque bénéficiaire lui a été refusé.

Par acte en date du 2 octobre 2023, M. [S] a fait assigner le Crédit lyonnais devant ce tribunal, au visa des articles 1103 et suivants, 1194 et suivants et 1231-1 et suivants du code civil, aux fins de voir engager sa responsabilité et obtenir sa condamnation à l’indemniser de son entier préjudice.

La clôture de la procédure a été prononcée le 1er juillet 2024.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Dans ses dernières conclusions récapitulatives, notifiées par Rpva le 3 mai 2024, M. [S] demande au tribunal de condamner le Crédit lyonnais à lui payer les sommes suivantes du fait de son manquement à son obligation de vigilance et de mise en garde :

18 400 euros à titre de dommages et intérêts avec intérêts à compter du 8 avril 2023, et subsidiairement, à compter de la date de l’assignation ;2 000 euros au titre de la réparation de son préjudice moral ;3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens de l’instance.
Il fait valoir que :
le Crédit lyonnais n’a pas été suffisamment diligent en autorisant les virements de 3 600 euros et de 15 000 euros alors qu’il avait rejeté celui de 15 600 euros pour suspicion de fraude ;l’annulation du virement de 15 600 euros aurait dû conduire le Crédit lyonnais à l’avertir du risque encouru en cas de nouveau virement ; cette annulation constitue une anomalie apparente d’ordre intellectuel justifiant la nécessité pour la banque de respecter son devoir de vigilance ;le Crédit lyonnais ne fournit aucune explication sur les raisons qui l’ont conduit à annuler, de sa propre initiative, le virement de 15 600 euros, alors qu’il était tenu à un devoir d’information de ce chef ;il ne peut lui être reproché une négligence fautive dès lors qu’il a vérifié l’existence de la société bénéficiaire des fonds ;son préjudice correspond à la perte de la somme de 18 400 euros qui n’aurait pas dû être virée.
RG N° : N° RG 23/03353 – N° Portalis DBXU-W-B7H-HOE4 jugement du 05 novembre 2024
Dans ses dernières conclusions récapitulatives, notifiées par Rpva le 23 février 2024, le Crédit lyonnais demande au tribunal de :

à titre principal, débouter M. [S] de toutes ses demandes, fins et prétentions,à titre subsidiaire, sur le préjudice matériel, limiter le préjudice à une somme symbolique compte tenu de la négligence de M. [S] ;débouter M. [S] de toute autre demande et écarter l’exécution provisoire.
Il sollicite également la condamnation de M. [S] à lui payer la somme de 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens avec droit de recouvrement au profit de son conseil.

Il soutient que :
il n’a commis aucune faute en exécutant les différents ordres de virement faits par M. [S] puisqu’il a respecté les textes relatifs aux obligations qui lui incombaient et qu’il ne pouvait interdire à son client de procéder aux virements litigieux dès lors que ceux-ci étaient explicites et conformes à l’identifiant unique qu’il a fourni ;étant tenu à un devoir de non-ingérence, il ne pouvait s’immiscer dans les affaires de son client et qu’il ne peut ainsi lui être reproché de ne pas avoir vérifié la probité du destinataire des fonds qui était explicitement mentionné dans les ordres de virement et dûment autorisé par le donneur d’ordre ; le préjudice n’est pas caractérisé puisque la suite de la plainte pénale n’est pas connue ;M. [S] a fait preuve de négligence fautive en effectuant des virements à un interlocuteur qu’il n’a jamais rencontré.

SUR CE

1. Sur la responsabilité de la banque

Aux termes de l’article 1231 du code civil, le débiteur d’une obligation contractuelle qui, du fait de l’inexécution de son engagement, cause un préjudice au créancier s’oblige à le réparer. Il revient au créancier qui réclame réparation de rapporter la preuve du manquement contractuel et du dommage en résultant.

Aux termes de l’article L133-21 du code monétaire et financier, un ordre de paiement exécuté conformément à l’identifiant unique fourni par l’utilisateur du service de paiement est réputé dûment exécuté pour ce qui concerne le bénéficiaire désigné par l’identifiant unique.
Si l’identifiant unique fourni par l’utilisateur du service de paiement est inexact, le prestataire de services n’est pas responsable de la mauvaise exécution ou de la non-exécution de l’opération de paiement.
Toutefois, le prestataire de services de paiement du payer s’efforce de récupérer les fonds engagés dans l’opération de paiement. Le prestataire de services de paiement du bénéficiaire communique au prestataire de services de paiement du payeur toutes les informations utiles pour récupérer les fonds. Si le prestataire de services de paiement du payeur ne parvient pas à récupérer les fonds engagés dans l’opération de paiement, il met à disposition du payeur, à sa demande, les informations qu’il détient pouvant documenter le recours en justice du payeur en vue de récupérer les fonds. (…)
Si l’utilisateur de services de paiement fournit des informations en sus de l’identifiant unique ou des informations définies dans la convention de compte de dépôt ou dans le contrat-cadre de services de paiement comme nécessaires aux fins de l’exécution correcte de l’ordre de paiement, le prestataire de services de paiement n’est responsable que de l’exécution de l’opération de paiement conformément à l’identifiant unique fourni par l’utilisateur de services de paiement.

En qualité de teneur du compte débité, la banque a une obligation de résultat dans l’exécution des ordres de virement donnés par son client et engage sa responsabilité si elle ne les exécute pas.

À défaut d’anomalie apparente, intellectuelle ou matérielle, faisant naître à sa charge un devoir de vigilance l’obligeant à se rapprocher de son client aux fins de vérifier son consentement, la banque teneur du compte est tenue à une obligation de non-ingérence lui interdisant de s’immiscer dans les affaires de son client et il ne lui appartient pas d’effectuer des recherches ou de réclamer des justificatifs pour s’assurer que les opérations de son client sont opportunes, exemptes de danger ou régulières.

Toutefois, même dans l’hypothèse de virements autorisés, la banque demeure tenue de contrôler la régularité du consentement à l’ordre de virement afin de déceler toute anomalie matérielle ou intellectuelle susceptible de l’affecter et doit déceler le caractère manifestement anormal des mouvements de fonds par référence au fonctionnement du compte.

En l’espèce, il ressort des pièces produites que :

– le 5 avril 2023, M. [S] a ordonné le virement des sommes de 3 400 euros et de 15 600, euros au bénéfice de la société Abdi&co ;

– ce même jour, il a également rempli un ordre de transfert de la somme de 15 000 euros au bénéfice de la société Abdi & co avec effet différé au 11 avril 2024, ledit ordre ayant été enregistré le 7 avril 2023 (pièce 7 [S]) ;

– le 6 avril 2023, le Crédit lyonnais a exécuté l’ordre de virement de 15 600 euros avant de le rejeter à cette même date sans indication de motifs particuliers ;

– le 5 avril 2023, le Crédit lyonnais a informé par message M. [S] de son virement ;

– à la suite de ce message, le 8 avril 2023, M. [S] a adressé au Crédit lyonnais un premier message en ces termes « Bonjour URGENT SVP – Il s’agit d’une arnaque ! Nous n’arrivons à joindre personne pour annuler virements ! Pourriez-vous nous aider SVP ??? » puis un deuxième message indiquant qu’il n’arrivait pas à joindre quelqu’un du service client, qu’il était victime d’une arnaque et qu’il n’arrivait pas à faire annuler l’ordre de transfert de 15 000 euros, et qu’il sollicitait de l’aide, souhaitant faire opposition (pièce 9 [S]) ;

– le 9 avril 2023, M. [S] a indiqué au Crédit lyonnais, par message, qu’il sollicitait la suppression du virement de 15 000 euros et qu’il se rendrait au sein de son établissement le 11 avril 2023 à 9 heures ; le 11 avril 2023, il a transmis à la banque la copie de son dépôt de plainte faisant état qu’il s’était rendu en Belgique pour récupérer le véhicule acheté et que la société venderesse n’existait pas.

S’il est constant que M. [S] est bien l’auteur des ordres de virement litigieux et qu’il a lui-même fournit les éléments d’identification de la banque bénéficiaire des fonds, il apparaît que le Crédit lyonnais qui n’a fourni aucune explication ni justification sur ce point, a annulé de sa propre initiative le 2ème virement de 15 600 euros, alors que le compte de M. [S] était créditeur et que ce dernier avait spécialement transféré des fonds sur son compte en vue de l’acquisition du véhicule le 4 avril 2023 (cf relevé de compte avril 2023 – pièce 6 Crédit lyonnais).

Il s’en déduit que le Crédit lyonnais avait repéré une anomalie affectant l’ordre de virement opéré au profit de la société Abdi & co, de sorte qu’il était tenu à un devoir de vigilance pour tout autre virement ordonné au profit de cette société.

RG N° : N° RG 23/03353 – N° Portalis DBXU-W-B7H-HOE4 jugement du 05 novembre 2024
Au surplus, dès le 8 avril 2023 et alors que le 3ème virement de 15 000 euros ne devait être exécuté par la banque que le 11 avril 2023, M. [S] a prévenu le Crédit lyonnais qu’il était victime d’une fraude et qu’il sollicitait l’annulation du virement qu’il avait ordonné, ce qui n’a pas été pris en compte.

Il en résulte qu’en exécutant le virement de 15 000 euros le 11 avril 2023 au bénéfice de la société Abdi & co, le Crédit lyonnais a commis une faute dans l’exécution de ses obligations et que sa responsabilité est engagée.

En revanche, il ne saurait être reproché à la banque d’avoir exécuté le premier virement de 3 400 euros lequel était conforme aux instructions de son client et ne présentait aucune anomalie apparente en son objet et son montant ni au regard du fonctionnement du compte.

2. Sur le préjudice

M. [S] subit nécessairement un préjudice financier à hauteur du montant du virement qui a été réalisé en violation par le Crédit lyonnais de ses obligations.

Le Crédit lyonnais sera donc condamné à lui payer la somme de 15 000 euros de ce chef.

Cette somme produira intérêts au taux légal à compter du présent jugement conformément à l’article 1231-7 du code civil qui a vocation à s’appliquer.

M. [S] subit également un préjudice moral lié aux soucis et tracas causés par les manquements de la banque et la perte d’une somme conséquente. Ce préjudice sera justement indemnisé par l’allocation d’une somme de 500 euros.

3. Sur les frais du procès et l’exécution provisoire

Le Crédit lyonnais qui succombe à l’instance sera condamné aux dépens en application de l’article 696 du code de procédure civile.

Il sera également condamné à payer à M. [S] la somme de 2 500 euros au titre de ses frais irrépétibles engagés pour la présente instance, conformément à l’article 700 du code de procédure civile. Le Crédit lyonnais sera débouté de sa demande de ce chef.

L’exécution provisoire du présent jugement est de droit en application de l’article 514 du code de procédure civile et aucun élément ne justifie que celle-ci soit écartée.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal,

CONDAMNE la société Le Crédit lyonnais à payer à M. [X] [S] les sommes suivantes en réparation de son préjudice au titre du manquement à ses obligations contractuelles :

15 000 euros en réparation du préjudice financier,
500 euros en réparation du préjudice moral,

DIT que ces sommes produiront intérêts au taux légal à compter du présent jugement,

DÉBOUTE M. [S] du surplus de ses demandes indemnitaires,

CONDAMNE la société Le Crédit lyonnais aux dépens de l’instance lesquels pourront être recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société Le Crédit lyonnais à payer à M. [X] [S] une indemnité de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE la société Le Crédit lyonnais de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

DIT n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire de droit.

En foi de quoi le présent jugement a été signé par la présidente et la greffière.

La greffière La présidente
Christelle HENRY Marie LEFORT


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