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Le 1er mars 2011, M. [P] [T] et Mme [Z] [N] ont confié à la société Agence [W] [R] une mission de maîtrise d’œuvre pour la construction d’une maison et d’une piscine. Après obtention du permis de construire en octobre 2011, un devis de la société Les Entrepreneurs du Bâtiment (LEDB) a été accepté pour un montant de 426 153,50 euros. Les travaux ont commencé, mais n’ont pas été achevés, entraînant un constat d’abandon du chantier en novembre 2012. En juillet 2013, un nouveau contrat a été signé avec la société Baxter & Partners, qui n’a pas non plus respecté ses engagements. M. [T] et Mme [N] ont mis en demeure cette société à plusieurs reprises sans succès. En 2015, des procédures de liquidation judiciaire ont été ouvertes pour LEDB et Baxter & Partners. M. [T] et Mme [N] ont déclaré leur créance et ont demandé une expertise judiciaire. En 2017, le tribunal a retenu la responsabilité de l’Agence [W] [R] mais a rejeté les demandes de dommages-intérêts. Après un appel, la cour d’appel a partiellement infirmé le jugement, reconnaissant une faute de l’Agence [W] [R] mais a également noté la contribution de M. [T] et Mme [N] à leur préjudice. La Cour de cassation a ensuite cassé certaines décisions, renvoyant l’affaire devant la cour d’appel. Les parties ont continué à se disputer sur les responsabilités et les indemnités, avec des demandes d’indemnisation pour divers préjudices, y compris des frais de relogement et des dommages moraux. La cour a finalement statué sur les montants dus par l’Agence [W] [R] et son assureur, la MAF, tout en rejetant certaines demandes et en fixant des indemnités pour les préjudices subis par M. [T] et Mme [N].

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

18 octobre 2024
Cour d’appel de Paris
RG
23/17379
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 4 – Chambre 6

ARRET DU 18 OCTOBRE 2024

(n° /2024, 25 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 23/17379 – N° Portalis 35L7-V-B7H-CINTX

Jugement du 20 octobre 2017 – tribunal de grande instance de PARIS – RG 17/11166

Arrêt du 22 janvier 2020 – cour d’appel de PARIS – RG n°18/15599

Arrêt du 08 décembre 2021 – Cour de cassation RG n° W20-20.086

Arrêt rectificatif du 16 novembre 2022 – Cour de cassation RG n° w20-20.086

REQUERANTS A LA SAISINE

Madame [Z] [N]

[Adresse 5]

[Localité 8]

Représentée à l’audience par Me Pierre SEGUIN de la SELARL AAPS AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : G0536

Monsieur [P] [T]

[Adresse 5]

[Localité 8]

Représenté à l’audience par Me Pierre SEGUIN de la SELARL AAPS AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : G0536

DEFENDEURS A LA SAISINE

Monsieur [W] [R] en sa qualité de liquidateur amiable de la société AGENCE [W] [R], domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 7]

Représenté par Me Jean-Louis PICHON, avocat au barreau de PARIS, toque : C2556

Maître [V] [L] en sa qualité de mandataire ad’hoc de la SASU AGENCE [W] [R], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représenté par Me Benjamin MOISAN de la SELARL BAECHLIN MOISAN Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : L34

Mutuelle MUTUELLES DES ARCHITECTES FRANÇAIS prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Anne-marie MAUPAS OUDINOT, avocat au barreau de PARIS, toque : B0653

Ayant pour avocat plaidant Me Marc FLINIAUX, avocat au barreau de PARIS, substitué à l’audience par Me Isabelle PRUD’HOMME, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 04 juillet 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Valérie GUILLAUDIER, conseillère faisant fonction de présidente

Mme Laura TARDY, conseillère

Mme Viviane SZLAMOVICZ, conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Mme Laura Tardy dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffière, lors des débats : Madame Manon CARON

ARRET :

– contradictoire.

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Laura Tardy, conseillère pour la conseillère faisant fonction de présidente empêchée, et par Tiffany Cascioli, greffière, présente lors de la mise à disposition.

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Le 1er mars 2011, M. [P] [T] et Mme [Z] [N] ont confié à la société Agence [W] [R], assurée auprès de la Mutuelle des Architectes Français (la société MAF), une mission de maîtrise d »uvre complète portant sur l’édification d’une maison individuelle et d’une piscine à [Localité 9] (95).

Après avoir établi les plans, la société Agence [W] [R] a déposé la demande de permis de construire, lequel a été obtenu le 11 octobre 2011. A la demande de la banque auprès de laquelle M. [T] et Mme [N] ont sollicité l’octroi d’un prêt pour financer leur opération, M. [R] a le 4 avril 2012 établi une attestation évoquant dans certaines conditions l’éventualité de la conclusion d’un contrat de construction de maison individuelle.

Le 27 juin 2012, la société Les Entrepreneurs du Bâtiment (la société LEDB) a établi un devis prévoyant l’édification de la maison et du bassin de la piscine moyennant le versement de la somme de 356 315,63 euros HT, soit 426 153,50 euros TTC. Ce devis a été accepté.

Les parties ont convenu du commencement des travaux dans un délai de quinze jours à compter de la signature du contrat et ont fixé leur durée à huit mois, préparatifs de chantier compris, hors intempéries, soit une fin de travaux prévue le 27 février 2013. M. [T] et Mme [N] ont versé à la société LEDB les sommes de 11 142,88 euros (travaux préparatoires) et de 51 138,38 euros (acomptes). Les travaux n’ont pas été achevés. Le 15 novembre 2012, M. [T] a fait établir un procès-verbal de constat par un huissier décrivant le chantier à l’état d’abandon.

Le 12 juillet 2013, M. [T] et Mme [N] d’une part et la société Baxter & Partners d’autre part ont conclu un contrat de construction de maison individuelle sans fourniture de plan pour le prix de 423 982 euros TTC. Les parties ont fixé le début des travaux à la date du 12 septembre 2013 et leur durée à huit mois (soit un achèvement prévu le 12 mai 2014).

La société Baxter & Partners s’est engagée à fournir au maître d’ouvrage au plus tard à la date de l’ouverture du chantier une attestation nominative de la garantie de livraison à prix et délai convenus.

Par lettre recommandée avec accusé de réception datée du 13 septembre 2013, la société Agence [W] [R], architecte, a résilié le contrat d’architecte en invoquant la perte totale de confiance manifestée par M. [T] et Mme [N].

Par jugement du 17 septembre 2013, le tribunal de commerce de Bobigny a prononcé l’ouverture de la liquidation judiciaire de la société LEDB et désigné la SCP Moyrand – Bally en qualité de liquidateur.

Par ordonnance du 20 septembre 2013, le juge des référés du tribunal de grande instance de Bobigny a condamné l’entreprise LEDB à rembourser à M. [T] et Mme [N] la somme de 54 487,18 euros avec intérêts au taux légal à compter du 11 juin 2013 représentant le trop-versé par eux par rapport aux travaux exécutés par celle-ci.

Par lettre recommandée avec avis de réception en date du 20 avril 2014, reçue le lendemain, M. [T] et Mme [N] ont mis en demeure la société Baxter & Partners de leur faire parvenir l’attestation nominative de garantie de livraison en rappelant la lui avoir vainement demandée à plusieurs reprises.

Ils ont renouvelé cette demande par lettre recommandée avec accusé de réception du 15 juillet 2014, non réclamée.

Par lettre recommandée avec avis de réception en date du 29 décembre 2014, M. [T] et Mme [N] ont mis en demeure la société Baxter & Partners de reprendre le chantier sous le visa de l’article 7 du contrat en rappelant que l’attestation de garantie de livraison qu’ils lui ont demandée à plusieurs reprises ne leur a jamais été remise.

L’entreprise Baxter & Partners n’a ni repris le chantier, ni répondu à cette lettre.

M. [T] et Mme [N] ont fait établir un procès-verbal d’huissier le 26 février 2015 pour faire constater l’abandon du chantier et l’état d’avancement de celui-ci. Les travaux n’ont pas été achevés.

Par jugement du 3 juin 2015, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de liquidation judiciaire simplifiée à l’encontre de la société Baxter & Partners et a désigné la société Montravers Yang-Ting en qualité de liquidateur judiciaire.

M. [T] et Mme [N] ont déclaré leur créance le 24 juillet 2015 pour un montant total de 900 000 euros.

Par ordonnance du 12 juin 2015, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris, saisi par M. [T] et Mme [N], a désigné M. [F] en qualité d’expert.

Par lettre du 5 août 2015, la société Montravers Yang-Ting en qualité de liquidateur judiciaire de la société Baxter & Partners a résilié le contrat de cette entreprise avec M. [T] et Mme [N].

Par ordonnance du 29 janvier 2016, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris a déclaré l’ordonnance du 12 juin 2015 ayant désigné l’expert, commune à la société Montravers Yang-Ting prise en qualité de liquidateur judiciaire de la société Baxter & Partners. L’expertise a également été étendue au liquidateur amiable de la société Agence [W] [R].

Par ailleurs, par lettre du 5 novembre 2015, M. [T] et Mme [N] ont saisi le Conseil régional de l’ordre des architectes de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, en vue de recueillir son avis sur leur différend avec la société Agence [W] [R]. Le Conseil régional de l’ordre des architectes a donné cet avis par lettre du 12 juillet 2016.

L’expert judiciaire, M. [F], a clos son rapport le 16 février 2017.

Autorisés par ordonnance du 22 juin 2017, M. [T] et Mme [N] ont assigné à jour fixe la société Agence [W] [R] prise en la personne de son liquidateur amiable, la MAF et la société Baxter & Partners prise en la personne de son liquidateur judiciaire les 26 et 28 juin 2017 aux fins d’être indemnisés de leurs préjudices.

Par jugement du 20 octobre 2017, le tribunal de grande instance de Paris a statué en ces termes :

– retient la responsabilité contractuelle de la société Agence [W] [R] à l’égard de M. [T] et Mme [N] ;

– rejette les demandes de dommages-intérêts présentées par M. [T] et Mme [N] ;

– laisse à la charge des parties les frais irrépétibles qu’elles ont engagés ;

– condamne M. [T] et Mme [N] aux dépens, Maître [M] étant admis à recouvrer directement ceux dont il aura fait l’avance sans avoir reçu provision suffisante,

– dit que les dépens comprendront ceux exposés en référé et le coût des opérations d’expertise.

Par déclaration du 22 juin 2018, Mme [N] et M. [T] ont interjeté appel de ce jugement.

Par ordonnance du 4 juillet 2018 rendue sur la requête de M. [T] et Mme [N], le président du tribunal de commerce de Draguignan a désigné Maître [L] en qualité de mandataire ad hoc de la société Agence [W] [R].

Par arrêt du 22 juillet 2020, la cour d’appel de Paris a statué en ces termes :

– confirme le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. [T] et Mme [N] de leur demande tendant à voir déclarer la société Agence [W] [R] prise en la personne de son mandataire ad hoc Maître [L], responsable de la non construction de leur maison suite au devis qu’ils ont signé avec la société LEDB ;

– infirme le jugement entrepris pour le surplus ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

– dit que la société Agence [W] [R], prise en la personne de son mandataire ad hoc Maître [L], a commis une faute en résiliant son contrat sans mettre en garde M. [T] et Mme [N] sur les risques découlant de l’absence de fourniture par la société Baxter & Partners de sa garantie de livraison ;

– dit que M. [T] et Mme [N] ont contribué à leur propre préjudice en effectuant de multiples règlements auprès de la société Baxter & Partners tout en sachant qu’elle ne leur avait pas fourni sa garantie de livraison ;

– déclare la société Agence [W] [R], prise en la personne de son mandataire ad hoc Maître [L], responsable pour moitié du préjudice subi par M. [T] et Mme [N] du fait de l’inachèvement travaux de la construction de leur maison individuelle entreprise par la société Baxter & Partners ;

– condamne in solidum la société Agence [W] [R], prise en la personne de son mandataire ad hoc Maître [L] et son assureur la MAF, dans les limites et conditions de la police, à payer à M. [T] et Mme [N] les sommes suivantes :

– 24 926 euros au titre de leurs frais du fait de la non réalisation de leur construction,

– 56 317,68 euros au titre de leurs frais de relogement,

– 5 000 euros en réparation de leur préjudice de jouissance,

– condamne en outre in solidum la société Agence [W] [R] prise en la personne de son mandataire ad hoc Maître [L] et la MAF dans les limites et conditions de la police à payer à M. [T] et Mme [N] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

– fait masse des entiers dépens et dit qu’ils seront partagés par moitié entre d’une part M. [T] et Mme [N] et d’autre part la société Agence [W] [R] prise en la personne de son mandataire ad hoc Maître [L] et la MAF in solidum ;

– autorise le recouvrement des dépens par les avocats de la cause dans les conditions prévues par l’article 699 du code de procédure civile.

Par arrêt du 8 décembre 2021, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a statué en ces termes :

– casse et annule, mais seulement :

– en ce qu’il confirme le jugement qui a rejeté la demande de M. [T] et de Mme [N] tendant à voir déclarer la société Agence [W] [R], prise en la personne de son mandataire ad hoc, responsable de la non-construction de leur maison suite au devis qu’ils ont signé avec la société LEDB ;

– en ce qu’il dit que M. [T] et Mme [N] ont contribué à leur propre préjudice en effectuant de multiples règlements auprès de la société Baxter & Partners tout en sachant qu’elle ne leur avait pas fourni sa garantie de livraison ;

– en ce qu’il déclare la société Agence [W] [R], prise en la personne de son mandataire ad hoc, responsable seulement pour moitié du préjudice subi par M. [T] et Mme [N] du fait de l’inachèvement travaux de la construction de leur maison individuelle entreprise par la société Baxter & Partners ;

– en ce qu’il limite la condamnation à paiement prononcée in solidum à l’encontre de la société Agence [W] [R], prise en la personne de son mandataire ad hoc, et de son assureur, la Mutuelle des architectes français, dans les limites et conditions de la police, au bénéfice de M. [T] et Mme [N] à la somme de 24 926 euros au titre de leurs frais du fait de la non réalisation de leur construction ;

l’arrêt rendu le 22 janvier 2020, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ;

– remet, sur ces points, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ;

– condamne Maître [L], pris en sa qualité de mandataire ad hoc de la société Agence [W] [R], et la société Mutuelle des architectes français aux dépens ;

– en application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la Mutuelle des architectes français et la condamne à payer à M. [T] et à Mme [N] la somme globale de 3 000 euros.

Par arrêt rectificatif du 16 novembre 2022, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a statué en ces termes :

– rectifie le dispositif l’arrêt n° 857 F-D du 8 décembre 2021 comme suit :

Après les mots « casse et annule mais seulement : »

– remplace les mots « – en ce qu’il limite la condamnation à paiement prononcée in solidum à l’encontre de la société Agence [W] [R], prise en la personne de son mandataire ad hoc, et de son assureur, la Mutuelle des architectes français, dans les limites et conditions de la police, au bénéfice de M. [T] et Mme [N] à la somme de 24 926 euros au titre de leurs frais du fait de la non réalisation de leur construction ; »

par les mots : « – en ce qu’il limite les condamnations à paiement prononcées in solidum à l’encontre de la société Agence [W] [R], prise en la personne de son mandataire ad hoc, et de son assureur, la Mutuelle des architectes français, dans les limites et conditions de la police, au bénéfice de M. [T] et Mme [N] aux sommes de 24 926 euros au titre de leurs frais du fait de la non réalisation de leur construction, de 56 317,68 euros au titre de leurs frais de relogement et de 5 000 euros en réparation de leur préjudice de jouissance ; »

Dit que le présent arrêt sera transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt rectifié.

Par déclaration de saisine en date du 23 octobre 2023, Mme [N] et M. [T] ont saisi la cour d’appel de Paris sur renvoi après cassation.

EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans leurs conclusions notifiées par voie électronique le 3 juin 2024, M. [P] [T] et Mme [Z] [N] demandent à la cour de :

– dire et juger recevables les demandes de M. [T] et Mme [N],

– dire et juger que la société Agence [W] [R], prise en la personne de son mandataire ad hoc Maître [L], a commis des fautes et engagé sa responsabilité contractuelle à l’égard de M. [T] et Mme [N],

– dire et juger que M. [R], en qualité de liquidateur amiable, a engagé sa responsabilité délictuelle en clôturant les opérations de liquidation amiable de la société Agence [W] [R] alors même qu’il existait un passif non apuré correspondant au préjudice subi par M. [T] et Mme [N],

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a jugé que la société Agence [W] [R] avait engagé sa responsabilité contractuelle,

– infirmer le jugement pour le surplus, le réformant en ce qu’il a rejeté les demandes d’indemnisation de M. [T] et Mme [N],

En conséquence,

– dire et juger qu’il existe un lien de causalité certain et direct entre les fautes commises par la société Agence [W] [R] et les préjudices subis par M. [T] et Mme [N],

– dire et juger que M. [T] et Mme [N] n’ont pas participé à la survenance de leurs préjudices et qu’il ne convient pas de procéder à un partage de responsabilité entre les parties,

– condamner in solidum la société Agence [W] [R], la MAF et M. [R], en qualité de liquidateur amiable à payer à M. [T] et Mme [N] les sommes suivantes :

– 54 487,18 euros au titre du trop-payé à la société LEDB,

– 194 852 euros au titre du trop-payé à la société Baxter & Partners,

Sur le préjudice financier au titre de la non-réalisation des travaux :

A titre principal,

– 654 800 euros, à titre de perte de chance de réaliser une plus-value de cession du bien immobilier,

A titre subsidiaire,

– 347 230,98 euros au titre de la décote subie, a minima, par M. [T] et Mme [N] lors de la revente de leur bien immobilier,

A titre très subsidiaire,

– 87 575,58 euros au titre des sommes payées par M. [T] et Mme [N],

– 132 512,19 euros au titre des frais de relogement,

– 20 000 euros au titre du préjudice moral,

– dire que les sommes allouées à titre de dommages et intérêts seront majorées des intérêts de retard au taux légal applicable aux particuliers à compter du 26 juin 2017, date de signification de l’assignation,

– dire et juger mal-fondés les intimés en leur appel incident,

– rejeter l’ensemble des demandes présentées par les intimés,

– condamner in solidum la société Agence [W] [R] et la société MAF à payer à M. [T] et Mme [N] la somme de 27 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens en ce compris les frais d’expertise.

Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 10 juin 2024, M. [W] [R], pris en sa qualité de liquidateur amiable de la société Agence [W] [R], demande à la cour de :

– déclarer irrecevables les demandes de M. [T] et Mme [N] au titre :

– du trop payé à la société Baxter à hauteur de 194 852 euros,

– de la perte de chance de réaliser une plus-value de cession de bien immobilier à hauteur de 654 800 euros,

– de la décote subie à hauteur de 347 230,98 euros,

– des sommes payées par M. [T] et Mme [N] à hauteur de 187 575,58 euros,

– les débouter de l’intégralité de leurs demandes dirigées à l’encontre de la société MAF et de M. [R], liquidateur de la société [W] [R] ;

– débouter Maître [L] en qualité de mandataire ad hoc de la société Agence [W] [R] de ses demandes à l’encontre de la société MAF et de M. [R], liquidateur de la société [W] [R],

– juger l’appel incident de la société MAF autant recevable que bien fondé,

Au principal,

– constater qu’aucune faute commise par M. [R] ne saurait justifier sa condamnation sur un fondement contractuel ou quasi-délictuel,

– débouter M. [T] et Mme [N] de l’ensemble de leurs prétentions dirigées à l’encontre de M. [R],

Subsidiairement,

– condamner la société MAF à relever et garantir M. [R] de l’intégralité des condamnations prononcées à son encontre,

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a rejeté les demandes d’indemnisation de M. [T] et Mme [N],

En conséquence :

– dire et juger que M. [R], en qualité de liquidateur amiable, n’a pas commis de faute lors de la clôture les opérations de liquidation amiable de la société Agence [W] [R],

– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a jugé que la société Agence [W] [R] avait engagé sa responsabilité contractuelle,

– infirmer le jugement pour le surplus, le réformant en ce qu’il a rejeté les demandes d’indemnisation de M. [T] et Mme [N],

En conséquence,

– dire et juger qu’il n’existe aucun lien de causalité certain et direct entre les fautes prétendument commises et les préjudices allégués par M. [T] et Mme [N],

– dire et juger que M. [T] et Mme [N] ont participé à la survenance de leurs préjudices et qu’il convient dès lors de procéder à un partage de responsabilité entre les parties,

– débouter des condamnations prononcées contre M. [R], en qualité de liquidateur amiable à payer à M. [T] et Mme [N] les sommes suivantes : au titre d’une décote prétendument subie lors de la revente de leur bien immobilier, au titre de leurs frais de relogements, et de leur préjudice moral,

– dire que les sommes allouées à titre de dommages et intérêts seront majorées des intérêts de retard au taux légal applicable aux particuliers à compter du 26 juin 2017, date de signification de l’assignation,

Par voie de conséquence et statuant à nouveau,

– réformer le jugement en ce qu’il a retenu la responsabilité de la société Agence [W] [R],

– débouter par voie de conséquence M. [T] et Mme [N] de leurs demandes à l’encontre de la société MAF en l’absence de faute démontrée à l’encontre de la société Agence [W] [R], d’un préjudice direct en résultant et du lien de causalité,

Subsidiairement ;

– confirmer le jugement en ce qu’il a rejeté les demandes de dommages et intérêts présentées par M. [T] et Mme [N],

A titre plus subsidiaire encore,

– juger que l’indemnisation du préjudice moral n’est pas garantie par la police de la société MAF et débouter par voie de conséquence M. [T] et Mme [N] de leur demande de ce chef,

– juger que les préjudices invoqués s’analysant comme la perte d’une chance, leur montant sera ramené à 20 % des sommes réclamées par M. [T] et Mme [N],

– retenir à l’encontre de M. [T] et Mme [N] une part de responsabilité de 50 % dans la réalisation du sinistre,

– juger que la période d’indemnisation au titre des frais de logement ne saurait excéder la période entre mars 2013 et décembre 2014,

– condamner solidairement M. [T] et Mme [N] à 6 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– les condamner aux entiers dépens de première instance, d’appel, de cassation et de renvoi, avec le bénéfice de l’article 699 du code de procédure civile,

– juger par voie de conséquence que toute condamnation à l’encontre de la société MAF ne saurait excéder ledit plafond au titre des dommages immatériels non consécutifs de 500 000 euros hors actualisation,

– condamner M. [T] et Mme [N] à payer à M. [R] la somme de 6 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens dont distraction au profit de Maître Pichon, par application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 30 avril 2024, la société MAF demande à la cour de :

– juger l’appel de M. [T] et Mme [N] mal fondé,

– déclarer irrecevables les demandes de M. [T] et Mme [N] au titre :

– du trop payé à la société Baxter à hauteur de 194 852 euros,

– de la perte de chance de réaliser une plus-value de cession de bien immobilier à hauteur de 654 800 euros,

– de la décote subie à hauteur de 347 230,98 euros,

– des sommes payées par M. [T] et Mme [N] à hauteur de 187 575,58 euros,

– les débouter de l’intégralité de leurs demandes dirigées à l’encontre de la société MAF,

– débouter Maître [L] en qualité de mandataire ad hoc de la société Agence [W] [R] de ses demandes à l’encontre de la société MAF,

– juger l’appel incident de la société MAF autant recevable que bien fondé,

Par voie de conséquence et statuant à nouveau,

– réformer le jugement en ce qu’il a retenu la responsabilité de la société Agence [W] [R],

– débouter par voie de conséquence M. [T] et Mme [N] de leurs demandes à l’encontre de la société MAF en l’absence de faute démontrée à l’encontre de la société Agence [W] [R], d’un préjudice direct en résultant et du lien de causalité,

Subsidiairement ;

– confirmer le jugement en ce qu’il a rejeté les demandes de dommages et intérêts présentées par M. [T] et Mme [N],

A titre plus subsidiaire encore,

– juger que l’indemnisation du préjudice moral n’est pas garantie par la police de la société MAF et débouter par voie de conséquence M. [T] et Mme [N] de leur demande de ce chef,

– juger que les préjudices invoqués s’analysant comme la perte d’une chance, leur montant sera ramené à 20 % des sommes réclamées par M. [T] et Mme [N],

– retenir à l’encontre de M. [T] et Mme [N] une part de responsabilité de 50 % dans la réalisation du sinistre,

– juger que la période d’indemnisation au titre des frais de logement ne saurait excéder la période entre mars 2013 et décembre 2014,

En tout état de cause,

– juger que la garantie de la société MAF s’appliquera dans les limites et conditions de la police qui contient une franchise ainsi qu’un plafond de garantie au titre des dommages immatériels non consécutifs de 500 000 euros hors actualisation, tous deux opposables aux tiers lésés à savoir M. [T] et Mme [N], Maître [L] en qualité de mandataire ad hoc de la société Agence [W] [R] ainsi qu’à la société Agence [W] [R],

– juger par voie de conséquence que toute condamnation à l’encontre de la société MAF ne saurait excéder ledit plafond au titre des dommages immatériels non consécutifs de 500 000 euros hors actualisation,

– condamner solidairement M. [T] et Mme [N] à 6 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– les condamner aux entiers dépens de première instance, d’appel, de cassation et de renvoi, avec le bénéfice de l’article 699 du code de procédure civile.

Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 1er mars 2024, Maître [L], en qualité de mandataire ad hoc de la société Agence [W] [R], demande à la cour de :

A titre principal

– infirmer le jugement,

– juger qu’aucune faute commise par la société Agence [W] [R], représentée par Maître [L], en qualité de mandataire ad hoc, ne saurait justifier sa condamnation sur un fondement contractuel ou quasi-délictuel,

– débouter M. [T] et Mme [N] de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions dirigées à l’encontre de la société Agence [W] [R],

A titre subsidiaire

– condamner la société MAF à relever et garantir la société Agence [W] [R], représentée par Maître [L], en qualité de mandataire ad hoc, de l’intégralité des condamnations prononcées à son encontre,

En tout état de cause

– condamner M. [T] et Mme [N] à payer à Maître [L], en qualité de mandataire ad hoc de la société Agence [W] [R], la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens,

– débouter toutes parties de toutes demandes contraires aux présentes.

La clôture a été prononcée par ordonnance du 13 juin 2024.

MOTIVATION

Sur la recevabilité des demandes de M. [T] et Mme [N]

Moyens des parties :

Au visa des articles 788 et 564 du code de procédure civile, la société MAF conclut à l’irrecevabilité des demandes de M. [T] et Mme [N] tendant à sa condamnation, avec M. [R] en qualité de liquidateur amiable de la société Agence [W] [R], à leur verser les sommes de 194 852 euros au titre du trop-payé à la société Baxter & Partners, 654 800 euros au titre de la perte de chance de réaliser une plus-value de cession de bien immobilier, subsidiairement de 347 230,98 euros au titre de la décote subie et très subsidiairement de 187 575,58 euros au titre des sommes qu’ils ont payées, au motif que ces demandes, et les pièces sur lesquelles elles sont fondées, n’étaient pas incluses dans l’assignation à jour fixe délivrée le 26 juin 2017. Elle conteste le caractère nouveau de la vente du bien immobilier, indiquant que leurs conclusions antérieures à la clôture l’évoquaient déjà, et soutient que ces demandes portent sur de nouveaux préjudices, et non l’augmentation de préjudices visés à l’origine dans la procédure.

M. [R], en qualité de liquidateur amiable de la société Agence [W] [R], conclut dans le même sens.

M. [T] et Mme [N] font valoir que l’irrecevabilité des nouvelles demandes est une spécificité de la procédure à jour fixe qui ne peut être opposée que dans le cadre de cette procédure. Ils indiquent qu’en appel, la recevabilité des demandes nouvelles est régie par l’article 564 du code de procédure civile et que leurs demandes, issues de la vente de la maison pendant la période de délibéré de la première décision de la cour d’appel, sont une modalité de réparation du même préjudice que celui allégué devant le tribunal puis la cour avant cassation, issu des fautes de la société Agence [W] [R].

La société Agence [W] [R], représentée par son mandataire ad hoc Maître [L], ne conclut pas de ce chef.

Réponse de la cour :

La cour constate que la déclaration d’appel de M. [T] et Mme [N], à l’égard du jugement rendu le 20 octobre 2017 par le tribunal judiciaire de Paris, n’a pas été précédée d’une requête aux fins d’assigner à jour fixe autorisée par le premier président, de sorte que la présente procédure en appel ne relève pas des modalités de la procédure à jour fixe.

Les articles 564 et 565 du code de procédure civile disposent que les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait. Les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent.

L’article 566 du même code ajoute que les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

Il est constant que la demande d’indemnisation d’un poste de préjudice évoquée pour la première fois en cause d’appel n’est pas une prétention nouvelle dès lors que la demande a le même fondement que les demandes initiales et poursuit la même fin d’indemnisation du préjudice subi par le demandeur, et qu’elle constitue ainsi le complément de celles formées en première instance (Cass., 2e Civ., 18 avril 2019, n° 17-23.306).

En l’espèce, devant le tribunal M. [T] et Mme [N] sollicitaient la condamnation de la société Agence [W] [R] et de la société MAF à leur verser les sommes de 669 553,38 euros de surcoût de travaux, 73 498,91 euros de frais de relogement et 100 000 euros de dommages-intérêts pour préjudice de jouissance.

Devant la cour, ils sollicitaient initialement la condamnation des mêmes à leur verser les sommes de 54 487,18 euros TTC au titre du trop-versé à la société LEDB, 615 066,20 euros TTC au titre du surcoût de travaux, 132 512,19 euros de frais de relogement et 100 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice de jouissance.

Devant la cour d’appel de renvoi statuant après cassation, ils sollicitent les sommes de 54 487,18 euros au titre du trop-versé à la société ELDB, 194 852 euros au titre du trop-versé à la société Baxter & Partners, 654 800 euros (à titre principal, subsidiairement 347 230,98 euros au titre de la décote subie et très subsidiairement 187 575,58 euros au titre des sommes qu’ils ont payées) au titre de la perte de chance de réaliser une plus-value de cession sur le bien immobilier, 132 512,19 euros au titre des frais de relogement et 20 000 euros au titre des dommages-intérêts pour préjudice de jouissance.

L’ensemble des demandes de M. [T] et Mme [N] ont ainsi pour objet l’indemnisation du préjudice qu’ils allèguent, résultant des fautes de la société Agence [W] [R] assurée par la société MAF. La modification de leurs demandes indemnitaires en appel, puis devant la cour statuant après cassation, tend à la même fin indemnitaire, les montants ayant changé du fait de la vente du bien immobilier argué de désordres et d’inachèvement.

Par conséquent, les demandes de M. [T] et Mme [N] ne sont pas nouvelles et l’exception d’irrecevabilité soutenue par M. [R], en qualité de liquidateur amiable de la société Agence [W] [R], et par la société MAF sera rejetée.

Sur les fautes de la société Agence [W] [R]

1) Sur la responsabilité de la société Agence [W] [R] au titre de la non construction de la maison par la société LEDB

Moyens des parties :

M. [T] et Mme [N] rappellent qu’ils sont profanes en matière de construction, contrairement à la société Agence [W] [R], et que le contrat de construction de maison individuelle sans fourniture de plan s’applique d’office lorsque les conditions prescrites à l’article L. 232-1 du code de la construction et de l’habitation sont remplies. Ils soutiennent que l’architecte a manqué à son obligation de conseil en les laissant conclure avec la société LEDB un contrat de louage d’ouvrage sans attirer leur attention sur le fait que le recours à une entreprise unique leur permettait de bénéficier des dispositions favorables du contrat de construction de maison individuelle, notamment la garantie de livraison. Ils estiment que la société Agence [W] [R] a commis deux fautes : la conclusion d’un contrat de louage d’ouvrage au lieu d’un contrat de construction de maison individuelle, leur faisant perdre le bénéfice de la garantie de livraison, et la sélection de la société LEDB, société dont la situation financière la rendait incapable d’obtenir une garantie financière, ce que l’architecte devait vérifier, et qui aurait conduit à ne pas la retenir, au profit d’une autre société en capacité de mener les travaux de construction.

La société MAF soutient que les appelants ne rapportent pas la preuve d’une faute de l’architecte, d’un préjudice direct en résultant et du lien de causalité entre les deux. Elle fait valoir qu’il ne peut être tiré aucune conséquence juridique de l’attestation signée le 4 avril 2012 par la société Agence [W] [R], à la demande de M. [T], rédigée dans le seul but de piéger son assurée. Elle ajoute que le contrat avec la société LEDB ne pouvait être un contrat de construction de maison individuelle sans fourniture de plan car le contrat signé ne correspond pas aux critères de celui-ci, et que si M. [T] et Mme [N] avaient voulu conclure un contrat de construction de maison individuelle, contrat qu’ils connaissaient depuis l’attestation d’avril 2012 et dont ils connaissaient la différence avec le contrat de louage d’ouvrage, il leur appartenait de refuser de signer le contrat avec la société LEDB. Elle précise que même si l’architecte avait manqué à son obligation de conseil, il n’y a pas de lien avec le préjudice consistant en l’absence de garantie de bonne fin, la société LEDB étant dans une situation financière qui ne lui permettait pas d’en obtenir une, situation financière qu’il n’appartenait pas à la société Agence [W] [R] de vérifier.

M. [R], en qualité de liquidateur amiable de la société Agence [W] [R], comme Maître [L], en qualité de mandataire ad hoc de la société Agence [W] [R], concluent dans le même sens que la société MAF.

Réponse de la cour :

a) Sur le manquement à l’obligation d’information

Les premiers juges, par décision confirmée en appel, ont rejeté la demande d’indemnisation formée par M. [T] et Mme [N] à l’encontre de la société Agence [W] [R] au titre de la non construction de la maison par la société LEDB. Ce chef a été cassé par la Cour de cassation au motif que la cour d’appel n’avait pas recherché si les maîtres d’ouvrage avaient été préalablement informés par la société de maîtrise d’oeuvre des protections et garanties d’ordre public offertes par le contrat de construction de maison individuelle sans fourniture de plan au regard du contrat de louage d’ouvrage.

L’article 1147 du code civil, dans sa version antérieure au 1er octobre 2016, applicable au présent litige, énonce que le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part.

L’article L. 232-1 du code de la construction et de l’habitation dispose que le contrat de louage d’ouvrage n’entrant pas dans le champ d’application de l’article L. 231-1 et ayant au moins pour objet l’exécution des travaux de gros ‘uvre, de mise hors d’eau et hors d’air d’un immeuble à usage d’habitation ou d’un immeuble à usage professionnel et d’habitation, ne comportant pas plus de deux logements destinés au même maître de l’ouvrage, doit être rédigé par écrit et préciser : (…) g) l’engagement de l’entrepreneur de fournir, au plus tard à la date d’ouverture du chantier, la justification de la garantie de livraison qu’il apporte au maître de l’ouvrage, l’attestation de cette garantie étant établie par le garant et annexée au contrat.

Le code de la construction et de l’habitation rend obligatoire la conclusion d’un contrat de construction de maison individuelle pour la construction d’un immeuble à usage d’habitation ou professionnel et d’habitation ne comportant pas plus de deux logements destinés au même maître d’ouvrage, et ce que le professionnel fournisse le plan (articles L. 231-1 et suivants du code de la construction et de l’habitation) ou n’en fournisse pas (articles L. 232-1 et suivants du même code). Dans les deux cas, la protection du maître d’ouvrage est assurée notamment par l’obligation pour le professionnel de souscrire une garantie de livraison destinée à pallier sa défaillance. L’article L. 230-1 du code de la construction et de l’habitation énonce que ces dispositions sont d’ordre public.

En l’espèce, il résulte des pièces versées aux débats que le contrat d’architecte conclu le 1er mars 2011 entre la société Agence [W] [R] en qualité d’architecte et M. [T] et Mme [N] stipulait, au paragraphe 7.4, un mode de dévolution des marchés de travaux de construction de la maison soit par corps d’état séparés, soit par groupement d’entreprises, ce qui excluait le recours au contrat de construction de maison individuelle qui suppose la construction par une seule entreprise. Cependant, et ainsi que les parties le reconnaissent, à la suite de l’appel d’offres passé par la société Agence [W] [R], une seule entreprise s’est manifestée, la société LEDB, avec laquelle M. [T] et Mme [N] ont conclu le 27 juin 2012 un contrat visant des « travaux de construction d’une maison individuelle », contrat prévoyant la réalisation par la société LEDB de l’ensemble de la construction de celle-ci : gros-oeuvre, charpente métallique, vitrerie et huisseries, étanchéité, plâtrerie, peinture, revêtements, menuiserie, électricité, plomberie-chauffage, terrassement. Au titre des conditions particulières, le contrat stipulait que « la société LEDB s’engage à réaliser la maison dans son intégrité fonctionnelle et esthétique pour le budget forfaitaire défini ci-dessus. La société LEDB s’engage sur un résultat global totalement fonctionnel et fini permettant d’habiter la maison le jour de la réception de celle-ci. »

Il s’ensuit qu’il s’agit d’un contrat de louage d’ouvrage ayant au moins pour objet l’exécution des travaux de gros ‘uvre, de mise hors d’eau et hors d’air d’un immeuble à usage d’habitation ou d’un immeuble à usage professionnel et d’habitation, ne comportant pas plus de deux logements destinés au même maître de l’ouvrage, entrant dès lors dans la définition de l’article L. 232-1 du code de la construction et de l’habitation.

En sa qualité de maître d’oeuvre avec mission complète, professionnel de la construction débiteur d’une obligation de conseil et d’information à l’égard de M. [T] et Mme [N], profanes, la société Agence [W] [R] avait l’obligation de leur indiquer que dans ce cadre la conclusion d’un contrat de construction de maison individuelle est obligatoire, et que la société LEDB avait alors l’obligation de leur fournir une garantie de livraison destinée à les protéger des conséquences d’une défaillance de la part de cette société. C’est le sens de l’attestation qu’elle a signée le 4 avril 2012, par laquelle elle a attesté que le chantier serait mené par lots attribués à des entreprises différentes (ce qui exclut le recours à un contrat de construction de maison individuelle), « dans le cas contraire, j’atteste que je devrais veiller à la mise en place d’un contrat de construction conforme aux obligations prescrites par le code de la construction et de l’habitation. Le non-respect de cette obligation peut entraîner la requalification juridique des marchés et mettre en jeu ma responsabilité. »

La société Agence [W] [R], en qualité de professionnel, a la charge de la preuve de la satisfaction de son obligation de conseil et information. Elle ne rapporte pas cette preuve. Dès lors, en n’y satisfaisant pas à l’égard de ses clients profanes, elle a commis une faute, dont il est résulté pour eux un préjudice tiré de la perte de chance de contracter un contrat protecteur leur garantissant la réalisation de la maison par le biais de la souscription d’un contrat de construction de maison individuelle sans fourniture de plan incluant obligatoirement une garantie de livraison.

La conclusion d’un contrat de construction de maison individuelle dans l’hypothèse de la construction de la maison par une seule entreprise étant obligatoire, M. [T] et Mme [N] y auraient recouru et par conséquent auraient bénéficié de la garantie de livraison permettant de finaliser la construction de la maison en cas de défaillance de la société LEDB, défaillance qui est effectivement survenue. De même, si la situation de la société LEDB ne permettait pas à celle-ci d’obtenir une garantie de livraison, le contrat de construction de maison individuelle n’aurait pu être conclu avec cette société et M. [T] et Mme [N] auraient, par l’intermédiaire de leur maître d’oeuvre, sollicité une autre société, de telle façon que la maison soit achevée ou que la garantie obligatoire les protège en cas de défaillance du constructeur.

Si le tribunal a, à bon droit, retenu la faute de la société Agence [W] [R], c’est à tort qu’il a rejeté les demandes de dommages-intérêts de M. [T] et Mme [N] en considérant qu’il n’était pas certain que, bien informés par le maître d’oeuvre, ils auraient exigé de conclure un contrat de construction de maison individuelle avec la société LEDB, dès lors que ce contrat est obligatoire dans leur situation, et que de ce fait, le manquement de la société Agence [W] [R] à son obligation d’information et de conseil les a privés d’une chance de conclure un contrat protecteur face à un risque par ailleurs réalisé.

b) Sur la faute tirée de l’absence de vérification préalable de la situation financière de la société LEDB

M. [T] et Mme [N] font grief à la société Agence [W] [R] d’avoir retenu la société LEDB alors que la situation financière fragile de cette société la rendait incapable d’obtenir une garantie de livraison et même d’achever la construction.

Le contrat avec la société LEDB a été conclu le 27 juin 2012. À cette date, la société n’était pas encore placée en procédure collective, le jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire ayant été rendu le 17 septembre 2013. Il ne peut être reproché à la société Agence [W] [R] d’avoir ignoré l’ouverture d’une procédure collective à l’égard de la société LEDB dès lors que celle-ci est postérieure à la conclusion du contrat d’entreprise.

Cependant, il résulte des propres écritures de la société Agence [W] [R] devant le tribunal de grande instance de Paris (pièce 48 de M. [T] et Mme [N]) que les éléments connus de cette société au moment de la signature du contrat de louage d’ouvrage, à savoir un chiffre d’affaires de 254 000 euros, des capitaux propres de 11 000 euros et des dettes de 36 000 euros, rendaient « totalement impossible qu’une quelconque garantie financière soit fournie par un organisme financier », « l’insolvabilité de LEDB faisait obstacle à la fourniture d’une garantie de livraison. »

Ainsi, à la date de conclusion du contrat avec la société LEDB, la société Agence [W] [R] disposait d’éléments connus indiquant sans équivoque que cette société n’avait pas les ressources financières pour prétendre obtenir une garantie de livraison, obligatoire dans un contrat de construction de maison individuelle qui aurait dû être conclu.

Par conséquent, la société Agence [W] [R] a commis une faute en ne recommandant pas à M. [T] et Mme [N] de ne pas contracter avec la société LEDB, insusceptible d’obtenir la garantie de livraison obligatoire.

2) Sur la responsabilité de la société Agence [W] [R] au titre du manquement au devoir de mise en garde sur l’absence de garantie de livraison de la société Baxter & Partners

Moyens des parties :

M. [T] et Mme [N] soutiennent que la société Agence [W] [R] a manqué à son obligation en ne s’assurant pas que la société Baxter & Partners était couverte par une garantie de livraison et en n’attirant pas leur attention sur cette absence de garantie. Ils rappellent que cette responsabilité a été définitivement établie par la cour d’appel dans son arrêt du 22 janvier 2020.

Ils contestent toute faute dans la survenance de leur préjudice, se prévalant de l’arrêt de la Cour de cassation à ce titre et rappelant qu’ils ont effectué des paiements à la société Baxter & Partners conformément au contrat conclu et avant la mise en demeure adressée à cette société de justifier de sa garantie de livraison.

La société MAF conclut à l’infirmation du jugement qui a retenu la responsabilité de la société Agence [W] [R], l’obligation de justifier de l’obtention de la garantie de livraison pesant sur le constructeur et non l’architecte, qui n’avait aucun moyen pour contraindre la société Baxter & Partners. Elle soutient que M. [T] et Mme [N] ont contribué à leur préjudice en versant des acomptes à la société Baxter & Partners entre octobre 2013 et avril 2014, alors que la société devait justifier de la garantie au plus tard le 12 septembre 2013, et que l’architecte n’en a pas été avisé, son contrat ayant été résilié le 13 septembre 2013. Elle sollicite que leur part de responsabilité soit reconnue à hauteur de 50 %.

M. [R], en qualité de liquidateur amiable de la société Agence [W] [R], fait valoir que la justification de l’obtention d’une garantie de bonne fin par la société Baxter & Partners n’ayant pas été apportée par cette société à la date prévue du 12 septembre 2013, ni par M. [T] et Mme [N], il indique en avoir tiré les conséquences et avoir mis fin à son contrat du fait de la perte de confiance. Il a sollicité un confrère, M. [O], pour vérifier qu’il n’y avait pas de danger sur le chantier, mais celui-ci a été expulsé par M. [T] et Mme [N]. Il estime que ces derniers sont responsables de leur préjudice en ayant effectué des paiements malgré l’absence de garantie et la présence d’un conseil à leurs côtés dès le mois d’octobre 2013.

Maître [L], en qualité de mandataire ad hoc de la société Agence [W] [R], conclut dans le même sens que M. [R].

Réponse de la cour :

La cour observe à titre liminaire que le chef de l’arrêt rendu le 22 janvier 2020, selon lequel il a été retenu que la société Agence [W] [R] avait commis une faute en résiliant son contrat sans mettre en garde M. [T] et Mme [N] sur les risques découlant de l’absence de fourniture par la société Baxter & Partners de sa garantie de livraison, n’a pas été cassé par la Cour de cassation et qu’il est dès lors définitif.

Les sociétés MAF et Agence [W] [R], ainsi que M. [R] soutiennent que M. [T] et Mme [N] ont commis une faute en versant des fonds à la société Baxter & Partners après la conclusion du contrat malgré l’absence de justification d’une garantie de livraison.

En l’espèce, les parties ne discutent pas que la société Baxter & Partners n’a jamais justifié de l’obtention d’une garantie de livraison et ce jusqu’à l’arrêt du chantier puis son placement en procédure collective et la résiliation du contrat par le liquidateur judiciaire.

Le contrat de construction de maison individuelle stipulait un paiement des travaux par un premier acompte de 125 194,60 euros (soit 30 % du montant des travaux) à verser par moitié à la signature de la convention et pour l’autre moitié entre le 12 août et le 12 octobre 2013, puis le solde « sur situation mensuelle. »

M. [T] et Mme [N] ont versé en exécution du contrat à la société Baxter & Partners, la somme totale de 325 052,88 euros, soit le premier acompte en deux versements les 12 juillet et 8 octobre 2013, puis huit versements entre novembre 2013 et avril 2014 par chèque puis virements par déblocage du prêt.

Or, ces paiements sont antérieurs tant à la lettre de mise en demeure adressée par eux le 15 juillet 2014 à la société Baxter & Partners (leur pièce 24), la sommant de leur adresser l’attestation de garantie de livraison, qu’à la première lettre qu’ils indiquent avoir envoyé pour lui demander cette attestation, le 20 avril 2014.

Ces versements sont ainsi antérieurs à la date à laquelle il est établi qu’ils ont eu connaissance de la nécessité et de l’importance d’une garantie de livraison.

Dès lors, M. [T] et Mme [N] n’ont pas commis de faute en effectuant des versements à la société Baxter & Partners en exécution du contrat, ces versements ayant été effectués avant qu’ils ne soient avisés des conséquences de l’absence de justification de la garantie de livraison par le constructeur.

3) Sur la faute de M. [R] en qualité de liquidateur amiable de la société Agence [W] [R]

Moyens des parties :

M. [T] et Mme [N] sollicitent la condamnation in solidum de M. [W] [R] en qualité de liquidateur amiable de la société Agence [W] [R], avec la société elle-même et la société MAF, dès lors qu’étant l’associé unique de la société, il a décidé de la dissolution anticipée de celle-ci et a clôturé les opérations de liquidation en s’attribuant un boni de liquidation alors qu’il savait qu’il existait un contentieux et qu’il ne les avait pas indemnisés.

M. [R], liquidateur amiable de la société Agence [W] [R], ne répond pas.

Réponse de la cour :

Conformément à l’article L. 237-12 alinéa 1er du code de commerce, le liquidateur est responsable, à l’égard tant de la société que des tiers, des conséquences dommageables des fautes par lui commises dans l’exercice de ses fonctions.

Il est constant que commet une faute le liquidateur amiable qui procède à la liquidation sans tenir compte du litige opposant la société à des tiers et fait en sorte que ces derniers ne puissent être désintéressés par elle (Cass., Com., 15 février 2023, n° 21-21.294).

En l’espèce, il est établi que M. [R], associé unique de la société Agence [W] [R] a, selon procès-verbaux de décision de l’associé unique en date du 31 décembre 2014 puis du 31 janvier 2015, prononcé la dissolution de la société puis approuvé les comptes définitifs de liquidation et s’est attribué le boni de liquidation d’un montant de 35 728 euros.

M. [T] et Mme [N] ne rapportent pas la preuve qu’à la date de la dissolution de la société ou à celle de clôture des opérations de liquidation, le liquidateur était avisé d’un litige les opposant à la société en liquidation. En effet, ils n’ont assigné la société Agence [W] [R], avec son assureur la société MAF et les sociétés Baxter & Partners et Alpha Insurance, que par actes des 23 et 25 mars 2015, postérieurement à la dissolution de la société. En outre, il n’est justifié d’aucun acte antérieur à l’assignation, adressé par M. [T] et Mme [N] à la société Agence [W] [R], indiquant l’existence d’un litige entre eux.

Par conséquent, M. [R] a pu sans commettre de faute prononcer la liquidation de la société Agence [W] [R] et procéder aux opérations de liquidation jusqu’à la clôture. La demande de condamnation in solidum de M. [R] en qualité de liquidateur amiable sera rejetée.

Sur l’indemnisation des préjudices de M. [T] et Mme [N]

Moyens des parties :

M. [T] et Mme [N] soutiennent que le lien de causalité entre les fautes de la société Agence [W] [R] et leurs préjudices est certain, car, si elle avait rempli son obligation d’information, la société LEDB aurait fourni une garantie de livraison ou aurait été écartée, comme la société Baxter & Partners et la construction serait achevée. Ils sollicitent l’indemnisation de leurs préjudices tirés des sommes versées en trop aux sociétés LEDB et Baxter & Partners par rapport aux travaux réellement effectués, versés conformément aux instructions de l’architecte, de la non-réalisation des travaux par la société Baxter & Partners, ce préjudice étant constitué à titre principal par la perte de chance de réaliser une plus-value lors de la revente, à titre subsidiaire par la décote au regard du coût d’achèvement des travaux, à titre plus subsidiaire par la moins-value qu’ils ont réalisée en revendant la construction inachevée, mais également des frais de relogement provisoire et du préjudice moral et de jouissance.

La société MAF fait valoir l’absence de lien de causalité entre les fautes de son assurée et les préjudices allégués et indique que la mauvaise santé financière des sociétés constructrices ne peut être reprochée au maître d’oeuvre. Subsidiairement, si un préjudice était retenu, elle indique qu’il est constitué par la perte d’une chance de pouvoir bénéficier d’une garantie d’achèvement, chance très mince au regard de la situation des entreprises, et l’estime à 20 %. Elle soutient que M. [T] et Mme [N] sont responsables du préjudice tiré du trop-versé à la société LEDB, ayant tardé à assigner cette société en référé alors que le maître d’oeuvre le leur avait conseillé, comme du trop-versé à la société Baxter & Partners. Elle estime les autres préjudices allégués injustifiés.

M. [R], en qualité de liquidateur amiable de la société Agence [W] [R], forme les mêmes observations que la société MAF.

Maître [L], en qualité de mandataire ad hoc de la société Agence [W] [R], rappelle que le préjudice tiré de la perte d’une chance est réparé à la mesure de la chance perdue et est nécessairement inférieur à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée.

Réponse de la cour :

L’article 1149 du code civil, dans sa rédaction antérieure au 1er octobre 2016, dispose que les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu’il a faite et du gain dont il a été privé, sauf les exceptions et modifications ci-après.

Il est constant que l’auteur d’un dommage est tenu à la réparation intégrale du préjudice causé, de telle sorte qu’il ne puisse y avoir pour la victime ni perte ni profit.

M. [T] et Mme [N] sollicitent la réparation des préjudices résultant des fautes commises par la société Agence [W] [R], constituées par le manquement de cette dernière à son obligation d’information et de conseil, tant au regard du contrat conclu avec la société LEDB qu’au regard de celui conclu avec la société Baxter & Partners.

En l’espèce, la faute de la société Agence [W] [R] a entraîné pour les maîtres d’ouvrage la perte de la chance de conclure un contrat de construction de maison individuelle incluant une garantie de livraison avec la société LEDB, et avec la société Baxter & Partners la perte d’une chance de pouvoir solliciter l’annulation du contrat, sanction d’un contrat de construction de maison individuelle sans remise d’une telle attestation (Cass., 3e Civ., 30 mars 2011, n° 10-13.457), étant précisé que dans les deux cas, la nécessité de justifier d’une garantie de livraison devait amener à la conclusion d’un contrat de construction de maison individuelle avec une société suffisamment solvable pour obtenir une telle garantie, celle-ci devant permettre aux maître d’ouvrage de financer l’achèvement des travaux de leur maison en cas de défaillance du constructeur.

La réparation d’une perte de chance, qui doit être mesurée à la chance perdue, ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée.

2) Sur les préjudices issus de la non-réalisation de la maison

M. [T] et Mme [N] sollicitent la condamnation de la société Agence [W] [R] à leur verser les sommes de 54 487,18 euros de trop-versé à la société LEDB et de 194 852 euros de trop-versé à la société Baxter & Partners, correspondant à la différence entre les montants qu’ils ont versés à ces sociétés et les travaux effectivement réalisés par celles-ci.

Il a été jugé que la faute de la société Agence [W] [R] consistait, à l’égard de la société LEDB, à ne pas avoir informé M. [T] et Mme [N] de l’obligation de conclure avec cette société un contrat de construction de maison individuelle et à ne pas leur avoir signalé que cette société était dans l’incapacité d’obtenir la garantie de livraison obligatoire dans un contrat de construction de maison individuelle, leur permettant de bénéficier de la garantie de livraison, et, à l’égard de la société Baxter & Partners, d’avoir résilié le contrat de maîtrise d’oeuvre sans les aviser des risques découlant de l’absence de garantie de livraison.

Compte tenu de la situation financière obérée de ces sociétés lors de la conclusion des contrats, celle de la société LEDB ayant été reconnue par M. [R] et celle de la société Baxter & Parners résultant de l’abandon du chantier et de sa cessation de paiements et de la liquidation judiciaire ouverte à son profit peu après, elles ne pouvaient obtenir de garantie de livraison par un organisme de financement. Par conséquent, sans cette garantie obligatoire, M. [T] et Mme [N] n’auraient contracté ni avec la société LEDB, ni avec la société Baxter & Partners. Dès lors, les manquements de la société Agence [W] [R] sont à l’origine du préjudice des maîtres d’ouvrage consistant à avoir versé des fonds pour un montant supérieur à celui des travaux réellement effectués.

Eu égard à ce qui précède, la cour estime à 90 % la chance de M. [T] et Mme [N] de ne pas contracter avec les sociétés LEDB et Baxter & Partners si la société Agence [W] [R] avait rempli son obligation d’information à leur égard. Il doit donc être fixé au passif de cette société la somme de 224 405,26 euros (90 % des sommes versées en trop).

En outre, la garantie de livraison, si elle avait été souscrite et mise en oeuvre, aurait permis aux maîtres d’ouvrage d’obtenir l’achèvement de leur maison.

Leur préjudice ne peut être égal à la différence entre le montant auquel se serait revendue leur maison si elle avait été achevée et le montant qu’elle leur aurait coûté si la construction avait été à son terme, dans la mesure où cette maison n’était pas pour les maîtres d’ouvrage un investissement réalisé avec l’intention d’effectuer à terme une plus-value, mais, ainsi qu’ils le reconnaissent, leur projet d’installation et de vie, sans objectif de revente, celle-ci n’ayant été poursuivie qu’en raison de l’inachèvement des travaux et de l’impossibilité d’y vivre.

Il résulte de l’expertise que le montant des travaux nécessaires pour reprendre et achever la maison s’élève à la somme totale de 635 390,40 euros TTC, outre 52 000 euros TTC de maîtrise d’oeuvre. Le contrat de construction conclu avec la société Baxter & Partners avait été conclu au prix de 423 982 euros. L’écart entre ces deux sommes, soit la somme de 263 408,40 euros HT, représente le dépassement du prix convenu nécessaire à l’achèvement de la construction, au sens des dispositions de l’article L. 231-6 du code de la construction et de l’habitation, montant qui aurait été couvert par la garantie de livraison si elle avait été soucrite.

Cependant, M. [T] et Mme [N] n’ont pas poursuivi la construction de leur maison, ils l’ont revendue inachevée pour la somme de 385 000 euros (montant incluant la valeur de la construction inachevée et celle du terrain, acquis en 2011 pour 240 000 euros).

Par conséquent, leur préjudice est équivalent aux sommes dépensées pour la construction de la maison et l’achat du terrain (sans tenir compte du trop-versé déjà indemnisé) sous déduction du prix de revente. Ce dernier montant n’indiquant pas le prix retenu pour le terrain lui-même, il sera retenu pour la valeur du terrain celle de 240 000 euros, ce qui signifie que la valeur de la maison elle-même, inachevée, a été de 145 000 euros lors de la revente.

Il résulte des pièces produites aux débats que M. [T] ont dépensé pour construire la maison les sommes de :

– 3 750 euros TTC, part des travaux faits par la société LEDB,

– 130 200 euros TTC, part des travaux faits par la société Baxter & Partners,

– 12 189,20 euros TTC, coût du bureau d’études (pièce 75),

– 50 235,50 euros TTC, sommes versées au maître d’oeuvre (pièce 75).

M. [T] et Mme [N] ne justifient pas du montant d’intérêts versé sur les crédits souscrits.

La maison (hors terrain) leur a donc coûté la somme totale de 196 374,70 euros. Elle a été revendue à hauteur de 145 000 euros, soit 51 374,70 euros de moins que son coût réel.

Le préjudice de M. [T] et Mme [N] consiste en la perte d’une chance d’éviter cette perte financière. Elle a été fixée à 90 %, de sorte que leur préjudice est de 46 237,23 euros TTC.

2) Sur les frais de relogement

M. [T] et Mme [N] sollicitent à ce titre la somme de 132 512,19 euros couvrant les loyers pour la location d’une maison de mars 2013 à novembre 2019, soit à partir du mois suivant la date de livraison contractuellement prévue avec la société LEDB, jusqu’à la vente du bien immobilier survenue le 27 décembre 2019.

Ils justifient des contrats de bail et quittances de loyer couvrant cette période (leurs pièces 53 à 55 et 65 à 72), étant précisé que certains mois manquent mais que s’agissant d’une location ininterrompue, il y a lieu de retenir, pour ces mois manquants, le même montant de loyer que le mois précédent. La somme sollicitée n’inclut pas les charges.

La faute de la société Agence [W] [R] ayant conduit à priver M. [T] et Mme [N] de la faculté de se prévaloir d’une garantie de livraison afin d’obtenir l’achèvement des travaux de construction, cette société est responsable de leur préjudice tiré de l’obligation de louer un logement. Compte tenu du principe d’indemnisation d’une perte de chance, la cour retient au titre du préjudice la somme de 119 260,97 euros représentant 90 % des sommes demandées et justifiées.

3) Sur le préjudice de jouissance et moral

M. [T] et Mme [N] sollicitent à ce titre la somme de 20 000 euros, indiquant que la cour d’appel avait retenu ce montant pour indemniser leur préjudice, puis y avait appliqué le pourcentage de partage de responsabilité de 50 % qu’elle avait retenu.

Par la faute de la société Agence [W] [R], M. [T] et Mme [N] n’ont pu disposer de leur maison faute de pouvoir faire financer les travaux d’achèvement par la garantie de livraison non souscrite, alors qu’elle devait être achevée en février 2013 et qu’ils ont finalement été contraints de la vendre en l’état en décembre 2019. En outre, M. [T] justifie (sa pièce 58) avoir souffert d’un syndrome anxio-dépressif depuis le mois d’août 2013 jusqu’en décembre 2017.

Ces éléments justifient l’allocation de dommages-intérêts à hauteur de la somme de 18 000 euros tenant compte de ce que le préjudice des maîtres d’ouvrage est constitué par une perte de chance, à hauteur de 90 % du préjudice qui peut être fixé à 20 000 euros.

Sur la garantie de la société MAF

Moyens des parties :

La société MAF oppose au préjudice moral et de jouissance de M. [T] et Mme [N] son absence de garantie des dommages immatériels. En tout état de cause, elle oppose les limites et conditions de la police d’assurance comprenant franchise et plafond, rappelant que des garanties facultatives sont en cause. Ainsi, au titre des dommages immatériels non consécutifs, elle se prévaut d’un plafond de 500 000 euros et relève que les maîtres d’ouvrage n’invoquent aucun préjudice matériel.

M. [T] et Mme [N] sollicitent la condamnation de la société MAF in solidum avec son assuré la société Agence [W] [R], indiquant que le plafond de garantie doit s’appliquer avec l’actualisation contractuelle.

Maître [L], en qualité de mandataire ad hoc de la société Agence [W] [R], appelle la société MAF en garantie, comme M. [R] en qualité de liquidateur amiable de la société Agence [W] [R].

Réponse de la cour :

L’article 1147 du code civil, dans sa version antérieure au 1er octobre 2016, applicable au présent litige, énonce que le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part.

Selon le contrat conclu le 20 juin 2007 entre la société Agence [W] [R] et la société MAF, avec prise d’effet au 1er janvier 2008, sont garantis les dommages matériels et immatériels relevant des autres responsabilités des professionnels (autres que la responsabilité décennale), dont les dommages immatériels non consécutifs à hauteur d’un montant de 500 000 euros garanti par sinistre. S’y ajoute une franchise dont le calcul est stipulé selon un barème par tranches, avec un montant maximal de 7 588,90 euros indexé.

M. [T] et Mme [N] ont subi un préjudice comprenant des sommes trop-versées aux sociétés de construction, un préjudice financier tiré de l’inachèvement de leur maison, des frais de logement provisoire et un préjudice moral et financier.

A la lecture du contrat d’assurance, ces préjudices constituent des dommages immatériels non consécutifs, comme survenant « en l’absence de tout dommage matériel ou corporel couvert par le présent contrat » (article préliminaire, définitions), à l’exception du préjudice moral et de jouissance, non couvert par les garanties facultatives contractuelles dès lors que selon le contrat, les préjudices immatériels « sont constitués par tous préjudices pécuniaires subis par des tiers et résultant de la privation de jouissance d’un droit, de l’interruption d’un service rendu ou de la perte d’un bénéfice », faute pour ce préjudice d’être en l’espèce de nature pécuniaire.

La société MAF doit donc être condamnée à indemniser M. [T] et Mme [N], et doit garantie à Maître [L], mandataire ad hoc de la société, et ce dans les limites de sa garantie facultative, incluant franchise et plafond.

Le jugement rendu le 20 octobre 2017 par le tribunal de grande instance de Paris sera infirmé en ce qu’il a rejeté les demandes de dommages-intérêts présentées par M. [T] et Mme [N]. Statuant à nouveau, la cour fixe au passif de la société Agence [W] [R], représentée par son mandataire ad hoc, les sommes suivantes, dues à M. [T] et Mme [N] :

– 224 405,26 euros au titre du trop-versé aux sociétés LEDB et Baxter & Partners,

– 46 237,23 euros à titre de dommages-intérêts pour le préjudice financier tiré de la vente de la maison inachevée,

– 119 260,97 euros au titre des frais de relogement.

La cour condamne la société MAF à verser ces mêmes sommes à M. [T] et Mme [N].

La cour fixe également au passif de la société Agence [W] [R], représentée par son mandataire ad hoc, la somme de 18 000 euros de dommages-intérêts pour préjudice moral et de jouissance due à M. [T] et Mme [N].

A ces sommes s’ajouteront les intérêts légaux à compter du jugement.

Sur les frais du procès

Selon l’article 639 du code de procédure civile, la juridiction de renvoi statue sur la charge de tous les dépens exposés devant les juridictions du fond, y compris sur ceux afférents à la décision cassée.

Le sens du présent arrêt conduit à infirmer le jugement au titre des dépens et frais irrépétibles. Statuant à nouveau, la cour condamne in solidum la société Agence [W] [R] représentée par Maître [L] en qualité de mandataire ad hoc et la société MAF aux dépens et à verser à M. [T] et Mme [N] la somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles.

Y ajoutant en appel, la cour condamne in solidum la société Agence [W] [R] représentée par son mandataire ad hoc et la société MAF aux dépens et à verser à M. [T] et Mme [N] la somme de 8 000 euros au titre des frais irrépétibles. Elle rejette les autres demandes fondées sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Le bénéfice des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile sera accordé aux avocats en ayant fait la demande et pouvant y prétendre.

PAR CES MOTIFS

Vu le jugement du tribunal de grande instance de Paris en date du 20 octobre 2017,

Vu l’arrêt de la cour d’appel du 22 juillet 2020 en ses parties non cassées,

Vu les arrêts de la Cour de cassation en date des 8 décembre 2021 et 16 novembre 2022,

Statuant dans les limites de l’appel et de la cassation,

La cour,

REJETTE l’exception d’irrecevabilité soulevée par la société MAF et M. [R] en qualité de liquidateur amiable de la société Agence [W] [R] à l’encontre des demandes de M. [P] [T] et Mme [Z] [N],

INFIRME le jugement en ce qu’il a :

– rejeté les demandes de dommages-intérêts présentées par M. [T] et Mme [N],

– condamné M. [T] et Mme [N] aux dépens, Maître [M] étant admis à recouvrer directement ceux dont il aura fait l’avance sans avoir reçu provision suffisante,

– laissé à la charge des parties les frais irrépétibles qu’elles ont engagés ;

Statuant à nouveau,

FIXE au passif de la société Agence [W] [R], représentée par son mandataire ad hoc Maître [L], les sommes suivantes, dues à M. [P] [T] et Mme [Z] [N] :

– deux cent vingt-quatre mille quatre cent cinq euros et vingt-six centimes (224 405,26 euros) au titre du trop-versé aux sociétés LEDB et Baxter & Partners,

– quarante-six mille deux cent trente-sept euros et vingt-trois centimes (46 237,23 euros) à titre de dommages-intérêts pour le préjudice tiré de l’inachèvement de leur maison,

– cent dix-neuf mille deux cent soixante euros et quatre-vingt-dix-sept centimes (119 260,97 euros) au titre des frais de relogement,

CONDAMNE la société MAF dans les limites de sa garantie (franchise et plafond), à verser ces mêmes sommes à M. [P] [T] et Mme [Z] [N],

FIXE au passif de la société Agence [W] [R], représentée par son mandataire ad hoc Maître [L], la somme de dix-huit mille euros (18 000 euros) de dommages-intérêts pour préjudice moral et de jouissance, due à M. [P] [T] et Mme [Z] [N],

DIT que ces sommes seront majorées des intérêts légaux à compter du jugement,

CONDAMNE in solidum la société Agence [W] [R] représentée par Maître [L] en qualité de mandataire ad hoc et la société MAF aux dépens de première instance et à verser à M. [P] [T] et Mme [Z] [N] la somme de dix mille euros (10 000 euros) au titre des frais irrépétibles,

Y ajoutant,

REJETTE la demande de condamnation in solidum de M. [W] [R] en qualité de liquidateur amiable de la société Agence [W] [R],

CONDAMNE in solidum la société Agence [W] [R] représentée par son mandataire ad hoc, Maître [L], et la société MAF aux dépens de la procédure d’appel, comprenant également ceux de l’arrêt cassé, et à verser à M. [P] [T] et Mme [Z] [N] la somme de huit mille euros (8 000 euros) au titre des frais irrépétibles,

ADMET les avocats qui en ont fait la demande et peuvent y prétendre au bénéfice des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,

REJETTE les autres demandes fondées sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

La greffière, La conseillère pour la conseillère faisant fonction de présidente empêchée,


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