C2
N° RG 20/02495
N° Portalis DBVM-V-B7E-KQK5
N° Minute :
Copie exécutoire délivrée le :
la SELARL DS J ET ASSOCIES
la SELARL CLEMENT-CUZIN LEYRAUD DESCHEEMAKER
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE GRENOBLE
Ch. Sociale -Section B
ARRÊT DU JEUDI 09 JUIN 2022
Appel d’une décision (N° RG F 19/00156)
rendue par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de GRENOBLE
en date du 23 juillet 2020
suivant déclaration d’appel du 05 août 2020
APPELANT :
Monsieur [S] [R]
né le 09 décembre 1970 à DIJON (21000)
de nationalité Française
18 B chemin de la Viotte
38700 LA TRONCHE
représenté par Me Chrystelle JEANVOINE de la SELARL DS J ET ASSOCIES, avocat au barreau de CHAMBERY substituée par Me Diane REVIL, avocat au barreau de CHAMBERY
INTIMEE :
S.A.S. SCHNEIDER ELECTRIC INDUSTRIES, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
35 rue Joseph Monier
92500 RUEIL MALMAISON
représentée par Me Laurent CLEMENT-CUZIN de la SELARL CLEMENT-CUZIN LEYRAUD DESCHEEMAKER, avocat au barreau de GRENOBLE
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Blandine FRESSARD, Présidente,
M. Frédéric BLANC, Conseiller,
Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère,
Assistés lors des débats de M. Fabien OEUVRAY, Greffier,
DÉBATS :
A l’audience publique du 30 mars 2022,
Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère, chargée du rapport,
Les avocats ont été entendus en leurs observations.
Et l’affaire a été mise en délibéré à la date de ce jour à laquelle l’arrêt a été rendu.
EXPOSE DU LITIGE
M. [S] [R], né le 9 décembre 1970, a été embauché par la société Schneider Electric Industries à compter du 13 décembre 2004 suivant contrat de travail à durée indéterminée pour occuper initialement un poste de responsable financier, statut cadre.
La convention collective applicable est celle des ingénieurs et cadres de la métallurgie.
M. [S] [R] a évolué à différents postes au sein de l’entreprise, en intégrant en 2013 la division «’Ecobuilding’». En mai 2015, il était chargé de l’analyse de la situation économique de l’entreprise Rectiphase, filiale de la société Schneider Electric Industries, puis de la constitution du dossier économique du secteur d’activité concerné suite à la décision de son employeur de fermer le site de cette filiale.
Du 12 février 2016 au 13 mai 2016, M. [S] [R] était placé en arrêt de travail pour maladie.
En janvier 2017 il était nommé à un poste intitulé « Head of Financial Consolidation, Planning & Analysis » de la’«’Division Retail’».
En février 2018, il a intégré le service « Parts Engineering & Transformation » pour occuper un poste de chef de projet industriel dans la division «’Operations Industrielles EMEA », avec une rémunération brute mensuelle de 7 615,25 euros, outre un bonus versé en fonction des résultats.
Par courrier remis en main propre le 22 novembre 2018, la société Schneider Electric Industries a convoqué M. [S] [R] à un entretien préalable à un éventuel licenciement qui s’est tenu le 3 décembre 2018, en présence d’un représentant du personnel.
Le 10 décembre 2018, la société Schneider Electric Industries a notifié à M. [S] [R] son licenciement pour insuffisance professionnelle.
Contestant son licenciement, M. [S] [R] a saisi le conseil de prud’hommes de Grenoble le 15 février 2019.
Suivant jugement en date du 23 juillet 2020, le conseil de prud’hommes de Grenoble a :
DIT que la SA Schneider Electric Industries a exécuté loyalement le contrat de travail qui la liait à M. [S] [R],
DIT que le licenciement pour insuffisance professionnelle prononcé par la société Schneider Electric Industries à l’encontre de M. [S] [R] est fondé sur une cause réelle et sérieuse,
DIT que M. [S] [R] a été entièrement rempli de ses droits salariaux,
DÉBOUTE M. [S] [R] de toutes ses demandes,
DÉBOUTE la SA Schneider Electric Industries de sa demande au titre de l’article’700 du code de procédure civile.
DIT que chaque partie garde à sa charge ses propres dépens.
La décision rendue a été notifiée par lettres recommandées avec accusés de réception signés le’21 juillet 2020 par M.'[S]'[R] et le’28 juillet 2020 par la société Schneider Electric Industries.
M. [S] [R] a interjeté appel de la décision par déclaration de son conseil au greffe de la présente juridiction le 5 août 2020.
Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 26 mai 2021, M.'[S]'[R] sollicite de la cour de’:
Infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Grenoble le 23 juillet 2020 ;
Et statuant à nouveau de :
Dire et juger que la société Schneider Electric n’a pas respecté son obligation de sécurité et son obligation de loyauté à l’égard de M. [S] [R], en violation des articles L. 4121-1 et L.1222- 1 du code du travail,
Partant :
Condamner la société Schneider Electric à verser à M. [S] [R] la somme de’102’037,20 € nets à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis,
Dire et juger que le licenciement pour insuffisance professionnelle notifié à M.'[S]'[R] le 10 décembre 2018 ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse,
A titre principal :
Dire et juger que le barème prévu à l’article L.1235-3 du code du travail doit être écarté en raison de son inconventionnalité, ce plafonnement violant les dispositions de l’article 24 de la Charte sociale européenne, les articles 4 et 10 de la convention 158 de l’OIT et le droit au procès équitable.
Condamner la société Schneider Electric à verser à M. [S] [R] la somme de’120’000’€ nets de charges sociales et de CSG/CRDS à titre de dommages et intérêts en réparation de l’intégralité des préjudices subis, correspondant à quatorze mois de salaire (sur la base de 8’503,10 € bruts),
A titre subsidiaire, si par impossible, la Cour devait retenir l’application de l’article L.1235-3 du code du travail, il lui est demandé de bien vouloir condamner la société Schneider Electric à verser à M. [S] [R] la somme de 97 785,65 € nets de toutes charges sociales et de CSG/CRDS, à titre de dommages et intérêts, correspondant à 11,5 mois de salaire (sur la base de 8’503,10 € bruts), soit le maximum du barème prévu par l’article L.1235-3 du code du travail,
Condamner la société Schneider Electric à verser à M. [S] [R] la somme de 5’500’€ en application de l’article 700 du CPC,
Condamner la société SCHNEIDER ELECTRIC aux entiers dépens.
Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 22 février 2022, la société’Schneider Electric Industries SA sollicite de la cour de’:
Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :
– Dit que la société Schneider Electric Industries a exécuté loyalement le contrat de travail qui la liait à M. [S] [R],
– Dit que le licenciement pour insuffisance professionnelle prononcé par la société Schneider Electric Industries à l’encontre de M. [S] [R] est fondé sur une cause réelle et sérieuse,
– Dit que M. [S] [R] a été entièrement rempli de ses droits salariaux,
– Débouté M. [S] [R] de toutes ses demandes,
Et, statuant à nouveau :
Condamner M. [S] [R] à verser à la société Schneider Electric Industries la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamner M. [R] aux entiers dépens,
A titre subsidiaire,
Limiter le montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au montant minimum de 3 mois prévu par l’article L. 1235-3 du Code du travail.
Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient au visa de l’article’455 du code de procédure civile de se reporter à leurs écritures susvisées.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 3 mars 2022.
L’affaire, fixée pour être plaidée à l’audience du 30 mars 2022, a été mise en délibéré au’9’juin’2022.
MOTIFS DE L’ARRÊT
1 ‘ Sur la demande indemnitaire au titre des manquements de l’employeur
1.1 ‘ Sur l’obligation de sécurité
L’employeur a une obligation s’agissant de la sécurité et de la santé des salariés dont il ne peut le cas échéant s’exonérer que s’il établit qu’il a pris toutes les mesures nécessaires et adaptées énoncées aux articles L 4121-1 et L 4121-2 du code du travail ou en cas de faute exclusive de la victime ou encore de force majeure.
L’article L 4121-1 du code du travail dans sa version antérieure à l’ordonnance n°2017-1389 du’22 septembre 2017 prévoit que :
L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ;
2° Des actions d’information et de formation ;
3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.
A compter du 1er octobre 2017, la référence à la pénibilité a été remplacée par un renvoi à l’article L 4161-1 du code du travail.
L’article L 4121-2 du code du travail prévoit que :
L’employeur met en oeuvre les mesures prévues à l’article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :
1° Eviter les risques ;
2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
3° Combattre les risques à la source ;
4° Adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;
5° Tenir compte de l’état d’évolution de la technique ;
6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;
7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu’ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1 ;
8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;
9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.
L’article L 4121-3 du même code dispose que :
L’employeur, compte tenu de la nature des activités de l’établissement, évalue les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, y compris dans le choix des procédés de fabrication, des équipements de travail, des substances ou préparations chimiques, dans l’aménagement ou le ré-aménagement des lieux de travail ou des installations et dans la définition des postes de travail. Cette évaluation des risques tient compte de l’impact différencié de l’exposition au risque en fonction du sexe.
A la suite de cette évaluation, l’employeur met en oeuvre les actions de prévention ainsi que les méthodes de travail et de production garantissant un meilleur niveau de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. Il intègre ces actions et ces méthodes dans l’ensemble des activités de l’établissement et à tous les niveaux de l’encadrement.
Lorsque les documents prévus par les dispositions réglementaires prises pour l’application du présent article doivent faire l’objet d’une mise à jour, celle-ci peut être moins fréquente dans les entreprises de moins de onze salariés, sous réserve que soit garanti un niveau équivalent de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat après avis des organisations professionnelles concernées.
Au cas particulier, M. [S] [R] avance qu’en dépit de ses alertes, l’employeur lui a imposé une charge de travail trop importante, avec des moyens insuffisants, sans avoir mis en place d’actions de prévention ni de suivi alors qu’il se trouvait dans un état qu’il qualifie de «’burn out’».
Il ressort de l’accord collectif sur la prévention des risques psychosociaux en date du’10’juillet’2012, signé par l’ensemble des organisations syndicales représentatives du personnel, que différentes mesures de prévention du stress au travail, du harcèlement moral et sexuel, des incivilités et de la violence au travail étaient mises en place au sein de l’entreprise sans qu’il puisse être reproché à l’employeur d’avoir omis des mesures de prévention spécifiques au «’burn-out’», étant constaté que les mesures de prévention du stress au travail définissaient deux types de situation’dont «’les situations de stress chronique engendrées par des contraintes de travail durables dépassant les capacités de ressources individuelles ou collectives’» correspondant à la situation alléguée par le salarié qui produit un certificat médical du 11 avril 2016 décrivant un «’syndrôme dépressif et un épuisement professionnel’».
Pourtant, d’une première part, l’employeur ne démontre pas avoir mis en ‘uvre les actions définies dans le cadre de la prévention des risques psycho-sociaux par cet accord, définies comme suit’:
«’Prévention primaire : consiste à agir directement sur les conditions d’exercice du travail, pour réduire les potentiels risques psychosociaux à leur source. Elle consiste à prévenir les risques en agissant sur les causes présentes au travail,
– Prévention secondaire : vise à réduire le risque potentiellement toujours présent malgré les actions menées en prévention primaire. Elle consiste à former les acteurs de la prévention à identifier les situations à risque, à élaborer des stratégies de réponse face aux risques psychosociaux et à leurs causes, ainsi qu’à élaborer des indicateurs de suivi.
– Prévention tertiaire : a pour objectif d’assurer l’orientation et la prise en charge de l’individu. Elle consiste d’une part à prendre en charge la santé des salariés lorsque celle-ci a été affectée par un ou des facteurs de risque, et d’autre part à supprimer ou diminuer les facteurs de risque dans la situation de travail afin de permettre le retour à l’emploi.’».
En effet il ressort de l’évaluation des performances des années 2013, 2014 et 2015, dont le salarié produit une version traduite en langue française, que M. [S] [R], qui décrivait son activité en 2013 et 2014 de manière neutre, sans mentionner aucune difficulté, faisait pourtant acter la spécificité de difficultés rencontrées au cours de l’année 2015, sur l’évaluation remise le 5 janvier 2016, en mentionnant expressément «’2015 a été très difficile, je dirigeais la transformation financière de Power Solution tout en état sur un projet très exigeant’». Aussi, son supérieur hiérarchique, qui le décrivait notamment en 2013 et 2014, comme présentant un «’haut niveau d’implication et d’engagement’» (2013), qui «’a été très passionné’» (2014), confirmait que l’année 2015 avait été «’une année de changements d’ajustements’» en relevant que M. [S] [R] avait «’géré la situation de manière très professionnelle et efficace’» et «’accepté un projet transversal supplémentaire [‘] démontrant son leadership et sa capacité à travailler entre les divisions’».
Dans ces circonstances, pour ce salarié cadre, utiliser le qualificatif «’difficile’» ne se révèle pas anodin s’agissant de la revue annuelle de performance, document d’évaluation déterminant de l’octroi de la prime STIP et dont le guide de processus invite à une différenciation entre la notion de compétence qui «’correspond à un bon contributeur qui n’a pas manqué de beaucoup ses objectifs ou ses exigences comportementales’», la notion de performance qui «’permet de reconnaître la réalisation d’objectifs exigeants et la démonstration de comportements sans lacunes significatives’» et la notion de haute performance « tous les objectifs ou presque ont été atteints et largement dépassés. Certains comportements sont susceptibles d’être au niveau de modèle et il n’existe aucune lacune significative’».
Pour autant, cette situation n’a suscité aucune réaction particulière de la part de l’employeur. Ce dernier n’argue ni ne justifie d’aucune mesure envisagée début 2016, ni pour réduire les potentiels risques psycho-sociaux, ni pour mettre en place des indicateurs de suivi tel que prévu dans l’accord du 10 juillet 2012.
Le commentaire final apporté par le salarié sur cette évaluation, exprimant sa déception quant à l’attribution de la prime STIP, ne peut permettre de minimiser les difficultés décrites par le salarié, d’autant que l’employeur ne justife pas de la réponse apportée au salarié au titre de l’évaluation de la prime.
Aussi, il convient de relever que le salarié était placé en arrêt de travail du 12 février 2016 au 13 mai 2016. Un avis d’aptitude était certes délivré par le médecin du travail le 18 mai 2016, dans le cadre de la visite de reprise, avis confirmé à l’issue d’une visite du 12 septembre 2016, sans que ces avis ne dispensent l’employeur de ses obligations de prévention des risques.
La société Schneider Electric Industries se prévaut également des observations faites par M.'[S]'[R] dans la revue de performance de l’année 2016, qui ne signalait aucune difficulté l’année suivante mais, au contraire, remerciait son employeur pour sa bienveillance. Toutefois le document versé aux débats est intégralement rédigé en langue anglaise sans qu’aucune partie n’en présente une traduction de sorte qu’il ne présente pas un caractère probant suffisant pour permettre à la cour d’apprécier l’ensemble des observations faites au cours de cette revue de performance d’une année marquée par un arrêt de travail de trois mois.
Encore, parmi toutes les observations recueillies auprès de ses collègues dans un document intitulé «’Indice de polyvalence en leadership’», daté de septembre 2016, l’employeur relève une seule observation dans le paragraphe intitulé «’Ce dirigeant surexploite-t-il une de ses forces »’»’: « Parfois trop engagé personnellement dans la recherche de la perfection, il serait utile de prendre du recul pour avoir une vue d’ensemble », pour soutenir que le salarié s’est imposé de lui-même une pression trop forte, alors qu’il appartenait à l’employeur de prévenir les risques provoqués par des situations de pression trop intenses, notamment à l’égard des salariés sur lesquels s’imposait un haut degré d’exigence, tel qu’il ressort de l’ensemble de ces documents évaluations.
D’une seconde part, la société Schneider Electric Industries ne justifie pas avoir mis en ‘uvre des outils de suivi de la charge de travail de M. [S] [R], soumis à une clause de forfait-jour. L’employeur, qui ne produit pas les rapports d’entretien annuel destinés à adapter l’organisation et la charge de travail du salarié, ne présente aucun élément tendant à justifier du suivi de son temps de travail en dépit de l’importance de la charge de travail décrite dans les évaluations des performances des années 2013, 2014 et 2015.
En conséquence, la société Schneider Electric Industries ne démontre pas avoir respecté ses obligations en matière de prévention des risques professionnels en dépit des circonstances de nature à caractériser un tel risque et de l’absence de suivi du temps de travail du salarié soumis à une clause de forfait jour.
1.2 ‘ Sur l’obligation d’exécution de bonne foi du contrat de travail
Aux termes de l’article L 1222-1 du code du travail, le contrat de travail est exécuté de bonne foi.
Au cas d’espèce, s’agissant des évaluations de l’année 2017, il est établi que la société Schneider Electric Industries, tenant compte de la demande de M. [S] [R], a accepté de lui confier, au début de l’année 2017, un poste intitulé «’Head of Financial Consolidation, Planning & Analyses’» de la division «’Finances’», dans le service « retails’».
Il est acquis que M. [S] [R] a contesté le rapport d’évaluation de performance de l’année 2017, rédigé par Mme [W] [H], au motif que celle-ci l’avait « évalué «’law performer’» dans le cadre de la «’People review’» avant même l’entretien de fin d’année et sans échange préalable’», soit dès le mois de juillet 2017, reprochant à sa supérieure un «’manque de transparence et l’absence de communication et d’échange contradictoire’».
D’une première part, la société Schneider Electric Industries, qui traduit dans ses écritures certaines des observations du document rédigé en langue anglaise sans susciter de contestation de la partie adverse, confirme l’existence d’une évaluation réalisée en juillet 2017 décrite par Mme [H]’: « A la mi-année, il y a eu un entretien d’évaluation le’13 juillet où ont déjà été mis en évidence les risques de non atteinte des objectifs. Une session spécifique de feedback a eu lieu le 12 septembre au cours de laquelle j’ai compilé les retours des personnes qui ont travaillé avec [S] sur cette mission cette année : cette session a mis en évidence le manque d’amélioration visible sur les domaines et objectifs de développement. ».
D’une seconde part, le guide de processus de gestion de la performance prévoit certes qu’un plan d’amélioration des performances peut être lancé en cours d’année, pour «’aider des collaborateurs à améliorer leur performance afin d’atteindre le niveau minimum acceptable pour leur rôle’» et «’vise à communiquer des exigences de performance claires et spécifiques que le collaborateur doit atteindre dans un délai précis’». Toutefois il ne peut être reproché à l’employeur de ne pas avoir mis en ‘uvre un tel plan en cours d’année, cette option n’étant qu’une possibilité.
D’une troisième part, M. [S] [R] n’est pas fondé à reprocher à son employeur de ne pas avoir mis en ‘uvre un plan de progression en fin d’année 2016 alors que, compte tenu de sa demande de mobilité interne, les conséquences d’un tel plan se trouvaient dénuées d’effectivité, étant relevé qu’un tel plan prévoit de faire procéder à une vérification des objectifs définis et, le cas échéant, de procéder à une cessation d’emploi, un transfert d’emploi ou l’établissement d’un deuxième plan.
En revanche, aucun élément versé aux débats ne rend compte de l’évaluation effectuée en juillet’2017 par Mme [H], ni compte-rendu d’entretien, ni notification d’un rapport, de sorte que le salarié est bien-fondé à relever qu’il n’avait reçu aucune information des reproches décrits par Mme'[H], ni aucune communication avant l’entretien de fin d’année.
S’agissant de l’attitude de l’employeur au cours de l’année 2018, il est acquis que M.'[S]'[R] s’est vu attribuer un nouveau poste de chef de projet industriel en février’2018 et qu’il formulait une nouvelle demande de mobilité interne lors de l’entretien du’11 octobre 2018.
Il ressort d’un courriel du 16 octobre 2018 qu’il expliquait cette demande par le fait que le projet transversal attendu n’était toujours pas en phase de déploiement’: « Je souhaite souligné que [‘]’j’ai accepté de rejoindre l’organisation dans le cadre d’un poste SBO Project Manager, qu’à ce jour sur le périmètre qui me concerne aucun projet SBO n’est en phase de déploiement, que la phase d’investigation en est aux prémices et aucune visibilité n’est communiquée sur un potentiel planning de déploiement 2019. Cela fait maintenant 10 mois que j’attends ces projets qui n’arrivent pas. Dans l’attente j’ai animé les MPL de mon cluster et je gère les trois projets (hors SBO) qui m’ont été confiés’».
Toutefois, M. [S] [R] ne démontre pas, alors que la charge de cette preuve lui incombe, que son supérieur hiérarchique a pu faire preuve de déloyauté en transformant les termes de leur échange du 11 octobre 2018 pour écrire, dans le courriel du 16 octobre 2018, «’A ce stade tes objectifs ne sont pas atteints et les demandes d’actions demandées par ton manager pour répondre aux besoins opérationnels du projet ne sont pas pris en compte par tes soins’».
1.3 ‘ Sur le préjudice
Il résulte de ce qui précède que sont établies les insuffisances fautives de l’employeur dans sa politique de prévention des risques psycho-sociaux ainsi que des manquements à son obligation de loyauté à l’égard du salarié, qui n’a pas été informé de la teneur de l’évaluation faite par son supérieur, en juillet’2017.
Or, il ressort des éléments médicaux produits par le salarié, et notamment de l’attestation du docteur'[V] [F], médecin généraliste, en date du 11 avril 2016 précisant «’Le patient présente en effet un syndrôme dépressif et un épuisement professionnel’», confirmée par des prescriptions d’anxiolitiques délivrées entre février et juillet 2016, que sont établies les conséquences négatives sur l’état de santé du salarié de l’absence de mise en ‘uvre de mesures pour prévenir les risques psycho-sociaux et assurer le suivi de sa charge de travail, qui se sont réalisés.
En revanche, le salarié échoue à établir un lien de causalité entre ce manquement fautif de l’employeur et les souffrances psychologiques reliées aux conséquences sur sa vie familiale.
Tenant compte de l’ensemble de ces éléments, la cour évalue le préjudice moral subi par M.'[S]'[R] à la somme de 10’000 euros.
Par infirmation du jugement déféré l’employeur est condamné à verser à son salarié une telle indemnité en réparation du préjudice subi, M. [S] [R] étant débouté du surplus de ses prétentions.
2 ‘ Sur la contestation du licenciement
L’article L 1232-1 du code du travail dispose que tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.
Aux termes de l’article L. 1235-1 du code du travail, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur en cas de litige, forme sa conviction au regard des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utile. Si un doute subsiste, il doit profiter au salarié.
Pour constituer une cause réelle et sérieuse de rupture, l’insuffisance professionnelle doit être établie par des éléments précis, objectifs ayant des répercussions sur la marche ou le fonctionnement de l’entreprise, constitués non par une violation des obligations résultant du contrat de travail mais par une mauvaise exécution par le salarié de ses obligations caractérisée, notamment, par des erreurs, des omissions ou par un volume de travail insuffisant.
Si le juge n’est pas tenu de suivre les parties dans le détail de leur argumentation ni de s’expliquer sur les pièces qu’il entend écarter, il lui appartient néanmoins d’examiner l’ensemble des griefs invoqués dans la lettre de rupture, laquelle circonscrit le champ du litige et le lie.
Si la lettre de licenciement doit énoncer des motifs précis, matériellement vérifiables, cette exigence est satisfaite lorsque la lettre de licenciement mentionne l’insuffisance professionnelle.
Pour qu’ils puissent matérialiser une insuffisance professionnelle, les objectifs fixés non remplis doivent être réalistes et atteignables.
L’insuffisance professionnelle d’un salarié ne peut être retenue si un employeur n’a pas adapté le salarié à l’évolution de poste.
Le salarié ne répondant pas aux attentes de son employeur doit en principe faire l’objet d’une mise en garde préalable.
L’insuffisance professionnelle est exclusive de toute faute supposant une intention délibérée.
Au cas d’espèce, la lettre de licenciement du 10 décembre 2018 énonce’:
«’Depuis le 1er mars 2018 vous occuper le poste de Chef de Projet Industriel. A ce titre vous êtes notamment chargé de’:
L’animation et du coaching métier d’un groupe de Chefs de Projets locaux basés dans les usines sur deux Lines of Business’;
Et de la gestion directe de projets transverses.
Comme précisé lors de votre prise de poste, vos missions impliquent des déplacements professionnels fréquents.
Or malgré une explication détaillée du contenu de vos missions et un accompagnement soutenu de votre manager, force est de constater que vous n’avez pas su répondre aux attendus de votre poste.
En effet, vous n’être pas parvenu à vous imposer en tant qu’animateur de la Communauté des chefs de projets locaux [‘].
Dans le cadre de la gestion et du suivi de vos projets vous avez fait preuve’:
D’un réel manque d’autonomie. [‘]
D’un manque de maîtrise des outils de suivi des actions liées à votre mission. [‘]
D’un manque d’organisation certain qui s’est traduit à plusieurs reprises par une préparation des dossiers, en amont des réunions, insuffisante voir inexistante [‘], un manque de disponibilité pour participer aux réunions pour lesquelles votre présence était pourtant primordiale. [‘]
Malgré les alertes de votre hiérarchie sur ces insuffisances et la mise en place de réunions de suivi régulières avec votre Manager, vous n’avez pas déployé les actions attendues, ni montré les compétences nécessaires au bon déroulement des projets et du suivi opérationnel des sites sous votre responsabilité, compétences que nous étions pourtant en droit d’attendre de votre part compte tenu de votre expérience et qualification.’»
D’une première part, la cour observe que le rapport de performance pour l’année 2018, établi en fin d’année 2018, ne peut contenir une alerte utile du salarié sur ses insuffisances professionnelles, tel qu’allégué par l’employeur, alors que la procédure de licenciement était engagée le 22’novembre 2018 et que le salarié était licencié le 10 décembre 2018.
D’une seconde part, l’employeur produit trois tableaux Excel nommés «’Face To Face [S]’» présentant des actions sous l’intitulé «’Actions / Remarques et état d’avancement’» relatives à des projets de l’entreprise et définissant, à partir d’octobre 2018, des délais d’exécution, sans qu’aucun élément de ces documents ne mentionne des difficultés ou carence du salarié susceptible de l’alerter sur une éventuelle insuffisance professionnelle.
D’une troisième part, l’employeur produit un document dactylographié non daté, non signé, rédigé en langue anglaise sans traduction en langue française, qui ne présente aucune valeur probante pour justifier des missions relevant du poste de chef de projet industriel ou des objectifs fixés dans le cadre de ce poste.
D’une quatrième part, les différents courriels versés aux débats ne mettent pas en exergue des carences du salarié susceptibles de caractériser une mise en garde, par l’employeur, des insuffisances reprochées.
D’une cinquième part, il ressort du rapport d’évaluation rédigé en juin 2018 que le salarié se voyait indiquer qu’il devait «’être plus visible dans l’exécution et dans l’animation opérationnelle’» et «’s’engager et respecter ses objectifs en préparation des plans B si nécessaire’», sans qu’aucune difficulté précise ne soit relevée ni qu’aucun objectif ne soit décrit comme n’étant pas atteint, d’autant qu’il était, par ailleurs, fait mention d’une «’forte capacité de réflexion, de proposition et de conseil’».
D’une sixième part, la lecture des courriels échangés en mai et septembre 2018 ne permet pas de caractériser les insuffisances reprochées à M.'[S] [R], s’agissant d’échanges d’instructions et avis entre le salarié, son supérieur hiérarchique, M. [N] [M], et une collègue, Mme [I] [L], et ce même en les combinant avec les attestations rédigées par ceux-ci et celle de M. [P] [A], dont le rapport professionnel avec M. [R] reste indéterminé, et qui restent chacune à prendre avec précaution compte tenu du lien de subordination entre les témoins et leur employeur.
En conséquence, la cour constate que l’employeur ne justifie d’aucune mise en garde préalable au licenciement, alors même que le salarié avait une ancienneté importante de plus de’14 années dans la structure, que les évaluations antérieures à l’arrêt de travail de février 2016 décrivaient un salarié impliqué, performant et autonome, que le dernier rapport d’évaluation de juin 2018 ne définissait aucun objectif qui n’aurait pas été atteint ni ne relevait de difficulté spécifique et que, de surcroît, il n’était affecté dans ce nouveau poste que depuis janvier 2018.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments, sans qu’il soit nécessaire d’entrer dans le détail de l’argumentation des parties, que l’insuffisance professionnelle reprochée par la société Schneider Electric Industrie à M. [S] [R] n’a fait l’objet d’aucun rappel à l’ordre préalable à la mesure de licenciement.
Par conséquent, par infirmation du jugement entrepris, la cour déclare le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse.
Partant, M. [S] [R] est bien fondé à obtenir la réparation du préjudice résultant de la perte injustifiée de son emploi.
Les dispositions de l’article L 1235-3 du code du travail dans ses versions postérieures au’24’septembre 2017 instaurent un barème d’indemnisation des licenciements sans cause réelle et sérieuse en fonction de l’ancienneté du salarié et de son salaire brut.
A la date du licenciement, M. [S] [R] présentait une ancienneté de plus de treize années révolues dans l’entreprise de sorte que, d’après les barèmes sus-énoncés, il peut prétendre à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse comprise entre trois et onze mois et demi de salaire brut.
Âgé de 48 ans à la date du licenciement, avec un salaire mensuel brut de 8’503,10 euros, il justifie d’une dégradation de son état de santé subséquente à sa convocation à l’entretien préalable, un arrêt de travail étant délivré le 23 novembre 2018 pour «’syndrôme anxiodépressif réactionnel’». Aussi, il justifie de la dégradation de sa situation financière pour n’avoir obtenu l’ouverture de ses droits à l’allocation d’aide au retour à l’emploi qu’à compter de septembre’2019.
Toutefois, il ne produit pas d’élément relatif au nouvel emploi qu’il déclare avoir obtenu au même moment en septembre 2019.
En considération de l’ensemble de ces éléments, la cour évalue le préjudice subi par M.'[S]'[R] à 97’785 euros. Par infirmation du jugement entrepris, l’employeur est donc condamné à lui verser cette somme en réparation du préjudice résultant de la perte injustifiée de son emploi.
3 ‘ Sur les demandes accessoires,
La cour constate qu’elle n’est saisie d’aucune prétention au titre de la part variable de rémunération du salarié, discutée par le salarié dans ses écritures, sans que le dispositif de ses conclusions, qui seul lie la cour par application de l’article 954 du code de procédure civile, ne formule de demande à ce titre.
La société Schneider Electric Industries, partie perdante à l’instance au sens des dispositions de l’article 696 du code de procédure civile, doit être tenue d’en supporter ensemble les entiers dépens de première instance et d’appel.
Elle est donc déboutée de ses prétentions au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Il serait par ailleurs inéquitable, au regard des circonstances de l’espèce comme des situations économiques des parties, de laisser à la charge de M. [S] [R] l’intégralité des sommes qu’il a été contraint d’exposer en justice pour la défense de ses intérêts, de sorte qu’il convient d’infirmer le jugement déféré et de condamner la société Schneider Electric Industries à lui verser une indemnité de 3’500 euros au titre des frais exposés en première instance et en cause d’appel.
PAR CES MOTIFS’:
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,
INFIRME le jugement entrepris SAUF en ce qu’il a débouté la société Schneider Electric Industries SAS de sa demande au titre de l’article’700 du code de procédure civile
Statuant de nouveau et y ajoutant,
CONDAMNE la société Schneider Electric Industries SAS à payer à M. [S] [R]’la somme de 10’000 euros nets à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité’;
DIT que le licenciement notifié par la société Schneider Electric Industries SAS à M.'[S]'[R] le 10 décembre 2018 est dénué de cause réelle et sérieuse’;
CONDAMNE la société Schneider Electric Industries SAS à payer à M. [S] [R]’la somme de 97’785 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse’;
DEBOUTE M. [S] [R] du surplus de ses demandes indemnitaires’;
DEBOUTE la société Schneider Electric Industries SAS de ses prétentions au titre de l’article 700 du code de procédure civile’en cause d’appel ;
CONDAMNE la société Schneider Electric Industries SAS à payer à M. [S] [R] une indemnité de 3’500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile’;
CONDAMNE la société Schneider Electric Industries SAS aux entiers dépens de première instance et d’appel.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Mme Blandine FRESSARD, Présidente et par Mme Carole COLAS, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente