COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
15e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 09 FEVRIER 2023
N° RG 21/00510 – N° Portalis DBV3-V-B7F-UKL2
AFFAIRE :
E.P.I.C. INSTITUTION DE GESTION SOCIALE DES ARMEES (IGESA)
C/
[E] [O]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 20 Janvier 2021 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT
N° Section : C
N° RG : 19/00981
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Santa Lélia LUCCHINI
Me Dan ZERHAT de l’AARPI OHANA ZERHAT
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE NEUF FEVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
E.P.I.C. INSTITUTION DE GESTION SOCIALE DES ARMEES (IGESA)
N° SIRET : 180 090 060
[Adresse 4]
[Adresse 8]
[Localité 1]
Représentant : Me Santa Lélia LUCCHINI, Constitué, avocat au barreau de PARIS – Représentant : Me Antoine MERIDJEN, Plaidant, avocat au barreau de BASTIA, vestiaire : G1, substitué par Me Bernard GIANSILY, avocat au barreau de BASTIA.
APPELANTE
****************
Madame [E] [O]
née le 06 Juillet 1982 à [Localité 9] ([Localité 9])
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me Marc BENSIMHON de la SCP BENSIMHON Associés, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0410, substitué par Me Isabelle BENSIMHON, avocat au barreau de PARIS Représentant : Me Dan ZERHAT de l’AARPI OHANA ZERHAT, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 731
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 12 Décembre 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Thierry CABALE, Président chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Régine CAPRA, Présidente,
Monsieur Thierry CABALE, Président,
Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,
Greffier en pré-affectation lors des débats : Madame Juliette DUPONT,
Par contrat de travail à durée indéterminée du 26 juillet 2017, Madame [E] [O] a été engagée par l’établissement public industriel et commercial l’Institution de gestion sociale des armées (Igesa) à compter du 23 août 2017 en qualité de responsable accueil à temps complet de résidence hôtelière. A compter du 19 juin 2018, elle a été affectée à sa demande à la résidence [5].
Par lettre du 16 novembre 2018, l’établissement public a convoqué la salariée à un entretien préalable à licenciement qui s’est tenu le 27 novembre 2018 puis elle a été licenciée pour insuffisance professionnelle par lettre recommandée avec avis de réception du 24 décembre 2018.
Aux termes d’une requête reçue au greffe le 23 juillet 2019, la salariée a saisi le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt afin de contester la légitimité de son licenciement et d’obtenir le paiement de diverses sommes.
Par jugement du 20 janvier 2021, auquel renvoie la cour pour l’exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt a :
– rappelé les termes de l’ordonnance du 18 septembre 2019 confirmant la compétence de la section commerce ;
– dit que le licenciement de Madame [O] était nul en raison des faits de harcèlement moral qu’elle a subis et dénoncés ;
– condamné l’Igesa à verser à Madame [O] les sommes suivantes :
15 277,68 euros bruts à titre d’indemnité pour nullité du licenciement,
11 000 euros bruts au titre des dommages et intérêts en réparation des faits de harcèlement moral subis ;
895 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– dit que les condamnations produiront intérêts au taux légal à compter du présent jugement ;
– dit que les intérêts échus seront capitalisés ;
– débouté les parties du surplus de leurs demandes ;
– dit qu’il n’y avait pas lieu à exécution provisoire du présent jugement ;
– condamné l’Igesa aux dépens.
Par déclaration au greffe du 18 février 2021, l’Igesa a interjeté appel de cette décision.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 27 octobre 2021, auxquelles il est renvoyé un exposé complet des moyens, l’Igesa demande à la cour de :
– dire recevable et bien fondé son appel formé contre le jugement du conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt du 21 janvier 2021 ;
– l’infirmer en toute ses dispositions ;
– rejuger à nouveau :
in limine litis,
– dire et juger que la section commerce du conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt était incompétente pour connaître du présent contentieux et que ladite compétence revenait à la section activités diverses.
sur le fond,
– dire et juger que le licenciement de Madame [E] [O] est parfaitement régulier, fondé et justifié,
– la débouter en conséquence de ses demandes principales et subsidiaires en nullité de licenciement et en licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– la débouter en conséquence de l’intégralité de ses demandes financières,
– la débouter de son appel incident
– débouter Madame [E] [O] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner Madame [E] [O] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouter Madame [E] [O] de sa demande au titre de l’exécution provisoire,
– condamner la même aux entiers dépens.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 28 juillet 2021, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens, la salariée demande à la cour de :
– déclarer l’institution Igesa mal fondée en son appel ;
– la recevoir en ses demandes et l’en déclarer bien fondée ;
confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a rappelé les termes de l’ordonnance du 18 septembre 2019 confirmant la compétence de la section commerce ;
à titre principal :
confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a déclaré nul son licenciement en application des articles L. 152-2 et L. 152-3 du code du travail en raison des faits de harcèlement moral subis et dénoncés ;
en conséquence :
à titre principal,
infirmer ledit jugement en ce qu’il a condamné l’institution Igesa à lui régler la somme de 15277,68 euros à titre de dommages et intérêts en raison du caractère illicite de son licenciement ;
statuant à nouveau :
– condamner l’institution Igesa à lui régler la somme de 25 462 euros à titre de dommages et intérêts à ce titre ;
à titre subsidiaire,
confirmer le jugement en ce qu’il a condamné l’institution Igesa à lui payer la somme de 15 277,68 euros à titre d’indemnité pour nullité du licenciement ;
à titre subsidiaire :
– prononcer la nullité de son licenciement en application de l’article L. 1132-1 du code du travail qui prohibe le licenciement lié à l’état de santé du salarié et à son handicap ;
en application de l’article L. 1235-3-1 du code du travail :
– condamner l’institution Igesa à lui régler la somme de 25 462 euros de dommages et intérêts résultant du caractère illicite de son licenciement ou à tout le moins celle de 15 277,68 euros ;
à titre plus subsidiaire :
– prononcer la nullité de son licenciement en application des dispositions des articles 1226-9 et 1226-13 du code du travail ;
en conséquence :
– condamner l’institution Igesa à lui régler la somme de 25 462 euros à titre de dommages et intérêts résultant du caractère illicite de son licenciement, à tout le moins celle de 12 277,68 euros.
à titre encore plus subsidiaire :
– dire son licenciement sans aucune cause réelle et sérieuse et en conséquence condamner l’institution Igesa à lui payer la somme de 7 638,84 euros à titre de dommages et intérêts ;
en tout état de cause :
confirmer le jugement entrepris en ce qu’il lui a octroyé des dommages et intérêts en réparation des faits de harcèlement moral dont elle a été victime ;
à titre principal,
réformer ledit jugement quant au quantum accordé et statuant à nouveau,
– condamner l’institution Igesa en application de l’article L. 1152-1 du code du travail à lui régler la somme de 15 277,68 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des faits de harcèlement moral subis ;
à titre subsidiaire,
confirmer le jugement en ce qu’il a condamné l’institution Igesa à lui payer un montant de 11 000 euros à ce titre.
infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a dit que les condamnations retenues porteront intérêts à compter du jugement
statuant à nouveau,
– dire que lesdites condamnations porteront intérêt à compter de la date de la saisine du conseil de prud’hommes ou à titre subsidiaire confirmer le jugement sur ce point ;
confirmer le jugement en ce qu’il a ordonné l’anatocisme ;
– condamner l’institution Igesa à lui régler la somme de 6 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner l’institution Igesa en tous les dépens, y compris les frais éventuels d’exécution ;
– débouter l’institution Igesa de l’intégralité de ses demandes.
La clôture de l’instruction a été prononcée le 16 novembre 2022.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la contestation relative à la section devant connaître de l’affaire :
L’Igesa, établissement public industriel et commercial à but non lucratif, soutient que le premier juge a considéré que la compétence avait été définitivement entérinée par l’ordonnance du président du conseil de prud’hommes en date du 18 septembre 2019 alors que cette ordonnance est dépourvue d’autorité de chose jugée et que contrairement à ce qu’elle indique la section ‘commerce’ n’est pas compétente dès lors que le litige devait être porté devant la section ‘activités diverses’ puisque l’accord d’entreprise dont dépendent ses salariés n’est pas répertorié dans le tableau de répartition mentionné à l’article L. 1423-1-1 du code du travail, le code Ape de l’entreprise étant au surplus :
‘ Action sociale sans hébergement’.
La salariée fait valoir que l’incompétence a été successivement soulevée de manière dilatoire et que cette question a été bien et définitivement tranchée par l’ordonnance présidentielle précitée, ce qui entraîne l’irrecevabilité de la contestation.
Selon l’article R. 1423-7 du code du travail, ‘En cas de difficulté de répartition d’une affaire ou de contestation sur la connaissance d’une affaire par une section, le dossier est transmis au président du conseil de prud’hommes, qui, après avis du vice-président, renvoie l’affaire à la section qu’il désigne par ordonnance.
Cette ordonnance constitue une mesure d’administration judiciaire non susceptible de recours.
Les contestations sont formées devant le bureau de conciliation et d’orientation ou, dans les cas où l’affaire est directement portée devant le bureau de jugement, avant toute défense au fond.’
En l’espèce, la procédure prévue par ce texte a été respectée et sur la contestation de l’Igesa l’ordonnance présidentielle du 18 septembre 2019 a maintenu l’affaire devant la section ‘commerce’, cette décision s’imposant aux parties.
L’Igesa est dès lors irrecevable en sa contestation, étant observé qu’il n’a pas formé de pourvoi pour excès de pouvoir et qu’il ne précise pas à ce stade l’effet procédural de sa contestation.
Sur le harcèlement moral :
Selon l’article L. 1152-1 du code du travail, ‘aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.’
Il résulte des dispositions de l’article L. 1154-1 du code du travail que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments de fait présentés par le salarié laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
La salariée qui justifie sans être utilement contredite de : sa qualité de travailleur handicapé reconnue par la [Adresse 7] pour la période du 20 septembre 2015 au 31 août 2025 ; de son hémiparésie consistant en un déficit de la force musculaire générant une paralysie incomplète engendrant une diminution des capacités de mouvement ; de sa dysphonie se traduisant par une variation d’intensité de la voix ; d’arrêts de travail pour ‘trouble anxieux’ et d’un certificat médical en lien avec cet état psychique, invoque au soutien de sa demande de voir reconnaître l’existence d’un harcèlement moral :
– un contexte de harcèlement moral dénoncé par six salariés dont elle-même au sein de la résidence [6] en raison des agissements de sa directrice, ce qui a amené l’employeur à accepter sa demande d’affectation au sein d’une autre résidence qui se concrétisera en juin 2018 par son affectation au sein de la résidence [5] pour occuper les mêmes fonctions de responsable d’accueil, le directeur général ayant évoqué dans un courrier du 15 juin 2018 un contexte de tensions interpersonnelles existant au sein des résidences [10] et [6] confirmées par les conclusions d’un audit externe ;
– le comportement de la directrice adjointe de la résidence [5] à son égard en ce que celle-ci la rabaissait en stimatisant par exemple sa lenteur en lien avec son handicap, se moquait de sa voix devant ses collègues et les clients, l’invectivait, critiquait son travail de manière régulière, brutale et infondée, la menaçait physiquement en lui prenant le bras pour l’empêcher de répondre au téléphone devant les clients quand elle était en poste au standard de la réception le 21 septembre 2018, la forçait à effectuer des tâches subalternes, notamment un service d’étage, modifiait sans préavis son planning, notamment le 14 septembre 2018, outre des tâches qu’elle savait ne pas convenir à son handicap comme le port de plateaux ;
– un épuisement professionnel en raison de la tenue simultanée non contractuellement prévue des postes de réceptionniste et de responsable d’accueil.
En tenant compte des éléments de nature médicale : un arrêt de travail du 7 novembre 2018 pour ‘trouble anxieux’ et un certificat médical du 26 novembre 2018 prescrivant des soins sans arrêt de travail pour ‘trouble anxieux’ jusqu’au 31 décembre 2018 ainsi qu’un certificat médical établi le 24 mai 2019 par le docteur [J], praticien attaché à l’unité-consultations de pathologies professionnelles et environnementales de l’hôpital Hôtel Dieu, selon lequel après que la salariée lui ait indiqué des difficultés professionnelles ayant retenti sur son état de santé psychique, sa patiente, sans antécédent psychiatrique, présentait toujours une sympto-pathologie partant plutôt sur des aspects anxieux mais avec des éléments pouvant évoquer un état de stress post-traumatique indiquant un soutien psychothérapeutique, les éléments de fait présentés par la salariée qui sont matériellement établis et qui considérés ensemble laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral sont les suivants : à la suite d’une lettre du 17 décembre 2017 dénonçant une succession de faits de harcèlement moral à l’encontre de la directrice de la résidence [6], elle a été affectée à la résidence [5] ; par mail envoyé au directeur de cette dernière résidence le 25 septembre 2018, elle a sollicité une rencontre afin de trouver des solutions dès lors qu’elle se disait à nouveau confrontée à un climat de travail dégradé dont elle se plaignait du fait cette fois-ci du comportement de Madame [B] à son égard depuis le 14 septembre 2018 dont elle dénonçait une répétition de reproches, des menaces verbales, un geste et un ordre déplacés le 21 septembre 2018 ; l’absence de toute réponse à ce mail l’a contrainte à envoyer un second mail le 24 octobre 2018 afin d’obtenir l’entretien sollicité faute de toute réaction de la part de son employeur, celle-ci dénonçant une aggravation de la dégradation de ses conditions de travail du fait de menaces verbales et physiques de la part de la directrice adjointe mettant en danger son intégrité physique et à l’origine d’ un malaise sur son lieu de travail le 23 octobre 2018 ; l’employeur n’a pas concrètement réagi à réception de ses deux mails sauf la mise en oeuvre peu après d’une procédure de licenciement à son encontre.
Afin de démontrer que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un harcèlement moral et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement et proportionnées à l’objectif légitimement poursuivi, l’employeur fait valoir que :
– la mutation de la salariée à la résidence [5] a été réalisée à la demande de celle-ci malgré des erreurs commises dans son travail effectué au sein de la résidence [6] qui n’ont donné lieu qu’à des remontrances par lettre du 15 juin 2018 en raison d’un contexte particulier de tensions interpersonnelles au sein des résidence [6]/[10] ; toutefois, la salariée, qui n’a jamais été sanctionnée par son employeur et a été licenciée pour insuffisance professionnelle et non pas pour un motif disciplinaire, a obtenu son affectation au sein de la résidence [5] plusieurs mois après avoir dénoncé de manière précise et détaillée des faits de harcèlement moral et d’intimidation de la part de la directrice de la résidence [6] ayant débuté seulement deux mois après son embauche et s’étant traduits notamment par une volonté manifeste d’ignorer une situation de handicap au travail notoire en lui confiant des tâches manuelles à l’évidence incompatibles avec celle-ci ; au surplus, outre cette chronologie qui interroge, les erreurs attribuées à la salariée dans cette lettre de remontrances sont pour la plupart insuffisamment précisées et pour certaines sont en lien direct avec le contexte professionnel dégradé au sein de la résidence [6] puisqu’il y est indiqué que la salariée n’a pas organisé le planning d’accueil afin de prendre en compte différents impératifs tels que les convocations aux entretien par le cabinet d’audit quand celle-ci expliquait que cette situation était liée à la nécessité de se reposer à l’issue de son entretien avec ce même cabinet ; ainsi la décision de l’employeur de limiter sa lettre à de simples remontrances était-elle la conséquence selon lui du contexte de tensions interpersonnelles existant au sein des résidences précitées qu’il indiquait être confirmées par les conclusions de l’audit réalisé par le cabinet mandaté et devoir être prises en considération pour faire preuve d’indulgence à l’égard de la salariée qu’il acceptait d’affecter à la résidence [5] ;
– ses particularités physiques n’ont donné lieu à aucune décision ou comportement critiquables, et le comportement reproché à Madame [B] n’a pas existé sauf de simples remarques faites de manière toujours correcte sur la qualité du travail de la salariée ; cependant, au sein de leurs attestations respectives deux employées continuent de stigmatiser la voix de la salariée et il se déduit de ces témoignages que cette voix était considérée en interne comme étant une difficulté dans le travail, la salariée étant appelée à faire attention et à ne pas parler aussi fort malgré ses efforts lorsqu’elle était à la réception ou au téléphone, sa voix étant qualifiée de ‘sonore’, ‘insupportable’, ‘très désagréable’ ; pareillement, afin de contredire la version des faits dénoncés comme s’étant déroulés à l’accueil au mois de septembre 2018, la salariée indiquant avoir été victime d’un geste déplacé de la part de Madame [B] qui lui a fortement pris le bras pour l’empêcher de répondre au téléphone alors qu’elle était en poste au standard de la réception lui faisant mal et très peur avant de la forcer à quitter la réception et de la chasser vers le back office, l’employeur ne lui oppose que le témoignage de la directrice adjointe mise en cause, laquelle, sans nier l’existence d’un incident, ne concède qu’un geste de la main sur le combiné du téléphone en précisant néanmoins que les faits s’étaient déroulés en présence d’une cliente avec laquelle elle parlait et avoir bien intercepté le geste de la salariée dès lors ‘surprise’ alors que celle-ci avait selon elle l’ordre de terminer un travail dans ‘le bureau’ ;
– l’obligation de devoir tenir simultanément deux postes en raison de l’ajout de missions de réception se limitait à ‘deux fois par semaine’ et était contractuelle, la salariée en ayant été informée ; cependant, alors qu’aucun document contractuel ne définit précisément ses fonctions, il n’est pas non plus démontré que la salariée, celle-ci eût-elle suivi une formation de responsable d’accueil durant trois jours en mars 2018, était effectivement tenue d’accomplir les tâches contestées, ce qui ne ressort pas à suffisance de l’attestation du directeur de la résidence [5] dont le témoignage est trop général à ce sujet, lequel confirme en revanche l’existence d’une autre difficulté à laquelle la salariée a été confrontée le 14 septembre 2018 quand à son arrivée à la résidence pour sa prise de poste à 7 heures celle-ci s’est vue notifier une modification de planning différant son embauche à 15 heures, le directeur évoquant des excuses dont il n’est pas justifié ;
– la salariée n’a demandé par mails qu’une ‘réunion’ pour ‘ évoquer ce climat de travail’ et indique ‘ que ses conditions de travail se dégradent de plus en plus’ sans mentionner les termes ‘ harcèlement moral’ et elle n’invoque qu’une concomittance entre ces mails et le licenciement ; toutefois, l’employeur ne justifie d’aucune réponse adaptée à ces mails dont le contenu évoque clairement une situation de dégradation des conditions de travail de leur auteur en raison d’agissements de sa supérieure hiérarchique directe à son encontre et des incidences importantes sur sa santé dont un événement s’étant produit sur le lieu de travail le 23 octobre 2018 que l’employeur ne conteste pas avoir existé mais réduit à une ‘crise de larmes’ en réaction à des remarques faites par le directeur et la directrice adjointe, sauf le fait que la salariée a été ‘reçue’ par le directeur de la résidence [5] le 1er novembre 2018, soit plus d’un mois après la première alerte, sans aucun autre élément ni aucune précision quant au contenu d’une telle rencontre ou sur ce qui en a résulté, alors que ne saurait être considéré comme indifférent le fait que la seule action concrète concernant la salariée mise en oeuvre par l’employeur dans les jours qui ont suivi a été l’engagement d’une procédure de licenciement à l’encontre de la salariée.
En conséquence, il y a lieu de dire que la salariée a été victime de harcèlement moral.
S’agissant de la demande de condamnation au paiement de dommages et intérêts pour harcèlement moral, la salariée estime que son préjudice doit être indemnisé à hauteur de six mois de salaire quand l’employeur soutient que le préjudice n’est pas démontré.
Compte tenu, notamment, de la nature et de la durée des agissements subis outre des conséquences sur sa santé, il y a lieu d’allouer à la salariée la somme de 5000 euros nets à titre de dommages et intérêt en réparation du préjudice subi, le jugement étant dès lors infirmé sur le quantum.
Sur le licenciement :
La salariée sollicite la confirmation du jugement entrepris en ce qu’il dit le licenciement nul en raison des faits de harcèlement moral qu’elle a subis et dénoncés ; elle indique que le licenciement pour insuffisance professionnelle notifié par l’employeur, alerté à diverses reprises de la situation de harcèlement moral, est consécutif à la dénonciation du harcèlement moral et en est la conséquente directe, ajoutant qu’en tout état de cause il n’est pas justifié de l’insuffisance professionnelle alléguée selon elle de manière opportuniste.
Pour sa part, l’employeur soutient qu’en l’absence de harcèlement le licenciement n’est pas nul et repose sur des insuffisances professionnelles caractérisées.
Le licenciement motivé par l’insuffisance professionnelle ne saurait être déclaré nul au seul motif du constat d’un harcèlement moral, sans qu’il soit recherché s’il existe un lien de causalité entre le harcèlement moral et l’insuffisance professionnelle ou si ainsi que l’envisage l’article L1152-3 du code du travail, le licenciement serait intervenu en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2 de ce code.
La lettre de licenciement ‘pour insuffisance professionnelle’ mentionne des insuffisances, erreurs, négligences.
D’abord, la double réservation au profit d’une même personne le 26 puis le 27 septembre 2018 n’est démontrée ni dans son existence ni dans ses incidences financières.
Ensuite, du 23 au 24 octobre 2018, la salariée n’aurait pas respecté les instructions de son directeur en ayant omis de prévenir deux clients d’un ‘délogement’ alors qu’outre l’absence d’élément de nature à établir un lien entre une erreur ou négligence de la salariée et un dysfonctionnement dont aurait pâti ces clients, il ressort d’un échange de mails que de telles situations sont inhérentes à la pratique, manifestement habituelle, du ‘délogement’ et de ‘overbooking’que son directeur savait être mis en oeuvre, sans instructions précises et préalables, par la salariée qui l’en informait, de sorte que le 23 octobre 2018 elle lui précisait que tous les délogements étaient achevés, que les réservations étaient faites concernant la résidence [10], ‘et les clients prévenus’, toutes affirmations non sérieusement remises en cause par l’employeur notamment par la production du mail d’une cliente du 26 octobre 2018 au sein duquel celle-ci indique avoir reçu une confirmation de réservation à la résidence [10] ‘sans autre explication’ et avoir mal interprété cette réservation. Ce même mail est mentionné dans un autre paragraphe sans exciper d’un motif d’insuffisance distinct et justifié.
Pareillement, à ces mêmes dates, les difficultés relatives à la réservation de huit chambres sans confirmation par la direction générale de la gendarmerie nationale engendrant le délogement de huit personnes sont inhérentes à la pratique de la surréservation, la salariée ayant pu être induite en erreur par les mails successifs du représentant du groupe qui a tardé à préciser les modalités exactes de la réservation finalement subordonnée à une confirmation individuelle. Au surplus, il n’est pas justifié du préjudice allégué.
Par ailleurs, l’absence de transfert écrit d’une réclamation que l’employeur ne conteste pas utilement avoir pu se limiter à un message verbal, à l’attention du directeur habilité pour apporter une réponse à une surfacturation, n’a eu d’autre incidence que la satisfaction de la demande du client, formulée par mail du 9 novembre 2018 quand la salariée était en arrêt de travail, de voir déduire le surplus de facturation de sa très prochaine réservation.
De même, il ressort des éléments produits aux débats qu’en novembre 2018 l’erreur commise par la réceptionniste sous le contrôle de la salariée à la suite d’une modification par le client des dates de sa réservation a été rectifiée par cette dernière, et l’incident imputé à la salariée quant à la facturation n’est pas non plus établi.
Concernant la suite donnée au mail de la chef d’escadron de la sous direction de la police judiciaire du 6 novembre 2018 commençant par ‘ Chère Madame [O]’ et se poursuivant par : ‘ J’accuse réception de votre facture et vous remercie. Il semblerait que Monsieur [H] [M] aurait déjà réglé personnellement les deux nuits des 17 et 18 octobre. Pourriez-vous vérifier dans votre comptabilité et me faire retour’ ‘, force est d’observer que la salariée a bien vérifié et a trouvé une facture ‘à 0’ pour ce client, en informant son interlocutrice le jour même, ce qui a donné lieu à l’envoi d’une facture, réglée par Monsieur [H], par le chef d’escadron six jours plus tard au moyen d’un mail adressé à la salariée que celle-ci n’a pas été en mesure de traiter puisqu’elle était en arrêt de travail, la directrice adjointe, précisant ‘reprendre la main’ sur le dossier, ayant dès lors envoyé un ‘avoir’ à déduire de la facture principale.
S’agissant de la demande d’annulation du 25 octobre 2018 d’une chambre sur trois, la salariée justifie d’un mail envoyé le même jour confirmant le traitement conforme de cette demande quand l’employeur produit aux débats un mail évoquant le mécontentement du client en date du 9 novembre 2018 relatif à une absence de réservation pour les deux chambres restantes sans certitude sur la nature et l’origine de la difficulté survenue le jour précédent lorsque la salariée était en arrêt de travail. Il apparaît à nouveau que ce problème ponctuel n’a pas eu d’effet négatif pour le client ni n’a causé aucun préjudice financier à l’employeur.
Le défaut de prise de garantie bancaire orale pour une réservation du 6 novembre 2018 avec paiement sur place ne peut se déduire à suffisance d’une simple capture d’écran.
Quant au non-respect des procédures, il est fait état d’une non-diffusion de la musique dans le hall d’accueil sans autre précision notamment temporelle ni justification d’aucune sorte permettant de déterminer notamment la fréquence d’une telle omission.
Par ailleurs, la nécessité d’une reprise de facturations le 21 novembre 2018 en raison de l’omission d’une facture et de la comptabilisation à nouveau de prestations sans effectuer l’opération de retrait correspondante n’est pas suffisamment établie dans son existence et dans son caractère imputable à la salariée ; il n’est pas sans intérêt de relever que ces faits sont situés à une date à laquelle la salariée venait de reprendre son service à la suite de son arrêt de travail.
Enfin, s’agissant de plaintes de collègues et de clients visant la salariée, l’employeur se réfère uniquement, d’une part, aux trois mêmes attestations de collègues rédigées en termes très généraux sans précision temporelle déjà évoquées dans le cadre des développements consacrées au harcèlement moral, lesquelles comportent pour l’essentiel des critiques au sujet de la voix de l’intéressée, d’autre part, à un seul mail d’une cliente envoyé le 7 novembre 2018, soit le premier jour de l’arrêt de travail de la salariée, aux termes duquel la cliente se borne à évoquer des ‘problèmes rencontrés sur la facturation et composition de chambres’ et indique souhaiter faire parvenir ses demandes de réservations sur la résidence [5], par mail, au directeur et à la directrice adjointe.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que le licenciement pour insuffisance professionnelle n’est pas justifié et que la procédure de licenciement a été engagée par l’employeur sous couvert d’une insuffisance professionnelle quand la salariée était en arrêt de travail depuis le 7 novembre 2018 et deux semaines après avoir été alerté une nouvelle fois des agissements de harcèlement moral. La plupart des insuffisances formulées dans la lettre de licenciement à l’encontre de la salariéé sont concomitantes à cette dernière dénonciation, les faits imputés sont en grande majorité non avérés ou non imputables, ils ne sont en tout état de cause en rien révélateurs d’une incapacité objective et durable de la salariée à exécuter de manière satisfaisante un emploi correspondant à sa qualification. Au surplus, l’employeur fait expressément référence dans la lettre de licenciement au caractère non isolé de faits en se fondant sur une lettre de remontrances du 15 juin 2018 faisant déjà état selon lui de faits de négligence et de dysfonctionnements alors qu’à cette date il avait considéré de pas devoir la sanctionner, ce qui évoque d’éventuels manquements de nature disciplinaire, en raison d’un climat social dégradé au sein du précédent établissement, n’ayant pris par ailleurs aucune mesure concrète et efficace en réaction aux alertes successives de la salariée pour faire cesser tout risque à cet égard, sauf la décision de procéder à un licenciement peu après les dernières dénonciations d’agissements de harcèlement moral et en conséquence de celles-ci.
Par suite, en application des dispositions des articles L1152-2 et L1152-3 du code du travail, le licenciement doit être déclaré nul.
Sur l’indemnité pour licenciement nul :
La salariée sollicite des dommages et intérêts pour licenciement nul correspondant à dix mois de salaire, alors que l’employeur sollicite de voir cette indemnisation limitée aux six derniers mois.
Au vu des éléments d’appréciation, considérant notamment l’ancienneté de la salariée, son âge au moment de la rupture (36 ans) ainsi que ses capacités à retrouver un emploi telles que celles-ci résultent des éléments fournis, il sera alloué à la salariée en application des dispositions de l’article L. 1235-3-1 du code du travail la somme de 20 000 euros nets à titre de dommages et intérêts à titre d’indemnité pour licenciement nul.
Sur les intérêts au taux légal :
Les intérêts courront sur les sommes allouées à compter du présent arrêt et il y a lieu à capitalisation de ces intérêts dans les conditions prévues par l’article 1343-2 du code civil.
Sur les frais irrépétibles :
En équité, il n’y a lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile qu’au bénéfice de la salariée à laquelle sera allouée la somme de 3000 euros de ce chef au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel.
Sur les dépens :
L’employeur, partie succombante, supportera la charge des entiers dépens de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Infirme partiellement le jugement entrepris et statuant à nouveau sur le tout pour une meilleure compréhension et y ajoutant :
Déclare l’établissement public industriel et commercial l’Institution de gestion sociale des armées (Igesa) irrecevable en sa contestation de l’attribution de l’affaire à la section ‘commerce’ du conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt.
Dit que Madame [E] [O] a subi un harèlement moral.
Condamne l’Igesa à payer à Madame [E] [O] la somme de 5000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral.
Dit nul le licenciement de Madame [E] [O].
Condamne l’Igesa à payer à Madame [E] [O] la somme de 20 000 euros nets à titre d’indemnité pour licenciement nul.
Condamne l’Igesa à payer à Madame [E] [O] la somme de 3000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Déboute les parties pour le surplus.
Condamne l’Igesa aux entiers dépens de première instance et d’appel.
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Régine CAPRA, Présidente et par Madame Sophie RIVIERE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, La Présidente,