Épuisement professionnel : 9 février 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 20/01637

·

·

Épuisement professionnel : 9 février 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 20/01637

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

6e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 09 FEVRIER 2023

N° RG 20/01637

N° Portalis DBV3-V-B7E-T7EH

AFFAIRE :

[L] [E]

C/

S.A.S. OPEN

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 06 juillet 2020 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de NANTERRE

N° Section : E

N° RG : 18/00248

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Louis DELVOLVE

Me Nicole BENSABATH

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE NEUF FEVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Monsieur [L] [E]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Caroline PEYRATOUT, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A791et Me Louis DELVOLVE, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 48

APPELANT

****************

S.A.S. OPEN

N° SIRET : 381 031 285

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Nicole BENSABATH, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D0835

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 08 décembre 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine BOLTEAU-SERRE, Président,

Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,

Madame Isabelle CHABAL, Conseiller,

Greffier placé lors des débats : Virginie BARCZUK

Greffier en pré-affectation lors du prononcé : Domitille GOSSELIN

Rappel des faits constants

La société Open, dont le siège social est situé à [Localité 4] dans les Hauts-de-Seine, est spécialisée dans le conseil en systèmes et logiciels informatiques. Elle emploie plus de dix salariés et applique la convention collective nationale des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils du 15 décembre 1987, dite Syntec.

M. [L] [E], né le 1er octobre 1982, a été engagé par cette société, selon contrats de travail à durée déterminée successifs, du 8 juin 2011 au 8 septembre 2011, en qualité d’ingénieur d’études, statut cadre.

La relation de travail s’est poursuivie selon contrat de travail à durée indéterminée du 10 octobre 2011 et en dernier lieu, M. [E] exerçait les fonctions d’ingénieur concepteur.

A l’occasion d’une visite de pré-reprise ayant eu lieu le 15 septembre 2017, le médecin du travail a conclu, le 18 septembre 2021, à l’inaptitude de M. [E] dans les termes suivants :

« Inapte au poste, l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi dans l’entreprise. »

Après un entretien préalable fixé au 31 octobre 2017, M. [E] s’est vu notifier son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement par courrier du 6 novembre 2017.

Estimant que son inaptitude, liée à une dégradation de son état de santé, était la conséquence des manquements de la société Open à ses obligations, M. [E] a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre par requête reçue au greffe le 6 février 2018.

La décision contestée

Par jugement contradictoire rendu le 6 juillet 2020, la section encadrement du conseil de prud’hommes de Nanterre a :

– dit que M. [E] n’a pas été victime de faits de harcèlement et de discrimination de la part de la société Open,

en conséquence,

– dit que le licenciement pour inaptitude de M. [E] par la société Open n’est pas nul,

– débouté M. [E] de toutes ses demandes,

– débouté la société Open de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné M. [E] aux dépens.

M. [E] avait présenté les demandes suivantes :

– fixer son salaire mensuel moyen à la somme brute de 3 328,40 euros,

– dire et juger que son licenciement pour inaptitude résulte des faits de harcèlement moral et du comportement discriminatoire adopté par l’employeur à son égard,

– prononcer la nullité du licenciement du 6 novembre 2017,

– condamner la société Open à lui payer les sommes suivantes :

. 9 985,20 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

. 998,52 euros au titre des congés payés afférents,

. 19 970,40 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait du harcèlement moral et de la discrimination dont il a été victime et du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité en matière de santé au travail (somme équivalente à 3 mois de salaires),

. 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouter purement et simplement la société Open de toute prétention à son encontre,

– exécution provisoire de la décision à intervenir nonobstant appel et sans constitution de garantie,

– entiers dépens de l’instance.

La société Open avait quant à elle conclu au débouté de M. [E] et avait sollicité la condamnation de celui-ci à lui verser la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La procédure d’appel

M. [E] a interjeté appel du jugement par déclaration du 24 juillet 2020 enregistrée sous le numéro de procédure 20/01637.

Par ordonnance rendue le 9 novembre 2022, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au jeudi 8 décembre 2022.

Prétentions de M. [E], appelant

Par dernières conclusions adressées par voie électronique le 31 octobre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, M. [E] demande à la cour d’appel de :

– fixer son salaire à la somme de 3 328,40 euros bruts,

– juger que le licenciement pour inaptitude dont il a fait l’objet résulte des faits de harcèlement moral et du comportement discriminatoire adopté par l’employeur à son égard,

– prononcer la nullité de son licenciement,

– condamner la société Open à lui verser les sommes suivantes au titre du licenciement nul :

. indemnité compensatrice de préavis : 9 985,20 euros bruts,

. congés payés afférents : 998,52 euros bruts,

. dommages-intérêts en réparation du préjudice subi au titre de la perte de l’emploi au regard d’un licenciement nul : 19 970,40 euros,

– condamner la société Open à lui verser une somme équivalente à 3 mois de salaire, soit 9 985,20 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait du harcèlement moral et de la discrimination dont il a été victime et du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité en matière de santé au travail,

– débouter purement et simplement la société Open de toute prétention à son encontre,

– condamner la société Open à lui verser une somme de 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la société Open aux entiers dépens de l’instance.

Prétentions de la société Open, intimée

Par dernières conclusions adressées par voie électronique le 7 novembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la société Open demande à la cour d’appel de :

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a jugé parfaitement fondé le licenciement pour inaptitude et débouté M. [E] de l’intégralité de ses demandes,

– débouter M. [E] de l’intégralité de ses demandes,

– condamner M. [E] à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile compte tenu des frais irrépétibles exposés,

– condamner M. [E] aux entiers dépens.

MOTIFS DE L’ARRÊT

Sur le harcèlement moral

En application des dispositions de l’article L. 1152-1 du code du travail, « aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. ».

Aux termes de l’article L. 1154-1 du même code, « Lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 […], le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. ».

Pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il y a lieu d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail. Dans l’affirmative, il y a lieu d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

M. [E] qui allègue avoir été victime d’un harcèlement moral présente, à l’appui de son allégation, différents éléments de fait.

Le salarié fait état, en premier lieu, d’avoir été privé de travail chez le client ERDF, du 8 juin 2014 au 30 juin 2015, et d’avoir été mis à l’écart.

Il allègue ne pas avoir bénéficié de bureau durant quatre mois, aucun poste de travail ne lui ayant été attribué, mais ne rapporte par aucun élément utile la preuve de ce fait, qui sera écarté.

Il allègue encore que de janvier à juin 2015, soit durant six mois, pas ou peu de tâches lui ont été confiées de sorte qu’il s’est retrouvé en bore-out, c’est-à-dire en épuisement professionnel dû à l’ennui provoqué par le manque de travail ou l’absence de tâches intéressantes à effectuer, engendrant démotivation, une dévalorisation de soi ainsi qu’une importante fatigue psychique.

Pour établir la matérialité de cette situation, il produit son compte-rendu d’entretien annuel d’évaluation du mois de décembre 2015 duquel il résulte qu’il a en effet fait état de cette difficulté, rappelant d’ailleurs qu’il avait demandé à sortir de la mission dès novembre 2014, qu’il lui avait été promis une sortie au 1er février 2015 mais qu’il ne sera sorti effectivement qu’en juin 2015. Ce fait est établi.

M. [E] prétend en deuxième lieu que son employeur a refusé de façon injustifiée de le faire bénéficier de formations et l’a mis à l’écart.

Il vise spécifiquement une formation Big Data sollicitée en 2015. Il justifie avoir alerté son manager par courriel du 7 août 2015 ainsi qu’avoir fait état de ce besoin en formation à l’occasion de son entretien annuel 2015. Ce fait est établi.

Il allègue à ce sujet avoir été mis à l’écart et produit pour en justifier un courriel du 4 avril 2016, aux termes duquel, Mme [Y], chargée de ressources humaines, lui indique : « Merci d’avoir complété ton profil, il vient d’être oublié. Nous n’avons pas de visibilité sur une session de formation Développement Big Data. Il n’y a pas de formation prévue pour le moment » (pièce 31 du salarié). Contrairement à ce que soutient le salarié, il ne se déduit pas de ce courriel une mise à l’écart mais uniquement un profil classé, faute d’avoir été complété par le salarié, sans incidence en toute hypothèse sur les suites de sa demande de formation. Ce fait ne sera pas retenu.

Il allègue encore au sujet de la formation Big Data que certains de ses collègues (il donne sept noms) ont pu suivre la formation, ce qui prouve que la société Open avait mis en position certains de ses salariés d’effectuer cette formation tandis qu’elle la lui avait refusée. Il produit un échange de courriels des collègues visés daté de février 2017 qui indiquent avoir passé la certification (pièce 41 du salarié). Ce fait sera retenu.

Il prétend encore à ce même sujet que la société Open lui a demandé, durant sa période d’inter-contrat 2016, de s’auto-former en Big Data et de solliciter les conseils et retours d’expérience de ses collègues ayant bénéficié d’une formation, afin de pouvoir passer la certification de manière autonome, qu’il a malheureusement échoué à celle-ci, cette situation ayant accentué sa souffrance au travail, son sentiment d’inutilité et son syndrome anxio-dépressif. L’employeur reconnaît avoir sollicité le salarié pour passer la certification de façon autonome, de sorte que ce fait sera retenu.

M. [E] prétend, en troisième lieu, s’être vu attribuer des missions en inadéquation avec ses compétences.

Il allègue que sa mission chez ERDF n’était pas adaptée à ses compétences mais n’en justifie pas de sorte que ce fait sera écarté.

Il allègue encore que sa mission chez Orange, qui a débuté en juillet 2015, concernait des technologies (webservices) qu’il ne maîtrisait pas. Lors de l’entretien annuel de décembre 2015, il a relaté son expérience en ces termes : « Grandes difficultés rencontrées sur la mission qui nécessitait une maîtrise avancée des webservices. Ce sont des technologies que je n’avais jamais pratiquées ». Son manager a commenté cette situation en ces termes : « démarrage difficile sur des technologies non connues. Montée en puissance seul, pas d’accompagnement. Seule formation proposée très théorique et pas adaptée. [L] s’investit beaucoup pour combler le manque de formation et monter en compétences » (pièce 32 du salarié). Ce fait est établi.

Le salarié soutient que les faits se sont réitérés en 2017 sur la mission MSAbien, qui ne correspondait ni à ses qualifications, ni à ses souhaits d’évolution professionnelle. Il justifie avoir fait part en vain de ses réticences à son manager, lequel lui a répondu : « Bonjour [L], Je tenais à te dire que j’entends tes retours même si je ne suis pas d’accord avec tout. Néanmoins, aujourd’hui la décision n’est plus chez moi, il faut donc tout mettre en ‘uvre pour que cette mission se passe le mieux possible pour toi et pour le client. Je suis à ta disposition. » (sa pièce 36). Ce fait est établi.

M. [E] fait état, en dernier lieu, du refus de communiquer de son employeur, de sa mise à l’écart, du non-respect des promesses, d’un management toxique et du refus injustifié de le faire progresser.

A ce sujet, il se plaint d’abord d’une mise à l’écart, d’un refus de communiquer de la part de son employeur et d’un manque de considération.

Il procède cependant ici par affirmations sans produire aucun élément de preuve utile, même s’il justifie s’être plaint d’un tel ressenti, le conduisant même à faire appel à Mme [G], déléguée du personnel, pour intervenir auprès de la direction en son nom.

Il ressort des pièces que le salarié produit qu’au contraire, toutes ses demandes ont fait l’objet d’une réponse, même si cette réponse ne lui convenait pas, aucune réponse de l’employeur ne révélant un manque de considération à son égard.

Ce fait sera écarté.

Il se plaint ensuite d’une absence de revalorisation salariale et d’obstacles mis à sa progression professionnelle et à son employabilité.

Il allègue que la société Open a refusé d’augmenter sa rémunération, visant le fait qu’il n’a fait l’objet d’aucune augmentation de janvier 2014 à janvier 2017 alors qu’il avait obtenu une augmentation de salaire chaque année auparavant. Il ne produit aucune donnée chiffrée mais cette situation salariale est admise par l’employeur. Le fait est ainsi établi.

Il indique que la société Open ne lui a jamais indiqué pourquoi ses demandes de revalorisation salariale n’avaient pas été satisfaites, alors que celles-ci s’inscrivaient dans le cadre d’un besoin légitime de se voir reconnu par sa hiérarchie, alors qu’il endurait des conditions de travail particulièrement difficiles et était contraint de passer du temps à s’auto-former. Ce fait sera retenu.

Il se plaint enfin de méthodes de management toxiques, de pressions et de promesses non tenues.

Il vise ici une forte pression de son employeur pour qu’il accepte les missions proposées, même si elles ne correspondaient pas à ses qualifications, ni à ses souhaits d’évolution professionnelle. Il ne justifie toutefois d’aucun abus de la part de son employeur à ce sujet, de sorte que ce fait sera écarté.

Il vise encore des sollicitations faites durant ses périodes d’arrêt maladie et produit pour en justifier un échange de courriels du mois d’avril 2017 (sa pièce 37), aux termes duquel son manager cherche à organiser son retour au travail, sans qu’il ne soit établi de sollicitations abusives. Ce fait ne sera pas retenu.

Il vise enfin des engagements pris par la société Open lors des entretiens annuels qui n’auraient jamais été respectés. Il ne rapporte toutefois pas la preuve de ces engagements, ni au titre de la formation, ni au titre des augmentations de salaire, le compte-rendu d’entretien préalable établi par M. [X], délégué syndical, ne pouvant être considéré comme ayant une quelconque valeur probante au regard des propos prêtés à M. [F], représentant de la société Open lors de l’entretien, allant manifestement à l’encontre des intérêts de la société (pièce 17 du salarié).

Les éléments médicaux produits par M. [E] doivent également être pris en compte dans l’appréciation de la situation dénoncée par le salarié.

Il produit quatre arrêts de travail pour maladie, des 19 mai 2017, 19 septembre 2017, 2 novembre 2017 et 6 décembre 2017, tous visant un syndrome dépressif et en plus une souffrance au travail dans le document du 2 novembre 2017 (pièce 39 du salarié).

Il produit également deux courriers des 2 juin et 7 juillet 2017 émanant du Dr [I], psychiatre, lequel indique : « Je vois M. [E] [L] depuis septembre 2015, qui présente une pathologie anxio-dépressive réactionnelle, pour lui, à des conditions de travail difficiles avec surtout un non-respect de la parole donnée et l’attribution de missions ne correspondant pas à son niveau d’expertise », « Alors que M. [E] a donné le meilleur de lui-même pour cette entreprise, il souffre avant tout tout à la fois de l’absence de reconnaissance et du non-respect de la parole donnée ainsi que du sentiment d’être discriminé. Ses collègues bénéficient de formations qu’il n’a jamais eu alors qu’il les réclame depuis longtemps. Il est contraint alors de s’auto-former ce qui lui demande beaucoup de temps et d’énergie. Cette situation évoluant depuis plusieurs années conduit M. [E] à un épuisement psychique ainsi qu’à une perte de confiance en lui qui lui est bien sûr préjudiciable. Dans ce contexte, un licenciement dans le cadre d’une inaptitude apparaît être la meilleure solution même si celle-ci l’inquiète beaucoup quant à sa capacité ultérieure à retrouver du travail » (pièces 13 et 14 du salarié).

Le 7 mai 2017, le Dr [V] [O], médecin du travail, a écrit au médecin traitant du salarié en ces termes : « Cher confrère,

Merci de m’avoir adressé M. [E] [L], qui a repris le travail hier. Il n’est pas en état psychique de reprendre sa mission, pourriez-vous prolonger son arrêt afin qu’il tente de négocier une rupture conventionnelle car c’est ce qu’il désire, sinon, j’envisagerai une inaptitude médicale si le psychiatre y est favorable. Je le revois à sa reprise à l’issue de l’arrêt que vous déciderez. » (pièce 15 du salarié).

Le 3 mai 2017, le Dr [J], médecin traitant de M. [E], indique que son patient présente toujours un état anxio-dépressif réactionnel à ses conditions de travail.

Ces documents médicaux caractérisent une altération de la santé psychique du salarié en lien avec ses conditions de travail.

Ainsi, les faits matériellement établis, appréciés dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail.

De son côté, la société Open apporte des explications aux faits retenus comme matériellement établis, dont il convient d’apprécier la pertinence.

De façon générale, elle fait valoir qu’elle pouvait, dans le cadre de son pouvoir de direction, ne pas accéder à l’intégralité des revendications constantes et réitérées de M. [E] relatives à une augmentation de salaire d’une part et considérer qu’une formation n’était pas prioritaire d’autre part. Elle dénonce une instrumentalisation du médecin du travail qui a pris en compte le souhait du salarié de négocier une rupture conventionnelle pour émettre son avis. Elle ajoute enfin que M. [E] a été absent :

– du 10 au 31 août 2015 en arrêt de travail,

– du 21 mars au 3 avril 2016 en arrêt de travail,

– du 2 mai au 4 mai 2016 en arrêt de travail,

– du 16 au 17 juin 2016 en arrêt de travail,

– du 4 au 18 juillet 2016 en congés,

– du 16 août au 4 septembre 2016 en arrêt de travail,

– du 8 septembre au 30 septembre 2016 en congés,

– du 13 au 18 décembre 2016 en arrêt de travail,

– du 17 au 22 janvier 2017 en arrêt de travail,

– du 24 avril au 30 septembre 2017 en arrêt de travail,

l’avis d’inaptitude étant délivré le 18 septembre 2017.

S’agissant de la mission ERDF du 8 juin 2014 au 30 juin 2015

M. [E] allègue s’être retrouvé en bore-out, car pas ou peu de tâches lui ont été confiées dans le cadre de cette mission.

Or, l’employeur produit différents documents qui montrent au contraire la satisfaction du salarié quant à cette mission.

Ainsi, il a écrit le 28 mai 2014 après avoir reçu le descriptif de la mission, à Mme [N], responsable d’agence Energie au sein du groupe Open en ces termes : « Bonjour [A], J’ai bien reçu le descriptif de la mission et je te remercie. Après l’avoir lu, je trouve que c’est une mission riche et intéressante. A part l’outil teradata que je n’ai pas eu l’occasion d’utiliser, je trouve que mon profil colle bien avec les compétences attendues. En attendant ton retour, je suis à ta disposition pour tout complément d’information. Très bonne journée » (pièce 14 de l’employeur).

Il a encore écrit le 20 juillet 2015 pour appuyer sa demande d’augmentation : « de mon côté, comme prévu, j’ai bien fini la mission chez ERDF le 30 juin 2015 en laissant une belle image de moi, de mon travail et donc d’Open.

Dans la foulée, j’ai démarré le 1er juillet 2015 une nouvelle mission chez Orange (mission de deux ans potentiellement).

Je continue à m’impliquer davantage et à fournir les efforts nécessaires pour créer de la valeur pour Open.

En espérant une réponse définitive favorable de ta part » (pièce 16 de l’employeur).

Également, l’entretien annuel d’évaluation 2015 fait état des observations du manager qui conclut « Bonne employabilité de [L] qui combine profil technique et fonctionnel avec une orientation BDD/traitement de données très intéressante dans le cadre de l’orientation Big Data d’Open » et des commentaires du salarié qui indique : « Deux années positives d’un point de vue professionnel. Enrichissement du domaine de compétences au travers des missions chez Orange et ERDF et de l’auto-formation. Difficultés sur les aspects rémunération et formation » (pièce 11 de l’employeur).

Au regard de ces éléments, même si l’employeur a en définitive accédé à la demande du salarié de sortir prématurément de cette mission, il n’est pas établi que la mission s’est mal passée et que M. [E] ne s’est pas vu confier de tâches au point de se retrouver en bore-out, ses retours faisant état au contraire d’un investissement sans faille.

S’agissant des formations de M. [E]

La société Open reconnaît avoir donné un accord de principe à M. [E] pour une formation Big Data, le salarié ayant exprimé sa volonté de s’inscrire dans la stratégie d’Open annoncée à échéance 2020. Il est précisé une échéance de réalisation maximale de deux ans dans l’entretien annuel d’évaluation de 2015.

La société Open justifie que la formation organisée en partenariat avec Centrale Supelec de novembre 2016 a été annulée.

Toute inégalité de traitement avec d’autres salariés visée par M. [E] doit être écartée, dès lors que les pièces produites ne démontrent pas que ceux-ci ont suivi une formation, mais uniquement qu’ils ont passé la certification à distance et qu’ils ont échoué pour la plupart ou qu’ils sont dubitatifs quant au résultat.

La société Open explique que ces salariés se sont auto-formés, comme l’a fait M. [E] qui n’a reçu aucune injonction à ce titre et ne peut donc s’en plaindre.

L’employeur indique par ailleurs, sans être démenti, que M. [E] a bénéficié d’une formation « API : ouvrir son SI et développer son modèle d’affaire », dont le coût s’est élevé à 1 950 euros et qui s’est déroulée du 16 septembre 2015 au 17 septembre 2015.

La société Open démontre ainsi les raisons objectives qui ont empêché M. [E] de bénéficier de la formation Big Data.

S’agissant des missions chez Orange et MASbien

La société Open indique que ces missions étaient en parfaite adéquation avec le profil et les compétences du salarié.

M. [E] oppose que ces missions ne correspondaient pas à ses aspirations. Cette occurrence n’est toutefois pas opposable à l’employeur dès lors que la mission correspond à ses compétences, le contraire n’étant pas établi.

Il oppose également que ces missions supposaient de se former à certaines techniques nouvelles. Cet élément n’est pas non plus opposable à l’employeur dès lors que les formations visées relèvent de l’adaptation du salarié à la mission qui lui est confiée, le contraire n’étant pas démontré.

Dans ces conditions, ces circonstances ne peuvent être retenues comme constituant un fait harcelant de la part de l’employeur.

S’agissant des revendications salariales de M. [E]

La société Open indique à juste titre que le salarié n’a eu de cesse de réclamer une revalorisation de son salaire.

Il résulte du contrat de travail et des bulletins de salaire de M. [E] que celui-ci a été engagé en qualité d’ingénieur concepteur, position 1.2 coefficient 100, statut cadre moyennant une rémunération mensuelle de 2 875 euros brut, qu’il a bénéficié d’augmentations de salaires et d’une revalorisation de son statut dans les conditions suivantes :

– juillet 2012 : son salaire est revalorisé à 3 000 euros,

– juillet 2013 : son salaire mensuel est revalorisé à 3 166,67 euros,

– octobre 2013 : statut ingénieur d’études, coefficient 130, position 2.2,

– janvier 2014 : son salaire est revalorisé à 3 333,34 euros,

– janvier 2017 : son salaire est revalorisé à 3 416,67 euros.

L’employeur démontre que le salaire perçu est supérieur aux minima conventionnels de la convention collectif Syntec, qui était de 2 666,30 euros pour un cadre position 2.2 coefficient 130 (pièce 67 de l’employeur).

M. [E] ne produit aucun élément, notamment aucune comparaison, de nature à faire présumer qu’il aurait été victime d’une discrimination salariale ou qu’il aurait fait l’objet d’une inégalité de traitement par rapport à d’autres salariés de la société ayant un statut équivalent.

Enfin, le salarié ne bénéficie pas d’un droit à obtenir une augmentation, de sorte que la société Open pouvait légitimement la lui refuser, sauf abus non démontré ici.

Par ailleurs, M. [E] ne peut sérieusement soutenir que son employeur ne lui a pas donné d’explication sur les raisons pour lesquelles il lui a refusé une augmentation, cette question étant récurrente dans tous les échanges intervenus entre les parties.

Ainsi en définitive, l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

M. [E] sera débouté de sa demande tendant à voir reconnaître qu’il a été victime d’un harcèlement moral par confirmation du jugement entrepris.

Il sera débouté des demandes subséquentes.

Sur les dommages-intérêts distincts

M. [E] sollicite, aux termes du dispositif de ses conclusions, l’allocation d’une somme de 9 985,20 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait du harcèlement moral, de la discrimination dont il a été victime et du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité en matière de santé au travail, tandis qu’il formule la même demande dans les motifs de ses conclusions en fondant cette fois-ci sa demande uniquement sur le harcèlement moral et le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.

Le harcèlement moral a été écarté précédemment tandis que la discrimination alléguée ne peut pas être examinée, faute de tout développement à ce sujet dans les conclusions.

S’agissant de l’obligation de sécurité, il est rappelé qu’en application de l’article L. 4121-2 du code du travail, l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

A l’appui de sa demande à ce sujet, M. [E] prétend que son employeur n’a jamais pris la mesure de la situation, malgré ses demandes et celles de Mme [G], déléguée du personnel.

Or, M. [E] n’allègue pas de manquements de son employeur à son obligation de prévention, étant relevé qu’aucun harcèlement moral n’a été retenu.

La société Open fait état d’un échange de courriels entre les parties intervenu après une alerte du médecin du travail.

Par courriel du 21 juillet 2015, Mme [C], médecin du travail, a écrit à M. [T], supérieur hiérarchique du salarié :

« Bonjour Monsieur [T],

J’ai rencontré dans le cadre d’une visite médicale périodique M. [L] [E], salarié Open en prestation chez Orange. Ce collaborateur me semble dans un état de souffrance en relation avec son travail.

Merci de le recevoir et de l’aider dans cette nouvelle mission. Je reste à votre disposition pour d’éventuelles questions. Je le reverrai en septembre 2015 pour faire un point avec lui.

Docteur [C] » (pièce 18 de l’employeur).

Par courriel du 21 juillet 2015, M. [T] a immédiatement écrit à M. [E] en ces termes : « J’ai cherché à te joindre plusieurs fois sans succès et t’ai laissé un message sur ton portable. Je souhaiterais pouvoir échanger avec toi sur le sujet que nous avions évoqué ensemble au mois de juin 2015. N’hésite pas à me contacter dès que tu peux sur mon portable perso ou sur ma ligne directe. » (pièce 19 de l’employeur).

M. [T] a convoqué M. [E] à un entretien qui s’est tenu le 27 juillet 2015 pour entendre le salarié sur sa souffrance.

A l’issue de l’entretien, M. [T] a écrit à M. [E], par courriel du 28 juillet 2015, en ces termes :

« Bonjour [L],

Je fais suite à notre entretien du lundi 27 juillet en présence de [M] [R], directeur de business unit.

Lors de cet entretien, tu nous as alertés sur le fait que tu éprouvais une souffrance en relation avec ton travail depuis le début de la mission Orange.

Tu nous as précisé que cette mission nécessitait pour toi un certain investissement personnel inhérent à tout démarrage de mission afin de te remettre à niveau sur les parties développement, JAVA et WEB services.

Nous te réitérons le fait que nous sommes prêts à t’accompagner sur un plan de formation dont le détail reste à définir en fonction de tes besoins et des éléments que tu nous communiqueras.

Tu nous as précisé dans ce même entretien ta volonté de rester sur cette mission tout en expliquant que les difficultés actuellement rencontrées venaient davantage d’une volonté de réévaluation salariale rapide.

Celle-ci avait été évoquée dans nos précédents échanges du 1er juin 2015.

Je te confirme que nous étudierons rapidement ce sujet qui sera traité en anticipation lors de la session de décembre prochain.

Je me tiens à ta disposition pour avancer sur ces sujets et/ou pour évoquer tout problème que tu rencontrerais dans le cadre de ta mission.

Cordialement.

[S] [T], directeur agence industrie et distribution ». (pièce 20 de l’employeur)

Par courriel du 5 août 2015, M. [E] a répondu en ces termes :

« Bonjour,

Lors de cet entretien, je vous ai effectivement alerté sur les difficultés rencontrées depuis le début de ma nouvelle mission Orange le 1er juillet 2015, mais je tiens à préciser que ma souffrance remonte à bien avant.

J’ai exprimé un besoin de mise à niveau pour cette mission comme l’exprimerait n’importe quel consultant qui n’a pas eu vraiment l’occasion d’exercer du JAVA pendant presque deux ans. Vos propositions de m’accompagner sur un plan de formation me rassurent et je vous en remercie. Je me rapprocherai de toi [S] pour discuter du détail de ce plan de formation.

Concernant la demande de réévaluation salariale que nous avons évoquée lors de nos deux derniers entretiens, je suis toujours dans l’attente d’une confirmation de ta part. Je souhaite avoir dès aujourd’hui une réponse concrète quant à ma demande, même si j’ai conscience que cela ne sera traité effectivement que d’ici la fin de l’année.

Je suis un élément productif à valeur ajoutée pour Open et j’attends un geste significatif de votre part. Je souhaite que notre collaboration soit faite d’une équation gagnant-gagnant et que cela se traduise sur ma rémunération annuelle.

A ce jour, cette mission me permet de remonter la pente petit à petit. Je me sens de nouveau impliqué dans un projet ambitieux et cela me redonne confiance en moi. Malgré la charge de travail supplémentaire qui incombe à tout début de mission, je reste satisfait de son contenu et de son contexte dans la globalité.

En conclusion, je souhaite vivement que notre collaboration soit pérenne.

J’ai été le premier collaborateur Open affecté sur le site des Gobelins Orange en 2013. Accepter une nouvelle mission chez ce même client est un gage de confiance pour moi et doit vous rassurer quant à mon implication et mes compétences.

Accepter cette même mission c’est également accepter de fidéliser pour vous Open.

Je suis prêt à relever ce challenge et je compte sur vous pour m’accompagner et me donner les moyens de le réussir tant sur la partie formation que sur la réévaluation salariale.

Dans l’attente de ton retour, je te souhaite une bonne journée.

Cordialement »

Il se déduit de cet échange que la société a été réactive et a apporté des réponses au salarié.

Au regard de l’ensemble de ces considérations, M. [E] sera débouté de cette demande.

Sur les dépens et les frais irrépétibles de procédure

Compte tenu de la teneur de la décision, le jugement de première instance sera confirmé en ses dispositions concernant les dépens et les frais irrépétibles.

M. [E], qui succombe dans ses prétentions, supportera les dépens d’appel en application des dispositions de l’article 696 du code de procédure civile.

Il sera en outre condamné à payer à la société Open une indemnité sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, que l’équité et la situation économique respective des parties conduisent à arbitrer à la somme de 500 euros.

M. [E] sera débouté de sa demande présentée sur le même fondement.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, en dernier ressort et par arrêt contradictoire,

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Nanterre le 6 juillet 2020,

Y ajoutant,

DÉBOUTE M. [L] [E] de sa demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral, discrimination et manquement de l’employeur à son obligation de sécurité en matière de santé au travail,

CONDAMNE M. [L] [E] au paiement des entiers dépens,

CONDAMNE M. [L] [E] à payer à la SAS Open une somme de 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE M. [L] [E] de sa demande présentée sur le même fondement.

Arrêt prononcé publiquement à la date indiquée par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Catherine Bolteau-Serre, président, et par Mme Domitille Gosselin, greffier en pré-affectation, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier en pré-affectation Le président,

 


0 0 votes
Je supporte LegalPlanet avec 5 étoiles
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x