COUR D’APPEL DE BORDEAUX
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
————————–
ARRÊT DU : 09 FEVRIER 2023
N° RG 20/01902 – N° Portalis DBVJ-V-B7E-LRS3
[J] [P]
c/
[G] [O]
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le : 09 fevrier 2023
aux avocats
Décision déférée à la cour : jugement rendu le 14 mai 2020 par le Tribunal judiciaire d’ANGOULEME ( RG : 18/02339) suivant déclaration d’appel du 03 juin 2020
APPELANT :
[J] [P]
né le [Date naissance 1] 1983 à [Localité 7] ([Localité 7])
de nationalité Française
demeurant [Adresse 5]
Représenté par Me Patrick HOEPFFNER de la SELARL HOEPFFNER, avocat au barreau de CHARENTE
INTIMÉE :
[G] [O]
née le [Date naissance 3] 1969 à [Localité 8] ([Localité 7])
de nationalité Française
demeurant [Adresse 6]
Représentée par Me Laurence TURLOT, avocat au barreau de CHARENTE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 912 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 15 décembre 2022 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Emmanuel BREARD, conseiller, chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Roland POTEE, président,
Bérengère VALLEE, conseiller,
Emmanuel BREARD, conseiller,
Greffier lors des débats : Séléna BONNET
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
* * *
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE
Par contrat du 18 décembre 2017, M. [J] [P] et Mme [G] [O], infirmiers libéraux, ont décidé de constituer une société civile de moyens. Le 1er janvier 2018, Monsieur [P] a acquis une partie du fonds libéral d’infirmière de Mme [O] moyennant une somme de 7.000 €.
Disant ce dernier contrat non respecté, la patientèle n’ayant pas été présentée, M. [P] a, par acte d’huissier en date du 10 décembre 2018, fait assigner Mme [O] aux fins notamment d’annuler la convention du 1er janvier 2018, de voir son adversaire condamner à lui restituer la somme de 7.000 € avec intérêts au taux légal et à lui verser les montants de 18.000 € à titre de dommages et intérêts et de 4.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Par jugement en date du 14 mai 2020, le tribunal judiciaire d’Angoulême a :
– Débouté M. [P] de l’ensemble de ses demandes ;
– Prononcé la résiliation du contrat de cession de patientèle partielle signé le 1er janvier 2018 entre les parties au 4 juin 2018 ;
– Condamné M. [P] à verser à Mme [O] la somme de 1.500 € à titre de dommages et intérêts ;
– Condamné M. [P] à verser à Mme [O] la somme de 2.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire ;
– Condamné M. [P] aux entiers dépens.
M. [P] a relevé appel de cette décision par déclaration du 3 juin 2020.
Par conclusions déposées le 14 novembre 2022, M. [P] demande à la cour de :
– Réformer le jugement rendu le 14 mai 2020 par le tribunal judiciaire d’Angoulême en ce qu’il a :
– Débouté M. [P] de l’ensemble de ses demandes,
– Prononcé la résiliation du contrat de cession de patientèle partielle signé le 1er janvier 2018 entre les parties au 4 juin 2018,
– Condamné M. [P] à verser à Mme [O] la somme de 1.500 € à titre de dommages et intérêts,
– Condamné M. [P] à verser à Mme [O] la somme de 2.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire,
– Condamné M. [P] aux entiers dépens ;
Statuant à nouveau
– Annuler le contrat de cession passé entre Mme [O] et M. [P] le 1er janvier 2018 ;
– Condamner Mme [O] à lui verser la somme de 18.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice financier ;
– Débouter Mme [O] de l’ensemble de ses prétentions ;
– Allouer à M. [P] la somme de 4.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamner Mme [O] aux entiers dépens.
Par conclusions déposées le 15 novembre 2022, Mme [O] demande à la cour de :
– Confirmer le jugement du tribunal judiciaire d’Angoulême en date du 14 mai 2020 en toutes ses dispositions ;
– condamner M. [P] à lui verser la somme de 4.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
L’affaire a été fixée à l’audience du 15 décembre 2022.
L’instruction a été clôturée par ordonnance du 1er décembre 2022.
MOTIFS DE LA DECISION
I Sur la demande d’annulation du contrat de cession.
L’article 1128 du code civil prévoit que ‘Sont nécessaires à la validité d’un contrat :
1° Le consentement des parties ;
2° Leur capacité de contracter ;
3° Un contenu licite et certain ‘.
M. [P] reproche à la décision du 14 mai 2022 de ne pas avoir relevé que l’acte de cession litigieux n’indique pas que la patientèle reste libre de choisir son soignant et ne comporte aucune liste de nom de patient, laissant à la cédante le choix des patients dirigés vers lui.
A ce titre, le mail du 2 mai 2018 démontre selon lui que l’intimée a gardé la main sur l’intégralité de sa patientèle.
Il critique encore l’acte du 1er janvier 2018, du fait de l’absence de liste de patient identifiée, les signataires étant informés des risques liés à cette situation, donc de la nullité de ce contrat. Il observe que Mme [O] admet elle-même cette carence et a proposé devant le conseil de l’ordre des infirmiers une compensation financière.
Il argue encore de ce que la convention objet du présent litige stipule à son article III A qu’il devient propriétaire de la moitié des éléments transmissibles du cabinet d’infirmier et qu’il exercera son activité sur la patientèle de Mme [O], ce qui est interdit, s’agissant d’une vente de clientèle prohibée.
Il soutient surtout que la cédante n’a jamais accompli la moindre démarche pour présenter patients cédés, en particulier en l’absence de courrier en ce sens. Il conteste que son travail lors des premiers mois de 2018 constitue une telle preuve, puisqu’il n’est fait référence qu’à son chiffre d’affaire et non à son bénéfice, alors même qu’aucune référence n’est faite dans le contrat de cession à des éléments financiers.
Il conteste également avoir eu des difficultés d’ordre relationnel avec certains patients, remettant en cause les 5 attestations versées aux débats du fait des éléments inexacts qui y sont contenus, outre que ces document ne représentent qu’une petite partie de la patientèle. Il souligne que l’intimée a même maintenu dans les annuaires la référence à son numéro de téléphone portable, sans le remplacer par le numéro de téléphone fixe du cabinet. Il remet en cause le transfert d’appel allégué par Mme [O], cette opération dépendant de sa seule volonté et n’étant pas établie matériellement, notamment par la facture de téléphonie pourtant invoquée par la première décision. Enfin, il relève que si son nom était mentionné en premier sur les cartes de condoléances, celui de sa cocontractante l’était pour les cartes de visite du cabinet et que le logiciel installé pour partager les données n’a jamais fonctionné.
Il en déduit une absence d’intention de céder la patientèle pourtant promise, qu’il ne saurait s’agir de lui permettre de se constituer sa propre patientèle comme retenu par le premier juge. Il remet en cause le fait que les remplacements de Mme [O] effectués par ses soins précédemment lui ait permis de connaître la patientèle puissent être suffisant en l’absence de démarche positive de la part de la cédante, outre le fait que le contrat d’exercice commun d’activité ait matériellement engendré des mentions sur les plaques professionnelles, une installation d’un logiciel commun, un calendrier de travail des associés, un tableau portant la liste des patients.
***
La cour constate que le contrat en date du 1er janvier 2018 stipule en pages 2 et 3 que ‘ la cédante vend par les présentes en s’obligeant à toutes les garanties ordinaires de fait et de droit en pareille matière, au cessionnaire, qui accepte, la moitié des éléments incorporels transmissibles suivants du cabinet d’infirmière libérale diplômée d’Etat qu’elle exploite, à savoir:
– la moitié des droits incorporels sans exception ni réserve, dont elle est titulaire en sa qualité d’infirmière libérale diplômée d’Etat, sur le cabinet qu’elle exploite conjointement et desquels droits elle entend assurer au cessionnaire, en tant que faire se peut, la transmission effective, en prenant envers lui l’engagement de la présenter à la partie de sa patientèle attachée audit cabinet.
– aucune liste de clients ayant pu être clairement identifiée. En cas de conflit, ces derniers rappellent avoir été informés par le rédacteur des présentes sans pouvoir l’en tenir responsable, des risques que peut comporter la cession d’une partie de patientèle non clairement identifiée.
– le numéro de téléphone suivant : le [XXXXXXXX02] sera la propriété commune de Mme [O] et M. [P].
– actuellement, il existe un bail enregistré, concernant le local situé [Adresse 4] avec Mme [O]. Ce bail devrait être remplacé par un autre bail conclu en remplacement avec la S.C.M. cabinet infirmiers de l’Houmeau’.
Il est précisé en page 3 que ‘De son côté, la cédante s’oblige à faire tout ce qui est en son pouvoir pour favoriser au cessionnaire son installation en qualité d’infirmier libéral diplômé d’Etat, notamment en lui présentant à la patientèle qu’elle s’est formée, et en invitant celle-ci à reporter sur celui-ci la confiance qu’elle lui accorde’.
Il ressort de ces éléments que l’objet du contrat n’était pas une cession prohibée de clientèle, mais bien celle d’éléments incorporels, en particulier un droit de présentation d’une patientèle, comme le prouve d’ailleurs la référence au libre choix des patients au final.
Sur ce point particulier, il doit être remarqué que la mention relative à l’absence de liste n’est pas effectuée au titre d’une nullité du contrat, mais bien pour attirer l’attention des parties sur le fait que si cet objet existe, il n’a pas été défini dans son ampleur, d’où le risque souligné de litige entre les signataires, avéré à ce jour. En revanche, les parties, par cette mention, ont écarté l’existence d’une telle liste et donc implicitement la référence à un tel élément.
A ce titre, il sera relevé que tant le nombre de patients concerné que le chiffre d’affaire ou le résultat de l’activité ne saurait être des indicateurs des efforts réclamés à Mme [O], faute d’établir l’importance de la patientèle concernée.
Aussi, M. [P] se doit-il d’établir que l’intéressée n’a rien fait pour le présenter aux personnes ayant fréquenté le cabinet entre janvier et mai 2018. Or, il doit être remarqué que les cinq attestations versées montrent toutes que l’appelant a bien fait l’objet d’une présentation. De même, il n’est pas rapporté que les éléments matériels, même s’ils font également l’objet d’une convention de mise en commun des moyens, ont permis ladite présentation, que ce soit le numéro de téléphone fixe, les carte de visite et de condoléances du cabinet, la carte professionnelle du cabinet, l’installation d’un logiciel commun, le travail en alternance une semaine sur deux des deux infirmiers.
Surtout, il appartient à M. [P] de démontrer l’insuffisance des efforts consentis par l’intimée, ce qu’il ne fait pas.
Mieux, il doit être remarqué que les autres éléments incorporels prévus au contrat, à savoir le bail et la ligne téléphonique fixe ont bien été apportés. Sur la question de l’usage du téléphone fixe, y compris pour répondre aux appels des patients, il ne paraît pas anormal, s’agissant d’une cession partielle de patientèle, que la cédante ait conservé un numéro propre. En outre, l’intéressée, même si elle ne le fait qu’à compter du mois de mars 2018, démontre avoir transmis des appels sur la ligne fixe (pièce 11 de l’intimée).
Ainsi, il ne ressort pas de l’ensemble des éléments communiqués par les parties que la présentation d’une partie de la patientèle n’ait pas eu lieu, notamment au vu des éléments matériels présentés par Mme [O].
Il s’ensuit que la décision en date du 14 mai 2020 ne pourra être que confirmée sur ce point.
II Sur la demande en dommages et intérêts faite par M. [P].
L’appelant affirme avoir été dans l’obligation d’effectuer des dépenses liées à l’acte de cession dont il réclame l’annulation, de s’équiper en matériel informatique, d’un logiciel de facturation et se prévaut d’une perte d’exploitation liée aux agissements déloyaux et anti-confraternels de la partie adverse.
Cependant, au vu de ce qui précède, il n’est établi lors du présent litige aucun comportement fautif de la part de Mme [O].
Cette demande sera donc rejetée.
III Sur la demande reconventionnelle en résiliation du contrat de cession de patientèle.
L’article 1211 du code civil énonce que ‘Lorsque le contrat est conclu pour une durée indéterminée, chaque partie peut y mettre fin à tout moment, sous réserve de respecter le délai de préavis contractuellement prévu ou, à défaut, un délai raisonnable’.
En vertu de l’article 1227 du même code, la résolution peut, en toute hypothèse, être demandée en justice.
L’article 1229 du code civil précise en outre que ‘La résolution met fin au contrat.
La résolution prend effet, selon les cas, soit dans les conditions prévues par la clause résolutoire, soit à la date de la réception par le débiteur de la notification faite par le créancier, soit à la date fixée par le juge ou, à défaut, au jour de l’assignation en justice.
Lorsque les prestations échangées ne pouvaient trouver leur utilité que par l’exécution complète du contrat résolu, les parties doivent restituer l’intégralité de ce qu’elles se sont procuré l’une à l’autre. Lorsque les prestations échangées ont trouvé leur utilité au fur et à mesure de l’exécution réciproque du contrat, il n’y a pas lieu à restitution pour la période antérieure à la dernière prestation n’ayant pas reçu sa contrepartie ; dans ce cas, la résolution est qualifiée de résiliation.
Les restitutions ont lieu dans les conditions prévues aux articles 1352 à 1352-9″.
L’appelant remet en cause le jugement en date du 14 mai 2020 en ce qu’il retient que le contrat n’était pas à exécution successive, s’agissant d’une vente. Il note qu’avant la présente instance, l’intimée ne s’était jamais plainte d’une surcharge de travail, que ce soit avant, pendant ou après son arrêt de travail ou lors de la phase de discussion devant le conseil départemental de l’ordre des infirmiers picto-charentais.
Il estime que l’épuisement dont se prévaut son adversaire est de son seul fait, au vu des circonstances liées au présent litige et à l’absence de prise de contact lorsque lui-même était en arrêt de travail.
***
Toutefois, comme l’a justement relevé le premier juge, si M. [P] a été en arrêt maladie jusqu’au 3 juin 2018 inclus, il ne justifie pas avoir repris à compter du 4 juin suivant son activité au sein du cabinet infirmier de l’Houmeau.
Cette absence de reprise de travail à compter de cette dernière date prouve un manquement à ses obligations, faute que l’activité puisse se poursuivre normalement sans la collaboration de l’acquéreur, manifestant la volonté de ce dernier de mettre fin non seulement au contrat de collaboration, mais également de cession des éléments incorporels, faute de les exploiter.
C’est pourquoi, la décision du premier juge sera encore confirmée de ce chef.
VI Sur la demande reconventionnelle en dommages et intérêts.
Ainsi qu’il a été retenu ci-avant, l’appelant ne saurait avoir satisfait de son obligation d’aviser sa cocontractante de son intention de mettre fin au contrat, faute d’avoir repris sa collaboration avec l’intimée. Cet élément n’a pu entraîner pour cette dernière qu’une surcharge de travail, qui a conduit à un épuisement professionnel, attesté par le certificat médical du docteur [C] [I] versé aux débats, qui doit être indemnisé.
Au vu de ces éléments, le jugement attaqué sera également confirmé sur ce point.
VII Sur les demandes annexes.
Aux termes de l’article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie. Sur ce fondement, M. [P], qui succombe au principal, supportera la charge des dépens.
En application de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
En l’espèce, l’équité commande que M. [P] soit condamné à verser à Mme [O] la somme de 2.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS.
La cour,
CONFIRME le jugement rendu par le tribunal judiciaire d’Angoulême le 14 mai 2022;
y ajoutant,
CONDAMNE M. [P] à verser à Mme [O] la somme de 2.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE M. [P] aux entiers dépens.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Roland POTEE, président, et par Madame Séléna BONNET, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Président,