Épuisement professionnel : 8 septembre 2022 Cour d’appel de Rouen RG n° 19/04386

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Épuisement professionnel : 8 septembre 2022 Cour d’appel de Rouen RG n° 19/04386

N° RG 19/04386 – N° Portalis DBV2-V-B7D-IKTL

COUR D’APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 08 SEPTEMBRE 2022

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE ROUEN du 15 Octobre 2019

APPELANT :

Monsieur [W] [O]

[Adresse 1]

[Localité 2]

représenté par Me Géraldine BAROFFIO de la SCP MARCHAND BAROFFIO GIUDICELLI – SCP D’AVOCATS, avocat au barreau de ROUEN

INTIMEE :

S.A. QUEVILLY HABITAT

[Adresse 3]

[Localité 2]

représentée par Me Sophie BERTUCAT-DUMONTIER de la SELARL BERTUCAT DUMONTIER, avocat au barreau de ROUEN

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 05 Juillet 2022 sans opposition des parties devant Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

Madame BERGERE, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme WERNER, Greffière

DEBATS :

A l’audience publique du 05 Juillet 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 08 Septembre 2022

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 08 Septembre 2022, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES

M. [W] [O] a été engagé par la société Quevilly Habitat en qualité d’agent technique chauffagiste à compter du 19 août 1985.

Le 1er juillet 2012, M. [O] a été promu ‘responsable technique maintenance thermique et technologies’ statut cadre.

Les relations contractuelles des parties sont soumises à la convention collective des personnels S.A. et fondations H.L.M.

Sanctionné d’un avertissement le 16 novembre 2016 et d’une mise à pied disciplinaire le 15 janvier 2018,et invoquant une modification de son contrat de travail sans son consentement, M. [O] a saisi le conseil de prud’hommes de Rouen le 26 février 2018 en annulation de ces sanctions et en reconnaissance de l’existence d’un harcèlement moral.

Par jugement du 15 octobre 2019, le conseil de prud’hommes a débouté M. [O] de sa demande de restauration de fonctions en qualité de responsable de service, de sa demande d’astreinte et de l’ensemble de ses demandes, a confirmé l’avertissement du 16 novembre 2016 et la mise à pied disciplinaire du 15 janvier 2018, a dit qu’il n’y avait pas eu de harcèlement moral, a condamné M. [O] aux entiers dépens et débouté la société Quevilly Habitat de sa demande reconventionnelle.

M. [O] a interjeté appel de la décision le 12 novembre 2019.

Par conclusions remises le 31 janvier 2020, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, M. [O] demande à la cour d’infirmer le jugement déféré et de :

– enjoindre à la société Quevilly Habitat de le restaurer dans l’intégralité de ses fonctions telles que décrites dans sa fiche de poste du 21 mai 2012 et à ce titre enjoindre la société Quevilly Habitat d’établir une nouvelle fiche de poste conforme à celle du 21 mai 2012, ceci sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la signification de l’arrêt ;

-annuler l’avertissement notifié par courrier du 16 novembre 2016 ;

-annuler la mise à pied notifiée par courrier du 15 janvier 2018 ;

-condamner la société Quevilly Habitat à lui payer les sommes suivantes :

préjudice pour manquements contractuels dans l’exécution du contrat de travail : 8 000 euros

préjudice pour harcèlement moral : 10 000 euros

indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile : 1 500 euros,

ainsi qu’aux entiers dépens et débouter la société Quevilly Habitat de l’ensemble de ses demandes.

Par conclusions remises le 4 août 2020, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, la société Quevilly Habitat demande à la cour de confirmer le jugement entrepris et de :

– débouter M. [O] de sa demande en restauration de fonction ;

– juger justifié l’avertissement du 16 novembre 2016 ;

– juger justifiée la mise à pied disciplinaire du 15 janvier 2018 ;

– juger justifié l’avertissement du 12 décembre 2019 ;

– juger qu’il n’y a pas eu de harcèlement moral ;

– débouter M. [O] de l’ensemble de ses demandes ;

– condamner M. [O] au paiement de 2.500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

L’ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 16 juin 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l’annulation des sanctions

Sur l’avertissement du 16 novembre 2016

M. [W] [O] sollicite l’annulation de l’avertissement notifié le 16 novembre 2016.

Suivant la lettre lui notifiant l’avertissement, il est reproché à M. [W] [O], au cours de la réunion de service du 9 novembre 2016, de n’avoir cessé de répéter que l’organisation de son service n’avait pas à être modifiée car il fonctionnait bien, selon lui, d’avoir eu un comportement hostile envers son supérieur M. [N] [R] en mettant en cause ses compétences techniques en présence de l’ensemble des participants, d’avoir eu une attitude particulièrement désobligeante à l’égard de ses collègues féminines en tenant des propos sexistes et discriminatoires mettant en cause la façon dont elles occupent leur poste, et enfin, d’avoir quitté la réunion de son propre chef.

Par lettre adressée à son employeur le 14 décembre 2016, le salarié a contesté les faits ainsi reprochés, admettant uniquement avoir émis des doutes sur les compétences techniques de son supérieur du fait de l’organisation mise en place de manière non consensuelle.

Il verseau débat plusieurs attestations de salariés ayant assisté à la réunion du 9 novembre 2016 qui, de manière concordante, indiquent ne pas avoir entendu le salarié tenir des propos sexistes ou agressifs envers leurs deux collègues féminines également présentes.

De son coté, l’employeur produit l’attestation de Mme [P] [T], secrétaire, qui relate que lors d’une discussion sur la nouvelle organisation du service avec les chauffagistes dans leur bureau au 1er étage, M. [W] [O], en présence de [M] [B] et [S] [A], lui exprimait son fort mécontentement ; au cours d’une phrase, en parlant du secrétariat, il a dit :’ les petites mains manucurées qui n’y connaissent rien ‘ et lorsqu’elle lui a répondu qu’elle obéissait aux ordres de son responsable, [N] [R], il a rétorqué : ‘ Si [N] te demande de te jeter dans le vide, tu le ferais ‘ Elle précise qu’elle en a parlé à sa collègue [E], qui n’a pas hésité à le rappeler au salarié lors de la réunion avant qu’il ne la quitte et que le lendemain, M. [W] [O] avait présenté ses excuses par téléphone à [E].

Il en résulte que si effectivement, les propos en cause n’ont pas été tenus lors de la réunion du 9 novembre 2016, le sujet a été évoqué, ce qui peut expliquer la maladresse rédactionnelle de la lettre notifiant la sanction.

Si le compte-rendu de la réunion qui avait pour objet de présenter la nouvelle organisation du service rédigé par M. [N] [R], ne fait pas fait mention des propos qui auraient été tenus par le salarié, tant à son égard, qu’à celui des secrétaires, son examen révèle qu’il n’a fait que reprendre les éléments liés à la présentation de la nouvelle organisation sans préciser les échanges auxquels elle a donné lieu, ce qui est corroboré par le fait que M. [W] [O] a admis avoir remis en cause les compétences techniques de M. [R], sans que celui-ci ne le mentionne dans son compte-rendu, de sorte que la non reprise intégrale de l’ensemble des échanges ne permet pas de retenir qu’ils n’ont pas eu lieu.

Aussi, il est établi la réalité de propos de nature sexiste tenus par M. [W] [O] à l’égard des secrétaires et un comportement inadapté vis à vis de son supérieur hiérarchique en remettant en cause ses compétences techniques en présence de l’ensemble des participants à la réunion, de sorte que la sanction prise, proportionnée au manquement justifié, n’a pas lieu d’être annulée.

En conséquence, la cour confirme le jugement entrepris ayant débouté le salarié de sa demande d’annulation.

Sur la mise à pied disciplinaire du 15 janvier 2018

M. [W] [O] sollicite l’annulation de la mise à pied disciplinaire notifiée le 15 janvier 2018 par laquelle l’employeur lui reproche d’avoir manifesté ostensiblement une attitude d’opposition systématique, de dénigrement et de critique envers son supérieur hiérarchique M. [N] [R] et d’avoir manqué à ses obligations professionnelles en ne respectant pas les procédures de fonctionnement du service.

Le salarié soutient n’avoir pas été convoqué à l’entretien fixé au 8 janvier 2018, que l’employeur ne s’explique pas sur la motivation de sa décision et que la contestant, l’employeur s’est refusé à lui donner une réponse suite à la saisine de la juridiction prud’homale.

L’employeur fait valoir que l’entretien préalable devait se tenir le 8 janvier 2018, soit au premier jour du retour de l’arrêt de travail initial du salarié, mais que celui-ci ne s’est pas présenté, en dépit du fait que son nouvel arrêt de travail précisait que les sorties étaient autorisées ; au fond, la sanction est justifiée compte tenu de ce que les faits la fondant sont nombreux et précisément listés dans le courrier de notification de la sanction et que M. [O], s’il conteste les accusations concernant son supérieur, ne conteste pas les négligences, retards et non-respect des consignes lors des interventions en clientèle.

Aux termes de l’article L1332-2 du Code du travail, lorsque l’employeur envisage de prendre une sanction, il convoque le salarié en lui précisant l’objet de la convocation, sauf si la sanction envisagée est un avertissement ou une sanction de même nature n’ayant pas d’incidence, immédiate ou non, sur la présence dans l’entreprise, la fonction, la carrière ou la rémunération du salarié.

En l’espèce, il ressort des pièces du dossier que l’employeur a adressé le 7 décembre 2017 à M. [O] une convocation à un entretien préalable à une sanction disciplinaire fixé au mardi 19 décembre 2017 à 16h00.

Faute pour le salarié de s’être présenté à la convocation, le 20 décembre 2017, l’employeur lui a adressé une nouvelle convocation à un entretien préalable, cette fois-ci fixé au ‘premier jour du retour’ du salarié et précisant ‘à une heure compatible avec vos possibilités de sortie en cas d’une éventuelle prolongation’, compte tenu de l’arrêt de travail du 18 décembre 2017 au 8 janvier 2018.

Cet arrêt a été prolongé jusqu’au 21 janvier 2018 et précisait que les sorties étaient autorisées.

S’il est clair que le nouvel entretien préalable devait se tenir le 8 janvier 2018, en revanche, l’imprécision de la convocation quant à son horaire ne permet pas de retenir que l’employeur a satisfait à son obligation de convoquer le salarié à un entretien préalable, dès lors que son horaire doit être précisé et qu’il avait opté pour convoquer le salarié à un nouvel entretien après qu’il ne se soit pas présenté au premier.

En conséquence, par arrêt infirmatif, la cour annule la sanction disciplinaire, faute d’une convocation régulière à l’entretien préalable.

Sur l’avertissement du 12 décembre 2019

La société Quevilly Habitat demande à ce que soit jugé justifié l’avertissement du 12 décembre 2019.

Si M. [O], en qualité d’appelant, mentionne l’avertissement du 12 décembre 2019 dans le corps de ses conclusions en tant que moyen nouveau, en raison de la survenance de cette sanction postérieurement au jugement du 15 octobre 2019 du conseil de prud’hommes, il ne formule aucune prétention à l’égard de cette sanction dans le dispositif de ses conclusions, de telle sorte que la cour n’en est pas saisie.

Aussi, la cour, dont le seul pouvoir est de se prononcer sur l’annulation d’une sanction irrégulière ou injustifiée si elle en est saisie, ne peut que rejeter la demande de la société Quevilly Habitat tendant à voir juger justifié l’avertissement du 12 décembre 2019.

Sur la modification des fonctions

Aux termes de l’article L1222-1 du Code du travail, le contrat de travail est exécuté de bonne foi.

Si l’employeur, en vertu de son pouvoir de direction, peut changer unilatéralement les conditions de travail, il ne peut en revanche modifier un élément essentiel du contrat de travail sans le consentement du salarié. Constitue, notamment, une modification du contrat de travail un retrait des responsabilités et une perte d’autonomie dans l’exercice de ses fonctions.

M. [W] [O] soutient avoir une subi une modification de ses missions de manière progressive depuis 2015 sans son accord et demande la restauration de ses fonctions de responsable de services selon les termes fixés par la fiche de poste du 21 mai 2012.

Après avoir suivi une formation qualifiante, M. [W] [O] a accédé à compter du 1er juillet 2012 au statut ‘cadre’ en étant nommé ‘responsable maintenance technique thermique et technologies’, dont les fonctions sont, selon les termes de la fiche de poste établie le 21 mai 2012 :

‘- Assurer la maintenance corrective et l’entretien courant des installations de chauffage, ventilation et portes de parking ,

– Gérer les budgets attribués et les stocks du service ;

– Assurer la planification des rendez-vous clientèle ;

– Participer à la gestion administrative du service;

– Assurer la co-responsabilité du service avec le Responsable technique d’exploitation M. [G]’.

La gestion des budgets impliquait qu’il établisse des commandes relatives à la maintenance corrective et aux prestations sous-traitées, un suivi et le réapprovisionnement du stock des pièces détachées, la planification et commandes de travaux de gros entretien.

La gestion administrative et co-responsabilité du service se traduisaient par :

– établissement du tableau des astreintes

– participation au suivi et respect des procédures du contrôle interne

– participation aux études techniques pour le renouvellement et l’amélioration des installations en relation avec la DMOT

– participation à l’élaboration du plan de formation du service

– entretiens annuels de l’équipe de chauffage

– détermination des objectifs de l’équipe.

Si comme le relève l’employeur, cette fiche de poste n’a pas été signée par le salarié, il n’est néanmoins pas discuté que le salarié en exerçait l’ensemble des missions.

Lors de sa mise à jour le 26 février 2015, la définition de poste était quasiment identique, sauf que le champ d’intervention technique augmentait par l’ajout des installations de télésurveillance et nouvelles technologies (panneaux solaires thermiques) et sauf à constater que M. [G], responsable technique exploitation avec lequel il assurait la co-responsabilité du service devenait son supérieur hiérarchique direct, ce qui était confirmé lors de la nouvelle mise à jour du 7 janvier 2016.

La mise à jour du 7 janvier 2017, soumise à la signature du salarié, l’écartait de la co-responsabilité du service, de la possibilité de passer les commandes relatives à la maintenance corrective et aux prestations sous-traitées, comme au rapprovisionnement du stock de pièces détachées, devant à ce titre établir les demandes auprès du responsable de l’exploitation thermique, tout comme il perdait l’ensemble des missions de gestion administrative, le périmètre de ses missions étant essentiellement d’ordre technique.

Par ailleurs, M. [O] fait valoir qu’il détenait une délégation de pouvoirs en matière d’engagement budgétaire depuis 2006, suite à l’absence pour maladie de M. [I] [D] responsable du budget. Il affirme avoir conservé cette compétence après la sortie des effectifs de ce dernier.

A cet effet, M. [O] produit une attestation de M. [G] certifiant qu’ils détenaient chacun une ligne budgétaire au sein du service. Il produit également un compte-rendu de réunion du 20 mars 2012, validé par M. [H] [K], ancien Directeur Général de l’entreprise, détaillant la répartition ‘des responsabilités et des budgets’ entre lui et M. [G]. Ce document précise les domaines gérés budgétairement par M. [O] avec la faculté qui lui était accordée de passer des bons de commandes pour le chauffage, la VMC et le GTC.

La procédure des délégations de signature a été mise à jour au 1er février 2016 et M. [O] n’y figure pas. Pour autant, le salarié a continué de signer des bons de commande. A cet effet, l’employeur produit un courriel de M. [O] du 23 novembre 2016 ainsi qu’une série de sept bons de commandes qu’il a signés en octobre et novembre 2016. Il a été rappelé à M. [O] lors de son entretien annuel de 2016 qu’il ne détenait pas ce pouvoir de délégation.

Cependant, alors que l’employeur a sanctionné à plusieurs reprises le salarié, il convient d’observer qu’aucun reproche à ce titre ne lui a jamais été fait.

Ensuite, alors que la fiche de poste attribuait en co-responsabilité au salarié l’établissement du tableau des astreintes 24/24, M. [Y] atteste avoir été informé par M. [W] [O] de son impossibilité pour accéder au logiciel Octime nécessaire à l’élaboration des astreintes techniques dont il était chargé et après renseignements pris auprès du service système d’information, ils ont appris que les droits de M. [W] [O] avaient été supprimés suite à une demande.

Enfin, M. [W] [O] soutient ne plus avoir été convoqué aux réunions de cadre, ce qui n’est pas démenti par l’employeur qui explique qu’à compter de 2015, ces réunions n’étaient plus destinées qu’aux cadres ayant des fonctions de management comme en attestent Mme [X] et M. [C] tous les deux cadres et également exclus de ces réunions.

Cela conforte le fait que M. [W] [O] n’avait plus de fonction liée au management alors que dans la fiche de poste mise à jour le 26 février 2015 et signée du salarié prévoyant encore la co-responsabilité du service avec M. [G], il avait toujours des missions en lien avec le management.

Il résulte de ce qui précède que le contrat de travail de M. [O] n’a pas été exécuté loyalement en ce que le changement des missions imposé à compter de 2016, tendant à retirer toute responsabilité administrative, notamment budgétaire, et à lui confier exclusivement des tâches à finalité technique, s’analyse en une modification des éléments essentiels du contrat de travail en ce qu’il constitue une perte significative de ses responsabilités issues de la qualification professionnelle à laquelle il a accédé à compter de 2012 et non un simple allégement de ses tâches comme prétendu par l’employeur, auquel le salarié n’a pas consenti.

En conséquence, le jugement entrepris est infirmé en ce qu’il déboute M. [O] de sa demande de restauration de fonctions en qualité de co-responsable de service.

Il convient d’enjoindre à la société Quevilly Habitat de rétablir M. [W] [O] dans ses fonctions, telles qu’elles sont décrites dans la fiche de poste du 21 mai 2012, ce sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé le délai d’un mois à compter de la signification de l’arrêt.

La cour condamne la société Quevilly Habitat au paiement de la somme de 1 500 euros au titre du préjudice subi consécutivement aux manquements dans l’exécution du contrat de travail.

Sur les faits de harcèlement moral

Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale de compromettre son avenir professionnel.

L’article L. 1154-1 du même code prévoit qu’en cas de litige, le salarié concerné présente des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et il incombe à l’employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

M. [W] [O] invoque avoir été victime de harcèlement moral de la part son employeur depuis 2016 en raison d’une modification de son contrat de travail sans son consentement, d’une remise en cause de son travail et de son attitude professionnelle, d’importantes pressions et de sanctions prononcées injustement, lesquelles ont causé une dégradation de ses conditions de travail et ont eu une incidence sur son état de santé, se traduisant notamment par un épuisement professionnel, des troubles anxio dépressifs et des troubles du sommeil.

Pour les motifs sus développés, il est établi que l’employeur a modifié les fonctions du salarié dans des conditions irrégulières, en réduisant de manière significative ses responsabilités, sans qu’une telle perte ne puisse se justifier objectivement par la seule modification de l’organisation du service et la mise à pied disciplinaire notifiée le 15 janvier 2018 a été annulée, le salarié n’ayant pas été régulièrement convoqué en entretien préalable ce qui ne lui permettait pas d’apporter ses explications sur les manquements que l’employeur lui imputait.

Pour le reste, pour étayer ses autres affirmations, M. [O] produit :

-Un échange de courriels des 9 et 10 avril 2018 avec M. [N] [R] et Mme [V] [U], Directrice des Ressources Humaines, concernant un refus d’octroi de congés payés pour le 2 mai 2018 à M. [O] pour assurer le ‘respect de la règle de 50% de techniciens présents’, le salarié estimant que cette règle n’aurait pas été opposée à d’autres salariés de l’entreprise dans la validation de leurs congés ;

-Un relevé des refus opposés par M. [N] [R] à M. [O] pour absence de précision du motif concernant quatre demandes de récupération des heures supplémentaires ;

-Un relevé de la plate-forme OCTIME WEB, outil informatique utilisé par l’employeur pour les demandes de congés payés, ainsi qu’un courriel du 9 décembre 2019 relatant une absence de réponses à des demandes de congés payés sollicitées par M. [O] en mars et octobre 2019 ;

-un avertissement notifié le 12 décembre 2019 pour avoir refusé à trois reprises son intervention lors de son astreinte du 12 au 18 octobre 2019 mais aussi pour ne pas avoir honoré un rendez-vous le 25 octobre 2019 avec un locataire et de mentionner sur la fiche d’intervention ‘ locataire aigri’et sa lettre du 16 décembre 2019 aux termes de laquelle il conteste les faits ;

-Un certificat médical du 11 juillet 2017 établi par son médecin traitant et relatant un état de ‘burn-out’ pour l’arrêt de travail allant du 21 novembre 2016 au 21 décembre 2016 ;

-Une fiche d’aptitude médicale du 10 janvier 2017 établi par le médecin du travail le déclarant apte mais précisant ‘sous surveillance médicale’ avec mise en place d’une surveillance médicale renforcée ;

-Un arrêt de travail du 16 décembre 2019 établi par le médecin traitant de M. [O] jusqu’au 26 décembre 2019 et relatant ‘un syndrome anxio dépressif ‘attribué par le patient à une souffrance au travail’, Troubles du sommeil, céphalées, troubles de l’humeur’.

En l’état des explications et des pièces fournies, M. [O] présente ainsi l’existence matérielle de faits précis et concordants, qui pris dans leur ensemble permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral à son encontre.

L’employeur soutient n’avoir commis aucun fait de harcèlement moral puisque l’avertissement du 16 novembre 2016 était justifié, que le salarié n’a fait l’objet d’aucun traitement différencié s’agissant du traitement de ses demandes de congés et récupération et le nouvel avertissement notifié le 12 décembre 2019, évoqué en appel et donc non recevable en application de l’article 564 du code de procédure civile, est justifié et proportionné.

Les demandes nouvelles en cause d’appel, y compris en matière prud’homale, doivent être d’office déclarées irrecevables par application de l’article 564 du Code de procédure civile, sauf si elles sont formulées pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses, ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.

En l’espèce, M. [W] [O] ne présente pas une demande nouvelle en appel mais invoque des faits survenus après la décision du conseil de prud’hommes du 15 octobre 2019 au soutien de sa demande de harcèlement moral, de sorte qu’aucune irrecevabilité n’est encourue.

Concernant la modification des missions du salarié, pour les motifs précédemment développés, il est établi que M. [W] [O] a perdu des responsabilités dans le cadre de l’exercice de ses missions, sans que l’employeur n’apporte d’éléments permettant de le justifier objectivement, la seule nouvelle organisation du service ne pouvant fonder une perte de responsabilité qui font l’essence du statut de cadre.

Si l’avertissement du 15 novembre 2016 a été jugé comme justifié, en revanche la mise à pied disciplinaire du 15 janvier 2018 a été annulée, le salarié, irrégulièrement convoqué, n’ayant pu s’expliquer sur les manquements qui lui étaient imputés.

Concernant les refus opposés aux demandes de congés payés, s’il n’est pas discuté la règle imposant une présence de 50 % de techniciens pour en justifier, la réponse de M. [R] faisant valoir que M. [G], en tant que responsable de l’exploitation thermique, est soustrait du décompte des techniciens présents, apparaît être une justification insuffisante alors que dans les échanges de mails des 9 et 10 avril 2018 relatifs au refus opposé au salarié d’être en congés du 2 au 4 mai 2018, M. [W] [O] précise, sans être démenti, des dates au cours desquels, soit un technicien était seul, soit le technicien se trouvait en binôme avec M. [G].

Il résulte de la note de service du 10 janvier 2018 relative à la gestion des heures supplémentaires que les heures supplémentaires hors astreinte font l’objet de récupération au temps pour temps et que les demandes d’AUTA sont posées sur OCTIMES et déduites du solde d’heures supplémentaires.

Il en résulte que les quatre refus opposés les 7 et 9 mai par M. [R] au salarié pour une demande d’AUTA pour le 11 mai 2018 de 13h30 à 14h00 au prétexte notamment d’une absence de motif ne répondent pas aux prescriptions de la note susvisée qui n’impose pas de le préciser.

En revanche, l’avertissement notifié le 12 décembre 2019 dont seuls certains griefs sont contestés par le salarié est justifié et proportionné aux manquements non remis en cause.

Il résulte de ce qui précède que l’employeur échoue à établir le caractère objectif notamment de la modification des fonctions imposée au salarié impliquant une perte de responsabilités depuis 2016, le refus de ses congés et récupération d’heures supplémentaires, faits répétés qui pris dans leur ensemble ont entraîné une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale de compromettre son avenir professionnel, de sorte que le harcèlement moral est établi.

La cour infirme ainsi le jugement entrepris.

Compte tenu des circonstances du harcèlement moral et de sa durée, la situation persistant depuis 2016, des incidences sur l’état de santé du salarié, arrêté à deux reprises pour un syndrome anxio-dépressif, la cour lui alloue la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts

Sur les dépens et frais irrépétibles

En qualité de partie principalement succombante, la société Quevilly Habitat est condamnée aux entiers dépens y compris de première instance, déboutée de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile et condamnée à payer à M. [W] [O] la somme de 1 500 euros pour les frais générés par l’instance et non compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant contradictoirement,

Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a rejeté la demande d’annulation de l’avertissement du 16 novembre 2016 ;

L’infirme en ses autres dispositions ;

Statuant à nouveau,

Annule la mise à pied disciplinaire du 15 janvier 2018 ;

Enjoint à la société Quevilly Habitat de rétablir M. [W] [O] dans ses fonctions, telles que décrites dans la fiche de poste du 21 mai 2012, et d’établir une nouvelle fiche de poste conforme à celle du 21 mai 2012, et ce sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé le délai d’un mois à compter de la signification de l’arrêt ;

Condamne la société Quevilly Habitat à payer à M. [W] [O] les sommes suivantes :

dommages et intérêts pour manquement dans

l’exécution du contrat de travail : 1 500,00 euros

dommages et intérêts pour harcèlement moral : 3 000,00 euros

indemnité au titre de l’article 700 du code de

procédure civile : 1 500,00 euros

Déboute la société Quevilly Habitat de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Quevilly Habitat aux entiers dépens de première d’instance et d’appel.

La greffièreLa présidente

 


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