Épuisement professionnel : 8 septembre 2022 Cour d’appel de Chambéry RG n° 21/00623

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Épuisement professionnel : 8 septembre 2022 Cour d’appel de Chambéry RG n° 21/00623

COUR D’APPEL DE CHAMBÉRY

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 08 SEPTEMBRE 2022

N° RG 21/00623 – N° Portalis DBVY-V-B7F-GU57

[N] [U]

C/ Association MAISON COLUCHE DES RESTAURANTS DU COEUR DE HAUTE-S AVOIE Représentée par Monsieur [W] [H], son président en exercice

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’ANNEMASSE en date du 16 Mars 2021, RG F 19/00167

APPELANTE :

Madame [N] [U]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Audrey GUICHARD, avocat au barreau de THONON-LES-BAINS

INTIMEE et APPELANTE INCIDENT :

Association de la MAISON COLUCHE DES RESTAURANTS DU COEUR DE HAUTE-S AVOIE dont le siège social est sis [Adresse 2]

[Localité 3]

prise en la personne de son représentant légal

Représentée par la SAS MERMET & ASSOCIES, avocat au barreau de THONON-LES-BAINS

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 09 Juin 2022 en audience publique devant la Cour composée de :

Monsieur Frédéric PARIS, Président,

Monsieur Cyril GUYAT, Conseiller

Mme Elsa LAVERGNE, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Sophie MESSA,

********

Exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties

Mme [N] [U] a été engagée par l’association de la maison Coluche des restaurants du c’ur de Haute-Savoie le 9 mai 2011 en contrat à durée indéterminée en qualité de secrétaire administrative et comptable.

L’association compte plus de onze salariés.

Au dernier état de sa relation de travail, sa rémunération mensuelle brute se montait à 2214 euros.

Mme [N] [U] a été placée en arrêt de travail à compter du 13 juillet 2017.

Elle a été déclarée inapte par le médecin du travail par avis en date du 13 mai 2019.

Par courrier en date du 16 mai 2019, elle a été convoquée à un entretien préalable à éventuel licenciement fixé au 24 mai 2019.

Par courrier en date du 29 mai 2019, elle a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Par requête du 15 octobre 2019, Mme [N] [U] a saisi le conseil de prud’hommes d’Annemasse aux fins notamment de voir constater qu’elle a été victime de harcèlement moral, que l’employeur a exécuté de manière fautive et déloyale le contrat de travail et a manqué à son obligation de prévention et de sécurité de résultat, que son licenciement produit les effets d’un licenciement nul, et de voir condamner son employeur à lui verser diverses indemnités à ce titre.

Par jugement du 16 mars 2021, le conseil de prud’hommes d’Annemasse a:

– débouté Mme [N] [U] de ses demandes relatives au harcèlement moral, à l’exécution fautive et déloyale du contrat de travail, au manquement à l’obligation de prévention et de sécurité de résultat,

– dit que son licenciement pour inaptitude repose sur une cause réelle et sérieuse dont l’origine professionnelle n’est pas démontrée,

– condamné l’association de la maison Coluche des restaurants du c’ur de Haute-Savoie à payer à Mme [N] [U] la somme de 2000 € nets en réparation du préjudice subi du fait de l’absence de notification écrite des motifs empêchant son reclassement,

– débouté les parties de leurs autres demandes,

– condamné l’association de la maison Coluche des restaurants du c’ur de Haute-Savoie à payer la somme de 1500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens,

– ordonner l’exécution provisoire de la décision.

Par déclaration reçue au greffe le 19 mars 2021 par RPVA, Mme [N] [U] a interjeté appel de cette décision. L’association de la maison Coluche des restaurants du c’ur de Haute-Savoie a formé appel incident.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 14 juin 2021, auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des faits, de la procédure des prétentions et des moyens, Mme [N] [U] demande à la cour de :

– confirmer le jugement du conseil de prud’hommes en ce qu’il a dit que l’employeur, en ne précisant pas les motivations de son impossibilité de reclassement, n’avait pas respecté son obligation de reclassement, en ce qu’il a condamné l’employeur à lui payer la somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens,

– réformer le jugement entrepris pour le surplus,

Statuant à nouveau:

– condamner l’association la maison Coluche des restaurants du c’ur de Haute-Savoie à lui verser:

* 20’000 € nets de dommages-intérêts au titre des manquements de l’employeur à son obligation de prévention des risques professionnels,

* 35’000 € nets de dommages-intérêts au titre du harcèlement moral,

*30’000 € nets de dommages-intérêts au titre du licenciement nul,

* 4428 € d’indemnité équivalente à l’indemnité compensatrice de préavis, outre 443 € de congés payés afférents,

* 3890,71 euros au titre de l’indemnité spéciale de licenciement,

* 2500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

Au soutien de ses demandes, Mme [N] [U] explique que bien qu’engagée comme secrétaire comptable, elle remplissait en fait des fonctions de comptable, sans aucune reconnaissance ni revalorisation salariale. Cet état de fait a été reconnu par le nouveau directeur en 2015, mais ce constat n’a pas été suivi d’effet. Elle a alors indiqué qu’elle s’en tiendrait désormais à ses fonctions de secrétaire comptable, ce qui a été très mal accueilli par le directeur. Dès lors ses conditions de travail se sont dégradées : elle a subi des reproches et sanctions injustifiés, des propos déplacés, humiliants et insultants, une opposition systématique, un dénigrement auprès des membres du bureau, une mise à l’écart, un entretien vexatoire en juillet 2017, une différence de traitement s’agissant des congés payés.

Ce harcèlement moral a eu un impact sur sa santé, ainsi qu’en attestent les éléments médicaux qu’elle verse aux débats.

Elle établit ainsi des éléments de fait laissant supposer l’existence de faits de harcèlement. L’employeur ne produit aucune pièce en réponse.

Elle avait elle-même, ainsi que des membres du bureau, alerté sur sa situation, mais aucune enquête n’a jamais été diligentée, en violation de l’obligation de sécurité.

Le harcèlement moral étant caractérisé, son licenciement pour inaptitude, qui en est la conséquence, est nul. Subsidiairement il est sans cause réelle et sérieuse puisque l’employeur n’a pas respecté son obligation de reclassement, aucune proposition d’aménagement de poste ou de reclassement ne lui ayant été faite.

En tout état de cause, aucune notification écrite des motifs empêchant son reclassement ne lui a été faite avant l’engagement de la procédure de licenciement.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 24 août 2021, auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens, l’association de la maison Coluche des restaurants du c’ur de Haute-Savoie demande à la cour d’appel de :

– confirmer le jugement du conseil de prud’hommes en ce qu’il a débouté Mme [N] [U] de ses demandes relatives au harcèlement moral, à l’exécution fautive et déloyale du contrat de travail, au manquement à l’obligation de prévention et de sécurité de résultat,

– confirmer le jugement du conseil de prud’hommes en ce qu’il a dit que le licenciement pour inaptitude de Mme [N] [U] repose sur une cause réelle et sérieuse,

– réformer le jugement du conseil de prud’hommes pour le surplus,

Statuant à nouveau:

– débouter Mme [N] [U] de toutes ses demandes,

– condamner Mme [N] [U] à lui payer la somme de 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

Au soutien de ses demandes, l’association de la maison Coluche des restaurants du c’ur de Haute-Savoie explique que la salariée elle-même soutient que le harcèlement dont elle se dit victime aurait eu lieu entre le 1er janvier 2017 et et le 12 juillet 2017. Les pièces qu’elle produit s’agissant des années 2015 et 2016 démontrent qu’elle avait seulement des désaccords avec le bureau de l’association et le directeur. Tous les éléments invoqués antérieurs au 1er janvier 2017 doivent donc être écartés.

Mme [N] [U] rechignait à faire son travail et avait des relations professionnelles fermées avec le directeur, contestait toutes ses décisions.

Son arrêt de travail du 13 juillet 2017 est en relation avec un accident mortel de train dont elle a été témoin le 11 juillet 2017.

Un délégué du personnel a indiqué à la salariée qu’elle devait faire des efforts. Celui-ci n’a pas utilisé le droit d’alerte qu’il avait s’il constatait des faits de harcèlement moral.

L’association a consulté le délégué du personnel le 15 mai 2019, et à l’issue ils ont tous deux conclu à l’impossiblité de reclassement. Le non respect de la formalité tendant à faire connaître par écrit les raisons de l’impossibilité de reclassement n’affecte pas la légitimité de la rupture et ouvre seulement droit à des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi. Or, Mme [N] [U] ne justifie pas de son préjudice.

L’instruction de l’affaire a été clôturée le 4 février 2022.

L’affaire a été évoquée à l’audience du 9 juin 2022, et la décision a été mise en délibéré au 8 septembre 2022.

Motifs de la décision

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l’article L 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Dès lors que sont caractérisés ces agissements répétés, fussent sur une brève période, le harcèlement moral est constitué indépendamment de l’intention de son auteur.

Suivant les dispositions de l’article L1154-1 du même code, lorsque le salarié présente des éléments de fait, il appartient au juge d’apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral; dans l’affirmative, il appartient ensuite à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement et le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de gestion mises en ‘uvre par un supérieur hiérarchique dès lors qu’elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Le harcèlement moral n’est en soi, ni la pression, ni le surmenage, ni le conflit personnel ou non entre salariés, ni les contraintes de gestion ou le rappel à l’ordre voire le recadrage par un supérieur hiérarchique d’un salarié défaillant dans la mise en ‘uvre de ses fonctions.

Les règles de preuve plus favorables à la partie demanderesse ne dispensent pas celle-ci d’établir la matérialité des éléments de fait précis et concordants qu’elle présente au soutien de l’allégation selon laquelle elle subirait un harcèlement moral au travail.

En premier lieu, il convient de constater que la seule phrase ‘je passe sous silence, pour le moment, la période que j’ai vécue du 01 janvier 2017 au 12 juillet 2017 au sein de la maison Coluche’ figurant dans le courrier adressé le 12 juin 2019 par Mme [N] [U] à son employeur ne saurait signifier que celle-ci a entendu limiter entre ces deux dates la période durant laquelle elle soutient avoir été victime de harcèlement moral, puisqu’elle produit par ailleurs plusieurs pièces démontrant qu’elle se plaint de difficultés avec son employeur sur une période antérieure.

Les pièces produites démontrent que Mme [N] [U], initialement engagée en mai 2011 comme secrétaire administrative et comptable, a dans les faits exercé très rapidement (le contrat avec l’expert comptable de l’association ayant été dénoncé en janvier 2012, élément que ne conteste pas l’employeur) des fonctions de comptable excédant les fonctions qui lui étaient confiées dans le cadre de son contrat de travail. Elle donnait toute satisfaction dans son travail ainsi qu’en témoignent Mme [F] [O] et M. [I] [G].

Mme [F] [O], chargée de mission auprès de l’association, atteste par ailleurs que le directeur de cette dernière adoptait un comportement harcelant, voire méprisant, notamment vis-à-vis de Mme [N] [U]. Cette personne évoque un fait précis qui se serait déroulé en février 2016: le directeur M. [S] [E] aurait faussement accusé Mme [N] [U] d’avoir transmis un courriel à un journaliste, accusation assortie de menaces, avant de reconnaître qu’il avait lui-même transmis ce courriel.

Mme [N] [U] produit une attestation de M. [I] [G], trésorier bénévole de l’association d’avril 2014 à septembre 2016, qui indique que le directeur [S] [E] a, quelques mois après son entrée en fonction, commencé à faire des reproches à la salariée, attitude qui s’est amplifiée par la suite. Il précise que celui-ci avait cherché à démontrer que Mme [N] [U] ne faisait pas les heures prévues à son contrat compte-tenu de ses pauses cigarettes, qu’il s’était vivement opposé à l’augmentation de sa rémunération. Il indique qu’il avait demandé à M. [S] [E] de ne plus faire de ‘fixation’ sur Mme [N] [U].

La salariée produit un courriel de M. [I] [G] du 5 février 2015 adressé notamment à M. [Z] [T], président à l’époque de l’association, par lequel il lui indique qu’il a croisé Mme [N] [U] et l’a trouvée à bout, au bord de la rupture, et qu’il a compris après avoir discuté avec elle qu’elle souhaitait une revalorisation salariale, une reclassification au regard du réel travail de comptable qu’elle exerçait et une clarification de ses activités. Il ajoute estimer que ses revendications salariales sont fondées mais qu’elles interviennent dans une phase de restriction budgétaire qui devrait interdire toute hausse des dépenses.

Le courriel de M. [S] [E] du 7 septembre 2015 décrit ainsi la situation dans laquelle se trouvait Mme [N] [U]: ‘Lors de mon arrivée, [N] estimait mériter une reconnaissance du travail qu’elle faisait. Elle prétendait à un poste de comptable unique et un salaire qu va de pair (…). A mon sens, elle a répondu à vos attentes de salariés mais aussi aux miennes. Elle a aussi fait un travail important associatif (préparation des bilans, aide au CAC…). [I] a reconnu se reposer souvent sur elle pour beaucoup de choses. Outre le fait qu’elle le fait avec plaisir, elle regrette que cela ne soit pas valorisé. Donc je me positionne ainsi, deux choix s’offrent à moi: soit il lui est proposé une prime conséquente en fonction du travail associatif qu’ellef aitet qui me semble très important (quand même), soit il lui est proposé le cadre de comptable unique avec salaire augmenté conséquemment. Si elle devient comptable unique, le travail de l’association qu’elle fait mais ne devrait pas sera ajouté à sa fiche de poste’.

Dans un courrier adressé à M. [Z] [T], alors président de l’association, le 16 novembre 2015, Mme [N] [U] lui indique que, compte-tenu des propositions qui lui étaient faites, et qui ne la satisfaisaient pas, d’une éventuelle requalification de son poste sans augmentation de salaire ou de garder son titre de secrétaire administrative et comptable avec une prime annuelle, elle souhaitait désormais qu’un expert-comptable soit engagé par l’association et entendait désormais s’en tenir à sa fiche de poste.

Les courriels et courriers produits par la salariée démontrent que ses échanges avec sa direction se sont par la suite durcis.

Mme [N] [U] produit un courriel que lui a envoyé M. [S] [E] le 18 janvier 2016, dans lequel celui-ci lui indique ‘Si je comprends vos griefs et votre mécontentement, je ne cautionne pas votre comportement qui est présent depuis mon arrivée et qui s’est encore plus dégradé avec le refus de l’association de vous augmenter. (…) Votre mauvaise humeur constante et vos griefs récurrents envers les autres salariés deviennent à la longue néfastes à votre travail, pénalisant le fonctionnement de la maison Coluche et les relations que vous avez … (mention de la cour: fin de phrase illisible). Si jusque là j’ai été tolérant et compréhensif, cela vient de changer et je souhaite évoquer la situation de vive voix. Je vous laisse le choix de la date de notre rencontre’.

Dans son courriel de réponse du 19 janvier 2016, elle évoque les reproches incessants que lui ferait M. [S] [E] depuis le 11 décembre 2015, des directives données oralement puis contredites.

Dans un courriel du 13 avril 2016 adressé à M. [S] [E], Mme [N] [U] lui soutient que depuis mi-décembre 2015, il ne cesse de s’acharner sur elle par des reproches incessants, des accusations sans fondement et des demandes ne répondant pas à sa qualification.

Dans un courriel du 22 juin 2016, M. [I] [G] indique à M. [S] [E] qu’il a peur que le fait que ce dernier montre régulièrement son opposition à [N] [U] nuise à l’association, car celle-ci peut avoir de bonnes idées et elle risque de ne plus oser rien dire.

Dans un courriel du 7 janvier 2017, Mme [N] [U] indique à M. [W] [H], président de l’association, avoir subi une ‘humiliation publique’ lors d’une réunion le 3 janvier 2017 de la part d'[S] [E], celui-ci lui ayant notamment dit ‘je vais te répondre en 5 lettres commençant par un M’, devant trois collègues, et ayant évoqué le fait qu’elle pourrait avoir de gros problèmes si elle continuait dans ce sens. Elle précise que M. [S] [E] lui avait déjà dit ‘tu me gonfles’ devant quatre collègues lors d’une réunion le 11 avril 2016.

Mme [N] [U] produit un document qu’elle a rédigé et dans lequel elle soutient que lors de sa réunion d’évaluation annuelle du 6 juillet 2017, M. [S] [E] lui a indiqué qu’il lui était très difficile de rester poli avec elle car leurs caractères étaient incompatibles, puis a porté contre elle plusieurs accusations, et notamment le fait que tout le monde se plaignait d’elle.

Elle produit une lettre d’avertissement du 15 novembre 2017 signée de M. [W] [H], car elle a consulté en ligne les comptes bancaires de l’association durant son congé maladie.

Elle produit un certificat médical du 13 juillet 2017 mentionnant qu’elle a présenté ‘un syndrôme de stress post-traumatique aigü, un syndrôme dépressif, un burn-out’ (soit un épuisement professionnel).

Elle produit enfin un certificat médical d’un psychiatre en date du 21 mai 2019 indiquant qu’il a suivi la salariée au CMP entre février et mai 2019, que celle-ci lui a indiqué qu’elle avait subi du harcèlement moral sur son lieu de travail, et qu’il a pu relever lors de leurs entretiens des éléments relevant d’un stress majeur sur son lieu de travail.

Mme [N] [U] établit ainsi l’existence matérielle de faits précis et concordants, qui pris dans leur ensemble permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral à son encontre.

L’employeur ne produit aucune pièce aux débats.

Il soutient que M. [S] [E] et Mme [N] [U] ne s’entendaient pas et avaient des relations professionnelles fermées, que Mme [N] [U] rechignait, ‘comme à son habitude’, à faire son travail, contestait toutes les décisions prises par son supérieur hiérarchique, se complaisait dans une attitude d’opposition, qu’un délégué du personnel lui avait même indiqué qu’elle devait faire des efforts.

L’employeur n’apporte aucune réponse aux propos de M. [I] [G] et de Mme [F] [O] selon lesquelles le supérieur hiérarchique de la salariée aurait eu une attitude harcelante voire méprisante envers elle, aurait fait une ‘fixation’ sur elle, se serait montré régulièrement opposant face à elle.

Il ne produit aucun élément de nature à démontrer que l’attitude de M. [S] [E] envers la salariée s’inscrivait dans la nécessité de rappeler à l’ordre une employée défaillante dans l’exercice de ses fonctions, ce dernier point n’étant d’ailleurs pas plus établi, étant par ailleurs rappelé que Mme [N] [U] était en droit de s’opposer à effectuer des tâches qui ne rentraient pas dans le cadre de son contrat de travail (M. [S] [E] reconnaît dans son courrier du 6 juillet 2017: ‘Les précédentes gouvernances, par simplicité, vous ont demandé d’effectuer des tâches non définies dans votre fiche de poste’).

Il n’apporte aucune réponse aux propos qu’aurait tenus selon la salariée M. [S] [E] à son égard en présence d’autres salariés: ‘je vais te répondre en 5 lettres commençant par un M’, ‘tu me gonfles’.

Il n’apporte aucune explication quant à l’absence de prise en compte et de valorisation du travail réel effectué par Mme [N] [U], reconnu par le directeur M. [S] [E] dans son courriel du 7 septembre 2015.

Ainsi, l’employeur ne démontre pas que les faits matériellement établis par Mme [N] [U] sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le harcèlement moral est établi.

Sur la demande de dommages et intérêts au titre du préjudice moral subi du fait du harcèlement

Mme [N] [U] produit un certificat médical du 13 juillet 2017 constatant notamment un burn-out, c’est-à-dire un syndrôme d’épuisement professionnel.

Elle produit un certificat d’un psychiatre indiquant l’avoir suivie de février à mai 2019 et ayant constaté des éléments relevant d’un stress majeur sur son lieu de travail avec humeur triste et état anxieux, ce près de deux ans après son licenciement.

Elle ne produit pas d’autre élément de nature à justifier son préjudice du fait du harcèlement moral qu’elle a subi dans le cadre de son travail.

Compte-tenu de ces éléments, la décision du conseil de prud’hommes sera infirmée et l’association de la maison Coluche des restaurants du c’ur de Haute-Savoie sera condamnée à verser à Mme [N] [U] la somme de 1500 euros de dommages et intérêts à ce titre.

Sur le licenciement

En application des dispositions de l’article L.1152-3 du code du travail, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.

Le licenciement pour inaptitude est nul lorsque l’inaptitude trouve sa cause directe et certaine dans des actes de harcèlement moral commis par l’employeur.

Il résulte de l’examen des pièces produites par la salariée qu’elle établit avoir subi une dégradation importante de sa santé psychique concomitament aux faits répétés subis dans le cadre de son travail, dont la cour a constaté qu’ils étaient constitutifs de harcèlement moral: le certificat médical du 13 juillet 2017 mentionne qu’elle a présenté ‘un syndrôme de stress post-traumatique aigü, un syndrôme dépressif, un burn-out’, soit un épuisement professionnel, et celui d’un psychiatre en date du 21 mai 2019 indiquant qu’il a suivi la salariée au CMP entre février et mai 2019, que celle-ci lui a indiqué qu’elle avait subi du harcèlement moral sur son lieu de travail, et qu’il a pu relever lors de leurs entretiens des éléments relevant d’un stress majeur sur son lieu de travail, éléments subsistant donc près de deux ans après le début de son arrêt de travail.

Il importe peu que les difficultés psychiques et l’arrêt de travail de la salariée soient également en lien avec l’accident de train dont elle a été témoin le 11 juillet 2017, ainsi qu’il en résulte notamment de l’écrit de la salarié relatant la période du 6 au 12 juillet 2017 qu’elle a vécue, dans la mesure où la cour dispose d’éléments suffisants pour considérer que la dégradation de l’état de santé de Mme [N] [U] ayant conduit à son inaptitude était au moins pour partie la conséquence directe et certaine des actes de harcèlement moral dont elle a été victime.

Par conséquent, il y a lieu d’infirmer la décision du conseil de prud’hommes sur ce point et de déclarer son licenciement nul en application des dispositions de l’article L. 1152-3 du code du travail.

Sur l’indemnité de préavis

La salariée justifie de plus de deux ans d’ancienneté. En application des dispositions des articles L1234-1 et L1234-5 du code du travail, celle-ci a droit à une indemnité de préavis équivalente à deux mois de salaire, soit 4428 euros, outre 442,80 euros au titre des congés payés afférents . La décision du conseil de prud’hommes sur ce point sera infirmée.

Sur l’indemnité pour licenciement nul

L’indemnité pour licenciement nul est au moins égal aux salaires des six derniers mois, en application des dispositions de l’article L 1235-3-1 du code du travail.

Mme [N] [U] est entré au service de l’association de la maison Coluche des restaurants du c’ur de Haute-Savoie le 9 mai 2011 en CDI. Elle était âgée de 59 ans à la date de son licenciement. Elle percevait à la date de son arrêt de travail ayant conduit à la constatation de son inaptitude un salaire mensuel brut de 2214 euros sur treize mois, outre 52,38 euros par mois de prime d’ancienneté, soit 29411 euros brut par an. L’employeur ne conteste pas les estimations de la salariée selon laquelle celle-ci aurait perçu 18174 euros en 2017, 20847 euros en 2018, 14698 euros en 2019, 16032 euros en 2020 et 12002 euros en 2021 (dernières allocations chômage versées en août 2021).

Au regard de ces éléments, la décision du conseil de prud’hommes sera infirmée, et l’association de la maison Coluche des restaurants du c’ur de Haute-Savoie sera condamnée à verser à ce titre à Mme [N] [U] la somme de 20000 euros net.

Sur la demande au titre de l’indemnité spéciale de licenciement

Le licenciement pour inaptitude n’ayant pas été prononcé en lien avec un accident du travail ou une maladie professionnelle, cette indemnité n’est pas dûe. La décision du conseil de prud’hommes sera donc confirmée en ce qu’elle a débouté Mme [N] [U] de sa demande à ce titre.

Sur la demande au titre de l’absence de notification écrite des motifs empêchant le reclassement

Le principe de la réparation intégrale du préjudice impose que l’irrégularité de la procédure de licenciement soit réparée, même si la nullité du licenciement est prononcée (Cass soc 23 janvier 2008, n°06-42.919).

L’employeur ne conteste pas ne pas avoir notifié par écrit à la salariée les motifs empêchant son reclassement, ce qui ressort également des pièces produites aux débats, ce qui constitue une irrégularité de procédure sur le fondement de l’article L1226-12 du code du travail.

En application des dispositions des articles L 1226-12 et L1235-2 du code du travail, la décision du conseil de prud’hommes sera confirmée en ce qu’elle a alloué à Mme [N] [U] la somme de 2000 euros net à ce titre.

Sur la demande de dommages et intérêts au titre des manquements à l’obligation de sécurité

En application de l’article L. 4121-1 du code du travail, l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels ;

2° Des actions d’information et de formation ;

3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.

L’article L. 4121-2 du même code précise que l’employeur met en ‘uvre les mesures prévues à l’article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :

1° Eviter les risques ;

2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;

3° Combattre les risques à la source ;

4° Adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;

5° Tenir compte de l’état d’évolution de la technique ;

6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;

7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral, tel qu’il est défini à l’article L. 1152-1 ;

8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;

9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.

Par ailleurs, il résulte des dispositions de l’article L1152-4 du code du travail que l’employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.

En l’espèce, par un courriel du 5 février 2015 adressé notamment à M. [Z] [T], président à l’époque de l’association, M. [I] [G], trésorier de l’association, indiquait qu’il trouvait Mme [N] [U] à bout, au bord de la rupture, et qu’il avait compris après avoir discuté avec elle qu’elle souhaitait une revalorisation salariale, une reclassification au regard du réel travail de comptable qu’elle exerçait et une clarification de ses activités.

Il n’est pas démontré par l’employeur qu’il ait réagi de façon diligente face à ce courriel qui l’informait des difficultés potentielles de sa salariée. Une réunion concernant la situation de Mme [N] [U] ne va intervenir que le 9 novembre 2015, soit neuf mois après l’alerte de M. [I] [G].

M. [Z] [T] a été destinataire de courriels en janvier 2016, avril 2016 et juin 2016 démontrant une persistance et une intensification du conflit entre Mme [N] [U] et M. [S] [E], son supérieur hiérarchique. La première y accusait le second de ne cesser de s’acharner sur elle par des reproches incessants, des accusations sans fondement, des dénigrements et des demandes ne répondant pas à sa qualification.

Il n’est pas démontré par l’employeur qu’il ait réagi à l’époque à ces courriels qui faisaient état d’une situation susceptible d’altérer la santé psychique de la salariée.

Il résulte ainsi de ces constatations que l’employeur, qui avait connaissance du conflit opposant la salariée à son supérieur hiérarchique direct et de l’impact que ce conflit était susceptible d’avoir su sa santé psychique, n’a pas pris toutes les mesures de prévention nécessaires ni les mesures propres à faire cesser cette situation, de sorte qu’il n’a pas rempli son obligation de sécurité envers elle.

Cette inaction a causé un grief à la salariée en ce qu’elle a facilité la survenance des faits de harcèlement moral qui ont au moins en partie conduit à l’arrêt de travail de la salarié et au constat de son inaptitude.

Compte-tenu de ces éléments, la décision du conseil de prud’hommes sera infirmée et l’association de la maison Coluche des restaurants du c’ur de Haute-Savoie sera condamnée à verser à Mme [N] [U] la somme de 1500 euros de dommages et intérêts à ce titre.

Sur le remboursement des allocations chômage versées à la salariée

Il conviendra, conformément aux dispositions de l’article L. 1235-4 du code du travail, d’ordonner d’office le remboursement des allocations chômages perçues par la salariée du jour de son licenciement au jour de la présente décision dans la limite de six mois, les organismes intéressés n’étant pas intervenus à l’audience et n’ayant pas fait connaître le montant des indemnités versés.

Une copie de la présente décision sera adressée à Pôle Emploi à la diligence du greffe de la présente juridiction.

Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens

La décision du conseil de prud’hommes sera confirmée en ce qu’elle a condamné l’employeur aux dépens ainsi qu’à verser à Mme [N] [U] la somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

L’association de la maison Coluche des restaurants du c’ur de Haute-Savoie sera par ailleurs condamnée à verser àMme [N] [U] la somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel, ainsi qu’aux dépens de la procédure d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Déclare Mme [N] [U] et l’association maison Coluche des restaurants du c’ur de Haute-Savoie recevables en leurs appel et appel incident,

Confirme le jugement du conseil de prud’hommes d’Annemasse du 16 mars 2021 en ce qu’il a :

– débouté Mme [N] [U] de sa demande au titre de l’indemnité spéciale de licenciement,

– condamné l’association maison Coluche des restaurants du c’ur de Haute-Savoie à verser à Mme [N] [U] la somme de 2000 euros au titre de l’absence de notification par écrit des motifs s’opposant à son reclassement,

– condamné l’association maison Coluche des restaurants du c’ur de Haute-Savoie à verser à Mme [N] [U] la somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de prcoédure civile ainsi qu’aux dépens de première instance,

Infirme pour le surplus,

Et statuant à nouveau:

Dit que le licenciement pour inaptitude de Mme [N] [U] est nul,

Condamne l’association maison Coluche des restaurants du c’ur de Haute-Savoie à verser à Mme [N] [U] :

– 20000 euros net d’indemnité au titre de la nullité du licenciement,

– 4428 euros, outre 442,80 euros au titre des congés payés afférents au titre de l’indemnité de préavis,

– 1500 euros net de dommages et intérêts au titre du harcèlement moral,

– 1500 euros net de dommages et intérêts au titre du manquement à l’obligation de sécurité,

Y ajoutant,

Ordonne le remboursement des allocations chômages perçues par la salariée du jour de son licenciement au jour de la présente décision dans la limite de six mois,

Dit qu’une copie de la présente décision sera adressée à Pôle Emploi à la diligence du greffe de la présente juridiction,

Condamne l’association maison Coluche des restaurants du c’ur de Haute-Savoie aux dépens de l’instance d’appel,

Condamne l’association maison Coluche des restaurants du c’ur de Haute-Savoie à verser à Mme [N] [U] la somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Ainsi prononcé publiquement le 08 Septembre 2022 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur Frédéric PARIS, Président, et Madame Delphine AVERLANT, faisant fonction de Greffier pour le prononcé auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

 


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