COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
15e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 08 DÉCEMBRE 2022
N° RG 20/01744 – N° Portalis DBV3-V-B7E-T7Z5
AFFAIRE :
E.P.I.C. INSTITUT DE [6] – IRSN
C/
[Z] [G] épouse [T]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 02 Juillet 2020 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT
N° Section : E
N° RG : F 18/00790
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Christophe DEBRAY
Me Oriane DONTOT de l’AARPI JRF AVOCATS
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE HUIT DÉCEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant, initialement fixé au 27 octobre 2022, puis prorogé au 17 novembre 2022, puis prorogé au 08 décembre 2022, les parties ayant été avisées dans l’affaire entre :
E.P.I.C. INSTITUT DE [6] – IRSN
N° SIRET : 440 546 018
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentant : Me Mikaël PELAN de la SELARL LUSIS AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0081 – Représentant : Me Christophe DEBRAY, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627
APPELANTE
****************
Madame [Z] [G] épouse [T]
née le 13 Décembre 1967 à [Localité 5] (28)
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentant : Me Christine CAMBOS de la SELEURL CAMBOS AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B0106 – Représentant : Me Oriane DONTOT de l’AARPI JRF AVOCATS, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 13 Septembre 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Régine CAPRA, Présidente chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Régine CAPRA, Présidente,
Monsieur Thierry CABALE, Président,
Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Sophie RIVIERE,
EXPOSE DU LITIGE
Mme [Z] [G] épouse [T], dite ci-après Mme [G]-[T], a été engagée à compter du 6 mars 2000, par contrat de travail à durée indéterminée, par le Commissariat à l’Energie Atomique en qualité d’ingénieur, E3, coefficient 561.
Son contrat de travail a été transféré de plein droit à compter du 28 février 2002 à l’Institut de [6], dit ci-après l’IRSN.
Elle a été nommée le 10 juillet 2013 à la fonction d’expert confirmé de l’IRSN pour un mandat de quatre ans.
Après avoir exercé, au sein du pôle sûreté des installations et systèmes nucléaires, la fonction de chef du service de sûreté des transports et des installations du cycle du combustible (PSN-EXP/SSTC), elle a été nommée à compter du 1er décembre 2016 à la fonction d’adjointe au directeur de l’expertise nucléaire de défense (PDS-DEND).
Classée ingénieur recherche, niveau H, 1138,34 points, elle percevait en dernier lieu un salaire mensuel brut de base de 6 221,71 euros, auquel s’ajoutait un sursalaire familial de 50 euros.
Mme [G]-[T] a été en arrêt de travail pour maladie du 14 novembre au 22 décembre 2017.
Une lettre collective signée par 43 salariés a été adressée le 14 février 2018 au directeur général de l’IRSN lui faisant part de leur vive inquiétude quant à la dégradation continue du contexte de travail au sein de PDS-DEND depuis de nombreux mois.
Mme [G]-[T] a été convoquée le 21 février 2018 à un entretien préalable à une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement, qui s’est déroulé le 6 mars 2018.
Elle a déclaré avoir subi le 6 mars 2018 un choc émotionnel intense lors de l’entretien préalable et un certificat médical d’accident du travail lui a été délivré le 7 mars 2018 avec arrêt de travail jusqu’au 31 mars 2018, que la Cpam a refusé de prendre en charge au titre de la législation sur les risques professionnels.
Elle a été licenciée pour faute grave le 23 mars 2018. Il lui a été reproché un management intrusif et directif et une absence d’écoute se traduisant par une ingérence dans les activités des opérationnels outrepassant ses fonctions, à l’origine d’une dégradation des conditions de travail au sein de la DEND.
Contestant son licenciement, invoquant une discrimination en raison de son état de santé et estimant ne pas avoir été remplie de ses droits, Mme [G]-[T] a saisi le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt, par requête reçue au greffe le 14 juin 2018, afin d’obtenir le paiement de diverses sommes.
Par jugement du 2 juillet 2020, auquel renvoie la cour pour l’exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt a :
– jugé que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse en raison de la violation des règles qui président au fonctionnement des délégations de pouvoirs telles que rappelées par les articles 4 de la décision de délégation de signature du directeur général et de l’article 13 C alinéa 5 du règlement intérieur relatif à l’organisation de l’IRSN en matière disciplinaire, la délégation de signature prenant effet postérieurement à la notification du licenciement ;
– condamné l’IRSN au paiement de :
*l’indemnité conventionnelle de licenciement d’un montant de 66 142,93 euros tel que prévu par l’accord d’entreprise de IRSN du 21 octobre 2015 au regard de ses 18 ans d’ancienneté ;
*l’indemnité compensatrice de préavis correspondant à 3 mois, soit 18 815,13 euros et aux congés payés afférents soit 1 881,51 euros ;
*57 000 euros au titre des dommages-intérêts pour préjudice distinct et perte d’évolution de carrière ; *1 000 euros au titre du manquement de l’obligation de résultat sécurité ;
– ordonné l’exécution provisoire ;
– alloué le paiement des intérêts au taux légal à compter de la date d’introduction de l’instance,
– débouté la demanderesse de toutes ses autres demandes,
– débouté l’IRSN de l’ensemble de ses demandes,
– condamné l’IRSN aux entiers dépens et au paiement de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
L’IRSN a interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe du 3 août 2020.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 19 avril 2021, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens, l’IRSN demande à la cour :
¿ de réformer le jugement déféré en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de :
– débouter Mme [G]-[T] de l’ensemble de ses demandes,
– condamner Mme [G]-[T] à lui verser la somme de 3 500 euros au titre de l’article 700, outre les entiers dépens ;
¿ sur l’appel incident de Mme [G]-[T], débouter celle-ci de ses demandes de dommages-intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, de la violation par l’institut de son obligation de sécurité et du préjudice distinct pour perte d’évolution de carrière.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 29 mars 2022, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, Mme [G]-[T] demande à la cour :
¿ à titre principal, de :
– confirmer le jugement dont appel,
– constater que son licenciement lui a été notifié par lettre recommandée avec avis de réception en date du 23 mars 2018,
– constater que le directeur des ressources humaines a bénéficié d’une délégation de signature par acte en date du 20 avril 2018,
– constater que ladite délégation de signature a été publiée en date du 23 avril 2018,
– dire que le directeur des ressources humaines, M. [X] n’avait pas qualité pour signer la lettre de licenciement faute d’avoir bénéficié d’une délégation de signature, publiée de surcroît, antérieurement à l’envoi de la lettre de licenciement à cette dernière ;
– dire que son licenciement notifié par l’IRSN le 23 mars 2018 est, par conséquent, sans cause réelle ni sérieuse ;
– confirmer le jugement en ce qu’il a condamné l’IRSN à lui payer les sommes suivantes :
*66 142,93 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,
*18 815,13 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
*1 881,51 euros au titre des congés payés sur préavis ;
– la déclarer recevable et bien fondée en son appel incident ;
– réformer la décision dans son quantum et condamner l’IRSN à lui payer :
*90 939,80 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en application du barème d’indemnités prud’homales,
*25 086,84 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité,
*25 086,84 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice distinct dû à sa perte d’évolution de carrière ;
¿subsidiairement, de :
– réformer le jugement entrepris l’ayant déboutée de sa demande tendant à voir juger son licenciement nul pour discrimination et de ses demandes indemnitaires afférentes, et statuant à nouveau de ce chef :
– dire son licenciement nul pour discrimination en raison de son état de santé,
– condamner en conséquence l’IRSN à lui payer une indemnité de 112 890, 78 euros au titre de la nullité du licenciement en raison de son caractère discriminatoire ;
¿ à titre plus subsidiaire, de :
– dire que la preuve d’une faute grave n’est pas rapportée,
– constater que l’IRSN n’apporte pas la preuve du fait que son maintien à son poste de travail était devenu impossible,
– dire que son licenciement est dénué de faute grave,
– condamner en conséquence l’IRSN, à lui payer les sommes suivantes :
*90 939,80 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en application du barème d’indemnités prud’homales,
*25 086,84 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité,
*25 086,84 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice distinct dû à sa perte d’évolution de carrière,
¿ à titre infiniment subsidiaire, de :
– dire que son licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse,
– condamner l’IRSN à lui payer la somme de 90 939,80 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
¿ en tout état de cause :
– dire que les sommes susvisées porteront intérêts au taux légal à compter de l’introduction de l’instance devant le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt,
– condamner l’IRSN à lui payer une indemnité de 6 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile.
La clôture de l’instruction a été prononcée le 29 juin 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le licenciement
Mme [G]-[T] soutient que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse, dès lors qu’à défaut de délégation de signature, le directeur des ressources humaines n’avait pas qualité pour signer la lettre de licenciement.
L’IRSN fait valoir que, compte-tenu de ses fonctions, le directeur des ressources humaines est, par délégation de pouvoir tacite, habilité à prononcer un licenciement, que de jurisprudence constante la délégation n’a ni à être écrite, ni à être publiée, que l’accord d’entreprise relatif aux conditions d’emploi signé le 21 octobre 2015, postérieur au règlement intérieur de l’établissement, précise que le licenciement est prononcé par le directeur général ou son représentant, ce dont il résulte que l’IRSN a entendu accorder au directeur général la faculté de déléguer son pouvoir de prononcer le licenciement et qu’elle ne conteste d’ailleurs pas dans la présente procédure être engagée par la lettre de licenciement notifiée par l’un de ses représentants.
L’IRSN, établissement public industriel et commercial, est une personne morale de droit public, dont le fonctionnement était régi, au moment du licenciement de Mme [G]-[T], par l’article R. 592-1 à R. 592-23 du code de l’environnement dans sa rédaction issue du décret n°2016-283 du 10 mars 2016, devenus ultérieurement les articles R. 592-39 à R. 592-61.
Selon l’article R. 592-13, le directeur général de l’établissement, nommé par décret, assure la direction administrative et financière de l’établissement. Il exerce la direction des services et a, à ce titre, autorité sur le personnel. Il conclut les contrats de travail, recrute et licencie les salariés de toutes catégories. Il peut déléguer sa signature.
L’article 13 du règlement intérieur de l’IRSN énonce que les sanctions sont prononcées par le directeur général.
Selon l’article R. 592-23 du code de l’environnement, les conditions générales d’emploi et de travail ainsi que les garanties sociales des salariés de l’IRSN soumis au droit privé sont précisées par un accord d’entreprise conclu avec les organisations syndicales représentatives.
L’accord d’entreprise relatif aux conditions générales d’emploi au sein de l’IRSN prévoit en son article 4-402 :
– que tout salarié à l’égard duquel est envisagé un licenciement doit être reçu par le directeur des ressources humaines ou son représentant, en présence, éventuellement, de l’un de ses supérieurs hiérarchiques ; que lors de cet entretien, il peut se faire assister par un salarié ou par un représentant de l’organisation syndicale de son choix faisant partie du personnel de l’IRSN ;
– que l’entretien préalable réalisé, la proposition de licenciement est ensuite soumise à la commission d’examen des licenciements et des mesures disciplinaires qui rend un avis, sous réserve de l’acceptation du salarié ;
– que le licenciement est prononcé par le directeur général ou son représentant.
Aucune disposition légale ou réglementaire n’autorise le directeur général de l’IRSN à déléguer ses pouvoirs. La référence faite au représentant du directeur général dans l’article 4 de l’accord d’entreprise relatif aux conditions générales d’emploi au sein de l’IRSN ne saurait avoir cette portée. L’INRS est en conséquence mal fondée à soutenir que le directeur général de l’IRSN aurait tacitement délégué le pouvoir de licencier au directeur des ressources humaines.
Le directeur général de l’IRSN peut en revanche déléguer sa signature et autoriser ainsi un subordonné à le représenter pour signer certaines décisions à sa place, sous son contrôle et sa responsabilité. C’est en ce sens que la référence faite au représentant du directeur général dans l’article 4.402 de l’accord d’entreprise relatif aux conditions générales d’emploi au sein de l’IRSN doit s’interpréter.
Une telle délégation ayant un caractère personnel, prend fin en cas de changement de la personne du déléguant ou du bénéficiaire de la délégation.
La délégation de signature ne peut avoir d’effet rétroactif et doit faire l’objet d’une publicité suffisante pour être opposable aux tiers.
Il est établi que la lettre de licenciement notifiée à Mme [G]-[T] n’a pas été signée par M. [R] [O], nommé directeur général de l’établissement par décret du 20 avril 2016, mais par M. [L] [X], engagé comme directeur des ressources humaines en novembre 2017.
M. [R] [O] a, par acte du 20 avril 2018, publié sur le site internet de l’IRSN le 23 avril 2018, donné délégation de signature à M. [L] [X], à l’effet de signer, dans les domaines relevant de ses attributions, les décisions, correspondances et documents relevant des compétences du directeur général, telles que définies à l’article R. 592-13 du code de l’environnement, relatifs au recrutement, aux contrats de travail ainsi qu’à leur exécution et à leur rupture ainsi qu’à la formation professionnelle et à l’exercice du pouvoir disciplinaire. L’acte précise que cette décision abroge et remplace la délégation antérieure et qu’elle prend effet à compter de la date de sa publication sur le site internet de l’IRSN.
Il en résulte qu’à la date à laquelle M. [X] a notifié à Mme [G]-[T] son licenciement, le 23 mars 2018, il n’avait pas qualité pour signer cette décision.
Le licenciement de Mme [G]-[T], étant ainsi intervenu sans lettre de licenciement signée par l’autorité compétente et donc sans motif, est dépourvu de cause réelle et sérieuse, peu important que l’IRSN n’ait pas contesté être engagé par cette lettre.
Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu’il a dit le licenciement de la salariée dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Mme [G]-[T] est dès lors bien fondée à prétendre à l’indemnité compensatrice de préavis, aux congés payés afférents, à l’indemnité conventionnelle de licenciement et à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La salariée ayant été privée du préavis de trois mois prévu, sauf faute grave ou lourde, par l’article 4.405 de l’accord d’entreprise relatif aux conditions générales d’emploi au sein de l’IRSN, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné l’IRSN à payer à Mme [G]-[T] la somme de 18 815,13 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis et la somme de 1 881,51 euros au titre des congés payés afférents, ces sommes non contestées en leur montant, étant justifiée par les bulletins de paie produits.
Il convient de confirmer également le jugement entrepris en ce qu’il a condamné l’IRSN à payer à Mme [G]-[T], au titre de l’indemnité de licenciement prévue par l’article 4.405 de l’accord d’entreprise, la somme de 66 142,93 euros, qu’elle revendique, dont le montant, qui n’est pas en lui-même contesté, est également justifié par les bulletins de paie produits.
En application des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, Mme [G]-[T], qui comptait une ancienneté de 18 années complètes à la date de son licenciement, peut prétendre, en réparation du préjudice résultant de la perte injustifiée de son emploi, à une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre le montant minimal de 3 mois de salaire brut et le montant maximal de 14,5 mois de salaire brut.
L’IRSN étant son propre assureur en matière d’indemnisation du chômage, il n’y a pas lieu de faire application des dispositions de l’article L. 1235-4 du code du travail.
Eu égard aux éléments de la cause et notamment de l’âge de la salariée au moment de son licenciement, du montant de la rémunération qui lui était versée, des perspectives d’évolution de carrière qui étaient les siennes, mais également de ce qu’elle a retrouvé un emploi le 6 août 2018, et de l’absence de justificatifs produits sur sa rémunération depuis lors, il convient de lui allouer, en réparation du préjudice matériel et moral qu’elle a subi du fait de la perte injustifiée de son emploi, la somme de 60 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le préjudice de carrière dont Mme [G]-[T] demande par ailleurs réparation ne constitue pas un préjudice distinct de celui résultant de la perte injustifiée de son emploi ci-dessus réparé. Il convient en conséquence de débouter la salariée de sa demande de dommages-intérêts distincts de ce chef.
Sur le manquement à l’obligation de sécurité
En application de l’article L. 4121-1 du code du travail, l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité envers ses salariés, prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l’article L. 4161-1, des actions d’information et de formation, la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés. Il veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.
Il appartient à l’IRSN de démontrer qu’il a respecté l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de Mme [G]-[T], en justifiant avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.
La DEND, constituée de quatre services, était dirigée par un directeur, assisté de deux adjoints, M. [I] et Mme [G]-[T].
Des informations relatives à la dégradation des relations de travail au sein de la DEND, ‘en relation avec des processus décisionnels déployés dans la ligne direction’, communiquées par des représentants du personnel et confirmées par la direction des ressources humaines, ont conduit le directeur général de l’IRSN à confier, par note interne du 2 octobre 2017, à M. [V], directeur général adjoint chargé du pôle santé et environnement, anciennement directeur de la DEND, une analyse du contexte dans lequel la DEND travaille avec une attention particulière portée sur le fonctionnement, les processus décisionnels, la manière dont l’information relative aux décisions est relayée auprès des équipes et les relations interpersonnelles. Le rapport établi sur la base d’entretiens individuels avec le personnel de la DEND au cours du mois d’octobre 2017, remis au directeur général en novembre 2017, qui faisait état de dysfonctionnements du processus décisionnel au sein de la hiérarchie de la DEND, permettait notamment de constater l’isolement de Mme [G]-[T], qui, si elle reconnaissait avoir peut-être sous-estimé les difficultés induites par ses demandes dans la conduite des projets et l’établissement des avis, faisait part de son incompréhension face à la responsabilité que lui attribuaient les chefs de services et une partie des salariés de la DEND dans les dysfonctionnements, considérant que ses exigences, motivées par une volonté d’amélioration de l’efficience de la DEND, n’avaient pas bénéficié du soutien attendu de son directeur. Ce rapport préconisait la nomination à bref délai d’un directeur par intérim, suite au départ du directeur de la DEND, et l’organisation d’un séminaire interne avec l’aide d’un consultant extérieur, à l’échelon des adjoints et des chefs de services, pour éviter une dégradation de la situation en termes de mobilisation voire de santé de trois des quatre chefs de service et de Mme [G]-[T].
Le docteur [B], psychiatre, qui a suivi très régulièrement Mme [G]-[T] à compter du mois d’octobre 2017, a prescrit à celle-ci un arrêt de travail pour maladie du 14 novembre au 1er décembre 2017 pour ‘épuisement professionnel, situation conflictuelle au travail, état anxiodépressif’, prolongé le 30 novembre jusqu’au 22 décembre pour ‘épuisement professionnel, état anxiodépressif’.
M. [E], directeur général adjoint de l’IRSN, atteste qu’en novembre, puis en décembre 2017, après échange avec M. [I], devenu directeur par intérim de la DEND, il a attiré l’attention du directeur des ressources humaines sur le fait que les arrêts de travail de Mme [G]-[T] ayant été prescrits par un psychiatre, la situation semblait s’aggraver.
Si l’employeur produit un mail du médecin de santé au travail de l’IRSN au directeur des ressources humaines du 8 mars 2018, signalant que cela fait plusieurs fois qu’il convoque Mme [G]-[T], ne serait-ce que pour sa visite de reprise après un arrêt maladie supérieur à 30 jours, et que depuis le dernier rendez-vous non honoré par celle-ci, annulé le matin même pour cause d’intempéries (qui n’ont pas été constatées au moment de son rendez-vous), il n’a pas été possible de la reconvoquer, les tentatives de la joindre par téléphone directement ou par l’intermédiaire de sa secrétaire étant restées vaines, il ne justifie d’aucune convocation effectivement adressée à la salariée pour une visite médicale entre le 17 octobre 2017 et le 28 février 2018, alors que celle-ci soutient qu’elle n’a été convoquée qu’à des visites médicales fixées les 14 septembre, 19 septembre et 16 octobre 2017 avant la visite médicale fixée le 1er mars 2018, qu’elle a annulé le matin même en raison de risques de chutes de neige et de verglas en Ile-de-France, dont elle justifie.
En laissant Mme [G]-[T] reprendre le travail au début du mois de janvier 2018, à l’issue de ses congés et jours de repos, après un arrêt de travail pour maladie de plus de 30 jours, dont la prescription par un psychiatre révélait la souffrance psychique de la salariée, sans la faire bénéficier d’une visite par le médecin du travail dans les huit jours de sa reprise du travail et sans mesure d’accompagnement dans l’attente du séminaire préconisé, alors que la situation conflictuelle au sein de la DEND n’était pas apaisée, l’IRSN a manqué à son obligation de sécurité.
Ce manquement de l’employeur à l’obligation de sécurité a causé à la salariée un préjudice que la cour fixe à la somme de 2 000 euros. Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qui concerne le montant des dommages-intérêts alloués de ce chef.
Sur les intérêts
Les créances salariales ainsi que la somme allouée à titre d’indemnité de licenciement sont productives d’intérêts au taux légal à compter du jour de la présentation à l’employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation et d’orientation.
Les créances indemnitaires sont productives d’intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
Sur les dépens et l’indemnité de procédure
L’IRSN, qui succombe partiellement, sera condamné aux dépens de première instance et d’appel et sera débouté de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.
Il convient de le condamner, en application de l’article 700 du code de procédure civile, à payer à Mme [G]-[T] la somme de 4 000 euros pour les frais irrépétibles que celle-ci a exposés tant en première instance qu’en cause d’appel.
PAR CES MOTIFS :
La COUR,
Statuant par arrêt CONTRADICTOIRE,
Infirme partiellement le jugement du conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt en date du 2 juillet 2020 et statuant à nouveau sur le tout pour une meilleure compréhension et y ajoutant :
Dit le licenciement de Mme [Z] [G]-[T] sans cause réelle et sérieuse ;
Condamne l’Institut de [6] (IRSN) à payer à Mme [Z] [G]-[T] les sommes suivantes :
– 18 815,13 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
– 1 881,51 euros brut au titre des congés payés afférents,
– 66 142,93 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,
– 60 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– 2 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité ;
Déboute Mme [Z] [G]-[T] de sa demande de dommages-intérêts distincts pour perte d’évolution de carrière,
Dit que les créances salariales et l’indemnité conventionnelle de licenciement sont productives d’intérêts au taux légal à compter du jour de la présentation à l’Institut de [6] (IRSN) de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation et d’orientation ;
Dit que les créances indemnitaires sont productives d’intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;
Déboute l’Institut de [6] (IRSN) de sa demande d’indemnité fondée sur l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne l’Institut de [6] (IRSN) à payer à Mme [Z] [G]-[T], au titre de l’article 700 du code de procédure civile, la somme de 4 000 euros pour les frais irrépétibles exposés tant en première instance qu’en cause d’appel,
Condamne l’Institut de [6] (IRSN) aux dépens de première instance et d’appel.
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Régine CAPRA, Présidente et par Madame Sophie RIVIERE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,